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SOCIETE ET REPRESENTATION - n°1 - Novembre 1995
Sommaire et abstract de la revue. site d'ISOR, possibilité d'achat en ligne de la revue

Art sous dépendance / Toxicomanies et création

  I. ETUDES
1. L'œuvre d'art sous influence
- Écrivains toxicomanes en Angleterre, Max Milner
- Les ruses de l'opium, François Vergne
- La Ligne prend corps, Mikhaïl Yampolsky
- Le grand jeu : drogues et littérature, Emmanuelle Retaillaud-Bajac
- Le pinceau ivre, Pierre Fraysse
- Rock et alcool, Patrick Mignon

2. L'image des drogues dans l'oeuvre d'art
- Jusqu'à plus soif : le boire comme système de communication, Véronique Nahoum-Grappe
- Les crayons de la morale. Alcool et caricature, Didier Nourrisson
- Images de la toxicomanie dans la bande dessinée, Christian Régnier
- Le silence des théâtres sur les drogues : auto-censure ou censure ? Odile Krakovitch
- Alcool et ilotes, Thierry Lefebvre

  II. DOSSIER
Drogues imaginaires et expériences psychédéliques dans la littérature de science-fiction, entretien avec un auteur de S.F., par Anita Torres.

  Lectures, Bibliographie

  III. HORS-CADRE
L'historien et les sources filmiques, Annie Fourcaut et Danielle Tartakowsky, Anne Monjaret, Pierre Sorlin.


ÉCRIVAINS TOXICOMANES EN ANGLETERRE, Max Milner
C'est dans l'Angleterre du début du XIXe siècle que l'influence de l'usage des stupéfiants sur la création littéraire fut expérimentée pour la première fois. Cela s'explique par l'ampleur de la consommation d'opium dans ce pays et par la tolérance qui entourait son utilisation. Cette influence se manifeste, chez Thomas De Quincey, par des modifications de l'imaginaire donnant à ses rêves une profondeur, une cohérence et une portée métaphysique incontestablement dues à l'opium, malgré ses inconvénients. Mais ces qualités ne se révèlent, chez lui et chez d'autres écrivains, que dans l'après coup, au prix d'une élaboration esthétique indispensable. Seul le Kubla Khan de Coleridge paraît faire exception, s'il est vrai qu'il fut rédigé sous l'influence directe de l'opium. Mais on a les plus fortes raisons d'en douter.

LES RUSES DE L'OPIUM, François Vergne
Le lecteur qui aborde les oeuvres des écrivains opiomanes ne peut éluder la question du statut de la drogue par rapport au texte qui en dit les effets et en retranscrit les visions. L'opium est-il la condition première d'une création littéraire dont il finirait, en ultime lecture, par entraver le développement ? Ou bien contraint-il l'écrivain à trouver un équilibre, nécessairement périlleux, entre onirisme et réflexion théorique ? Cet article cherche à montrer de quelle manière - à travers les exemples de Coleridge, De Quincey et Collins- l'élaboration d'un système esthétique s'appuie sur la thématique que fournit l'opium, tout en le reléguant, in fine, au rôle de métaphore d'une quête dont il souligne l'altérité.

LA LIGNE PREND CORPS, Mikhaïl Yamplsky
La mescaline, de même que d'autres drogues, change la voie de la perception visuelle en déplaçant la “lecture” de la figure vers le fond et en rendant les graphes linéaires. Ces modifications bouleversent la construction de l'illusion de la réalité. L'auteur étudie ces métamorphoses de la perception visuelle, stimulées par les modificateurs de conscience, telles qu'elles apparaissent dans quelques textes classiques du XIXe siècle : les histoires policières d'Edgar Poe et de Conan Doyle, le “rêve de l'injection d'Irma”, de Sigmund Freud.

LE GRAND JEU : DROGUES ET LITTÉRATURE, Emmanuelle Retaillaud-Bajac
En 1924, à Reims, de jeunes camarades de lycée fondent un groupe d'inspiration surréaliste qui, à partir de 1927, débouchera sur la revue Le grand Jeu. René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte et leurs amis font précocement l'expérience de diverses drogues, tout d'abord par curiosité intellectuelle et par volonté de rompre avec une terne existence provinciale, mais en inscrivant également leur recherche dans une véritable quête métaphysique. Les drogues leur permettent d'explorer certains états-limites de la conscience et de s'aventurer aux lisières de la mort. Roger Gilbert-Lecomte, lui, franchit le pas. Toxicomane incurable tout au long de sa vie, il trouve trouve dans les stupéfiants un palliatif à une douleur existentielle très profonde dont Monsieur Morphée, empoisonneur public, se fait l'écho. L'expérience tentée par les membres du Grand Jeu avec les psychotropes témoigne aussi du rôle essentiel de la drogue au sein d'une certaine frange de l'avant-garde littéraire et artistique au XXe siècle, à la fois comme signe extérieur d'une existence différente et comme volonté réelle de tester les limites de la condition humaine.

