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Trace sur le pavé 



Je me souviens particulièrement d'un après midi. Comme un rêve qu'on refait souvent.
Je m'en souviens comme l'un des derniers moment de bonheur partagé à deux. C'était un après midi de printemps ensoleillé, quand le soleil commence à pointer le bout de son nez.
Le pochon d'héro était vide. On avait tapé notre dernière trace vers midi, avant de se mettre en mission pour pécho dehors.

On avait pour plan d'aller chercher de la came dans un de ces fours miteux. Elle n'était pas à l'aise avec l'idée : "Il y a des flics partout, t'as vu la gueule qu'on a. On va s'faire choper" guettant les camions de police du haut de la station de métro.
Il y avait un four à la sortie juste en face de la station. Un supermarché de la poudre en plein air, où les toxico' attendent, parqués derrière un camion.
Trop dangereux. On est parti de l'autre côté, quelques rues plus loin, dans un quartier moins exposé. Il nous a pas fallu cinq minutes pour tomber sur des mecs qui squattaient un carrefour. On a patienté dans le renfoncement d'un parking souterrain. Un gosse est venu nous apporter la came.

Sur le chemin alors qu'on venait tout juste de pécho j'étais tout excité.  Mon coeur battait la chamade, ma respiration s'accélérait. Je ne tenais plus en place, j'étais agité comme un hyperactif. Mon impatience frôlait des sommets.
Mes pensées revenaient de manière obsessionnel sur le produit. La vision d'une trace de came surgissait sans cesse dans mon esprit et allumait la flamme de l'envie. Comme un bruit qui raisonne au loin et qui se fait plus bruyant à chaque seconde.
J'étais en plein craving. Cette envie brut et irrépressible, presque irrationnelle, du produit. Le craving transforme tout drogué en autre homme. Il acère nos sens, brouille nos pensées, décuple nos ressentis et rend toute attente insoutenable.
Ma copine était tout autre. Elle temporisait, freinait mon impatience. Préférant attendre de trouver un endroit discret à l'abris des regards. Elle était le second poids de la balance. Celui qui, penchant de l'autre côté, restituait l'équilibre et gardait notre binôme stable. Elle était le Yin qui complétait le Yang, nous empêchant de partir en cacahuète.

On a marché pendant un quart d'heure. Un quart d'heure qui semblait une éternité. Les rues se ressemblaient toutes, et j'avais toujours cette foutue trace en tête quand quand on tomba sur les marches en pierre d'une Église.


Un parvis calé dans un petit renfoncement.
On s'assit sur les marches, dos tournés au trottoir de manière à cacher notre petite affaire.
Elle sorti son téléphone, ouvra la boulette et en sorti un caillou de came qu'elle posa sur la coque de son téléphone. Puis dégaina deux cartes avant d'écraser la caillasse brune de manière frénétique sur la  coque du téléphone.
Elle roula ensuite une paille en l'espace d'un éclair, porta le téléphone à sa hauteur et sniffa bruyamment sa ligne d'une traite.
Elle retourna la paille et me tendit l'autre extrémité. Son coté de la paille était d'une sordide couleur : un mélange de came brunâtre et de sang.
"Dépêche, prend là vite!"
Je sniffe la trace sous l'effet de l'adrénaline.
La douleur est immédiate. Des cailloux de came mal écrasés m'arrachent les sinus. Juste ensuite vient la chaleur, le calme, l'euphorie. Elle anesthésie immédiatement la douleur.
On s'est on a remballé les affaires en trombe avant de déguerpir. Le frisson du risque de le faire sur le pavé à quand même quelque chose d'excitant. Comme de baiser en extérieur.


Descendus dans le centre ville, la chaleur et les lumières d'une Fnac nous attira à l'intérieur.
Un vigile en costard était planté derrière les portiques. Droit comme un I, la cravate serrée et le regard sévère. Il nous jaugé avec le regard présomptueux des agents de sécurité.
Nos pupilles en tête d'épingle et nos sourire naïfs trahissaient notre défonce. La came était complètement montée.

Notre première vision fût une rangée d'aspirateurs Dyson de toutes les couleurs qui trônait sur une étagère. Nos regards parcourait les allés. Il n'y a jamais eu autant de cafetières, autant de couleurs, autant de modèles. Nos regards dévoraient les rayons.
On partit dans un trip. Phasant devant des machines à café et des robots cuisine. En extase totale devant un aspirateur autonome. La scène était dénué de sens, la came a ses raisons que la raison ignore.
On planait total, l'esprit léger, comme deux gosses dans un magasin de jouets. L'héro à se fabuleux pouvoir de transformer un adulte en enfant naïf.
"On prendras celle là dans notre appartement" pointant du doigt une Senseo deux étages.
On tirait des plans sur la comète. Le futur semblait à la fois si proche et si serein. Demain était rayonnant et limpide comme de l'eau de roche.


Pour la première fois depuis tant de mois j'eu la complète sensation de partager un vrai moment en couple.
Elle qui n'avait jamais assumée notre idylle, qui n'eut de cesse de cacher notre relation. C'était une règle qu'elle avait imposée depuis le début : personne ne doit savoir.
C'est vrai que notre histoire était particulière, une dealeuse de vingt-cinq ans qui tombe amoureux de son client de dix-neuf ans c'est pas commun
N'assument pas notre différence d'âge. craignant la réaction, le regard, le jugement de ses proches sur notre couple. Elle avait jugé que gardait cela secret nous protégerait.

Au début cette contrainte ne m'avait pas tellement gêné. C'était même plutôt marrant, de jouer le coloc' gay sans que personne ne se doute de rien. Les regards complice, les allusions ambiguës, les baisés volés. Jouer les amoureux secrets participait à un jeu charnel plutôt plaisant.
Mais à la longue cette petite comédie s'est transformé en relation toxique.
En sa qualité de manipulatrice hors pair il lui arrivait de passer la soirée à totalement m'ignorer, quand je demandais des comptes le lendemain elle me disait que j'me faisais des films. Ce double jeu lui permettait de m'ignorer ou de flirter devant moi en extérieur sans que je puisse dire quoique ce soit. Quand on se retrouvait à deux elle me retournait le cerveau, comme elle le fait si bien, sortant le jeu de la copine maladroite mais éperdument amoureuse et qui ne sait pas comment gérer son couple. Et à chaque fois je passais outre, car nos moments ensemble étaient si puissant, de la passion pure.
On formait un parfait petit couple affectueux dans l'intimité du huit clos, qui disparaissait totalement passé le pas de la porte.
Les sentiments, eux, restaient.

   Cette après midi là je savais déjà intimement que notre couple était sur sa fin. Ce qui ne m'a pas empêché de profiter de ce dernier instant. Je n'ai jamais retrouvé le bonheur de ce moment depuis. Je le visite parfois dans mon esprit, évitant juste le faire un mouchoir à la main.

Catégorie : Tranche de vie - 10 janvier 2020 à  22:37

Reputation de ce commentaire
 
j'aime ! et ça me renvoie à des trucs vécus...Cependant
 
merci Hyrda
 
superbe a lire



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