"Jade Aérogare" Partie 2 



10


Jade est une galère.

C’est pesé-emballé. Adjugé-vendu. La maison ne fait pas crédit. Jade est une galère.

Elle devait prendre un train à 12h30 gare Montparnasse. Ça s’est fait dans l’Aérogare. Aéro-fracassée. Aéro-limite. Aéro-garde-à vous à 11h15 émergée à 11h15. Forcément elle a organisé un after chez elle. Forcément il fallait qu’elle rate son train ou ne passe pas loin de le rater. C’était Palplatine aux platines le Calif de l’Aftersitan. Son poto celui-qui-mixe-un-peu-plus-dans-la-capitale un peu plus In que Manu de la Tech-House de chacal de guerrier de l’Aftersitan. Ce pays où la carte d’identité vaut pour un aller simple. Un aller simple vers rater sa journée celle d’après et s’en vouloir. Ce pays où les spécialités locales sont des cailloux et des poudres. La 3MMC qui s’est finalement bien implantée dans les milieux hétéros. Ce pays où on laisse toujours quelque chose de nous-mêmes quelque chose de réel qui s’éteint. Et quelque chose d’autre qui naît quelque chose de bien vivant. Les complicités que l’on crée en Afteristan sont pleines de promesses étroites. De volontés sincères de paroles douces qui rassurent. « T’es une soldate de l’after tu gères d’inviter tout le monde merci pour ta générosité ». Et la générosité qui n’en finit pas Jade offre du G et de la 3 à tout le monde. Elle vend un peu aussi. Elle sera en galère plus tard mais pour l’instant il faut que tout le monde se sente bien. Que tout le monde soit à l’aise. Après la soirée dans un bar-club du 4ème arrondissement Jade a invité tout le monde chez elle. Vingt personnes pour vingt mètres carrés Focal Alpha 65 pour les oreilles et Palplatine aux commandes. Des discussions sur ses textes des discussions sur les drogues des discussions sur l’amour. Mais tout ça est superflu faux artificiel. Les rapports ne tiennent que par la guedro sans ça tout le monde dormirait. Personne n’en n’aurait rien à foutre des Focal Alpha 65 des textes de Jade de l’amour. Tout le monde au lit à 22h une douche une histoire et au dodo ! Ça suffit les conneries les enfants ! Vous faites chier tout le monde avec vos décibels ! 7h du matin Techno au troisième étage c’est la voisine qui recommence ! Cette putain de tox. On va aller la menacer d’appeler les flics l’arrêter dans sa folie. Arrête-toi Chihiro-Mononoké c’est pas le monde des divinités des sorcières des monstres magiques. C’est le putain de réel on est dimanche matin. Les citoyens se lèvent ou font la grasse-mat-bien-méritée respecte et ferme-la !

G-Hole dans le bordel vers 10h30. Jade s’est endormie dans le canapé. En kimono à moitié à poil tentations exhibitionnistes. Elle aimait bien une brune mais la brune semblait ailleurs. Dans son entrisme un peu je-me-la-joue je-fais-partie-de-l’orga tu respectes tu prends tes distances. La brune tapait de la 3 avec ses copines tout l’after pas moyen d’envisager quelque chose. Donc Jade s’était endormie corps-qui-crie-au-secours. Au milieu des Autres qui continuaient leurs monologues collectifs. Réveil à 11h15 premier réflexe : elle prendrait un train plus tard on verrait plus tard le réel ce serait plus tard. Et puis sursaut de survie il faut sauter dans ce train. S’extraire de l’Afteristan rejoindre son éditeur à Tours. « Dégueuler » va sortir elle veut être là pour les impressions. C’est plus sérieux plus important que toutes ces conneries. Il n’y a rien à espérer d’une situation sans perspective. Sans perspective autre que continuer à sniffer continuer à ingérer continuer le bla-bla. Réflexe de survie : elle prend son sac le remplie de dix-huit grammes de 3 de 120 ml de G ses médicaments enfin une partie de ses médicaments un pull un jogging son tabac son Macbook en amas sans forme. Elle laisse ses clefs à Palplatine elle lui fait confiance. Il s’occupera avec les autres de nettoyer l’appart. C’est aussi une partie du boulot dont Jade se passe bien. Tellement facile d’organiser une fête sans avoir à ranger ! Elle décide de courir choper son train elle a une heure et un long parcours. Elle claque la porte avec fracas après avoir embrassé-checké tout le monde. Elle s’enfuit. La porte de sortie putain ! Elle a réussi à prendre la porte de sortie ! Exploit assez rare pour être souligné. D’habitude elle est toujours la dernière. La dernière guerrière de l’Afteristan. Pour le coup elle s’en sort pas trop mal. Un G-hole un petit K.O cosmique et la revoilà à l’aventure sur la route de l’Aérogare. Aéro-fracassée Aéro-patate Aéro-motivée Aéro-réveillée Aéro-aéro. Elle flotte au dessus de la gare Montparnasse elle atterrit dans son train sans encombre. Elle branche son ordi. Connectée direct à l’Aftersitan depuis le désordre depuis le chaos elle écrit ce dixième chapitre à chaud.

