Pour la Saint Valentin, avec ma meilleure amie et d'autres potes de notre petite bande, nous avons décidé de faire un repas amélioré pour célébrer cette fête du calendrier entre amis et ne pas laisser seuls les quelques célibataires du groupe. Evidemment, en rechute d'anorexie mais encore dans le déni à ce moment-là, plus de deux semaines avant, j'appréhendais ce repas. Je psychotais, je l'anticipais, je cherchais un moyen d'y survivre : tantôt pensant le surmonter, puis tantôt cherchant comment le fuir. Finalement, j'ai pris le taureau par les cornes et je suis venue. Enfin, je suis venue, mais l'appréhension du repas et surtout La Bête, (surnom que ma psychologue m'a fait trouver à la voix de l'anorexie, ce "sur-moi" intérieur qui me persécute) et ses idées saugrenues ont frappé.
Nous avions convenu au préalable : pas de substances psychoactives chimiques ou de pas de grosse race à l'alcool. Quelques bières et un bon repas concocté avec amour. Je me chargeais de l'entrée et un ami du groupe se chargeait du plat. Nous avions convenu les choses ainsi. Ceci était sans compter sur la part d'imprévu de nos soirées, sinon cette soirée n'aurait même pas eu l'occasion de finir postée sur ce doux forum. Donc, surprise, il y a eu un imprévu dans cette organisation.
Deux de mes acolytes que nous nommerons Paulette et Paulito se sont mis en tête de faire des space cookies en dessert. Les autres amis présents sur la petite soirée n'en prendront pas car ils travaillent le lendemain. Paulette et Paulito, eux, sont bien décidés à triper toute la nuit dans la maison. Mon cerveau détraqué, ni une ni deux a eu peur de cet imprévu. Alors que j'avais commencé à me faire à l'idée du repas et avais anticipé son petit schéma, l'imprévu m'a effrayée : comme si j'étais une petite locomotive avançant tout droit sur une voie ferrée avec des rails bien rodés, mais voici qu'un levier venait d'être enclenché m'aiguillant vers une route incertaine et sinueuse que je n'avais pu anticiper. Le mélange de mes pensées intrusives et phobies alimentaires ainsi que mon envie de défonce et d'accompagner mes amis dans un nouveau trip s'entrechoquaient.
Revenons-en à la soirée. J'ai commencé par m'autoriser une bière. Puis une deuxième et une troisième même. Mon cerveau compte tout, quantifie tout. Mon cerveau en pleine panique à l'arrivée du repas, pensant aux cookies de l'espace imprévus dans l'équation a fait sa crise d'angoisse. Je rigolais avec les autres un peu enivrée par l'alcool, mais j'ai fui le repas, ce qui n'était clairement pas rationnel. Je me suis isolée dans un coin pendant qu'ils mangeaient, tous au courant de mes difficultés alimentaires de ces temps ci, personne n'a relevé, ils sont simplement venus me voir de temps en temps si ça allait et enfin : Paulette est venue me chercher pour LE dessert. Alors que nos autres amis sages et honnêtes travailleurs parlaient d'aller se coucher, ma chère Paulette sort la poche de cookies aux herbes odorantes. Prise de panique, j'ai hésité jusqu'au dernier moment, mais j'ai fini par accepter. Chaque bouchée fut un calvaire, La Bête grondait. Elle ne voyait pas là un simple gâteau aux vertus psychoactives mais des calories superflues (bon soyons honnêtes et rationnels : les calories ne sont pas superflues, elles sont de l'énergie pour faire fonctionner le corps et il faut savoir se faire plaisir aussi).
Nouvelle panique. J'ai commis là l'irréparable : j'ai gobé non pas un, non pas deux, mais directement trois laxatifs. Un cachet au dessus de la dose recommandée. Personne ne l'a vu, j'avais réussi mon coup, enfin, j'avais réussi mon coup pour m'autodétruire. Je ne sais pas si on peut réellement parler de réussite dans ce cas, mais le mal était fait. Pour un peu de culpabilité de quelques bières et d'un cookie j'avais gobé des laxatifs et au-delà de la dose conseillée. Je ne sais pas ce qui est le plus bête dans l'histoire. Aurait-il mieux valu que je reste seule chez moi ? Aurait-il mieux valu que je ne mange qu'un peu de soupe et une seule bière sans gober de laxatifs ? Je n'en sais rien : le mal est fait, les dés sont joués. J'ai clairement chié dans la colle (sans mauvais jeu de mot).
