Et moi... N'ai je pas droit un petit dédommagement de quelques milliers d'€
quand on voit les millions qu'il c'est fait !
Voici directement l'article de journal.
Tranquille le mecs c'est fait du fric sur le dos des toxicomanes !
Belle retraite
Patriarche
Sexe, mensonges et toxicos. Le Patriarche, association spécialisée dans le
sevrage des héroïnomanes, qui revendique 100 000 drogués soignés depuis vingt-cinq ans dans 16 pays, a défrayé la chronique depuis de nombreuses années, mais, le 23 février 1998, le scandale prend une autre dimension.
Au nord de Miami Beach, en Floride, organisée dans le plus grand secret, une véritable révolution de palais se déclenche, avec pour enjeu le pouvoir sur le magot. Arrivés dès l'aurore dans la villa de 15 millions de francs qu'occupe Lucien Engelmajer sur Bal Harbor Drive, les premiers conjurés cherchent en vain le gourou de 77 ans. Il est retrouvé dans le fond d'un placard de son garage, apparemment inanimé. Les pompiers et la police débarquent, et l'on découvre qu'il s'est livré à une pathétique comédie. «Le Vieux», surnom habituel du leader mégalomaniaque, doit faire face à 31 cadres venus des quatre coins de la planète pour l'évincer. Ses anciens fidèles, dont certains avaient tenté de le placer sous tutelle en exploitant ses graves problèmes de santé, critiquent cette fois ouvertement ses dérives autocratiques. Puis osent cette redoutable menace: «Si tu ne démissionnes pas, des plaintes seront déposées contre toi pour abus sexuels sur mineures!» Lucien réfute avec force ces graves accusations, mais son charisme est en panne. Seulement soutenu par son avocat, appelé à la rescousse, Engelmajer finit par céder: il signe sa mise à l'écart et s'envole pour le Brésil, avec en poche quelque 25 millions de francs issus de ses comptes personnels, dont une grosse partie sera vite mise à l'abri aux îles Caïmans. Quelques semaines après le putsch, les conspirateurs publient un communiqué très soviétique: leur chef a pris sa retraite pour «raisons de santé liées à son âge».
C'est vite dit. Lucien Engelmajer n'entend pas clore ainsi son fabuleux destin, entamé le 27 novembre 1920 à Francfort-sur-le-Main, dans une famille juive originaire de Pologne. Après avoir grandi à Metz, Engelmajer, apatride, traverse la guerre comme soldat, prisonnier, évadé, puis résistant. Membre des Jeunesses communistes, il abandonne le militantisme politique dans les années 50, absorbé par sa nouvelle activité, la brocante, qu'il déploie dans son magasin, Les Meubles Lucien. En 1963, il liquide son affaire et se retire dans la campagne toulousaine, arborant barbe, cape et poncho pour mener sa «retraite spirituelle». Un look de gourou qui ne sera pas étranger à la dénomination et à la célébrité du Patriarche.
C'est aux alentours de Toulouse, dans le domaine à l'abandon de La Boère, qu'Engelmajer en pose les fondations, en accueillant dès 1971 des toxicomanes. L'association n'est officiellement créée que trois ans plus tard, quand ouvre un centre voisin, à La Mothe. Avec le site inauguré en Espagne en 1979 démarre le développement international du Patriarche, qui comptera jusqu'à 250 centres sur les continents européen et américain. Par les résultats qu'elle obtient dans le traitement des toxicomanes, l'association acquiert très vite notoriété et soutiens, mais elle soulève également une odeur de soufre. Dès 1978, une controverse passionnée démarre autour de témoignages faisant état de violences au centre de La Boère. Au cours des années 80, deux enquêtes de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), jamais rendues publiques, sont diligentées, tandis qu'une inspection interministérielle menée en 1985 demande à l'Etat de retirer sa caution et son soutien financier au Patriarche. Puis un nouveau scandale éclate en 1988, quand Engelmajer lance des centres de soins que certains qualifient de «sidatoriums».
