Les choses bougent.
Il y a du mouvement dans ma vie.
Est ce que j'avance ? Est ce que je recule ?
Je ne sais pas trop ...
Peut etre que j'avance à reculons.
Il y a deux mois, j'ai repris un appartement.
Je retrouve mon indépendance. Cela me fait du bien.
Concrètement, j'arrive de nouveau à gérer ma vie. Comme une adulte responsable, sans dépendre de personne.
Le bilan n'est pas si mauvais : je bosse, je gagne de l'argent, à peine un smic malgré un bac +5, mais assez pour me payer un loyer, mes transports, ma bouffe, mes clopes, quelques fringues, loisirs et sorties.
Après avoir vu "J'veux du soleil", le nouveau film de François Ruffin, je ne suis finalement pas à plaindre.
Pas de vacances, pas de restaus, pas d'investissements. Il me manque plein de trucs, j'ai plein de frustrations technologiques et de coquetteries, mais ce sont finalement des frustrations presque capricieuses.
Je fais partie de la pauvreté moyenne de la France, tout ce qu'il y a de plus banal. Je suis loin d'être la seule, et j'arrive à profiter de la vie malgré les restrictions. Comparé à d'autres, je suis presque chanceuse finalement. Rien de dramatique.
J'avance à reculons.
Avec cette indépendance et cette liberté retrouvées, comme je l'attendais (ou devrais-je dire comme je l'appréhendais), reviennent mes pulsions.
"Je fais rien que des bêtises ..."
J'avance à reculons.
Je fume 2x plus que quand j'habitais chez ma mère. Mes 3 paquets hebdomadaires se sont transformés en 1 paquet quotidien. Ma chambre s'enfume. J'écoute des vinyles en observant la fumée de mes
cigarettes virevolter et former des courbes lascives dans la pièce. Je trouve ça beau. Je ne sens presque plus l'odeur du
tabac. La chaleur de la flamme du briquer qui s'allume en un clic me rassure.
J'avance à reculons.
Je continue de consommer de la
cocaïne.
Depuis janvier, je continue de considérer cette consommation comme une "reprise après 8 mois d'arrêt". J'ai constammant en tête ces 8 mois d'arrêt, ce sentiment de fierté. Et pourtant cela fait déjà 4 mois que je consomme de nouveau. Le temps file.
Je tiens un journal de mes consommations. C'est très clair, les chiffres parlent d'eux même. Je culpabilisais en janvier, je culpabilisais en février. Pourtant c'était encore très peu, par rapport à aujourd'hui. En 4 mois je consomme de plus en plus frequemment, et les quantités augmentent.
J'avance à reculons.
Emotionnellement pourtant, malgré ça, rien de trop noir.
Je gère mieux les lendemains, je m'accorde des temps de récupération. Me retrouver seule quand je suis en
descente, sans devoir affronter les inquiétudes de ma mère, sans devoir faire semblant, m'enlève beaucoup de stress et d'angoisses. Je suis plus sereine, je n'ai pas à faire semblant. Je perdais beaucoup d'énergie à devoir faire bonne figure. Je me sens plus sincère envers moi même, aussi. J'assume.
J'avance à reculons.
Mes arrangements avec mon dealer ne me conviennent plus. Je ne me sentais plus respectée, j'y laissais trop de plumes. Je n'avais plus la maitrise des choses, je sentais que ce troc de drogue contre du sexe, pour lui et ses copains, me dégradait. Il y a des choses qui conviennent un temps, et puis ça s'arrête. J'ai fini par dire stop.
J'avance à reculons.
Sans ce deal, j'ai besoin d'argent pour acheter de la
coke. J'en obtenais en ouvrant ma bouche ou en écartant les cuisses, mais maintenant il faut trouver des billets.
C'est là que le problème se pose. Impossible pour moi de retirer au distributeur. J'ai à peine 400 balles par mois pour vivre après avoir payé mon loyer, ca ne me permet pas de m'offrir de la poudre blanche.
Fut un temps ou je le faisais, et quand l'envie est plus forte que tout, c'est ce que tous les accros se résolvent à faire malgré eux, mécaniquement. Car l'envie est plus forte que tout.
Je crois que c'est finalement ce que je ferai, s'il n'y avait pas l'Autre raison qui m'empêche de composer mon code sur les touches du distributeur de billets.
J'avance à reculons.