Ils sortaient d'où ces laxatifs, tiens ? Je n'en prends plus aucun à l'heure actuelle, mais dans le début de ma rechute, j'en avais toujours sur moi au cas où prise de panique je ressentirais le besoin de me purger, me nettoyer de l'intérieur (sordide pathologie vous me direz). J'ai beau savoir (et je le réécris ici pour me le rappeler ou si ça peut servir à quiconque) que les laxatifs ne font pas perdre de poids, que je n'ai pas besoin de perdre du poids, tout au mieux les laxatifs font perdre en vitamines et minéraux et envoient tout droit sur le trône et peuvent même dérégler le système digestif et le corps utilisés de façon abusive et à mauvais escient, mais c'était La Bête, cette persécutrice. Je ne sais pas comment l'exprimer autrement : je savais que c'était une idée de merde, mais c'est comme si ça me rassurait d'au moins les avoir sur moi à cette période. Une des pires conneries de ma vie, je sais que c'est débile et que ça n'allait pas compenser quoi que ce soit, je le répète, bref. Vous comme moi, nous le savons, le fait d'avoir ces laxatifs sur moi : j'allais très sûrement en prendre à un moment ou à un autre (addictologie, tout ça, les Troubles du Comportement Alimentaire sont pas classés comme addiction pour rien).
Après une bonne heure, nous montons dans les cieux des effets des cookies. Ma vision se trouble, je rigole pour rien, les effets habituels. On rit d'un peu tout et rien, on bavarde et nous finissons par parler un peu plus sérieux : Paulette et Paulito qui s'inquiètent de mon état. Paulette qui me connaît comme si elle m'avait faite m'a dit qu'elle voyait que je rechutais, même si ce n'était que le début et qu'elle s'inquiétait pour moi, car elle m'aime et tient à moi, tout simplement. Elle m'a rappelé que j'ai été là lorsqu'elle avait des problèmes d'addiction avec les ecsta et qu'elle serait là aussi pour mon anorexie. Ses paroles m'ont profondément touchée. Je suis encore dans le déni et j'en rigole un peu tentant de dédramatiser la situation, avant de me lever et de manquer de chuter puis de voir mon reflet dans la miroir. Et là j'ai vrillé.
Lié au manque de nutriments dans mon corps je pense et au fort dosage du cookie, j'ai viré à la crise paranoïaque à cet instant, un bon gros bad trip (mais de courte durée). J'aurai dû m'en douter et l'anticiper très honnêtement : dépression, troubles du comportement alimentaire, peur intense à ce moment là d'ingérer certains aliments tels que des cookies, dysmorphophobie...bref rien de bon.
Je ne me souviens pas de ce que j'ai dit, c'est ma meilleure amie qui m'a rapporté ces paroles quelques jours plus tard. J'ai commencé à m'agiter et me mettre à crier et pleurer, dire à tout va que j'étais énorme dans le miroir, que je devais perdre du poids, que le cookie allait me faire enfler sans fin, enfin bref, que des inepties de La Bête, encore. Evidemment, gros n'est pas un gros mot, évidemment, c'est ok d'être gros ou en surpoids et de le rester pour éviter un yoyo ou de détériorer sa relation avec la nourriture, comme mince ou autre, tant qu'on ne se fait pas du mal, qu'on est bien dans ses baskets (et même si pas bien dans ses baskets, mais je veux dire que tous les corps sont ok en somme) je ne stygmatise pas, mais la maladie m'a fait avoir ces pensées et je me suis détestée que ces pensées aient pu aliéner mon esprit, sachez-le, car c'est contraire à mes principes. Après cela, Paulette m'a couchée sur le canapé, m'a parlé pour m'apaiser et je suis tombée d'épuisement dans les bras de Morphée, je n'ai aucun souvenirs de la suite.
Le lendemain matin je ne saurais expliquer mais je me sentais shootée aux endorphines que me procure le manque de nutriments. Pas super, même carrément un signal du corps sensé m'alerter, soyons honnêtes, mais encore un peu dans le déni et défoncée à la redé de space cookie malgré tout, j'ai essayé de bouger mon corps du canapé, sans succès, comme si j'étais vidée de toute énergie et mes membres ne répondaient pas niveau motricité. Je me sentais légère, un peu à l'ouest tout de même, mais comme sur un nuage ou sur du coton, ça m'a rappelé mon réveil en salle d'opération shootée à la morphine, mais mon corps ne suivait pas (et c'était DANGEREUX avec du recul, je n'aurais pas dû me lever).
