Salut Strunk,
J'ai 37 ans et un grand vécu avec l'
alcool. Et je pense, après avoir lu de très nombreux témoignages, que le cheminement est le même pour tous. J'ai commencé vers 16 ans, ça été direct les cuites vénères à la vodka bas de gamme avec mes meilleurs potes. Assez "classique", à ce moment-là tu te réveilles le lendemain avec un petit mal de tête mais tu repars direct. Puis je suis tombé amoureux d'une nana qui habitait en région parisienne, n'étant pas du coin j'ai tout fait quitte à prendre la dernière des filières de fac pour me rapprocher d'elle. Sauf qu'elle m'a largué. Et c'est là que ça a vraiment commencé. J'ai rapidement arrêté les cours, j'étais loin de tout, seul dans une région que je ne connaissais pas, je me suis mis à picoler tous les soirs, au rosé. J'étais déprimé mais persuadé que c'était à cause de la rupture, je ne savais pas à l'époque que c'était à cause de l'
alcool.
Suite à cela je suis parti en école de commerce. Grosse erreur, on y passe plus de temps à picoler qu'à aller en cours. En plus j'aimais pas le trip petits bourgeois, donc fallait pas me le dire deux fois avant d'aller au bar à 18h pour "l'apéro". J'y étais à l'époque des open-bar, ça commencait à grincer des dents au niveau de la direction, fallait un exemple et comme j'étais pas trop dans mon élément et que j'allais pas souvent en cours, j'ai fait l'exploit d'être le seul dans son histoire à me faire virer. Ensuite j'ai réussi à valider un BTS malgré des cuites quotidiennes et un absentéisme quasi-systématique le matin, puis j'ai repris une école de commerce et je n'ai tenu que quelques mois avant de décrocher. Je pensais encore que je ne me sentais pas bien parce que j'étais pas dans le trip de l'école, alors qu'en fait ba l'
alcool me niquait toute ma confiance en moi, toute mon énergie et que les gens ressentent qu'il y a un truc qui cloche avec toi. Tout ça pour dire que sans l'
alcool mon parcours scolaire aurait été bien différent, j'aurais sans doute gagné du temps (et un Master au passage), rencontré d'autres filles et d'autres amis, et économisé beaucoup d'argent. Mais bon à l'époque je ne considérais toujours pas l'
alcool comme un problème, c'était ma béquille pour supporter mon mal-être, lui-même bien sûr provoqué par les tôles du soir, que j'attendais avec impatience toute la journée !
Après j'ai commencé à bosser, ça a tenu jusqu'à mes 30 ans en picolant "léger" le soir la semaine et en faisant des orgies le WE. Pendant la vingtaine le corps encaisse easy, et ça fait marrer tes "amis" que tu sois celui qui boive le plus, qui fait toujours le con. J'ai quand même eu une suspension de permis pendant ce temps et conduit 6 mois sans permis, bref, à l'époque j'étais un peu plus tête brûlée (ou inconscient, selon la vision).
A partir de 30 ans ça a commencé à devenir chaud, changement de boulot, nouvelle suspension de permis, conduite sans permis, passage à l'
alcool fort, une première cure qui n'a servi à rien, et à 34 ans le point de non-retour: j'étais en coloc avec mon meilleur ami, tout allait bien malgré une conso quotidienne le soir (6 pintes fortes mais pas de problème d'
alcool bien sûr!), puis un jour j'ai picolé avant un trajet pour revenir d'un RDV pro à 2h de chez moi, je me suis endormi sur l'autoroute et retourné à 130, 2,60g, miraculeusement sans toucher personne et sans me blesser. Nouvelle suspension de permis et là ça a vraiment été la merde, j'avais peur du jugement, de me retrouver avec une annulation de permis, de tout perdre, chômage / temps libre et je me suis mis à boire H24. Je dormais le jour, je ne mangeais plus, je ne trouvais la force de me lever que pour aller chercher à boire et pouvoir me rendormir car là je buvais pour ne plus avoir à affronter la réalité. Je me réveillais la nuit et j'allais chez l'arabe en bas qui fermait à 3h pour me ravitailler. Mon meilleur ami a décidé de quitter la coloc et de me bannir de sa vie, et tous mes amis mon tourné le dos (et pourtant je ne leur ai rien fait, on était amis d'enfance, on a picolé ensemble comme des trous pendant 15 ans, je n'ai jamais été violent, mais le jour où on commence à se dire oula lui il a un problème, je peux t'assurer que tu deviens le pestiféré et qu'il n'y a plus personne pour toi...).