Mais il est bien tard pour qu'une action efficace soit menée contre Le Patriarche, devenu un véritable empire, rebaptisé en 1992 «Organisation internationale Lucien Joseph Engelmajer». Ce n'est donc pas de l'extérieur que la forteresse est attaquée, mais de l'intérieur, tant elle suscite la convoitise de ceux-là mêmes qui la dirigent sous la férule du Vieux. Le 23 février 1998, ils croient bel et bien avoir emporté la partie, mais le putsch n'est en fait que le point de départ d'un âpre conflit entre Engelmajer et eux, une guerre ouverte que L'Express révèle aujourd'hui dans ses moindres détails.
Quatre mois après la conspiration, le narcissique Lucien Engelmajer a vendu chèrement son pouvoir à la tête de l'étonnant Meccano financier assis sur des paradis fiscaux: quatre holdings au Luxembourg, deux fondations au Liechtenstein et des comptes bien garnis en Suisse. Celui qui se présente comme un bienfaiteur de l'humanité a obtenu une compensation de 31 millions de francs. 22 millions de francs auraient été versés au Banco Roberts, un établissement de Montevideo, en Uruguay. Mais, à l'automne 1998, les 9 millions de francs restants manquaient à l'appel et, suprême affront, les «traîtres» avaient rebaptisé son empire sous le nom de «Dianova».
Pour le monarque déchu, c'en est trop. Lucien Engelmajer vient d'ailleurs de déposer une plainte de 28 pages auprès d'un tribunal de Miami contre les 31 conjurés - dont François, dit «Bibi», l'un de ses fils! Avec l'aide de Charles Spencer, son avocat américain, un ancien agent de renseignement qui a notamment plaidé dans l'affaire de l'Irangate, le Vieux a repris l'offensive, sans doute avec la folle illusion de reconquérir son trône. Il réclame 319 millions de francs de dommages et intérêts, évaluant au passage ses biens personnels confisqués par les insurgés à 159 millions de francs - sans donner la moindre précision - et le patrimoine de l'organisation internationale qui porte son nom à 1,28 milliard de francs!
Laver le linge sale en famille Lucien Engelmajer espère-t-il mettre en pièces l'unité de ses cadres rebelles réalisée contre lui? Il est peu probable qu'il y parvienne. «Trois mois avant le putsch, une mineure avait fini par se confier, explique Claude, le nom que se donne l'un des conjurés qui demande l'anonymat. Ainsi, des accusations d'abus sexuels sur cette adolescente clairement identifiée ont pu être évoquées au cours de la réunion de Miami. C'est surtout autour de ce témoignage que l'union contre Lucien s'était faite.» Mais pourquoi les familles d'enfants présentés comme victimes n'ont-elles pas porté plainte? Salvador Arcas, ancien responsable de la branche espagnole, évincé malgré sa participation à la rébellion, y voit malice: «J'ai entendu deux des principaux cadres à Paris lancer de graves accusations contre Lucien. Et je leur ai dit: ?Allez en justice! ? En réalité, ceux qui menacent le leader de plaintes pour abus sexuels ne souhaitent pas que la vérité éclate ni que la justice passe; ils veulent seulement le pouvoir et l'argent.» Effectivement, on retrouve, quelques mois après le putsch, le père de la jeune fille mise en avant par les conjurés dans le conseil de l'une des fondations au Liechtenstein. De là à supposer, comme le prétendent d'anciens cadres du Patriarche, que des parents d'adolescentes accusant Lucien auraient exigé de figurer en bonne place dans les nouveaux organigrammes... Rien ne permet de confirmer ces thèses. Mais elles sont symptomatiques d'une association dite «caritative» où chaque cadre suspecte les autres des pires turpitudes. Et où l'on préfère laver son linge sale en famille, en raison d'une intense allergie à toutes les institutions, en particulier la justice, la police et la presse.
Ne cherchant pas à démontrer qu'ils ont réellement entamé une saine ?uvre de rénovation et qu'ils se démarquent des habitudes d'Engelmajer, Montserrat Rafel Herrero et Philippe Lion, présidents respectifs de Dianova International et de Dianova France, ont refusé de répondre aux questions de L'Express. A Dianova, comme au Patriarche depuis toujours, la paranoïa constitue-t-elle un réflexe de survie? Il y a sans doute une autre explication à ce curieux pacte du silence. «Bibi et ses proches ne voulaient pas que le nom de la famille Engelmajer soit souillé par des plaintes portant sur des abus sexuels», confie le parent d'une jeune fille que le Vieux aurait, elle aussi, importunée. Bibi a donc joué une partie délicate: organiser un complot pour éjecter son propre père tout en lui évitant de devoir s'expliquer sur des mises en cause à la fois intimes et graves devant la justice. Membre, un moment, du directoire qui a succédé à son père, il n'exerce aujourd'hui plus aucune responsabilité à Dianova, même s'il ne cache pas sa solidarité avec la démarche affichée de rénovation de l'empire. L'homme n'a pas accepté, lui non plus, de nous rencontrer.