Me souvenant que j'avais pris des laxatifs la veille, voulant éviter la catastrophe, je me suis dit qu'il fallait que je parte au plus vite. Nos autres amis déjà partis au travail, mais Paulette ainsi que Paulito dormant à poings fermés, je laisse un mot et je pars sur un coup de tête inconscient. A peine se referme le portail électrique derrière moi que je vois ma vision se troubler virant au blanc et mes jambes me lâcher quasi instantanément. « Mais pourtant j'ai mangé de la bière et du cookie hier ! » je songe, en même temps que je réalise que ce n'était pas sensé être le repas d'une personne normalement constituée ce que je viens de me dire. Un peu de lucidité dans ce monde de fous. Je sens mon ventre qui gronde, mes intestins tous remués : je ressens à cet instant les laxatifs de la veille ne vont pas tarder à faire effet et là : je regrette tout. Pourquoi j'ai fait ça ? Pourquoi je me détruis ? Je suis toute seule dans la rue, enfermée dehors, il est neuf heures du matin, je vais probablement me chier dessus littéralement et à quoi bon surtout ? Avec le peu que j'avais dans le bide, super, et surtout je le sais au fond de moi que des laxatifs ne font pas perdre du poids (et que je n'ai pas besoin de perdre du poids de toute façon), mais me vider juste de flotte, de minéraux et du peu d'énergie que j'ai. Et puis le cannabis et les space cake ont déjà un effet laxatif, pourquoi j'ai fait ça ? Je me met à pleurer, au milieu du chemin, assise au bord du trottoir, espérant qu'il ne m'arrivera pas de bricole et que je vais rentrer chez moi saine et sauve. Peu à peu, je reprends mes esprits. Je me suis demandé un moment si c'était « juste » une crise blanche due à une forte dose de THC dans les cookies de la veille, une hypoglycémie, ou bien les deux. Sûrement les deux. Les laxatifs et mon manque de nutriments ne devaient pas y être pour rien en tout cas. Le trajet habituel de vingt minutes a pris près d'une heure avec de nombreuses pauses que je devais faire m'asseyant au bord du trottoir dès que ma vision se troublait. Je ne sais pas vraiment comment je suis rentrée chez moi, j'étais dans un état lamentable, mais je suis rentrée. Je regrettais amèrement d'être partie seule me sentant pousser des ailes, alors que tout le monde dormait, sur un déclic totalement à l'ouest et sans tenir sur mes jambes. C'était totalement inconscient. Mais j'ai finalement réussi à rentrer chez moi. J'ai évidemment couru m'assoir sur les toilettes, pliée en quatre et pleurant de douleur. Je sentais des choses en mon ventre que jamais je n'avais senti. C'est là que je me suis rendue compte de la situation que j'ai commencé à sortir du déni. Oui j'ai rechuté, car non ce n'est pas un comportement normal ni lucide ce que j'ai fait.
Commençant à réaliser la situation et dans quel sale état je m'étais mise. Je me suis forcée à manger un peu, malgré la tension terrible dans ma tête entre la part de moi qui fuit la cuisine comme la peste et celle qui s'accroche à la vie. J'ai mangé lentement en sanglotant, culpabilisant un peu, mais de ma voix intérieure me rassurant : « Ca va aller, tu te nourris juste, tu te laisses vivre. Courage, ça va aller. ». Je me suis recroquevillée sous mes draps, j'ai envoyé un long message à Paulette décrivant ce qu'il m'était arrivé et lui présentant mes excuses, je me suis mis de la musique douce sur mon enceinte et me suis endormie : j'ai passé la journée au lit à laisser mon pauvre corps récupérer.
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Bilan : space cake et pas bon mood ne font pas bon ménage. Bon certes, c'était un peu prévisible. Je suis la première à le dire aux autres, mais je l'ai vite oublié quand il s'agissait de moi. Je n'ai jamais fait de bad trip à proprement parler par le passé alors j'avais un peu trop la « confiance », mais bon, le mal est fait et au final, j'ai appris de cette expérience, on en tire le positif.
PS : si cela peut rassurer ou donner espoir à des personnes souffrant d'anorexie, je suis actuellement suivie et sous AD et anxio, ils m'aident à me poser et être plus douce, plus bienveillante envers moi-même, faire faiblir la voix de La Bête, voire même parfois la faire taire, donc sortir du déni et réussir à avancer, faire des petits pas vers la guérison/rémission.
Catégorie : Trip Report - 27 mars 2024 à 15:09
#bad trip #space cake #trip report
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aidee a écrit
dysmorphophobie...
Aujourd'hui j'ai appris qu'on dit pas "dysmorphie" mais "dysmorphophobie" -- du coup je me rends compte que ça fait des années que je dis le mauvais mot letsgo
Bon courage pour la suite
Dans mon précédant épisode d'anorexie il y a 5 ans, je bannissais l'alcool, mais dans celui ci je le "tolère" un peu plus, je vois ce que tu veux dire. Je culpabilise toujours pour la même raison que tu décris, l'idée qu'on a en tête de "calories vides", mais j'essaye de juste ne pas trop y penser haha et de me dire que c'est festif, je buvais plutôt pour des raisons psychoactives récemment. Bon, là la question ne se pose plus je suis traitée aux anxiolytiques et antidépresseurs alors pas d'alcool. Cependant il y a autant de formes différentes que de personnes atteintes du trouble alors c'est toujours drôle de voir que des blocages peuvent être des choses qui ne bloquent pas pour d'autres.
Dysmorphie existe aussi il me semble mais la dysmorphophobie c'est le mot que j'ai le plus entendu dans les troubles du comportement alimentaire et quand ça devient au point où c'est une phobie/angoisse de voir son reflet dans le miroir par exemple.
Douce journée à toi j'espère que ça va mieux pour toi sur ce plan en tout cas