Elle pianote :

Encore en vie d’un point de vue biologique.
Encore en vie d’un point de vue artistique.
Encore.
Les conneries sont légions mais elles finissent en beauté.
J’aime la beauté.




11


Jade est de retour à Tours.

Jade espère être attendue que Anselm ne soit pas déçu de son retour. Elle l’aime beaucoup a besoin de sa considération de la force qu’il lui donne en lisant ses pages. De sa confiance. Elle arrive à Tours à 14h. Elle doit attendre 18h pour prendre le train qui l’emmènera à Maillé la gare de campagne où est la maison de Baba. 4h à zoner à Tours. Son Loxapac ! Putain son Loxapac ! Son neuroleptique ! Elle n’en n’a pas ne pourra pas dormir ne pourra pas redescendre de toute cette 3 qu’elle se met dans la gueule. Elle a bien de la Quetiapine au pire mais ça ne fonctionne pas pareil ce n’est pas un endormisseur. Elle a perdu sa carte vitale elle n’a pas d’ordonnance on est dimanche à Tours les pharmacies sont fermées elle doit se procurer des médicaments classés Z ou elle ne sait quelle lettre qui indique la dangerosité et les potentiels usages détournés. Convaincre qu’elle n’est pas une tox. Que c’est pour des problèmes psychiatriques. Elle marche jusqu’au CHU qui lui dit ne pas délivrer de médocs. Il faut aller en périphérie de la ville à une heure à pieds du CHU. Elle commence la route et par chance repose la question à deux locaux qui connaissent une pharmacie plus proche. Les gens sont gentils et accueillants ça la change de ses derniers déplacements. Il faut dire qu’elle est bien sapée plus féminine que d’habitude. Malgré les trente petites minutes de sommeil sur le canapé elle présente plutôt bien. Elle a même du maquillage chose rare chose absurde. Les gens sont gentils les gens accueillants. Elle considère brièvement que se déguiser en meuf meuf présente des avantages et que l’hétéro-normativité ambiante lui permet d’aborder des hommes trop contents d’être abordés par une meuf meuf. Elle va rue des Halles numéro 103. La pharmacienne est compatissante et compréhensive mais il faut une ordonnance. Rien à faire sans. Jade appelle son psy en catastrophe pour une ordo par mail. Il est toujours présent toujours sur le qui-vive. Il lui envoie. Pendant l’attente elle commande un coca en centre-ville. Continue le G et la 3 tranquillement. Elle est sereine dans sa défonce. Pas fatiguée du tout. Elle écrit comme si sa vie en dépendait elle relate sa vie qui en dépend et son corps dépendant. Dépendant à la 3 dépendant au G dépendant à la clope dépendant à la dépendance. Elle lit un article sur l’enfant de deux ans qui ne sait pas tolérer la frustration et qui fait des caprices. Elle se dit que c’est ça qu’elle n’a jamais dépassé ce stade. Elle est intolérante au moindre inconvénient au moindre déséquilibre contrebalance les effets secondaires d’une drogue avec une autre pour toujours se sentir bien. Elle tient sur un fil très mince et déséquilibré mais elle tient quand même. Si elle pouvait pleurer elle le ferait surement mais faute de mieux elle se came. Elle récupère son ordonnance… Retourne à la pharmacie avec l’espoir il faut que ça marche sinon insomnies à dormir debout l’enfer infernal… Ça passe. La pharmacienne est compatissante et compréhensive ne la regarde pas comme une shlag. Définitivement Jade se promet comme elle s’est déjà promis qu’elle apprendra à jouer la féminité quand les circonstances l’exigent. Elle se tient droite quand elle récupère son Loxapac. Jade est une grande dame toute normale petite bourgeoise invisible. Elle se sent libre.

À la gare elle va taper la discute avec un jeune qui joue du piano sur ces pianos que la SNCF met pour rendre sensibles les flux. Il dit venir tous les jours jouer gratuitement pour les voyageurs habite le quartier et n’a que seize ans. Il la touche dans une certaine forme de naïveté sincère. Il a pris au mot l’inscription sur le piano « Instrument convivial : À VOUS DE JOUER ! » C’est une démarche artistique réelle. Un vrai rapport à la pratique comme une offrande qui ne demande rien. Aucun retour aucune considération. Un bel invisible. Une note juste inaudible. Une pause dans le brouhaha du silence. Jade le respecte.


