Un mois avec les crack-heads de BrooklynVersion longue de l'article du zine PA #3.A l'ouest!J’émerge de mon tranxène-téralène, plus un passager autour, cordon sanitaire.«You’re intoxitcated sir» explique le steward. Ca commence bien.. J’atterris en même temps que le 747 sur la piste de Kennedy.
Ce n’est pas la première fois que me rend aux USA, mais la treizième...et ce sera la dernière.
L’aéroport est dans le Queens, je reste donc du côté est de la rivière, en face l’île de Manhattan et de la statue de la liberté, je n’y poserai jamais le pied…
Last exit to BrooklynLe taxi jaune traverse Brooklyn, à Clinton Hill, un immeuble porte une fresque à l’effigie de l’enfant chéri d’ici, Notorious BIG. RIP. A côté, les hipsters, bobos, prennent un Banksi en photo. Avec la gentrification, les habitants historiques, pauvres et noirs, pour la plupart, doivent faire face à la montée des prix. Brooklyn blanchit. Les cités de brique rouge, housing projects, sont toujours là, mais les petites maisons avec l’escalier devant, comme dans les films, les brownstones, pierre brune, sont vendues à des riches. Même Chris Rock (sans jeu de mot) vend la sienne à 10 millions.
Je vais plus loin, au nord.
J’ai loué un deux pièces, meublé, pour 1000e, pas cher pour ici!
Je ne connais pas le quartier. Je vois des jeunes avec le nom de la rue sur la casquette.
Pacific street.
Nous sommes à l’est de Bedford-Stuveysant, chez Jay Z, un quartier fameux et malfamé.
Bed-Stuy do or die et Bed Stuy et fier de l’être…represent! Devises des homies du quartier.
Au début je remarque une bande de jeunes au coin de la rue, mais rien de spécial.
Le deuxième soir, je sors du métro, la porte se referme dans mon dos. Et là, je vois un visage noir apparaître derrière la fumée blanche, le gars a l’air bien, avec son doseur à la main. Son autre main n’a pas de doigts.
Good high?
Bon kif? je lui demande. Yeah! Il peut pas dire le contraire avec son air. Je lui propose de lui payer son kif s’il me trouve ça tout de suite. Il dit OK. C’est pas loin? A côté! dit-il.
On fait quelque mètres hors du métro et il me demande l’argent, j’aime pas ça, là un mec passe et dit : tu peux lui faire confiance, je le connais. Faire confiance à un mec que je connais pas, parce qu’un autre mec, que je connais pas, me dit qu’il le connaît, c’est…de la croyance.
Stanley me dit de l’attendre là et je le vois tourner au coin, là où il y a les jeunes. J’angoisse, il m’a niqué c’est sur. S’il est malin il aura compris que s’il prend tout maintenant, il n’aura rien demain. Et le voilà de retour en moins d’une minute. Bon, le plan est bien au coin de la rue. Chez les homies, la bande du tiékar. Gangsta style.
Je suis dans un cliché, comme au ciné.
Habituellement le
crack c’est pas mon truc, rarement, en passant, c’était le
speed-ball mon délire. La
base me paraît peu de chose. La galette une drogue du pauvre. Mais là...
Nous retournons sur le quai du métro, je n’ai pas de doseur, il me prête le sien.
Je fait chauffer le
caillou puis je porte la pipe à me lèvres et fait crépiter, craquer le
crack, avale la fumée. La garde en bouche et respire. Bzzz VVVoumm
C’est de la bombe, jamais vu ça, je fais des bonds dans ma tête, du karaté dans le métro, partage mon euphorie avec mon nouvel ami.
Il s’appelle Stanley, un costaud, fait la manche au feu rouge et dort dans un shelter, un énorme château en briques rouges, avec des tours, où dorment les sans-logis. On dirait une prison.
Il dit qu’il a fait la guerre (?) et qu’il est croyant. Cela va me servir.