Je me suis retrouvé chez mon père comme un gosse, sans boulot, sans permis, à me dire que mon avenir était plié. J'avais les idées noires à fond, j'ai fait deux arrêts respiratoires dont un à 5g et quelques avec passages en réanimation, je me suis cassé la gueule dans l'escalier avec le crâne ouvert (encore beaucoup de chance de ne pas y passer), plusieurs séjours en psychiatrie... Ca été chaud. Et pourtant pas de pathologie particulière selon les médecins, "simplement" la spirale infernale de l'
alcool.
Aujourd'hui j'ai retrouvé un job, j'ai LARGEMENT ralenti la voilure mais pas arrêté car je n'accepte pas l'idée d'une vie sans
alcool (et je n'ai tout simplement pas envie d'arrêter), mon plaisir c'est de boire ma pinte avec une bonne bouffe au resto ou en terrasse, et j'arrive à le faire régulièrement sans déborder. Mais parfois ça déborde, et quand ça déborde à partir sur des 5-6 pintes c'est black-out quasi-systématique, les lendemains sont ultra-violents car c'est direct déprime, idées noires, rappels et culpabilité du passé... Le corps et l'esprit ne supportent plus et la mémoire en a pris un coup. Est-ce que tout cela vaut encore la peine de s'obstiner à vouloir continuer à boire ? Ca viendra peut-être un jour mais pour le moment je ne l'ai pas décidé (car cela doit venir de soi et non des autres, sinon ça ne fonctionnera pas).
Pour ma part le trip AA je respecte, ça fonctionne pour certains, mais c'est pas mon délire non plus, en revanche lors d'un séjour en psychiatrie j'ai rencontré un psy qui a changé ma vie. Il m'a dit "je ne vous prends pas pour l'
alcool", et au contraire des autres médecins qui te considèrent comme alcoolique et qui ne vont pas plus loin, quand on ne te considère pas comme un poivrot mais comme quelqu'un qui a quelque chose à régler au fond de lui qui le pousse à consommer de l'
alcool, ça change tout.
L'
alcool étant la conséquence et non la cause du problème. Il fait de la psychanalyse spécifiquement et pour moi c'est l'approche qui fonctionne. J'ai de moins en moins envie de me mettre des tôles et je me rapproche de plus en plus d'une consommation raisonnée, tout en assemblant petit à petit le puzzle de ce qui me poussait à m'auto-détruire.
En résumé: j'ai passé d'excellents moments avec l'
alcool, soirées, amis, rock'n'roll, gonzesses avec qui je n'aurais sans doute jamais passé la nuit dans un autre contexte, mais quand je mets le tout dans la balance, ça a tout de même eu bien plus de lourdes conséquences que de bénéfices. J'ai perdu énormément de temps, d'argent, d'amis, de conquêtes potentielles, j'ai fait souffrir ma famille, maintenant dans mon entourage j'ai l'image collée à la peau d'un alcoolique, un risque permanent de débarquer bourré, d'avoir un accident, un nouveau problème, et quand tu sais ce que tu vaux réellement c'est difficile de lire ça dans le regard de tes proches. Ma vie serait bien différente si je n'avais pas basculé dans le dur (mais ça on le contrôle pas, on le comprend après). La culpabilité est quelque chose de très violent que je porterai toute ma vie. Mais à la fois ces épreuves m'ont profondémment renforcé.