Jade sort son ordi et d’une main elle pianote :


Il y a de beaux étrangers qui respirent les contrastes.
Médocs bordel besoin vital.
Exploration urbaine neuroleptiques et piano.
Do ré mi fa sol la si do dans un solfège intolérable.
Merci.



12


Jade se souvient de la veille de ce que pouvait lui apporter un air plus féminin.

Jade aime les expériences elle aime s’essayer à de nouvelles Jades.

Elle décide de reprendre ses observations. Elle se lève avec le sentiment qu’être une femme peut plus qu’elle ne l’avait soupçonné. Elle a envie de s’essayer à une nouvelle garde-robe. Elle pose son jogging Adidas rose fluo sur le lit enlève son débardeur noir.

Sexy.

Jade se sent sexy aujourd’hui. Rare précieux insoupçonnable au quotidien. Elle n’a plus particulièrement le sentiment d’être trop grande trop maigre trop shlag trop brune trop cernée trop avachie trop courbée trop à l’ouest trop inadaptée trop ratatiné ratatinée ratatinée trop camée. Elle se came quand même. Gros parachute de 3 au réveil et 1.3 pour commencer. Pour commencer la désinhibition dont elle a besoin. Elle fouille dans le placard de Baba. Baba aime se travestir il a plus de fringues que Jade. Jade trouve un string bleu plutôt saillant plutôt coupe-chatte. L’enfile. Jade trouve un body noir serré au corps serré à ses seins maigres serré à son cul aplati. L’enfile. Jade trouve un mini-short en jean plutôt pas mal plutôt parfait. L’enfile. Elle se regarde dans le miroir ne se reconnaît pas. Vraie minette girly comme jamais. Elle se sent pousser des ailes. Ça ne suffit pas ça ne suffit pas. Il faut du maquillage elle ne sait pas se maquiller. Toujours quelqu’une toujours une copine pour lui mettre un coup d’eye-liner. Elle descend dans la cuisine 3MMC qui monte. Un café une clope et Medyna qui prend son petit-dej.

« Salut Medyna tu pourrais me rendre belle ? Genre belle ? Genre la plus belle ? »

Medyna pas de problème monte dans la chambre je m’occupe de tout. Un coup de noir un coup de bleu les yeux de Jade sont comme la rivière pleins de courant qui emporte les corps. La Vienne fait pâle figure. Jade remercie elle sort de la chambre. Une photo ! Il faut une photo ! S’exhiber un peu sur les réseaux. Jade n’a pas l’habitude elle a récemment créé un compte Insta. Elle prend un selfie devant le miroir comme une ado de seize ans. Elle se courbe elle se cambre on aperçoit son cul dans l’angle. Son visage dans le reflet léger sourire en coin Mona Lisa libidinale. La main sur son ventre les doigts qui glissent vers son entre-jambes. Elle saisit l’instant. Juste après mouille d’elle-même mégalo totale. Si elle avait un sexe d’homme elle banderait. Si elle avait un sexe d’homme elle le prendrait dans sa main le mettrait entre ses jambes le frotterait contre son cul en mini-short. Si elle avait un sexe d’homme si seulement elle avait un sexe d’homme. Un gros de préférence avec un gland imposant large et d’envergure menaçante. Jade est heureuse de trouver son clito quand elle met sa main dans le string de Baba. Elle se touche devant son propre reflet. Il lui faudrait Manu et son sexe minuscule. Elle a envie de baiser.

Jade poste la photo sur ses réseaux.

Rapidement les réactions arrivent même d’inconnus même de très loin. « Salut toi » « Qu’est-ce qui t’arrive ? » « Bah alors Jade t’es dans le game » « Mignonne petite biche dans la forêt interdite. »