Bibi a pourtant joué un rôle clef dans la préparation du putsch. Près d'un an plus tôt, Lucien lui fait part de son nouveau projet: aider les pauvres à Haïti. Il propose donc à son fils de créer ensemble une fondation au Liechtenstein. Dans ce paradis fiscal, pense-t-il, des fonds pourront être discrètement transférés et disponibles. L'avocat suisse Jean Heim, l'un des principaux conseils d'Engelmajer, se charge d'immatriculer cette fondation, intitulée Heston Investments Establishment, à Vaduz, au Liechtenstein. Outre Bibi lui-même, le Vieux choisit, pour constituer sa direction, six cadres fidèles, parmi lesquels Dominique Julien, l'une de ses plus proches collaboratrices, et Jean-Paul Séguéla. La présence de ce dernier est pour le moins singulière.
Ancien député et toujours membre du conseil national du RPR, le Pr Jean-Paul Séguéla, 61 ans, spécialiste de parasitologie, est doyen de la faculté de médecine de Toulouse-Rangueil. C'est en 1993, alors conseiller pour la lutte contre la toxicomanie du ministre Charles Pasqua, que Lucien Engelmajer aurait pris contact avec lui. Ce notable gaulliste apparaît officiellement au sommet de la pyramide du Patriarche de décembre 1997 à août 1998, en tant que secrétaire général de l'association OILJE (Organisation internationale Lucien Joseph Engelmajer), dont le siège est en Suisse, à Lausanne. Mais quel rôle jouait-il? Contacté au cours de notre enquête dans sa mairie de Bessières (Haute-Garonne), Jean-Paul Séguéla a catégoriquement refusé de répondre à nos questions.
Lucien Engelmajer l'a pourtant souvent présenté comme son conseiller personnel. «En 1995 et en 1996, j'ai eu à deux reprises à effectuer des recherches de financement pour Addepos, l'association des séropositifs du Patriarche, auprès des collectivités locales, se souvient Pascale Bastiani, 38 ans, ancienne responsable de la branche suédoise. Lucien m'a recommandé de ?voir cela avec Séguéla?. Ce dernier m'a chaque fois aidée, mais toujours par téléphone. Jamais un papier signé ou annoté par lui ne m'est passé entre les mains. Sans doute par prudence.» Le Pr Séguéla paraît aussi s'être comporté comme le médecin personnel du Vieux. En janvier 1997, il est destinataire d'un rapport médical sur Lucien Engelmajer adressé par le service de cardiologie du CHU Purpan de Toulouse.
Si la fondation Heston, où Séguéla devait être membre du conseil, n'a, semble-t-il, pas vraiment fonctionné, tel n'est pas le cas d'une seconde fondation créée, également à Vaduz, le 5 février 1998, soit dix-huit jours seulement avant le putsch. Elle s'intitule, comme l'association mère, OILJE. Si les fidèles du Vieux, comme Jean-Paul Séguéla, Salvador Arcas, Thierry Bourdonnais, Marcel Ernzer, financier luxembourgeois, ou le père Bartolomé, confesseur du roi d'Espagne, sont encore présents, ils sont très vite marginalisés par Bibi et ses amis.
Un empire financier très convoité Six semaines après le putsch, Lucien Engelmajer s'envole pour les îles Caïmans afin de participer à une épuisante séance de négociation face à son fils et à un autre conjuré, Michel Costil, en présence de Marcel Ernzer. Des pourparlers indispensables, car les mutins découvrent que le Vieux n'a pas lâché toutes les manettes de son empire financier, que chaque partie convoite. Dans sa récente plainte contre les 31 «félons», Engelmajer les accuse d'avoir «transféré le contrôle sur toutes les entités à une nouvelle organisation au Liechtenstein». Autrement dit, d'avoir mis la main sur le coffre-fort de l'OILJE? Charles Spencer ajoute que son client suspecte les putschistes de brader le patrimoine immobilier de l'association.