J’ai de la chance d’être tombé sur lui. Difficile de pécho ici.
Le terrain, Nostrand et PacificJe me rends compte alors que j’ai atterri dans un endroit spécial, carrément un gros spot. Une scène ouverte, d’importance.
Il y a la bande du corner store, et autour des francs tireurs qui viennent exprès pour vendre de l’héro et du
caillou, discrètement, aux clients venus d’un peu partout aussi. Et j’habite là.
J’ai craqué pour du
crack alors que j’étais plus ou moins abstinent, et pas fumeur. Mais là c’était trop bon.
Don’t know what you’re talkin’ about bro’Je n’y retourne pas, mais c’est juste en bas...et puis, si. Les mecs refusent de me vendre, "je vois pas de quoi tu parles", même quand j’en vois un en vendre devant moi, il fait : "moi? Je sais pas de quoi tu parles bro'".
Ils ne me connaissent pas encore. Par contre tous les
crack-heads ont repéré la bonne poire, en plus je suis blanc, on me remarque. Un gars athlétique vient près de moi et pose un petit
caillou blanc.
Piège.
Coup de pression. Je refuse, c’est petit et je lui rien demandé à lui, trois fois non, et puis je craque, je le fume. Tu me dois 10s!
Le fils de sa mère, il m’a bien eu. "tu sais qui je suis?
Green-eyes, les yeux verts, tout le monde me connaît". Effectivement, comme un gros relou qui fait de la boxe thaï et casse des mâchoires pour dix dollars. Et j’ai besoin des miennes pour manger. Et des sous pour fumer.
Il va me coller aux fesses deux jours durant, menaçant, quémandant, je me suis libéré de ce fou, sur le conseil de Stanley, et pour l’équivalent de cinquante francs. Il est devenu sympa après. Il était tout le temps
thirsty, comme on dit (Stan m’apprend le lexique), assoiffé de
caillou, en anglais. Un noir aux yeux verts, qui est dans la misère, trop fier pour la manche. Il gratte ceux qui la font.
Je passe par
Stanley et lui complète sa sienne, à chaque fois qu’on se voit c’est «how much you got?» combien tu as? Pour pas répondre en premier! Le gars viendra spontanément me donner de l’
argent et du
crack pour me rembourser! Comme ce mendiant de Time Square qui avait ramassé les 700s que j’avais fait tomber, puis était parti trop vite pour que je lui donne un billet. Ils sont fous ces Américains!
De présomptueux gringalets, zombis fantomatiques, aussi maigres que moi dans un mois, essayent de m’assommer par derrière. Heureusement j’ai des yeux dans le dos, mon Stanley fait le garde du corps.
Back-up! Recule, ils obéissent tous devant le colosse et sa paume qui fait bam, même Green-eyes le boxeur. Je rencontre par Stanley, des dealers des autres quartiers, dont une femme, Vegas. Je vais chez elle à East New York, on discute, le soir entend des
gunshots. J’aurais pas reconnu le bruit, qui colle avec la BO de NY, ses sirènes incessantes.
Bam bam bam, et les jeunes du gang du coin de rue d’à côté de répondre, par défi, par provocation.
Ici il y a beaucoup de fusillades la nuit, à East New York et Brownsville, le pire ghetto, d’où vient Mike Tyson.
Mais à part ça je n’ai ressenti aucune insécurité ni danger, la journée et le soir, même si la nuit je suis souvent le seul blanc. La police est partout, les jeunes tirent aussi pour elle, qui collectionne les bavures sur les noirs.
Black lives matter. Les vies noires comptent, on voit ce slogan partout.
The corner store’s gang, la bande du drugstore
Un matin, alors que je cherche à me faire remarquer, un des vendeurs, plus âgé, que j’ai vu piquer du nez sur l’escalier, me demande si je veux de la dope (héro). Il a vu mes bras, à son age il connaît, il a flairé le bon client. Il a raison, il dira que je dois être une star dans mon pays, à dépenser autant. Je suis surtout en train de me la la mettre jusqu’au cou, dans la gadoue. C’est tout. A partir de là tous me vendront.