Jade ne se sent plus pisser l’ego gonfle comme un ballon de proto. D’ailleurs elle ne pisse plus la 3M nique les voies urinaires. Les chevilles sont démesurées la mégalo déraisonnable. 10 20 30 40 50 likes. Jade se sent puissante consistante visible. Elle veut qu’on la regarde qu’on la touche qu’on la désire. Elle a toujours aimé s’exhiber. Elle est Madonna Lady Gaga au minimum. Et même mieux que ça. Elle est Jade la brune 1m85 de sexe-à-pile de Paris Est. Paris Est Paris Est c’est le zoo Paris Est c’est ! Paris Est Paris Est c’est le zoo Paris Est c’est ! Tours n’a qu’à bien se tenir les jambes sont hautes et dénudées. Du love plein de love Jade voudrait prendre de la MDMA. La 3 et G l’animent mais l’âme vive la MD. Pleine montée décharge de sérotonine la dopamine qui s’excite. Jade est stimulée les stimulants la rendent pleine. Pleine d’envies diverses elle se sent libre dans la salle de bain. Il est temps de sortir il est temps de redescendre. Jade sait que quand le narcissisme l’emporte trop la parano n’est jamais loin. Demain elle regrettera ses actes elle enlèvera la photo. Sauf si elle ne redescend pas sauf si elle ne redescend jamais. Perchée à tout jamais sur son nuage de dynamite. Dès le réveil reprendre la bonne dose rester high rester toxique. Toxicité optimale pour corps maigre inadapté. Jade se promet qu’un jour elle niquera habillée comme ça. String body mini-short pour Manu ou pour Sofia. Elle recommencera bientôt recommencera encore mieux. Elle est sexy définitive comme une promesse du Mektûb. À jamais instagrammable à jamais meuf meuf la plus belle des meufs.

Jade se déshabille Jade se retrouve nue.

Elle n’aime pas son corps elle n’aime pas son dos courbé. Elle commence à redescendre commence à se détester. Putain quelle conne putain quelle tarée.

Il faut arrêter le GHB elle l’a promis à Sofia. Elle la retrouve dans une semaine à Marseille. Il faudra être redescendue les pieds sur Terre les pieds sur mer.

Jade nagera la Méditerranée pour se laver de son excès d’elle-même.

D’une main elle pianote :


Ce soir c’est carnaval.
Les collants léopard les leggings dorés.
Les bodys en velours les robes trop courtes.
Déguisement sorti de l’armoire passage au monde magique.
Et c’est moi-même que je découvre derrière le déguisement.
Hyper-féminité sortie du placard.
Hyper-féminité ce soir demain toujours je suis hyper. 



13


Il est 4h30 du matin.

Jade écoute son cerveau vibrer comme d’habitude. Il n’y a plus que ces envahissements de vibrations ces sons polaires désaxés. Le GHB résonne dans son crâne le GHB l’empêche de dormir. Elle a pris ses neuroleptiques pris son Valium pour l’angoisse. Elle attend que la journée redescende. Anselm Baba et Medyna sont dans le jardin ils rient ensembles et boivent du vin blanc. Si ils savaient le GHB… Si ils savaient dans quelle merde Jade s’est foutue… Si ils savaient les vibrations les sons polaires désaxés… Elle leur a dit qu’elle allait arrêter. Ils attendent de voir. Ils sont patients avec Jade comme un métronome avec le battement d’un batteur. Boum-Boum-Tic-Tac. L’heure tourne l’heure approche. L’heure de devoir commencer le sevrage de commencer à délirer. Elle délire déjà. Le GHB attaque son cerveau comme un château envahit de tous les côtés. Anselm Baba et Medyna sont hostiles ils sont menaces ils sont milices armées. Ils veulent la voir au sol ils veulent la voir agoniser. Jade débloque. Débloque. Il faut en finir elle le sait. Il faut en finir elle le sait. Il faut en finir elle le sait.

D’un coup éclair de lucidité. Jade ne peux plus vivre comme ça. Si elle vit comme ça elle va mourir. Et non non pas encore. Pas encore l’heure de mourir.

Jade chope le pot qui contient encore pas mal de ce liquide incolore inodore et se précipite dans les toilettes. Bye bye ciao le GHB ! Tirage de chasse ensoleillé !

Elle l’a fait !

Ça bourdonne toujours dans son crâne mais demain ça ne bourdonnera plus ! C’est fini !Over ! Elle ne veut pas en racheter elle ne doit pas en racheter. Ce truc la bousille vitesse grand V black-outs en série et qu’est-ce que j’ai fait de mon corps dispersé ? Tous les soirs errer dans la cuisine renverser couverts et tables et chaises. Amnésies. Transpirer comme Niagara sous plus de 40 degrés Celsius. Elle l’a fait !

Elle l’a fait ! Elle l’a fait ! Elle l’a fait !

Elle court dans le jardin. « J’ai jeté mon GHB ! » Les autres rayonnent la félicitent. Les prochains jours seront durs les prochains jours seront anxiogènes. Le GHB deshinibe le GHB rassure. Il va falloir des anxiolytiques. Un max de Valium Jade a des stocks d’autant plus du bleu original assez rare au milieu des contre-façons pharmaceutiques. Plus mieux.

