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Chapitre II partie 2: Les morveux d'esprit et la Brandy 



Sur le trajet, je me remémorais tous les morveux d’esprits qu’on avait pu connaître mais aucun ne méritait sa présence à la Brandy. Tenez sur ce banc-là ! Avant y avait quelques abrutis avec qui on traînait quand on voulait s’amuser. À vrai dire, ils n’étaient pas très marrants. Ce qu’ils savaient bien faire c’était partager leur came. Pour ça, par contre, pour sûr qu’ils étaient bons. Pour Brandy, l’alcool coulait à flots et moi je prenais tout ce qui passait pour me le fourrer partout où ça rentrait : dans le pif, dans le gosier, dans les veines, sous la langue, dans le troufignon, dans l’urètre et même une fois derrière les paupières. Ils nous prenaient pour des fous. Ils se disaient qu’on allait cracher notre âme un jour ou l’autre mais c’est bien eux qui ont baisé la camarde les premiers. Y a un an qu’ils s’étaient envolés avec les feuilles de l’automne. Pas bien grave, c’étaient que des minables bons qu’à donner de la came à n’importe quel être animé qui leur aurait donné un peu d’attention, ils avaient aucun proche. Ils étaient morts dans l’indifférence et n’avaient laissé aucune trace dans ce monde. C’est sûrement le plus grand châtiment qui puisse être ça, l’insignifiance. Alors avec Brandy on avait gravé une phrase en leur mémoire sur le banc « Les jeunes c’est comme les chiens errants, ils ont besoin de se faire piquer ». On était pas peu fier ! Ça résumait bien leur vie et puis au moins, grâce à nous il restait quelque chose d'eux dans le quartier parce que nous on les aurait bientôt oubliés ces crasseux distributeurs de dope gratuite.

    M’enfin, c’est souvent à ça que se résume la vie : on avance — ou on se fait traîner, ça dépend des gens — et on espère trouver quelqu’un qui stimulera suffisamment notre bouillie neuronale pour s’arrêter quelques instants avant de repartir en avant. En général, on a beau rencontrer sans arrêt d’autres individus qui pataugent dans ce monde tout comme nous, ça nous empêche pas d’être majoritairement déçu. C’est pour ça qu’on cherche même pas à se parler quand on se croise dans la rue. On est souvent blasé dès le premier regard. En quelques secondes, on croit avoir eu le temps de connaître quelqu’un parfaitement parce qu’on pratique inconsciemment le lissage des gugusses. On refuse de voir leurs rides, leurs fissures, leurs callosités, les gouttières qui leur traverse le corps ou toute autres sortes de sinuosités qui pourraient rendre la personne plus intéressante. On fige notre regard et on refuse d’y voir une beauté cachée par-delà le donné. Mais, vous inquiétez pas, moi-même je l’ai souvent fait : les trois morveux d’esprits qui traînaient sur le banc avec Brandy et moi par exemple. J’ai jamais pensé d’eux qu’ils pouvaient être quelque chose d’autre qu’un public devant lequel fanfaronner et qui nous cachetonnaient à coups de drogues en tout genre. Ça se trouve, ils étaient plus que ça mais avec Brandy on l’a jamais su et on le saura jamais vu qu’ils ont clamsé. Et puis clairement ça nous arrangeait bien de les voir comme ça : plats, lisses et indignes d’intérêt. À quoi bon changer si aucun souci en découlait ?

    Par contre, je vous le redis, aujourd’hui c’était différent, cette habitude au lissage du quotidien avait totalement disparu. Au contraire, fini les vomissements intempestifs de jugements sur toute chose, fini la routine de la déglutition à tout-va. Je m’émerveillais de tout, mais je voulais aussi toujours atteindre un au-delà, faire en sorte que mes phantasmes deviennent vrais. Ça me triturait tellement l’esprit cet au-delà pulsionnel et fantasmagorique qu’il fallait que j’agisse. Et pour ça, à mort le « Au commencement était le verbe » et gloire au « Au commencement était l’action ». J’avais décidé de tout mettre en suspens et de simplement jouir des événements. Finalement, c’était certainement pour ça que je m’étais détaché de ma crainte envers Butor le Buteur, il était sûrement plus qu’une simple brute écervelée mais plutôt une bête à provoquer afin de faire surgir sa rage fougueuse. Enfin je pouvais le contempler comme il le mérite ce balourd baveux. Sacrée larves ! Décidément maintenant j’en suis sûr, c’était bien elles qui me provoquaient cet effet d’enthousiasme à tout-va. Elles me détachaient vraiment des tracas que je pouvais avoir en temps normal, j’avais plus peur de rien. C’était apaisant pour sûr, mais il fallait toujours que j’aille plus loin comme dans un délire frénétique et sans conséquences possibles. Enfin, je pouvais jouir sans scrupules, mourir sans souffrir, tout détruire et en rire pour tout garder dans mes souvenirs.

Catégorie : Poèmes - 07 janvier 2020 à  14:01



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