Quel est le montant actuel des réserves de l'organisation? «A l'été 1997, le magot suisse s'élevait à 400 millions de francs français, confie Jean-Yves Le Garrec, ancien bras droit financier du Patriarche, qui a d'ailleurs quitté l'association pour des raisons personnelles à cette époque. A quoi il faut ajouter 50 millions d'actifs au Luxembourg.» L'essentiel de ces actifs provenant de sommes évaporées; en clair: transférées en liquide. Selon Lucien Engelmajer, il y avait à son départ 350 millions de francs sur les comptes, sans aucune dette. Où se trouve précisément cet argent? Sur ce point, le Vieux comme Le Garrec restent muets. Le second est en revanche plus bavard sur la pompe à finances qu'il a largement contribué à mettre sur pied.
Financement public En France, l'organisation pesait à elle seule 10% du dispositif national de prise en charge des toxicomanes, explique Le Garrec. Mais elle n'avait que 1% des subventions, à cause de l'image sectaire que nous véhiculions. Il fallait donc trouver de l'argent par nos propres moyens, le faire fructifier pour exister et garantir notre pérennité.» Pérennité que les pouvoirs publics se sont longtemps gardés de mettre en question malgré les controverses internes au ministère de la Santé sur l'opacité de l'association par rapport à sa tutelle administrative. Ce n'est qu'en 1996 que l'Etat français prend la décision de ne plus subventionner Le Patriarche, quelques mois après la publication du rapport parlementaire sur les sectes. «Un financement public qui avait commencé une vingtaine d'années auparavant et que le gouvernement Barre avait déjà envisagé de supprimer en 1980», explique en souriant Le Garrec. Selon nombre de hauts fonctionnaires chargés du dossier, Le Patriarche présentait l'avantage, aux yeux de bien des hommes politiques de droite comme de gauche, de gérer une population «encombrante» à moindre coût. De surcroît, des notables y ont envoyé leurs enfants.
Cependant, dès la fin des années 80, les cadres de l'association ne se soucient plus guère des états d'âme de l'Etat à leur égard. L'organisation vient en effet d'amorcer un virage décisif vers les activités lucratives. Des journaux et des ouvrages à la gloire de Lucien sont diffusés par centaines de milliers et vendus dans les rues: entre 30 et 40 millions de francs de recettes brutes annuelles rien qu'en France. En liquide, bien sûr. C'est aussi la période où Le Patriarche commence à vendre, sous forme de grandes Braderies de l'espoir, les dons en nature effectués par des entreprises. L'organisation avait des moyens logistiques: selon son assureur toulousain, elle possédait le septième parc automobile privé en France. Mais un tel système de vente d'objets récupérés était-il légal? «Nous ne craignions pas les contrôles administratifs, reconnaît Le Garrec. L'Igas, malgré deux passages dans les années 80, n'a jamais rien trouvé de grave chez nous. Notre hantise, c'était le fisc.»
Au fil du temps, le système fonctionne tellement bien qu'il finit par prendre un tour industriel. Jouant les «mules», les cadres de confiance passent et repassent les frontières. Les transferts de fonds en liquide sont un véritable sport. «Lorsque nous allions en Suisse ou à Miami, on nous donnait de grosses liasses de billets», témoigne Pascale Bastiani. «Je suis allée trois fois au Luxembourg avec de gros sacs de lires, d'escudos et de pesetas», ajoute Valérie, 27 ans, en instance de divorce avec Jean-Yves Le Garrec. «J'ai transporté du Portugal en Espagne et d'Espagne en France des millions d'escudos et de pesetas», confirme Pascale A., 40 ans, ancienne secrétaire particulière du Vieux. A Genève, Jean-Yves Le Garrec est toujours là pour accueillir les ex-toxicos aux poches bien remplies. Pour les très grosses sommes, il assure lui-même le voyage. Souvent? «Ma Mercedes avait beaucoup de kilomètres au compteur», se borne-t-il à répondre. «Le vice-président de l'association L. J. Engelmajer a été, à deux reprises, arrêté par les services des douanes en provenance d'Espagne alors qu'il était en possession de 1,5 million de francs en espèces», peut-on lire dans le tout récent rapport parlementaire Guyard-Brard.