Il faut qu’elle dorme une grosse nuit pour faire transition. 50mg de Loxapac 300mg de Quétiapine 20mg de Valium. Un mal pour un bien. Demain elle sera autre chose ce sera une résurrection. Il lui reste de la 3MMC pour tenir le coup c’est son produit indispensable. Mais être accro à trois drogues en même temps c’est tripler la vitesse de l’horloge de la fin de vie. Elle est passée pas loin ces derniers jours. Au bord du malaise au bord de l’effondrement au bord du bord.

Ça ira mieux maintenant.

Ça ira.

D’une main elle pianote :


Il est 4h30 du matin, insomnie comme d’habitude.
Le rythme se torsade avec les drogues.
Comme la ville.
La métropole n’a pas d’heure.
Elle vit sans cesse ses perturbations multiples, court-circuite les tentatives de synchronisation.
Je suis une gosse de la citadelle.
Mes périodes n’ont pas d’horloge.
J’apprends de chaque minute quelle est sa valeur.



14


Retour à Paris pour 48h.

Surtout ne pas acheter de G. Surtout ne pas acheter de G. Surtout ne pas acheter de G. Ça l’obsède ça l’angoisse. 1.4 et toute lourdeur s’envolerait… Mais elle reste dans son corps elle veut aller à Marseille. Rejoindre Sofia et être clean écrire au bord de la mer sur un café près du port. Elle fantasme les bateaux dont on ne connait jamais les destinations. Elle a voulu naviguer mais la mer l’a rejeté comme une méduse morte. Échouée sur les ports elle écrit en regardant l’horizon. Ça c’est ce qu’elle désire. Elle ne sait pas où elle fout les pieds.

Les 10 grammes de 3CMC sont arrivés par la poste depuis les Pays-Bas. Elle en consomme comme une affamée sans vraiment comprendre ce que ça lui fait. Légère détente petit dynamisme. Donc 3CMC et puis 3MMC et puis VALIUM à mort pour calmer le manque de G et aussi maintenant l’alcool. Ce putain d’alcool. L’alcool est une nounou qui s’occupe de Jade quand sa famille est absente. Elle est comme une enfant elle tête le flash de Poliakov. Tout pour que l’angoisse s’atténue tout pour trouver l’équilibre… Le Valium et l’alcool se multiplient entre eux. Glissade du canapé. Elle a un peu de fric sur son compte en banque. Elle envoie un message au premier dealer de son répertoire : « salu t dispo pr 1g de ? ». L’autre en 15 secondes « Oui adresse code ». Ce n’est pas un arnaqueur il est fiable rapide et sa te retourne complètement. Vingt minutes plus tard Jade se retrouve avec le pochetar rempli de ce dissociatif qu’elle regarde avec appétit. Une soirée toute seule ok… Mais pas sans un petit divertissement. Une petite montagne russe. Il faut faire passer le manque de G penser à autre chose. Elle se prépare une énorme poutre.

Sniiiiiiiiiiiiif. C’est net et précis. Chirurgical. Professionnel.

Elle a un train le lendemain à 6h elle doit se réveiller à 4h.

La voilà qui décolle. En Aéro-orbite quelque part autour de l’exoplanète Kepler-438 b. Au téléphone avec Sofia qui a peur que Jade rate son train : … Tu es où dans l’appartement ?… Où ?… Où suis-je ?… Où va-t-on ?… Tu as préparé toutes tes affaires ? Toutes… Toutes… Mais qu’est-ce que c’est le tout ?…

La kétamine l’amène dans des mondes aux dimensions multiples qu’il est quasiment impossible de retranscrire à l’écrit. Il lui semble que c’est la drogue la plus difficile à exprimer avec des mots. L’univers devient tellement multi-profondeurs multi-formes multi-perspectives multi-puissances multi-extensions… L’expérience est introspective et questionne des fondamentaux métaphysiques. C’est également visuel. À un certain stade à une certaine dose elle arrive à des hallucinations qui sont pour elle les plus belles qu’il lui ait été donné de voir avec la chimie. Les cheveux de Salma qui ondulent sur les murs de la salle de bains autour de la baignoire s’étendant dans des longueurs saturées et magnifiques. Avec Léa en Slovénie dans une autre baignoire dans un hôtel le monde qui se déplace et inonde son champ de vision avec le sentiment d’être à une limite de l’espace-temps de passer par des trous de verre. Beaucoup plus beau que ce que le LSD permet par exemple. Beaucoup plus mystique beaucoup plus authentique.

Jade adore la kétamine.

C’est occasionnel. Récréatif. Devenir accro à ça doit rendre complètement fou.