Depuis ma nouvelle rechute de l'année dernière, depuis le 13 mai 2018 où j'ai avoué à mes parents que je consommais de nouveau, ma mère a accès à mes comptes. Elle le consulte régulièrement.
Le moindre retrait de 70 euros l'alerterait immédiatement. D'autant plus s'il est récurrent.
Et pour la 3ème fois, je redoute plus que tout le fait qu'elle apprenne qu'une fois encore que mes irritations nasales répétitives ne sont pas dues à mes allergies ou à des rhumes.
Les 2 premières fois, j'ai fini par lui dire, parce que je n'en pouvais plus, que j'avais besoin d'aide, que cela me pesait trop de mentir.
Et parce que j'étais faible, aussi.
Cette fois, j'espère que cela n'arrivera pas. Que j'arriverai à arrêter toute seule, sans causer le dawa autour de moi. Ou, si je ne parviens pas à devenir abstinente, que j'arriverai à gérer, sans me mettre en danger. Sans que je perde complètement le controle.
J'avance à reculons.
La seule solution que j'ai trouvé, pour obtenir de l'argent rapidement et facilement, c'est de revenir à ce que j'avais déjà fait.
Les rencontres tarifées, comme je les appelle.
C'est plus facile à dire que de parler de prostitution, même si c'est pourtant ca.
Mais parce que ce mot me semble loin de moi, peut être trop grave, trop misérable, trop dégradant, trop trop trop.
La logique reste la même qu'avec les arrangements avec mon dealer, finalement.
La
coke et le sexe restent liés pour moi.
Mais en faisant des rencontres avec d'autres hommes, je garde le controle, je choisis, je reste maitre des situations. Ce qui n'était plus le cas avec mon dealer, qui m'avait à sa merci.
J'avance à reculons.
Nouvelle inscription sur ce site d'annonce sur lequel j'ai passé des heures autrefois.
Nouvelles discussions, nouvelles propositions. Et nouvelles rencontres.
Les choses sont comme avant. Je garde même ma description d'autrefois, je me rajeunis de quelques années, je dis que je suis étudiante. Je réactualise juste mon poids, qui n'est plus de 45kg mais de 60kg. Je ne suis plus la brindille frémissante d'il y a deux ans.
J'avance à reculons.
Il suffit de 3 rencontres pour que ces trois là deviennent régulières. Il faut croire que j'ai des talents, j'ai des vertus de fidélisation.
Je reste une occasionnelle, j'ai le charme de la spontanéité et la grâce des maladresses. C'est ce qu'ils préfèrent.
Malgré tout, j'ai appris de mes expériences passées.
Si autrefois je privilégiais les rencontres longues pendant lesquelles il y avait la place pour la discussion, les confidences et l'empathie, je préfère aujourd'hui aller droit au but et me concentrer sur l'acte sexuel.
J'esquive les questions, je ne propose pas de café après, je raccompagne à la porte dès qu'il a remit ses chaussettes.
Car ce qui m'a pris le plus d'énergie à cette époque là, ce qui m'a le plus effrité dans ces expériences, ce n'est finalement pas de donner mon corps, mais de déguiser mon être. Devoir sourire, écouter, être de bonne humeur, compréhensive, gentille. Avoir de la conversation, aussi. Car ils ne veulent pas des filles qui sont belles et qui se taisent. Il fallait aussi parler, paraitre épanouie, bien dans sa peau. C'est pas facile pour eux de faire ça non plus, alors il faut les rassurer, pour qu'ils n'aient pas trop mauvaise conscience. Pour faire vraiment bien le taff, et les satisfaire tout à fait, il faut leur faire oublier que la fille fait tout ca pour gagner de la thune. Donc c'est là qu'on place la phrase "je veux joindre l'utile à l'agréable" et faire passer le message qu'on a une grosse libido et qu'on adore le sexe. Qu'on est une "coquine".
Surtout, faut pas avoir le nez trop bouché. Pas qu'il se doute qu'on est une pauvre toxico et qu'on fait ca pour acheter de la drogue.
J'avance à reculons.
Je ne prends plus de plaisir comme avant. Je ne me laisse plus aller de la même façon.
Je m'étonne aux souvenirs de ces orgasmes que j'atteignais si facilement, du plaisir qui m'envahissait avec insolence lors de ces rapports.
Je crois qu'ils étaient réels.
Mais j'ai réalisé que ces instants de laché prises se sont retournés contre moi. Les hommes finissent par négocier, leur égo une fois flatté.
