Histoire du Palfium

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Mascarpone
Vieux clacos corse pas coulant
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«Les trois âges du Palfium®» histoire d’un produit ambivalent (France, 1957-1999)

Le Palfium®, médicament commercialisé mais soumis à  la législation sur les stupéfiants, devient un objet de convoitise pour les usagers d’opiacés et, pendant un temps, l’un des outils de la substitution informelle pratiquée par les médecins généralistes. C’est donc plusieurs pans de l’histoire de la toxicomanie et de sa prise en charge thérapeutique qui se reflètent dans l’histoire de ce produit.

En 1996, Antoine Khouri, médecin généraliste de Belleville, se retrouve au cœur d’une affaire défrayant la chronique au moment même où la réduction des risques (RdR) et la substitution aux opiacés de synthèse rentrent dans les mœurs thérapeutiques. Sensibilisé aux problèmes de dépendance aux opiacés, Khouri fut marqué par les symptômes de sevrage des nouveau-nés de mères toxicomanes. Il en avait tiré la conviction que la toxicomanie était un trouble somatique réel, susceptible de recevoir une réponse médicamenteuse. C’était loin d’être une évidence à  l’époque où le modèle psychothérapeutique de Marmottan dominait. Il se mit à  pratiquer la substitution informelle en prescrivant à  ses patients toxicomanes, dans son cabinet de généraliste, des opiacés de synthèse comme le Temgésic®, l’Antalvic® et surtout d’importantes quantités de Palfium® sous forme injectable. Près de 200 toxicomanes le consultent régulièrement, jusqu’à  ce qu’il soit poursuivi pour la mort accidentelle de six patients, décédés d’embolie pulmonaire après des injections surdosées de Palfium®. En 1997, Khouri est condamné à  quatre ans de prison (dont deux avec sursis) et à  payer 30 000 francs d’amende ainsi que 1,4 millions de francs de dommages et intérêts aux familles des victimes à  acquitter avec la pharmacienne qui exécutait les ordonnances, désormais interdite de profession1. Mais pour Khouri, l’affaire reflète aussi l’hypocrisie du conseil de l’ordre des médecins, selon lui, parfaitement informé de l’usage qu’il faisait de ses carnets à  souche, et ayant même approuvé sa démarche quand, en réponse à  l’un de ses courriers en 1993, le Conseil lui avait suggéré de ne pas dépasser 25 prescriptions d’opiacés de synthèse par semaine2. L’affaire Khoury résume à  elle seule les enjeux cristallisés par le Palfium®.

Entre toxicomanie iatrogène et détournement de la filière pharmaceutique

Le Palfium®, forme commercialisable de la dextromoradine, synthétisée par les laboratoires belges Janssen, est mis en vente en 1954. Il arrive en France en 1957, produit et vendu par Delalande sous forme d’ampoules injectables ou de comprimés de 5 mg. Sa découverte s’inscrit dans le cadre de la révolution des opiacés de synthèse dont l’utilisation thérapeutique est alors devenue incontournable pour soulager la douleur ou bien, en milieu hospitalier, en matière de «neuro-analgésie» comme alternative à  l’anesthésie générale, c’est-à -dire en provoquant un état d’insensibilité totale à  la douleur, à  l’aide de substances comme la phénopéridine ou le Fentanyl®, lui aussi commercialisé par Janssen. Le Palfium® se retrouve inscrit au tableau B des substances narcotiques et doit être prescrit à  l’aide du carnet à  souche (remplacé en 1999 par les ordonnances sécurisées). Le risque, qui va se concrétiser très vite, est que le patient accroche au produit et ne sache plus s’en passer. Le Palfium® s’insère alors dans le schéma dominant des toxicomanies iatrogènes. Au seuil des années 1950, les toxicomanes s’approvisionnent à  65 % auprès du marché licite des produits pharmaceutiques, pour seulement 35 % au marché clandestin3. Il s’agit là  d’une toxicomanie qui reste souterraine et n’enfreint aucun code social, n’apparaissant qu’au détour d’un exercice de comptabilité sur registres de pharmacies ou carnets à  souches. Les archives du service central des années 1960 sont remplies d’exemples de ce genre, pour n’en citer que quelques-uns, en 1960 Guy Péchenard de Paris est mis en cause pour vol de carnets à  souches chez des collègues qu’il remplaçait en Seine-et-Marne: les carnets dérobés servaient pour son usage personnel de Palfium®, donnant ainsi un nouvel avatar à  la figure du médecin morphinomane hérité du XIXe siècle. En 1961, c’est un notable de Bergerac, Maurice Faugère, directeur des établissements Pro-Méca qui est ainsi débusqué par les pharmaciens inspecteurs de la Santé qui le désignent comme «toxicomane au Palfium®» et qui se ferait prescrire de plusieurs médecins. Le produit représente près de 10 % des cas de toxicomanie médicamenteuse.