Vers minuit Jade rappelle Sofia. « À l’aide je ne comprends plus rien ». Sofia : « Avale tes médicaments mets ton réveil à 4h et va au lit. » Merci encore une fois. Jade obéis comme on écoute une grande soeur. Elle va se coucher…

Driiiiiiiiiiiiiing presque immédiatement. Il faut se lever laver l’appart faire le sac sortir les fringues de la machine réunir la drogue les médicaments se grouiller se grouiller se grouiller. Jade encore un peu foncédée s’active. En catastrophe comme d’habitude.

De retour dans l’Aérogare.

Elle monte dans le train direction Marseille direction nouvelles amies et promesses imprécises.

Installée dans le train elle pianote :


L’été est chaud sa maman.
Mes yeux sont des canicules.
Il y a les vieux qui meurent et puis aussi les toxicos.
Mauvais mélange.
Mauvaise gestion de niveaux.
Le caniveau est proche.
Le caniveau dans le meilleur des cas le caniveau.




15


Premier jour Jade a craqué. Elle a raté elle a enfreint la seule règle. Crise.

Tout d’abord la journée qui se passe bien malgré le manque. Le manque de G qui se fait sentir angoisses multiples. Jade écrit toute la journée sur la terrasse qui marque le début du petit jardin de l’appartement au rez-de-chaussée. Toute la journée le travail absolument merveilleux. Lire écrire lire écrire lire écrire. Elle s’est lancée dans un nouveau projet un nouveau livre en correspondance avec une autre toxicomane. Flora 43 ans 13 cures de désintox sept mois de clean. Une survivante une guerrière. Elles s’écrivent et s’échangent des messages toute la journée. Une nouvelle aventure. Jade achète aussi le nouveau Virginie Despentes qui est sorti le jour même : Cher connard. Elle a hâte de s’y plonger mais trois autres manuscrits d’amis à elle à lire. Elle est heureuse au milieu des mots les siens ceux de ses amis ceux de Flora ceux de Despentes. Le manque de G qui se fait sentir angoisses multiples. Elle essaye de ne pas y penser de se focaliser sur le travail. Il faut compenser. Elle essaye tout les anxiolytiques l’alcool la 3CMC mais rien ne parvient à la rassurer. Elle décide qu’elle n’a pas le choix.

Jade sait comment faire.

Elle ouvre un compte sur Grindr application de rencontre gay. Sur son nom de profil marque « Cherche G Marseille ». On ne tarde pas à la contacter. Un mec plutôt beau gosse arrive Jade craque complètement elle achète 100 ml de G. Le mec est mignon il ne lui en veut pas de s’être fait passer pour un homme. Il repart.

1.4 pour le soulagement. Ouuuf… Elle respire. Très réveillée ouverte à l’aventure motivée pour le travail. Elle se remet activement à écrire. Mais Sofia ne va pas accepter Sofia a prévenu pas de GHB chez elle. Jade fera discrètement elle fera comme elle pourra. Il est 19h c’est l’heure de retrouver Sofia et ses deux potes Moz et Zazie - que de Z. Elle va sur la place de la Plaine grande place historique de Marseille. Elle ne se rend pas compte que son pot de G est mal fermé il coule dans sa poche et une flaque se dessine sur son jean. Sofia grille immédiatement.

« T’es sérieuse ? Putain t’es sérieuse ? J’avais mis une seule règle ! Je ne veux pas passer la soirée avec toi putain ! »

Et Sofia Moz et Zazie qui s’en vont manger une pizza. Jade toute seule dans cette ville inconnue défoncée bien sûr pleine de drogues dans les poches. Risques multiples. Elle panique. Putain quelle salope Sofia ! Laisser une toxico foncedée à Marseille le soir. Super l’amitié super la solidarité !

Heureusement Palplatine est à Marseille. Jade l’appelle. Ils se rejoignent au vieux port. Macdo du vieux port menu maxi best of Jade n’a pas mangé depuis longtemps. Ils partent se balader sans idée autre que trouver un bar… L’orage éclate. Mais genre éclate. Explose. Une pluie diluvienne des éclairs qui frappent Marseille en plein été et Jade et Palplatine qui courent comme des tarés vers le métro vers chez un pote de Palplatine. Ils sont trempés. Putain Sofia quelle salope. Jade est énervée plus la galère s’amplifie plus la colère monte. Ils arrivent dans un appartement une chambre miteuse pas faite pour se poser. Au moins au sec. 23h Sofia finit par appeler.

-   T’es où ?
En galère trempée défoncée. J’ai pas mes médicaments je peux pas dormir je suis obligée de passer chez toi.
Viens.