Une fois qu’un seul te fait confiance, tous le font. Je peux désormais avoir accès à tous, et choisir ma qualité (ils sont nuls mes collègues pour ça, seul le prix compte!).
J’ai enfin accès au saint des saints.
Le coin de la rue…
Ils vendent du rock de la dope (héro) et de la
weed, tout à partir de 10s. La galette n’est pas mieux servie qu’à Paris. Pas d’intermédiaire, enfin.
En une semaine, il a fallu ça pour que je passe pour un gars du quartier. Pas un flic, touriste? On ne m’a jamais pris pour un touriste, même les flics, malgré mon visa . C’est New York.
Les gars qui font du biz ont entre 20 et 30 ans parfois plus, habillés comme dans les films. Chacun bosse en petites équipes. On te le jette par terre, et toi tu jettes l’argent après, par terre!
Ca c’est dans la rue, où à huit heures du matin, les mères du quartier viennent s’approvisionner en rock et dope avant d’aller bosser.
Les mecs qui achètent de l’héro, dope, disent «my man», pour dealer. Sinon il y a une porte cochère, Lala, le chef (qui n’a rien sur lui) m’a à la bonne. J’obtiens rapidement des crédits sur des twentys. C’est 20s un morceau plus gros que deux dimes (10), mot de toxico que j’ai appris à un dealer, il a pas aimé car dime, c’est aussi 10 cents.
Un jour nous sommes dix à attendre en bas de l’escalier, il n’y a rien (dans ce cas là il y a les autres francs tireurs solitaires), mais c’est le meilleur de Brooklyn. On vient de loin, pour cette qualité.
2 minutes plus tard un jeune arrive avec à la main, une énorme plaque de
crack. Je suis le premier servi, une chance, il casse un coin, à l’oeil. Il n’a pas le compas dedans, et je me retrouve avec le double.
Ce plan, gros terrain, se trouve sur Nostrand et Pacific, on parle en coins de rue, ici les numérotations vont jusqu’à 3000!
On y trouve surtout du
caillou, mais pas de
coke.
Jusqu’ici tout va bienJe ne sais pas encore pour les doseurs et j’en ai besoin, j’entre dans un smoke-shop,
bang, pipe à
meth, mais pas de pipe droite. Par contre il y a un gars très sympathique avec un grand sac ouvert sur une multitude de tubes multicolores, remplies de
weed. Il est fou lui ou quoi, c’est encore interdit ici!
Sa
beuh est forte comme toujours là-bas, et il me donnera par la suite des rdv discrets mais toujours dans des endroits publics. Le gars était tellement beau gosse, que des minettes lui couraient après, avec leur numéro de portable! Il ne faisait pas le
caillou, le rock, ça tombe bien il habitait Rockaway.
Melissa, une fumeuse, à la perruque verte, qui fume dans la rue, me donne deux dollars et me dit d’acheter un pen, un glass pen. Un stylo en verre. J’entre dans l’épicerie et demande un pen, on me donne un bic. Là je dis, non
pas un stylo pour écrire, un stylo pour fumer!On me donne un stylo en verre, il faut ôter le tube d’encre et la capsule, et voilà, manque un filtre. La paille de fer des tampons à récurer, il faut en demander, tout est fait exprès. C’est très bien comme filtre, on le fait soi même, comme on veut, l’air passe mieux et t’en as plein pour changer.
Qu’on soit d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique, quand on casse sa pipe, c’est pas bon.
«Never give your pipe, Lords have mercy!» Révérend Stanley no fingers prêche sur le quai...Mon pote de rock (chrétien).
A Brooklyn, Nostrand and Pacific, on trouve des stylos et des pailles de fer, 24/7. Même les pushers dorment, pas l’épicier, qui doit gérer une clientèle de psychopathes, de gangsters, la nuit, et d’enfants, filous, le jour.