LE PINCEAU IVRE, Pierre Fraysse
À partir de son expérience de thérapeute en atelier d'expression picturale, destiné préférentiellement aux malades alcooliques, l'auteur s'interroge sur les correspondances éventuelles entre les oeuvres de peintres connus pour leur intempérance. Au-delà de toute considération esthétique ou normative, et sans a priori pathographique, l'auteur dégage des traits communs, établissant un lien entre la sémiologie des pathologies addictives et les techniques picturales. Il insiste en particulier sur le “court-circuitage” émotionnel, véritable pont affectif entre l'artiste et le spectateur.

ROCK ET ALCOOL, Patrick Mignon
Le rock n'est pas une culture homogène : c'est un mélange de pratiques, de sens, de moments, de discours. L'alcool est connecté à l'une des nombreuses représentations du rock, celles qui insistent sur la vie quotidienne, son aspect social, ses héros. Sous cet aspect, l'alcool est lié aux racines principales du rock : le blues, le rythm'n'blues, les musiques folkloriques et de l'Ouest. Dans ce genre de musique, l'alcool est un sujet majeur, à la fois dans les chansons et dans la vie des musiciens. Dans les années Soixante et Soixante-dix, quand les drogues permettaient d'atteindre des états modifiés de conscience, l'alcool était la substance psychoactive de ceux qui étaient rebelles au message de la contre-culture, symbolisée par des groupes comme les Rolling Stones ou la musique rock du Sud. C'est aussi la cas des sous-cultures anglaises comme les Skinheads ou les Punks ou les styles de musique comme le pub-rock. De nos jours, l'alcool est lié à la redécouverte du football, comme une partie authentique de la culture pop.

JUSQU'À PLUS SOIF : LE BOIRE COMME SYSTÈME DE REPRÉSENTATION, Véronique Nahoum-Grappe
Dans cet article, l'auteur pose la question d'une pratique sociale particulière : les compétitions masculines à boire. Le point de vue disciplinaire est ici l'anthropologie historique. En effet, à travers des sources disparates on peut repérer en Europe l'extension de cette pratique depuis au moins la fin du Moyen-Âge. Il s'agit d'une épreuve identitaire où celui qui gagne est celui qui boit le plus et “tien” le mieux l'alcool.

LES CRAYONS DE LA MORALE, Didier Nourrisson'
La caricature est apparue au XVIe siècle comme contrepoint du beau selon les canons de la Renaissance. L'image du buveur a été aussitôt récupérée comme formulation idéale de la difformité. Et depuis lors, l'un des éléments du comique iconique, du tableau à la B.D. ou à la carte postale, emprunte régulièrement au trop boire. Le XIXe siècle voit une utilisation nouvelle de la “pocharderie” dans l'art. Siècle d'une alcoolisation grandissante, il fait jouer à l'alcool un rôle important dans la satire des moeurs. Siècle de la démocratisation du vote, il recourt à la boisson et aux images de l'alcool pour disqualifier l'adversaire politique. Enfin, siècle de la remise en ordre des comportements “déviants” par le développement de l'hygiénisme, il dénonce les pratiques alcooliques et stigmatise les buveurs, recourant pour cela aux meilleurs dessinateurs du temps. Le ridicule du comportement d'alcoolisation, désormais qualifié d'alcoolisme, est mis en valeur par la caricature et sert la cause -Ô combien morale- de l'antialcoolisme.

IMAGES DE LA TOXICOMANIE DANS LA BANDE DESSINÉE, Christian Régnier
Pour des raisons évidentes de moralité publique, la drogue a longtemps été absente de la bande dessinée. Tout au plus évoquait-on l'opium pour ajouter une touche d'exotisme au récit et dénoncer les puissants réseaux internationaux de trafiquants. À la fin des années Soixante, le courant underground venu des États-Unis donne naissance à une B.D. révolutionnaire, contestataire et militante. Avec l'effondrement des tabous, tous les aspects de la toxicomanie font irruption dans les albums. La drogue devient alors une “simple expérience”. Aujourd'hui, on ne plaisante plus avec la toxicomanie. La période n'est plus à la dérision mais à la dramatisation. Les organismes de prévention ont souvent récupéré la B.D. pour sensibiliser les jeunes aux problèmes de la drogue mais aussi du Sida.

