La sauge et la chic.... Mme T. McKenna 



Kathleen Harrison

Kathleen Harrison; source de la photo: https://www.pressdemocrat.com/news/8192 … artslide=0

Beaucoup d'amateurs de psychédéliques connaissent Terence McKenna. Youtube regorge de conférences de Terence McKenna. Il est une des grandes "vedettes" de la communauté psychédélique. Certains semblent le vénérer et considérer tout ce qu'il a dit et écrit comme parole d'évangile.
A son crédit, je mettrai surtout la façon dont il a bien mis en lumière notre culture de la domination. En gros bémol, je mentionnerai son célèbre set & setting: "in silent darkness", qui, à mon humble avis, est bon pour les débutants. Si l'on passe 20 ans à expérimenter "in silent darkness", allongé sur un canapé sans dire un mot, c'est comme de rester 20 ans en classe de maternelle.

Ce que je trouve particulièrement curieux, c'est que, parmi tous ses fans, beaucoup semblent ignorer qu'il a été marié à une ethnobotaniste, qu'il a eu des enfants avec elle, qu'elle s'appelle Kathleen Harrison, et qu'elle est toujours vivante et en activité.
Ca m'est arrivé de voir passer un article qui se voulait une biographie relativement détaillée du bonhomme, dans lequel on ne trouvait aucune mention de l'ex-épouse ni des enfants. Le frère Dennis était mentionné, mais le reste de la famille était passé à la trappe.
Je trouve cela assez curieux, qu'une telle quantité de fascination pour un homme, qu'une telle masse d'info sur lui, mène à occulter autant une part aussi importante de sa vie.
C'est tellement "énorme" que ça en ressemble à une grosse malédiction, mais on pourrait l'expliquer aussi plus simplement par l'habituelle misogynie ambiante. D'ailleurs, Kathleen Harrison a fini par pointer du doigt cette misogynie dont était atteint même feu son brillant ex-compagnon. A la façon dont elle raconte le truc sans même prononcer le nom du gars, je me dis qu'ils ont dû vivre ensemble des choses assez dures, disons (voir à partir de la 50ème minute de cette vidéo de 2018).

Quand j'ai commencé à chercher des infos sur la sauge divinatoire (Salvia divinorum), ce sont les conférences et interviews de Kathleen Harrison qui m'ont fourni le plus de renseignements détaillés. J'adore sa voix, sa façon de parler, alors que celle de T. McKenna a tendance à m’horripiler. Les conférences et interviews d'Harrison sont assez faciles à trouver, pourtant elles semblent très largement ignorées par notre communauté.
A ma connaissance, elle est la seule ethnobotaniste à parler de la sauge. Elle a passé beaucoup de temps avec les Mazatec, qui sont les seuls, semble-t-il, à utiliser cette plante, qui ne pousse naturellement que sur leur territoire.

Kathleen Harrison explique que la sauge aime l'humidité, qu'elle est d'une nature discrète, qu'elle a tendance à pousser/être cultivée dans des endroits ombragés et humides, à l'écart des chemins, et que, ainsi, lorsqu'on souhaite travailler avec elle, il vaut mieux respecter son caractère, sa nature: c'est lui faire offense que de l'exposer au feu et de la fumer: "offense to the deity".
Kathleen Harrison ose parler en langage chamanique, parler de la sauge en tant que "déité", esprit.
En langage chamanique, quand on offense un esprit, c'est normal de se prendre des retours de bâton. Même si l'on croit avoir de bonnes intentions, même si l'esprit en question est sensé être un esprit bienveillant. Si je vous marche sur les pieds, j'aurais beau ne pas l'avoir fait exprès, vous allez avoir mal et vous aurez beau être quelqu'un de bienveillant, il y a des chances pour que vous le preniez mal.
Ainsi, fumer la sauge semble être assez souvent une expérience désagréable.... D'un point de vue chamanique, c'est normal. Quand la sauge est offensée, elle sait le faire savoir.

La façon traditionnelle et respectueuse de consommer la sauge, à des fins "chamaniques" (et de réduction des risques, pourrait-on ajouter), c'est en chiquant ses feuilles fraîches, assis dans le noir.
Mais même comme ça, Kathleen Harrison raconte que ça peut être risqué, que des gens peuvent partir en cacahuète et vraiment littéralement "partir" (se sauver), se mettre en danger, et que la personne qui consomme aurait intéret à être accompagnée par une ou deux personnes à jeun.

En Europe, il est plus facile de trouver des feuilles séchées que fraîches (en France, l'achat de sauge divinatoire est illégal, je précise au cas où, mais il est tout de même techniquement possible d'en commander à des smartshops néerlandais). Il est possible de réhydrater les feuilles sèches pendant quelques minutes dans un peu d'eau avant de les chiquer. Il s'agit de mâcher, mâcher, mâcher.... Sans avaler le jus. On finit par ressembler à un hamster. C'est un peu laborieux et ce n'est pas très agréable, mais ça marche. Les principes actifs sont absorbés via la voie sublinguale, très efficace.
On peut commencer à ressentir les premiers effets au bout de 15-20 minutes. Il vaut mieux avoir un récipient à proximité dans lequel recracher le tout quand on commence à se sentir "partir", et il vaut mieux être installé confortablement parce qu'il est hors de question d'aller faire un tour dans un tel état. Selon la dose, on peut se mettre à tituber, les jambes peuvent "lâcher". C'est vraiment plus prudent de rester posé.
Rien qu'avec 700mg de feuilles séchées réhydratées, on a de quoi être cloué à notre fauteuil ou à notre lit pendant une trentaine de minutes environ (évidement, à dose égale, les effets sont susceptibles de varier d'une personne à l'autre).

L'effet est assez difficile à décrire et assez difficile à mémoriser. Si l'on est familier des histoires d'Harry Potter, on pourrait appeler ça l'effet "tête dans la Pensine" ou bien encore l'effet "tête dans l'aquarium": un peu comme si le crâne s'ouvrait à une autre dimension pendant que le corps anesthésié restait ancré dans celle du quotidien.
Il est aussi possible de voir surgir de franches hallucinations dans le champ de vision, tel un rêve éveillé qui se superposerait à la réalité.

Pour illustration, imaginons une jeune française assise sur un canapé, dans la pénombre, en train de chiquer depuis une quinzaine de minutes, les yeux dans le vague.
Soudain, la jeune femme se retrouve comme dans une cabane des montagnes mazatèques. C'est le crépuscule. Elle est assise sur une chaise, ou sur un lit, il y a une porte qui donne dehors en face d'elle, tout a l'air très dépouillé et rudimentaire, et elle a l'impression de voir à travers le murs en torchis. Dehors, des gens discutent paisiblement à voix basse, peut-être assis sur un banc. Une de ces personnes remarque soudain sa présence et lui demande: "Qu'est-ce que tu fais là?".
Elle est assez surprise qu'on puisse la voir. Elle a l'impression d'être au pays des ombres, les couleurs ont disparu, tout n'est plus que nuances de gris.
Machinalement, elle répond "Je chique de la sauge".
On lui répond: "Continue à chiquer".

Tout à coup la jeune femme reprend conscience de l'endroit où elle se trouve réellement: un petit chalet du Jura, en France. C'est l'été, les volets sont mis-clos, le soleil n'est pas encore couché et elle est seule.
Elle réalise qu'elle vient d'avoir une "vision", la première de sa vie, et que, heureusement, elle n'a pas répondu à voix haute: elle a encore la bouche pleine de sauge.
Quelque peu secouée, elle va cracher la sauge dehors.

Catégorie : Expérimental - 05 juin 2020 à  18:08

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