Pour tout dire, même dans le pays du
crack je n’ai pas vu de terrains plus impressionnants qu’à Paris qui en compte quatre énormes. Il y a beaucoup plus de fumeurs à Brooklyn que dans tout l’hexagone multiplié par dix. 300 établissements de soin, cures. Qui ont pour nom, the last rock, rebirth...Pourquoi c’est plus visible à Paris? A NY tu risques gros si tu te fais pécho. D’où les
crack-houses.
Cab, un autre
crack-head de la bande me propose d’aller quelque part pour
pécho et fumer, les flics tournent trop.
Nous traversons les longues rues de maisonnettes fleuries, il me demande vite fait si je suis un flic, puis me briffe, ne parles pas trop, tiens toi tranquille, ils n’aiment pas les mecs
speeds et les bavards. Et surtout le «passe par moi», conseil intéressé.
Nous arrivons devant un pavillon comme les autres, il frappe en code à la fenêtre, une tête patibulaire sort et regarde avec méfiance votre serviteur, des pieds à la tête.
On nous ouvre, et nous pénétrons dans la maison, plongée dans l’obscurité. Le vendeur est à l’étage, en attendant je suis sur le seuil. Heureusement que je parle la langue car je suis bombardé de questions destinées à m’embrouiller, me griller. Je passe l’oral sans problème. You’re good…I know. Toujours avoir l’air sûr de soi, et maître de ses émotions. Impossible, mais à garder en tête, la faiblesse fait la richesse des vautours.
Crack-house USALes
crack-houses sont des maisons habitées par des consommateurs, qui, pour leur loyer et leur addiction, hébergent, en échange des dealers, parfois même des fumeurs uniquement. Le prix? Il faut payer un bon kif au proprio, il s’appelle Robert (ils s’appellent tous ainsi), c’est un grand Porto-ricain, catogan et marcel, il soulève de la fonte entre deux hits, c’est son kif.
Il faut que je paye l’intermédiaire, Cab, c’est pour ça que j’ai pu arriver là. Au moins on est à l’abri.
Le vendeur descend quand il faut, dans le noir. Je prend une chaise et on me prête un doseur.
Puis une beauté afro, en survêtement rose moulant vient se frotter à moi. Pute à
crack? Pour l’heure elle est plutôt high, elle a chaud!
Elle se colle à moi, continue langoureusement ses approches sensuelles. Et m’embrasse, par surprise, mais c’est la fumée qu’elle me crache dans la bouche. Ca se fait beaucoup ici, Melissa me le fera aussi. Je dois partir, dommage j’aurais bien approfondi cette rencontre, qui a quand même fini dans les toilettes…
En fait on peut dire que, même là où les noirs sont presque les derniers des Mohicans, envahis par les blancs,
chaque block à Brooklyn a son église, ou deux, son corner store avec son gang, et sa crack-house. Mais il est possible de ‘l’ignorer’. Ca fait partie du décor, pour un temps, encore…
Nous n’avons pas les références et codes, pour décrypter, avant de s’intégrer. Durant tout le temps, je ne serai qu’avec des noirs, avec leur accent doux et traînant, opposé à celui, nasal, insupportable, des blancs. Il m’appellent Ish, pour Ishmaël, c’est drôle ça signifie homme, en hébreu. Parfois
la musique des enceintes, sorties dans la rue,
fait trembler le quartier, et les filles tortillent du cul comme dans un clip de rap.
NYPD and me
The Police is after you!
Donc je suis accepté partout, et je continue à passer voir les autres, moins souvent.
Un soir, je suis avec toute la bande, dans le métro, puis nous décidons d’aller pécho. A quatre, on ne fait jamais ça! Chacun va chercher son truc, discrètement, et en cache une partie pour lui.
Mais mon ami est défoncé, alors que moi je n’ai pas fumé de la journée. Il s’assoit sur l’escalier, chose dangereuse qu’il ne fait jamais.