LE SILENCE DES THÉÂTRES SUR LES DROGUES : AUTO-CENSURE OU CENSURE ? Odile Krakovitch
Une seule pièce sur l'opium. Quelques drames sur des jeunes gens noyant leur ennui dans l'alcool. Deux ou trois mélodrames dénonçant le refuge au cabaret de l'ouvrier accablé de misère. Et c'est tout jusqu'en 1879, date de la représentation de l'Assommoir. Pourquoi un tel silence ? À cause de l'auto-censure que s'infligèrent les auteurs de 1830 à 1850 dans leur souci de présenter au peuple une image de lui-même valorisante et pédagogique ; puis à cause de la censure que s'imposa le Second Empire, dès avant le coup d'État, sur tous les thèmes sociaux et socialisants. Le théâtre au XIXe siècle eut un rôle pédagogique que personne ne nia jamais, ni les auteurs, ni les gouvernements et les publics, ni les critiques et les censeurs. Impossible donc, de 1830 à 1850, de présenter un ouvrier ivre. Au contraire, et c'est la seconde raison de l'auto-censure des dramaturges: avec l'essor du mélodrame social s'instaure l'habitude d'opposer l'ouvrier honnête, travailleur, au patron noble et ignoble, dilapidant l'outil de travail : usine ou propriété agricole. Le vice ne provient que de deux causes : l'amour des femmes ou l'âpreté au gain, l'argent trop facilement gagné. Sous le Second Empire, la censure remplaça l'autocensure Sensible à l'influence qu'eut le mélodrame sur l'éclosion du socialisme et de la Révolution de 1848, Napoléon III refusa toute représentation de lutte de classes, de conflits sociaux. La dépravation se situe dans la bourgeoisie, a pour cadre la Bourse et les salons. La prostitution est le thème au delà duquel on ne peut pas représenter la misère, sinon la censure intervient. C'est pourquoi l'Assommoir, présenté à l'Ambigu comique en 1879, fit scandale et bouleversa l'opinion, encore plus que le roman paru deux ans auparavant, en ce siècle infiniment plus sensible à la parole, au spectacle, qu'à la lecture.

ALCOOL ET ILOTES, Thierry Lefebvre
À travers l'analyse précise des Victimes de l'alcoolisme, court film produit par la Compagnie générale de phonographes, cinématographes et appareils de précision (Pathé) en 1902, l'auteur tente de mettre en évidence certaines représentations dominantes de l'alcoolisme, et plus largement de l'hygiène publique, au début du siècle.

DROGUES IMAGINAIRES ET EXPÉRIENCE PSYCHÉDÉLIQUE DANS LA LITTÉRATURE DE SCIENCE-FICTION, Entretien d'Anita Torres avec Roland Wagner.
Au cours d'un entretien, un écrivain de science-fiction présente les réflexions issues de ses recherches sur les drogues imaginaires et l'influence du mouvement psychédélique dans la littérature conjecturale. Dans les années 1960-1970, la présence de la drogue dans cette littérature traduit l'influence du contexte idéologique : mouvement hippie, psychédélisme. Avec les années 80, elle s'inscrit dans les univers urbains, violents et dominés par la technologie informatique des écrivains “cyberpunks”. L'auteur évoque également les drogues imaginaires de la science-fiction, prétextes à la présentation des fantasmes des écrivains ou à la multiplication des réalités.

L'HISTORIEN ET LES SOURCES FILMIQUES, Annie Fourcaut et Danielle Tartakowsky, Anne Monjaret, Pierre Sorlin
La journée d'étude organisée conjointement par le CHRMSS (centre de recherches de l'Université Paris I) et de la Vidéothèque de Paris, sur le thème “Autour du Paris ouvrier des années Trente” et à partir de montages réalisés par les participants, a permis une réflexion sur l'utilisation, par les historiens, de sources filmiques variées (fiction, documentaire, film militant, film de montage). Le film peut n'être que la source complémentaire d'une recherche effectuée à partir d'archives écrites ; le film peut devenir la source exclusive et l'objet étudié est alors délimité en fonction d'un corpus totalement filmique, homogène ou non. La lecture des sources filmiques autorise plusieurs méthodes : lecture positiviste comme si le film était un document d'archive, analyse comme une oeuvre de fiction romanesque ou bien en tenant compte prioritairement des conditions techniques, politiques et financières de travail de l'équipe réalisante.