Mais la surveillance des autorités ne porte d’ailleurs pas uniquement sur les cabinets de médecins généralistes et s’étend aux pharmacies où se présentent régulièrement des clients plus ou moins rusés trafiquant les ordonnances: en 1972, à  Vernon en Normandie, un patient a «présenté l’ordonnance sur laquelle il avait ajouté le chiffre 1 devant le 6, pour obtenir 16 comprimés de Palfium® au lieu des 6 prescrits» lit-on ainsi sur une note diffusée auprès des pharmaciens de la région, simple exemple pris parmi d’autres d’avertissements diffusés par les pharmaciens inspecteurs pour éviter ce genre de détournement en donnant le signalement de l’individu qui ne ressemblait en l’occurrence en rien à  un junky désocialisé5. Le détournement peut aussi venir des pharmaciens eux-mêmes et faire l’objet de la part des autorités sanitaires d’enquêtes qui n’ont rien à  envier à  ce que font les policiers dans le cas des filières illicites. Par exemple, en 1971, le service central est informé par l’ordre national des pharmaciens de problèmes posés par la collecte de médicaments usagés par une pharmacienne d’Orléans, Nicole Viossat, pour le compte d’une association, «Medicus Mundi», faisant œuvre humanitaire au Pakistan. La comptabilité révèle des transferts non conformes à  la régulation (c’est-à -dire hors prescription) de centaines de doses de Palfium® de la pharmacie vers l’association. Les inspecteurs mettent finalement au jour un impressionnant détournement de produits inscrits au tableau B. Interrogée, la pharmacienne avoua qu’elle utilisait aussi du Palfium® pour sa consommation personnelle et celle de ses amis.

Au cœur des nouvelles consommations toxicomaniaques dans les années 1970-1980.



La suite de l'article ici : http://vih.org/20160128/trois-ages-du-p … 999/137718

Qui pète plus haut que son cul, fini par se chier dessus!
Le pire con, c'est le vieux con, car on ne peut rien contre l'expérience!
Ce qui est bien chez les félés, c'est que de temps en temps ils laissent passer la lumière!

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fenriz35
Ma méthadone me sauve la vie .
Inscrit le 14 Sep 2015
98 messages
hello Mascarpone !
merci pour l'article,
ce qui a aussi "aidé" a interdire le Palfium en france , c'est Francoise Sagan , qui souffrant de douleurs dorsale se fesait prescrire du palfium, elle en abusa enormement , augmmentait les doses sans arret , et comme elle etait connu son medecin ne disait rien . Selon elle le palfium aurait détruit sa vie , elle decida d'ecrire un livre
<<Toxiques, journal, Paris, Julliard, 1964 >> en denoncant le palfium comme un produit diabolique , et patati patata , alors que sa dependance forcée , elle en etait elle même responsable d'avoir detourné un antagique opiacé .
Bref , de par sa celebrité , son livre donna une image encore plus negative de la molecule , et aida fortement a son interdiction .
Voila pour la petite histoire en plus .
Cordialement
Fenriz

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