Jade rentre chez Sofia pour le règlement de comptes.

Tu te casses ! Tu prends tes affaires et tu te casses ! J’ai pas à assumer ta toxicomanie tout le temps c’est lourd c’est pesant je suis en vacances j’ai le droit de décider où sont mes limites ! Le GHB c’est littéralement la goutte d’eau qui fait déborder le vase !
Je fais ce que je peux putain ! Putain je m’en souviendrai tu me jettes comme ça je vais devoir payer un aller-retour Paris-Marseille parce que ta sensibilité ne supporte pas de me voir un peu défoncée ! Je suis toxico tu saisis ? Accro ! Dépendante ! Malade ! Tu as mis une règle bah c’était la plus dure à respecter. Mais très bien gère ta sensibilité protège toi moi je me casse si tu veux pas me voir je me casse.
Si tu jettes ton G tu peux rester.
Je ne peux pas. Tu sais bien que je ne peux pas.

Jade met la main dans sa poche… Le pot de GHB s’est complètement renversé il était mal fermé. Merde… Il lui en reste un peu dans un autre pot dans son sac ! Vite le trouver vite prendre une dose. Elle ne respecte pas l’heure d’écart entre deux prises. Elle en prend pour provoquer Sofia parce qu’elle est en colère. La seringue dans la bouche. Elle avale. Elle prend l’exemplaire de « Dégueuler » qu’elle avait offert et dédicacé à Sofia et déchire la page de la dédicace lui jette à la figure. « Ça c’est mon livre je le récupère ». Elle commence à perdre le contrôle… Le G la déstabilise… Elle ne tient plus debout… Elle essaye de se faire à manger elle a faim mais tout est compliqué… Elle s’endort debout… Bascule… Elle s’endort dans son assiette… Sofia : « Tu veux qu’on aille aux urgences ? » Jade « Mnonnon tinquiètejegère » Sofia profite de l’absence mentale de Jade pour jeter ce qu’il reste de G dans l’évier. Plus rien. Jade n’a plus le choix. Elles reparleront demain. Jade s’écroule sur le canapé corps-qui-dit-ça-suffit. Sofia la couvre d’une couverture. Jade est partie dans les bras de Morphée elle est partie dans les bras d’une évidence.

Des deux mains elle rêve :

Venir caresser des mots venir caresser des chats.
Un livre qui se publie une aventure nouvelle.
Heures propices au bonheur.
Tout gâcher ne pas parvenir à profiter.
Je décide que je n’ai pas le choix.





. . .



1000


Jade se réveille.

Jade se réveille apaisée. Elle a un sentiment qui lui était déjà venu qui ressurgit tout d’un coup.

Elle se réveille avec les idées claires comme la Méditerranée. Elle en prend le chemin. Descend les roches casse-gueule qui piquent les pieds. En équilibriste spécialiste du déséquilibre elle atteint le rivage. Elle trempe ses orteils puis ses pieds puis ses jambes puis saute !

L’eau est fraîche le temps est bon. Les falaises au loin sont des promesses. Des promesses…

Jade.

Jade est malade.

Jade n’en peut plus.

Jade ne tient plus debout.

Jade en a ras-le-cul de l’Aéro-vie.

Jade vit comme ça depuis quinze années.

Ça suffit.

C’est bon elle a fait le tour.

Jade connaît toutes les drogues leurs langages et leurs mystères.

Jade est allée au bout de sa quête.

Jade voulait savoir ce que ça faisait.

Jade avait rêvé d’une vie intense d’une vie romantique.

Jade se rend compte qu’une fois toutes les frontières franchies il n’y a plus que de la merde à remuer.

Jade a reçu un mail de Virginie Despentes :

« J’ai aimé ton texte, Dégueuler. Tu devrais en écrire d’autres. La drogue est exigeante et l’écriture l’est aussi. Il va falloir que tu choisisses entre les deux. Tu te doutes que je vais te conseiller la littérature c’est plus surprenant à moyen terme - c’est un conseil de meuf de cinquante ans mais je pense que c’est un bon conseil. Je t’embrasse. Merde pour ton livre. » 

Ça l’a retourné.

C’est aussi simple que ça.

Il faut choisir l’écriture.

Jade va se soigner elle va rester à la mer.

Jade va choisir la vie.

Jade sera grand-mère vieille et ridée. 

Jade doit affronter la dépression qui l’attend.

Elle le fera.

Pour la première fois de sa vie, elle retrouve la virgule.

Une respiration.

Pour la première fois de sa vie, après trois cures de désintox qui n’ont pas marché, elle se sent prête.

Prête à renaître.

Prête à renoncer à la fête, à l’excès permanent.