C'est toute l'ambiguité de ces rencontres qui m'ont dégouté.
Pour être une bonne pute, il faut montrer qu'on a du plaisir, gémir, leur faire ressentir qu'ils sont doués. Et aussi que c'est exceptionnel, que ca n'arrive pas avec les autres, que c'est lui seulement. Valoriser le monsieur.
Mais accourt alors dans leur esprit cette question : Une fille qui prend du plaisir, à quoi bon la payer ?
Donc, si je veux être payée, il faut en toute logique ne pas manifester trop de plaisir.
C'est prouvé et confirmé. Il y a plus de légitimité à payer une fille qui ne prend pas trop son pied.
J'avance à reculons.
Alors, je reste dans le controle. Je fais les choses plus mécaniquement. Je n'avais avant jamais la montre en main, je vivais le moment comme un vrai moment, laissant s'écrire ce qui devait s'écrire.
Aujourd'hui j'attend que cela se fasse, espérant qu'il jouira rapidement.
Je prête mon corps sans être vraiment dedans.
Ce côté mécanique me protège finalement davantage.
Moi qui pensait avant que le fait de vivre pleinement les choses atténuait le côté prostitution, que cela effaçait le rapport financier, rendant le moment davantage humain.
Je comprends aujourd'hui que c'est cela qui m'invisibilisait, que c'est comme ca que je me suis perdue moi même.
Fini l'hypocrisie, je fais la pute et c'est comme ça. Et vaut mieux s'en tenir à ça.
J'avance à reculons.
On me donne des billets.
Je les donne à mon dealer, un autre.
Cet argent, c'est comme s'il n'existait pas vraiment. Je le garde très peu de temps. On me le donne, et puis je le dépense. C'est un argent invisible. Et avec lui, restent invisibles mes activités. Pas de retrait inscrits sur mon compte bancaire. Pas d'entrées d'argent non plus. Pas de dépenses nouvelles. Je ne remplis pas plus mon frigo, je ne m'achète pas de nouvelles fringues, d'objets. Rien. De l'argent qui part en fumée. Ou plutot qui part dans le nez.
J'avance à reculons.
Cette semaine j'ai commencé la série Vernon
Subutex.
Cela me renvoie à Juillet 2016, quand j'avais lu le Tome 1 de cette série de Virginie Despentes.
Me revient en mémoire la 1ere fois que j'ai commandé de la
cocaine toute seule. C'est à cette période que je lisais ce livre.
Bizarre. Comme si ces personnages cokés avaient provoqué en moi le premier
craving de ma vie.
J'avance à reculons.
Aujourd'hui, sur ce site de petites annonces par lequel je passe pour échanger besoins sexuels et besoins financiers, j'ai commencé à parler à un homme.
Au début, ce ne sont jamais complètement des hommes, cela reste des lettres qui s'affichent sur l'écran.
Un pseudo, Kokin2019. Une vague description, 33 ans, 1m80, 75kg.
Il me demande mon numéro, j'explique que je ne le donne que si le rendez vous est convenu.
Je fais encore des erreurs de débutante, ou plutot je continue à avoir cette naïveté en la crédulité et l'honnêteté de ces interlocuteurs virtuels. Car evidemment, je sais qu'il est facile de prétendre convenir d'un rendez vous, même si ce n'est pas l'intention de l'Autre, pour obtenir mon 06.
En imprudente occasionnelle que je suis, je n'ai pas de 06 consacrée à cette activité, je donne mon numéro perso. Alors que je sais qu'il suffit de quelques minutes sur Google et quelques clics pour retrouver mon identité et mes activités professionnelles, référencées via mon téléphone sur internet.
Bref, je suis une folle.
J'avance à reculons.
Je conviens d'un rendez vous avec Kokin2019. Il insiste pour avoir mon téléphone, je le lui donne. Il demande à m'appeler, pour vérifier que ce n'est pas un fake. j'accepte.
La conversation téléphonique commence. Tout débute de façon très banale.
Si ce n'est que dès les 3 premières minutes il se montre excessivement bavard.
Je joue le jeu, sans en faire trop. Je pense qu'il était perceptible que j'étais un peu agacée. Cela n'a pas eu l'air de l'inquiéter.
Il se montre curieux, me pose beaucoup de questions.
Je sais qu'il ne faut pas répondre, surtout, ne pas ouvrir ces portes à l'intrusion. Je reste vague.
