DiMiTri : 3eme ou 4ème prise-50 mg en trois bouffées à la CE.
La vapeur qui rentre dans ma gorge est douloureuse. Acre et chaude. Je me dis que j’ai, encore une fois, délibérément et librement choisis de m’intoxiquer avec une autre substance.
Je voudrais rire, mais ma trachée commence à se diviser en trois. Chaque conduite part dans une direction différente, jaillissant hors de moi. L’une d’elle m’étrangle.
Je déglutis. Une douleur vive m’attrape à la gorge, descend dans mes poumons. Je bois une infime gorgée d’eau. L’incendie qui s’est déclenché dans mon œsophage s’éteint lentement.
Je réalise que j’ai les yeux fermés. Je me demandais, par quel miracle pouvais-je voir ces tubes de chair, de ma chair, se tordre comme des serpents devant moi... Le monde réel est plus beau qu’à l’accoutumée. Les couleurs plus vives, mais les distances plus hasardeuses. Je suis allongé sur un lit, incapable de bouger. L’immense torpeur qui me prend m’écrase les membres, le diaphragme. Je m’attends à mourir à tout moment. Soudain…
Soudain, du plus profond de moi, un appel résonne. J’ai de la marge. J’ai des ressources. Je peux supporter bien plus que ça. Une impatience, teintée d’une légère inquiétude m’envahit. La Substance se fixe sur mes récepteurs.
On y va. Deuxième bouffée. Instantanément, mes yeux se ferment. La contraction de ma gorge reprend de plus belle. Oui, je meurs. Douloureusement. Péniblement. Intensément. Mon corps entier convulse et bascule dans le vide. De grande gerbes de lumières se sont invitées jusque sous mes paupières.
Troisième bouffée. On y est. Je me suis infiltré au cœur de la matrice universelle de toute forme de conscience. Je suis dans un immense tunnel. Face à moi, des motifs colorés, éclatant, tournant à des vitesses prodigieuses, vertigineuses. En leur centre, un point noir. Infiniment noir. Je ne devrais pas y aller. Vraiment pas. Je pourrais me contenter de laisser ce tunnel se métamorphoser, par lui-même. Cependant, j'éprouve l'étrange sentiment d'être en devoir de pousser ma cognition dans ses ultimes retranchements et de désassembler la structure de mon individualité. Je parviens maintenant à me déplacer. Je m’avance vers l’origine cosmique du rêve que je vis. Toute immobilité est signe d’absolu dans ce monde rotatif. M’approcher de ce trou noir, c’est accepter ce vide glacial, cette absence irréversible de sens. Je sais que d’ici quelques instants, le portail pourrait s’ouvrir. Dimitri m’observe. Si ma lutte intrapersonnelle le satisfait il m’ouvrira les portes de son royaume. Pour l’heure, je dois affronter mes angoisses, mes suppositions. On n’est riche que de ses doutes. On voyage plus vite, plus loin, lorsque l’on a ni certitude ni bagage. Je ne veux pas frustrer mon hôte, je m’ouvre pleinement ; selon le plan sagittal, ma peau se déchire et se retourne, comme si j’étais un lapin qu’on écorche. Je suis maintenant un être ouvert à 360°, prêt à se remplir de la connaissance des plus absolue, telle une baleine de plancton.
Ma gorge me fait moins mal. La douleur est supportable, mais je sais qu’elle ne me quittera pas, c’est mon passeport.
La porte s’ouvre. Une joie immense me prend, je suis reconnaissant envers l’Univers de me prendre en son sein. Merci Dimitri. Je l’imagine au-dessus de mon épaule, souriant, m’adressant un signe de tête discret. Mon égo est mort. J’ai remporté ce combat à mort contre moi-même. Ce demi-suicide m’a rendu apatride. La race humaine ne me reconnaitra plus jamais comme l’un des sien, mais ce pays m’accueillera tel que je suis, je ne lui serai plus jamais étranger. Mon Odyssée commence. Je suis un Ulysse des temps moderne qui vogue à la surface d’une fumée violemment enthéogène. Affrontant ou couchant successivement avec différentes Chimères. A la seule différence près que je ne suis pas impatient de retrouver Ithaque…
Une Circée violette m’invite en elle. Littéralement. J’explore son réseau sanguin. Ses capillaires m’aspirent tel un globule rouge. Une immense hémorragie fertile me libère, et voilà que je me retrouve projeté hors de la femme Violette fraichement égorgée. Je suis hors de l’espace-temps. Hors de l’existence. Je suis un élément d’un espace non-définit.
Pour l’heure, la particule d’existence, le boson de conscience que je suis tombe dans ce vide. Je m’écrase comme un suicidé sur une route. Un axe. Un réseau. Un immense réseau de communication : mes propres synapses, parcourues de signaux électriques d’intensité élevée. Mon regard est absorbé au cœur de ce grand complexe neuronal. Je crois distinguer, par endroit, des amas de la Substance accrochées comme des parasites à mes neurones. La vision d’infini me donne le vertige. Une grande onde gravitationnelle me traverse, me soulève le cœur.
Alors que j’expérimente la profonde remise en question de mon individualité, le réseau neuronal se met à tourner. Ma matière grise veut me montrer quelque chose : un miracle. L’entièreté de la structure cellulaire se déploie, tel un oiseau rare qui possèderait plusieurs milliers de paires d’ailes. Les chaînes synaptiques se déconstruisent et se réassemblent d’une manière inorganique. Mon voyage se complexifie ; ma tête, dans laquelle je me trouve, surchauffe comme un processeur. J’essaie d’en sortir ; j’ouvre les yeux.
La chambre n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était avant que je n’aspire cette vapeur de rêve. Les teintes dégradées (dues à l’éclairage) me semblent trop simples. Des remords me viennent…aurais-je trahis Dimitri ? Je referme les yeux.
Je parviens à « revenir » à l’endroit où je me trouvais une fraction de seconde auparavant. Je me demande alors de quelle matière ces synapses-étendards qui flottent magistralement dans l’air vide de mes songes sont faites… "La matière dont sont faits les rêves" … Dimitri m’apparait sous les traits d’Humphrey Bogart pour m’expliquer qu’il est désormais temps d’entamer la dernière partie du voyage.
La musique orientale teintée d’électro que je perçois à travers les cloisons de mon hallucination chimique m’amène au mont Olympe. Face à ma confusion géographique Zeus, dont la voix jaillit du matelas dans lequel j’agonise, m’annonce que toutes les divinités se sont réunies pour moi en terre jordanienne et m'invitent à les rejoindre. Le fait que la voix vienne de mon sommier me fait me demander si je serai capable d’entendre les acariens qui pourraient s’y trouver. Je m’excuse au près de Zeus, Jésus, Freya, Quetzalcóatl, Shiva, Allah, Bouddha et Humphrey Bogart de ne pouvoir me joindre à eux, pour plonger à l’intérieur du matelas et partir en safari à la rencontre des acariens. Ma tête ne parvient pas à passer à travers la maille du tissu. Je reviens peu à peu à moi. Le voyage s’achève misérablement : j’ai préféré à la compagnie célestes des dieux à celle des acariens fictifs du lit dans lequel je me suis échoué.
Merci d'avoir lu.
Bonne chance et bon courage pour vos voyages futurs !