Autre source de financement: les pensionnaires eux-mêmes, qui paient leur cure... et continuent à verser de l'argent une fois le
sevrage achevé. Tout en effectuant un travail très rentable pour l'organisation d'Engelmajer: des ventes de revues ou de livres aux braderies! Au début des années 90, on voit même apparaître une kyrielle de petites sociétés à but lucratif: Paella Store Olé, Fiesta Paella ou Exquise Extase (restauration), Ebénolé (brocante), Aménolé (construction), Goile (stations-service), Etoile (éditions musicales), Archange Courtage International (assurance), etc. Des enseignes ou des noms de société se terminant souvent par «olé», pour Organisation Lucien Engelmajer, et où les pensionnaires ont le plus grand mal à être payés. Des structures dont la majorité a été liquidée après le putsch.
La Cour des comptes, qui publie en juillet 1998 un rapport sur le dispositif de lutte contre la toxicomanie, débusque un holding luxembourgeois lié au Patriarche: la Sopasofie SA (Société de participation sociale et financière Engelmajer SA). Jean-Yves Le Garrec rit sous cape: «Ils n'ont pas vu qu'il y avait en tout quatre sociétés au Luxembourg.» Information que nous avons pu vérifier. En plus de la Sopasofie ont été immatriculées dans le grand-duché la Fondation sociale Holding SA, la Social Foundation Holding SA et l'Action Holding SA, trois sociétés aux noms étrangement voisins. Au total, ces quatre holdings luxembourgeois détenaient 85 millions de francs d'actifs en 1995, puis 49 millions en 1997. Qui contrôle ces fonds? Ces actifs sont actuellement l'objet d'une bataille d'avocats entre Lucien Engelmajer et les putschistes.
Dans son rapport, la Cour des comptes fait également une révélation sur un curieux prêt de 600 000 francs accordé par Le Patriarche à une «personnalité du monde médical». Officieusement, on indique, Rue Cambon, que ce prêt a été effectué, à partir d'un compte de Lucien Engelmajer dans une petite agence du Crédit lyonnais très proche de Toulouse, au profit de Jean-Paul Séguéla. Ce dernier a reconnu l'existence de l'emprunt en le présentant comme soldé. Mais l'ancien leader du Patriarche affirme, de son côté, que ce prêt n'a jamais été remboursé par son ancien ami, dont il se dit sans nouvelles depuis le putsch. Interrogé par L'Express, Séguéla refuse de fournir la preuve qu'il s'est réellement acquitté de sa dette.
Témoignages troublants Si Lucien Engelmajer évoque sans pudeur les questions de «gros sous», surtout dans sa récente plainte contre les «usurpateurs», avec des revendications se chiffrant en centaines de millions qui donnent le vertige, il est presque muet sur ses «comportements prétendument criminels» dont il se dit accusé par les mutins. Des griefs que la direction internationale de Dianova refuse même, étrangement, de confirmer. Pourtant, les témoignages que nous avons recueillis sont très troublants.
Il y a près de quatre ans, le Vieux prit ses quartiers au Chalet Grand-Borde, à Aucamville (Tarn-et-Garonne), dans ce qui aurait été jadis une maison close et qui devint manifestement, pour Engelmajer, le palais des favorites. «J'ai aperçu Lucien tenter d'embrasser une jeune fille de 15 ans dans le jardin du Chalet», confie Pascale Bastiani, qui a fui Le Patriarche avant le putsch. Tout comme Monique, 41 ans. Au Chalet, cette dernière partageait sa chambre avec deux toutes jeunes femmes - appelons-les Mathilda et Dolores. Un jour, Monique surprend une conversation au sujet de leur gourou. «Et toi, il te touche?» demande Mathilda. «Oui, et je ne peux rien y faire», répond Dolores. «Il a essayé avec moi, mais je suis partie», reprend Mathilda. Selon Monique, le Vieux a mis au point un piège difficile à éviter: chaque soir, il désigne une jeune fille ou une jeune femme chargée de lui monter sa tisane et il tente de la retenir le plus longtemps possible; elles craignent, en cas de désobéissance, d'être reléguées dans un centre lointain. «Quelques jours plus tard, Mathilda est montée dans la chambre de Lucien à 21 heures et n'en est redescendue qu'à 4 heures du matin, se souvient Monique. Elle pleurait sous ses draps.»