Il fait tomber son doseur. Nous sommes le long d’Atlantic Avenue, sur l’escalier qui descend du métro aérien, face aux voitures...Je ramasse sa pipe, miraculeusement intacte, prend sa main qui a des doigts, vais pour lui donner son doseur et lui dis «range ça, on va se faire arrêter!». Au moment où je prononce «par la police», Stan me dit qu’ils sont derrière moi...J’entends le petit coup de sirène introductif. J’ai encore le doseur en main, je lui tendais exactement au mauvais moment. Il m’ont vu, moi.
Un flic noir et un blanc, sortent, Stanley explique que c’est sa pipe, confirme que je n’ai fait que le ramasser. En suite tous les
crack-heads du quartier prennent ma défense. C’est un
good man, un mec bien, il nous amène à manger (je suis cuisinier), etc. Phase étonnante.
Mais mon ami, que je n’ai jamais vu ainsi, va me griller, il dit que nous avons fumé ensemble auparavant, alors que je viens de dire «pas ensemble» pour ne pas le griller. Mais lui est dans l’euphorie et déballe tout.
J’ai vite les bracelets, alors qu’une minute plus tôt ils allaient me laisser partir. Merci Stanley... Le flic noir est coriace. C’est rien, deux ou trois heures au poste. Pour l’instant.
Heureusement, je n’ai rien sur moi. La scène est quasi-comique, une bande de défoncés noirs, Stanley a même un stamp sur lui, un timbre, un 10s, même pas fouillés et un blanc, clair, qui n’a rien fait et qui part dans la voiture de la police. L’autoradio crache du hip hop, je leur dis yo du rap dans le police-car, bravo, et il coupent le son.
On me refouille, et je pars en cellule, il disent
prison.
Il y a déjà deux gosses de 18 ans. L’un demande à passer un coup de fil, à sa girl. Puis il demande à téléphoner à son autre girl!
I didn’t do nothing, il dit cette phrase au moins 40 fois, rien d’autre. Son pote se fout de lui.
Ce qui me fait rire, c’est qu’il fait une grossière faute d’anglais. Il veut dire qu’il n’a rien fait,
I didn’t do anything, mais ajoute une négation et dit «je n’ai pas rien fait».
Très bien, comme ça nous sommes deux!
Je n’imagine pas une seconde que cette histoire puisse aller plus loin que le fichage (dix photos).
On me libère rapidement, ce qui met en rage mes collègues de misère, qui m’ont fait la morale après avoir vu mes bras. Ils pourraient être mes fils.
En partant le flic me tend un papier. Avant il m’a dit que je n’avais pas eu de chance!
Il dit que je dois me présenter au
court, tribunal! Si je n’y vais pas je serai considéré comme fugitif, et mis en prison, si je suis contrôlé. Le motif?
Je n’ai rien fait!C’est écrit sur le papier, à côté de la convocation :
Suspicion de possession immatérielle de crack-cocaïne. Incroyable, possession immatérielle, et suspicion seulement, c’est virtuel!
Qu’est-ce qu’une possession immatérielle? Ils sont fous ces Américains.
En fait, il y a des
lois spéciales pour le crack, qui ne s’appliquent même pas aux bourgeois qui basent ou sniffent. Pourquoi? Le
crack touche les «classes dangereuses», et les noirs deviennent de dangereux violeurs de blanches et des criminels compulsifs…
Criminalisation du
crack qui est discriminatoire et permet de mettre la lie des rues en prison pour...rien.
Après ma libération, je ne retourne pas au coin de rue tout de suite.
Trois jours plus tard, je passe voir Stanley, qui se confond en excuses, me prend dans ses bras de géant.
You’re my nigga. Mon négro, en fait ils se le disent entre noirs, mais quand ils le disent à un blanc, ça veut dire t’es mon pote. On dit bro’ à tout le monde, nigga je ne peux pas lui dire, lui si! Personne ne m’a dit withey ou blanche neige.
