Fin des « mules » et des « go fast », cannabis bloqué en Espagne : les conséquences du confinement sur le trafic de drogueDans un document daté de la fin mars, la police judiciaire décrit dans le détail comment les organisations criminelles s’adaptent au confinement.Par Simon Piel Publié hier à 15h21, mis à jour à 10h38
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Lundi 6 avril au matin, une équipe de douaniers a découvert 50 kg de
cocaïne dans un conteneur en provenance des Antilles, débarqué au terminal de Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique), à proximité de Saint-Nazaire. Cette saisie intervient quelques jours après celle de 300 kg de
cocaïne réalisée le mardi 31 mars dans le port de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône). La drogue avait cette fois été découverte dans un conteneur en provenance d’Amérique du Sud. C’est la deuxième saisie de
cocaïne dans la région marseillaise, après celle qui avait vu, fin février, une cargaison record de 3,3 tonnes en provenance du Costa Rica saisie par la police.
Autant de confirmations que malgré la crise sanitaire et les nombreuses mesures restrictives de déplacement, les organisations criminelles n’entendent pas abandonner le trafic et cherchent comment s’adapter aux nouvelles conditions imposées à leur commerce illégal qui leur permet, en temps normal, de fournir chaque mois en moyenne 35 tonnes de
cannabis, 2 tonnes de
cocaïne, 850 kg d’héroïne ou encore 500 000 comprimés d’ecstasy.
Dans un document intitulé « Note de situation sur l’impact du coronavirus sur la criminalité liée au trafic de stupéfiants », de la fin du mois de mars, l’office antistupéfiants (Ofast) de la police judiciaire revient sur la situation du trafic et décrit les moyens par lesquels les groupes criminels tentent de contourner les restrictions liées à la crise sanitaire pour continuer à acheminer de la drogue sur le territoire français.
Fin des « mules » et des « go fast »L’Ofast note tout d’abord que « tous les vecteurs par lesquels les stupéfiants alimentent les points de vente sont fortement ralentis ou à l’arrêt complet. Cette situation ne permet plus d’acheminer les quantités auxquelles le marché s’était habitué. Le contexte de la lutte contre les trafics a ainsi radicalement changé. »
« L’arrêt des importations a interrompu l’arrivée de grandes quantités de stupéfiants qui sont en attente sur le territoire espagnol », souligne l’Ofast.
C’est par exemple le cas des « mules » transportant de la
cocaïne au départ de Cayenne vers la métropole, dont le flux s’est totalement estompé depuis le 21 mars, souligne l’office. C’est aussi le cas pour les « go fast » qui sont annulés ou reportés à des temps plus cléments. Les policiers constatent ainsi que les véhicules qu’ils ont placés sous surveillance ne se déplacent plus.
L’information circule vite chez les trafiquants qui n’hésitent pas à se prévenir des différents points de contrôles. C’est ainsi que certains d’entre eux ont échangé sur les contrôles systématiques réalisés au Perthus (Pyrénées-Orientales) à la frontière espagnole. « Les chargements de
cannabis en provenance du Maroc et d’Espagne en gros et semi-gros ne rentrent plus en France depuis le 15 mars. L’arrêt des importations a ainsi interrompu l’arrivée de grandes quantités de stupéfiants qui sont actuellement en attente sur le territoire espagnol », souligne l’Ofast.
Ports français toujours exposésComme l’ont illustré les exemples de Fos-sur-Mer et plus récemment de Montoir-de-Bretagne, le fret légal reste l’une des voies d’acheminement encore possibles. « Les ports français sont toujours exposés à l’arrivée de conteneurs déjà flottants en provenance des Caraïbes et d’Amérique du Sud, où les trafics tournent encore à plein régime », écrit l’Ofast. De nombreuses saisies dans les pays fournisseurs ont ainsi eu lieu ces dernières semaines (4,3 tonnes en préparation en Colombie, interception de 2,5 tonnes au Costa Rica le 22 mars, ainsi que la découverte le 19 mars de 1,9 tonne au Salvador et de 766 kg à Paranagua au Brésil…). « Si l’épidémie de
Covid-19 entraîne une paralysie économique inédite, avec l’arrêt de nombreuses lignes aériennes régulières, les trafiquants savent rapidement s’adapter, comme l’illustre le crash d’un avion de transport médical colombien découvert le 21 mars avec un chargement de
cocaïne au Honduras », décrit l’Ofast.
Dans la même veine, la police judiciaire s’inquiète d’une possible augmentation de l’utilisation des ensembles routiers internationaux. Selon l’Ofast, « ceux-ci pourraient devenir un vecteur privilégié pour les trafics de stupéfiants, en particulier si les services allègent les contrôles sur la circulation des marchandises, denrées alimentaires et autres, au profit d’autres missions prioritaires dans le contexte du
Covid-19 ».
Si la plupart des régions métropolitaines sont touchées par les difficultés d’approvisionnement, l’office observe que les régions frontalières de l’Espagne et des Pays-Bas continuent à se fournir encore facilement. « Les trafiquants de la région lilloise, ainsi que de Perpignan ou de Pau, disposent ainsi de fournisseurs situés à proximité géographique. Il leur suffit de connaître les itinéraires pour éviter les contrôles. Les prix des stupéfiants sont d’ailleurs restés plutôt stables dans ces endroits », peut-on lire dans la note.
Désorganisation de la vente localeMais la principale conséquence de la crise sanitaire reste la désorganisation de la vente locale des stupéfiants. A la hausse des achats pour constituer des stocks dans la perspective de la mise en place des mesures de confinement (le point de deal des Oliviers à Marseille a pu réaliser jusqu’à 150 000 euros de chiffre d’affaires en une journée), s’est substituée une baisse considérable de l’activité et des stocks avec pour conséquence une hausse significative du prix des produits. « A Lyon, le prix du
haschich au semi-gros a progressé de 40 %, passant de 2 500 à 3 500 euros/kg ; la
cocaïne au détail a bondi de 66 %, soit de 60 à 100 euros/gr. A Marseille, le prix du
cannabis au détail est d’abord resté stable, mais va répercuter prochainement les difficultés de réapprovisionnement. Dans certains départements, comme en Saône-et-Loire, le prix du
cannabis a plus que doublé pour atteindre 100 euros les 10 gr », précise l’office antistupéfiants.
La tension grandissante au sein des organisations criminelles qui redoutent de voir leurs confortables bénéfices s’effondrer pourrait aussi conduire des groupes concurrents à s’affronter et entraîner une hausse des règlements de comptes. L’office rappelle ainsi que le 24 mars, un trafiquant a été emmené dans une cave, frappé puis aspergé d’essence à Carrières-sous-Poissy (Val-d’Oise). Certaines équipes de malfaiteurs pourraient aussi être tentées de voler la marchandise d’un autre clan en utilisant des méthodes qui n’ont rien de pacifique. Une évolution dont devraient tirer parti, selon l’Ofast, les groupes les plus puissants, déjà structurés, qui bénéficient d’un contact direct avec les fournisseurs et d’une réelle capacité de stockage.
SOurce :
https://www.lemonde.fr/societe/article/ … _3224.html