Prête à se regarder dans le miroir et à s’aimer.

Prête à jongler avec les tourments humains qui sont le lot de chacun.

Elle ne veut plus fuir.

Jade est prête à la douleur.

Ce sera douloureux elle le sait.

Le sevrage, le réel, la dépression, dans sa gueule !

Jade suremontera.

Jade est alpiniste existentielle. Elle a atteint certains sommets d’extase, elle atteindra les sommets de la normalité.

Les jours où on vit et les nuits où on dort.

Les personnes avec qui on couche et celles avec qui on ne couche pas.

Jade tombera amoureuse.

Jade se connectera à ses émotions.

Jade cessera d’être seule.

Il faut vaincre.

Tenir debout.

Ne pas regretter ni se vanter.

Savoir par quoi on est passé et vers où on se dirige.

De la même façon que ça c’était imposé pour consommer, ça s’impose pour ne plus consommer : elle décide qu’elle n’a pas le choix.



D’une main ferme elle écrit :


Les substances-équilibres sont instables. 
Désordonnées. 
Je marche sur une ligne de crête à obsolescence programmée. 
Une crête qui n’a même pas la poésie punk. 
La montagne ne rêve plus d’une décadence sexy. 
Rien n’est sexy dans la déroute. 
Je me suis menti. 
Un mensonge sempiternel et inéluctable.
Maintenant il faut tenir debout.

Jade referme son cahier.
Jade titre : « Jade Aérogare ».


Jade ne savait pas qu’il faudrait dire tout ça.
Mais il a fallu le dire.

Catégorie : Carnet de bord - 14 mai 2023 à  15:17

##3mmc #@Gbl #@Ghb ##Jade



Commentaires
#1 Posté par : Éric 16 14 mai 2023 à  21:57
La stratégie Ender, film de SF ressemble à jade.
On lui ressemble tous finalement à chercher ceux qui est à portée de main mais que nous refusons de voir, pour le moment alors que c est si proche, juste là à portée de voix de main de tendresse, juste là comme dans la vraie vie.
Laissons nous guider, les narcotiques anonymes ont leurs portes ouvertes à tous. Je vous y invite, sans maquillages, avec tendresse et compassion écoutez les et parlez leurs, le chemin sera plus doux et la découverte au rendez-vous.
Eric16
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merci mais peu pour moi les NA

 
#2 Posté par : Pesteux 16 mai 2023 à  06:53

Eric16 a écrit

Laissons nous guider, les narcotiques anonymes ont leurs portes ouvertes à tous. Je vous y invite, sans maquillages, avec tendresse et compassion écoutez les et parlez leurs, le chemin sera plus doux et la découverte au rendez-vous.

Et Jésus change le beurre en vaseline !

Ouais, c'est mauvais esprit, je sors.


 
#3 Posté par : Nils1984 16 mai 2023 à  13:54
Salut :)

Aux premières lignes de ta première partie de texte (celles où je t'ai infligé un mauvais rouge) j'ai évidemment pensé à Despentes, un truc hardcore entre  "Baise-moi" et "Martyrs". Mon amie du sud est actuellement en train de lire "cher connard". Un éditeur m'a dit un jour : "un véritable auteur c'est quelqu'un qui prend des risques, qui se met en danger, qui ne s'autocensure jamais". Tu es un véritable auteur. Même si j'ai un regard hyper critique sur ta production, il n'en reste pas moins que c'est vraiment impressionnant. J'aime surtout les pensées écrites de Jade, en un mot, elles me grisent. Drôles d'effets. Tu sais de quoi tu parles. Je ne suis pas un grand lecteur, j'ai beaucoup de lacunes à ce niveau là, mais j'suis un type perdu dans le système D. Avec du recul et du survol (en à peu près un jour et quelques heures), ton style est puissant. Je m'efforce de voir la chose en m'extériorisant, en voyant la chose comme un touriste perdu dans les fins fond de la Mongolie et qui se fait ridiculiser en ne misant que sur sa C.B. Ce dernier texte que j'ai lu d'une traite est puissant. Mais comme tu l'auras sans doute deviné, je me méfie des mots, surtout depuis avoir passé les 38 ans. Bon bref, je ne vais pas t'ennuyer plus longtemps. Textes forts, dérangeants, piquants (oupsss...). Mon côté changeur d'opinions est inscrit dans le marbre. J'ai peut-être encore trop de reflex de "réaction immédiate négative" depuis ma vingtaine passée. Juste un mot pour finir : Des Jade, j'en connais plein. C'est l'effet miroitant qui est simplement déroutant. Bravo pour ce texte. salut peace bro.

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