Monique souligne aussi l'existence de «rapports» sur les nouveaux pensionnaires et le traitement spécifique réservé aux filles mineures: «Dès qu'une gamine sortait de l'ordinaire, jolie avec du caractère, Lucien la convoquait immédiatement.» Comment le gourou à barbe blanche attirait-il auprès de lui des jeunes femmes qui auraient pu être ses petites-filles? Grâce à son charisme, à son éloquence, à son habileté. Persuadé d'être le dernier rempart contre la drogue et le sida, il n'hésite pas à proclamer: «Je donne l'amour, le bonheur, la joie de vivre à des gens qui étaient dans la rue!» Les anciens toxicos le vénèrent comme un sauveur: «Après m'avoir sorti de la drogue, Lucien m'a donné une seconde chance dans la vie», expliquent-ils souvent. Le Vieux a laissé se développer complaisamment autour de lui une cour de flatteurs, lui donnant à penser que tout lui était permis. Celui qui se faisait appeler lui-même «patriarche» exigeait que les femmes de sa grande communauté l'embrassent sur la bouche. Très difficile d'y échapper, affirment toutes celles que nous avons pu rencontrer. Et le Vieux savait choisir pour victimes celles qu'il avait envoûtées.
C'est ce qui arrive à Monique, à l'été 1996. Illuminée par son prophète, perpétuellement couvert d'éloges, elle lui envoie une lettre bien singulière: «Je t'écris pour t'encourager encore et toujours à continuer l'?uvre admirable que tu as créée avec tant d'amour, intensément présente, lumineuse [...]. Un voyage extraordinaire, merveilleux et serein dans l'Infini, d'où tu sais pouvoir recueillir et transmettre des vérités [...] puissantes, belles et pures [...]. Grâce à toi, j'ai enfin ouvert et franchi la porte de la Vraie Connaissance, donc de la Joie!» Un délire typique de bien des sectes. Et Engelmajer, manifestement à l'aise dans les oripeaux d'un gourou, voit dans l'auteur de cette missive une nouvelle proie à accrocher à son tableau de chasse.
Rapports sexuels sous la contrainte Je l'admirais tant! J'étais à la fois fascinée et pétrifiée en entrant dans sa chambre», raconte Monique. Le Vieux cherche à la mettre à l'aise, lui affirmant qu'il a été sexologue et se fait fort de la débarrasser de son «problème d'homosexualité», un challenge excitant pour lui. «Il m'a enrobée d'un flot de paroles flatteuses, m'expliquant que ma gêne était normale, poursuit Monique. Il m'a déshabillée et conduite dans son lit alors que j'étais toujours paralysée. Après des caresses, il m'a violée avec ses doigts et m'a imposé une fellation.» Monique n'en peut plus et veut s'enfuir. «Il m'a retenue en me faisant du chantage: ?Je risque de ne pas passer la nuit.?» Le Vieux savait, semble-t-il, inspirer pitié à l'aide de ses antécédents: accidents vasculaires cérébraux et crises cardiaques. Il n'empêche. Passé la honte et la douleur d'en parler, Monique a été entendue il y a trois semaines par la police judiciaire, à la demande du procureur de Toulouse.
Tout comme Valérie Le Garrec, en mars dernier. «Un mois après ma séparation avec Jean-Yves, Lucien a tenté de me violer dans sa chambre, à Trouville, en 1997, raconte-t-elle avec difficulté. Il a réussi à me toucher les seins et le sexe. Ma résistance l'a mis hors de lui et il m'a cogné la tête contre le mur.» Valérie se méfiait énormément de Lucien. «En 1996, à l'Institut de thalassothérapie Louison-Bobet, à Biarritz, j'ai vu une fille de 16 ans sortir un matin de son lit», ajoute-t-elle. «Certaines filles finissaient par se laisser sauter par Lucien pour obtenir en cadeau des vacances à Miami», affirme Nadia Santiago, 34 ans, qui a géré les stocks du Patriarche jusqu'en 1997. «Le plus terrible, c'est que certains parents encourageaient leur progéniture à déclarer leur admiration à Lucien, à lui écrire, à passer du temps avec lui l'après-midi, confie Claude, l'un des conjurés de Miami. Et, lorsque je leur indiquais le risque que couraient leurs enfants auprès du Vieux, il arrivait qu'on m'envoie promener.»