Mon nigga me dit que
la Police me cherche partout, qu’ils sont venu interroger tous les mecs qui traînent dans le coin. Ils demandent s’ils ont vu le gars avec les bras troués…
Mais raté, ils ne m’ont pas trouvé, pour l’instant.
J’ai décidé de retourner pécho dans mon quartier, elle est bien meilleure qu’à Van Siclen (east NY).
Punaise, ils ont raison! Alors que je fume mon spliff en marchant, de vieux papis assis me disent de faire attention
la police est derrière moi. Encore! Je continue comme si de rien n’était, et ils passent leur chemin quand je jette le
joint.
Mais la
weed, ils s’en foutent. Il cherche la récidive de possession de
crack. Il y a deux autres véhicules de patrouille, avec dans chacun, un des deux officers qui me connaissent. C’est sûr il me font la chasse. Je vois les voitures à chaque bout, et le plan au milieu. Ils m’en veulent vraiment. Pourquoi?
Comment faire? Je passe devant la première voiture, le noir bad-cop est dedans, puis je fais l’échange mais dans l’épicerie, où je prend un doseur, et une cannette. La boisson avec la paille me servirait à avaler plus facilement les
deux stamps que j’ai mis dans ma bouche.Je marche donc sur Pacific, en allant droit sur le trottoir, passant devant les flics.
Deux
squads (4 policiers) rien que pour moi pendant 4 jours, je ne comprends toujours pas. J’y vais au culot, et j’ai eu l’esprit de garder dix dollars sur moi.
Les keufs sortent de leur caisse, et c’est parti pour les questions et
la fouille en pleine rue.
Je leur dis, avec calme et dans les yeux, que je venais acheter de la
weed et qu’il n’y en a pas.
"Je me fiche de la weed", dit
track-crack-black-bad-cop, ce que je veux c’est ta pipe et tes cailloux. Je n’ai rien j’ai arrêté, depuis que vous m’avez arrêté!
En réalité,
je me fait palper, alors que
ma pipe se trouve entre ma ceinture et mon nombril. On fouille la ceinture, les côté et le haut de thorax, rarement le bas ventre, mais surtout c’est miraculeux que le doseur ne tombe pas, tenu uniquement par le caleçon porté haut. Il ne passe pas loin, quand même.
Là je sais que la situation est critique, mais que plus je penserai cela, plus elle le sera.
Rien que s’il touche ma pipe je suis mal, et mon rock, c’est Rikers Island direct.
Je me dis, tant qu’il n’a pas la pipe ça va, et je n’avale les stamps que quand je suis menotté.
Les gars me croient! Quelle chance, je suis heureux de ne pas avoir avalé ma
came!
Je vais kiffer alors que je devrais être en prison, en Amérique…
Je retournerai voir la bande de Lala, et faire des crédits. En quelques semaines je suis devenu un habitué, pour le NYPD (New York Pricks and Dicks), les dealers et les camés.
J’ai presque vécu comme un crack-head de Brooklyn, pendant un mois. C’est une ville complètement fliquée, plus un mètre carré non surveillé. Impossible de trouver un endroit discret, ou juste un terrain vague comme les anciens needle parks de Brooklyn Bridge.
Si je retourne un jour là-bas, c’est la police qui s’occupera de moi, et j’aurai droit à un bon séjour en prison, pour non présentation au tribunal, puis pour...suspicion de possession immatérielle de
crack!
Quand on sort de Brooklyn sur l’autoroute il y a un panneau :
You’re leaving Brooklyn, fuhgedaboutit!
Expression typique de Brooklyn qu’on retrouve dans les films de Scorsese, forget about it. Ca veut dire beaucoup de chose différentes, voir la scène magistrale de Pacino dans Donnie Brasco, mais le sens initial c’est
«vous quittez Brooklyn, oubliez ça».