En lisant ton post, je n'ai pas l'impression que tu sois dans un stade trop "avancé", c'est-à-dire que tu n'as pas l'air de picoler la journée, de devoir passer par des
sevrages physique (et ça c'est chaud, c'est vraiment 3 jours mini d'enfer) ... en revanche tu as un terrain sensible à l'addiction (héro), en plus t'aimes bien boire un coup et tu ne veux pas changer tes habitudes malgré des conséquences négatives, tu pourrais donc à l'avenir suivre le cheminement alcoolique et "basculer" dans le dur. Si tu ressens le besoin d'en parler c'est que tu es conscient que ça pose des problèmes dans ta vie.
Perso je ne suis pas de l'école "ouais tu as un problème d'
alcool, maintenant c'est 0
alcool à vie. Je le sais puisque pour avoir été à 1 litre de vodka par jour + bières fortes pendant plusieurs mois, on peut dire que j'étais dans le dur du dur, et aujourd'hui j'arrive à boire deux pintes sur ma soirée et à profiter sans être débranlé.
En revanche je dois me fixer des règles, je connais la limite à ne pas dépasser pour ne pas vriller, je sais que le lendemain si j'ai mal à la gueule je vais avoir envie d'en reboire une et que si je le fais je suis foutu ça repart pour la journée voire plusieurs jours d'affilée, je sais qu'il ne faut pas que je boive si je suis contrarié ou triste... Ca fait beaucoup de contraintes alors que je me sens super bien quand je ne bois pas, je fais du sport, je mange bien, je fais des bonnes nuits, j'ai confiance en moi... Mais... J'ai envie d'être "normal" et de m'autoriser un verre quand j'en ai envie.
Voila, au vu de mon expérience, ce que je peux de conseiller c'est de bien réfléchir sur ta consommation, qu'est-ce que ça t'amène de positif et de négatif, est-ce que tu ne te sens pas mieux sans, et si tu veux continuer pendant ce temps où tu ne bosseras pas, où tu risques de t'ennuyer et où la solution de facilité sera de "boire un petit coup", à surtout te fixer des limites ex. ne pas boire la journée et ne pas augmenter les doses, car sinon tu vas t'enfoncer petit à petit... Le mal-être et la déprime ne sont pas liés au contexte mais à l'
alcool, plus tu vas boire, moins bien tu vas te sentir, et y'a un moment où même quand tu boiras vu que tu auras une méga tolérance ça suffira plus à t'apaiser... Et ensuite la spirale infernale. Lis les forums, tout le monde vit la même histoire, certains parviennent à redresser la barre, certains perdent tout... Franchement pour avoir test quasiment tout hormis l'
héro, l'
alcool est la pire drogue de toute pour moi, la seule qui rende les gens complètement cons et violents, avec un
sevrage hardcore, pas chère, accessible à tous les coins de rue, et avec une pression sociale monstrueuse qui fait que celui qui ne boit pas est un paria de la société.
Donc si t'as envie de continuer à boire ta binouze sans que ça prenne des proportions démesurées, continue, mais attention à ne pas te retrouver du mauvais côté car quand tu commences à vraiment te mettre à boire ça s'inscrit dans ton cerveau et après ça devient beaucoup plus compliqué, ce n'est plus un plaisir mais un risque, et une fois que tu es catalogué alcoolo c'est vraiment chaud et c'est pour la vie, tu te prendras des regards, des soupçons et des réflexions en permanence, car ça arrange bien les gens d'avoir un bouc émissaire sur qui fixer les regards, alors qu'ils se la collent eux-mêmes plus que de raison mais plus discrètement, parole de vieux briscard!
Bon courage à toi
PS: j'ai fait deux cures qui n'ont servi à quedalle à part couper quelques semaines et me reposer, j'ai été suivi dans deux
CSAPA par deux psychologues qui ne m'ont rien apporté, aujourd'hui je suis suivi en milieu hospitalier par un psychiatre qui est en train de changer ma vie, on se voit une fois par semaine et ça ne me coûte rien. Je pense qu'il faut tester plusieurs approches pour trouver celle qui convient à chacun. Et ne pas laisser des gens extérieurs qui n'y connaissent rien mais qui veulent absolument ramener leur science te convaincre de ce qui est le mieux pour toi, l'
alcool faut le vivre pour comprendre ce que c'est réellement.
Dernière modification par Sziget (24 juillet 2024 à 20:26)