Delphine de Morant, 28 ans, a passé, elle, dix-huit mois dans un centre du Patriarche au Chili, en 1995 et 1996. «Lucien s'est présenté comme sexologue et m'a très rapidement laissé entendre que nous coucherions un jour ensemble. ?Pour ton bien?, disait-il.» Delphine ajoute que le Vieux n'hésitait pas à commenter publiquement les performances sexuelles des femmes qui l'entouraient. «Un jour, poursuit-elle, j'ai dû céder à ses avances pressantes, ne me voyant plus lui répondre non pendant des heures.» Pour elle, c'était sans ambiguïté «un rapport sexuel sous la contrainte».
Camisole psychologique Nous sommes parvenus à entrer en contact avec Lucien Engelmajer, avec un fax relais dans la région de Toulouse, donc sans pouvoir connaître son lieu de résidence actuel. Par l'intermédiaire de son avocat de Miami, il nous a répondu qu'il niait catégoriquement tous les faits évoqués, y compris l'information selon laquelle il avait coutume d'embrasser les femmes sur la bouche. Son conseil tient à préciser que ces accusations, qu'il qualifie de «rumeurs infâmes», ont profondément affecté son client et que leur évocation dans la presse l'a «physiquement atteint». Engelmajer, entouré de Michèle, sa nouvelle compagne, 47 ans, ne veut pas en dire plus. Il aurait pu souligner que ses prétendues victimes ont rarement pris la fuite et n'ont pas porté plainte. Mais cet apparent mystère s'explique. «Un ex-toxico, qui plus est séropositif, a très peur de partir, car il se sent rejeté par la société, explique Pascale Bastiani. Au Patriarche, le monde extérieur est diabolisé, comme dans les autres sectes. On est libre de partir... mais il y a une camisole psychologique.» Le gourou exhortait ses pensionnaires à continuer de l'aider à «bâtir un empire» et à ne pas se réinsérer hors de l'organisation, où leurs enfants seraient exposés à la drogue, au sida et à l'
alcool. Tout départ était qualifié de «trahison».
Ces dernières années, fort de son emprise sur ses ouailles, Engelmajer ne s'en cachait plus: «Paola, qui a un très beau derrière et que j'ai baisée pendant un an», dit-il d'une femme dont il soutient le transfert en Argentine, au beau milieu d'un long discours devant une assemblée de responsables du Patriarche, en janvier 1998, à Tibidabo, un centre de Barcelone. Un exemple de ces propos machistes et graveleux qui finissent par inspirer le dégoût chez son auditoire un mois avant le putsch.
Pascale Bastiani, Pascale A., Valérie Le Garrec, Nadia et Antoine Santiago ont tous été témoins de tels comportements. Ces cinq anciens pensionnaires du Patriarche ont porté plainte en décembre dernier auprès du procureur de la République de Toulouse pour abus de faiblesse, nouveau délit voisin de l'escroquerie, parce qu'ils ont exercé une responsabilité dans l'organisation d'Engelmajer sans toucher la moindre rémunération. Mais, selon leur avocat, Jean-Michel Pesenti, leurs témoignages devraient aussi orienter l'enquête dans une seconde direction: la mise en cause de Lucien Engelmajer pour des violences sexuelles. Le procureur de Toulouse a lancé en décembre 1998 une enquête préliminaire qui tarde à déboucher sur l'ouverture d'une information judiciaire et la désignation d'un juge d'instruction. Parallèlement, un parent d'une adolescente qui affirme avoir été «importunée» par le Vieux soutient que trois plaintes ou dépositions en gendarmerie concernant des victimes mineures devraient très bientôt parvenir entre les mains de la justice. Une information confirmée officieusement au tribunal de Toulouse. Pour la première fois, des magistrats français pourraient dès lors s'intéresser au passif du Patriarche: l'exploitation financière et physique d'ex-toxicos particulièrement vulnérables par un gourou guérisseur aimant trop les femmes. Dans ce cas, peut-être, Lucien Engelmajer cessera de rôder autour de Grenade, près de Toulouse, et surtout du siège national de Dianova, comme il le faisait, il y a quelques mois encore, dans sa superbe Bentley