Mais j'ai bu 3 pintes ce soir, je viens de rentrer chez moi, et j'ai commencé à prendre un peu de
coke.
Je n'ai pas tous mes esprits en place, je ne suis surement pas assez en alerte.
Et l'Autre est doué. C'est certain.
Je finis par lacher (comment?) que j'ai vécu à Paris. Il semble troublé.
Il me demande où.
J'ai un début de malaise qui se dessine dans un coin de ma tête.
J'esquive la question.
Il me demande "Tu habitais pas à XXX par hasard ?"
Mon coeur se met à battre. Il a visé le bon quartier. La coïncidence est trop grosse, ce ne peut pas être un hasard.
"On s'est déjà vu?"
J'avance à reculons.
Il me sort alors tous ces souvenirs.
Mon logement, ma description physique, ce que je faisais à l'époque.
Je l'avais accueilli avec un verre de vin, j'avais pris un peu de
coke.
Il m'avait fait un massage, puis un cunni. J'avais adoré. On avait commencé à se carresser.
"Tu t'es grave chauffé. Tu as commencé à te caresser en te frottant sur moi. Puis tu t'es mis sur moi et tu as mis ma bite en toi. Tu poussais des gémissements, des cris. tu prenais grave ton pied. Puis tu t'es tourné et tu as voulu que je prenne par derrière. Là tu as dit de faire attention à la capote. Je t'ai dit que y en avait pas, que tu m'avais sauté dessus et que j'avais pas eu le temps d'en mettre. Et là tu as pété un cable, tu as dit que je te l'avais fait à l'envers, que j'avais fait exprès. Tu étais vraiment énervée. On a arrêté là et tu m'as mis dehors. Je t'ai recontacté la semaine d'après, mais tu m'as envoyé des messages vénèrs. Comme quoi j'avais abusé de toi. Du coup on s'est jamais revu".
J'avance à reculons.
Je n'ai aucun souvenir de tout ce qu'il me raconte.
Pourtant, il ne peut que dire vrai.
Toutes les infos qu'il m'a donné sur moi, mon logement etc, sont justes.
Mon coeur bat la chamade en entendant tout ca.
Il y a donc des moments de ma vie, des rencontres, des rapports sexuels, qui se sont effacés de ma mémoire.
Récemment, j'ai essayé, telle un ado collectionneur ou un Don Juan vantard, de faire la liste de tous les mecs avec qui j'avais couché.
Sans viser un chiffre précis, mais au moins une moyenne, en laissant une marge d'erreur entre 5 et 10.
J'étais arrivée à un chiffre finalement pas trop énorme, plus élevé certainement que la moyenne des filles de mon âge, mais sans que cela soit trop gargantuesque.
Face aux propos de cet homme, dont la voix ne m'évoque aucun souvenir, il m'apparait que ce chiffre est probablement erroné, et que j'ai accueilli dans mon lit, il n'y a pas si longtemps, un peu plus de deux ans seulement, un homme que j'ai complètement oublié.
Pourtant, le souvenir qu'il évoque n'est pas un souvenir banal, et il aurait du me marquer.
Et si lui je l'ai oublié, alors il y en a très probablement d'autres.
J'avance à reculons.
La conversation s'éternise, ses questions sont intrusives, insistantes. Je sens qu'il va trop loin, que je perd le fil et que je me mets en danger, répondant malgré moi à des choses personnelles qu'il n'a pas besoin de savoir.
Il me propose une somme d'argent importante, pour des rendez vous très réguliers.
Je finis par donner fin à la conversation, après un temps que je ne mesure pas mais qui avait en tout cas dépassé une bonne heure.
Nulle. Je sais que je n'aurai pas du me laisser aller à cet échange.
Mais je me suis laissée avoir par la surprise. Tombée de haut.
J'avance à reculons.
Si nous nous voyons comme nous l'avons convenu, je revivrai donc un moment que j'ai vécu il y a deux ans. Quand j'étais à fond dans la
coke, à fond dans la prostitution.
Je ne veux plus revivre cette époque.
Je sais qu'il désire retrouver l'intensité de ces caresses, de cette volupté, de cette sensualité que je donnais, et qui l'ont indéniablement marqués, tant ses souvenirs sont précis.
Mais je sais déjà que ce ne sera pas ça.
Car même si c'est à reculons, j'ai avancé.
Enfin, je crois.