[TR] D'une simple quête en forêt

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Bonjour et bienvenue.



C’est après de nombreuses lectures des plus intéressantes sur ce forum et wiki que je décide moi aussi d’ajouter une pierre, ou plutôt un carton, à l’édifice de cette initiative qui permet de mieux comprendre les intérêts, aussi bons que néfastes, dans l’usage de substances psychoactives.



Une belle image pour interpréter une aventure.


Saul Steinberg, A to B, The Labyrinth, 1960.



SET



Cet événement se déroule en décembre 2020, dans une zone montagneuse de la région du Puy-de-Dôme, en plein dans le mille de l’espace temps du second confinement dû à la pandémie de Covid19. C’est une belle bâtisse où nous nous sommes confinés, entre amis, durant approximativement un mois. Un long dimanche d’un mois.

Une fin d’après-midi d’un vendredi propose une agréable fraîcheur survenant après deux jours d’épisodes orageux qui ont bien abîmé les alentours. Un ami, A, très proche, nous propose de partir en excursion dans la forêt environnante. L’objectif : trouver un lieu propice à l’installation d’une caméra à vision nocturne pour capturer des images de sangliers. Pourquoi ? Pourquoi pas. Un sac rempli de pommes pourries fera office d’appât. Nous sommes cinq à partir, deux autres personnes restent à la maison. A, au moment de partir, balance :

- « Hé ! j’ai du LSD dans le frigo, y’a moyen de composer un truc non ? »
- « Ouais... Heu... Haaa oui. Superbe ! »



PRISE



La marchandise provenant de source sûre est de bonne facture, se situant à environ 250µ par buvard. Nous sommes trois, moi, A et E, à prendre environ 125µ et deux autres, L et K, 70µ. Nous sommes tous à jeun. J’ai fait une séance de cardio / renforcement musculaire deux heures plus tôt, me mettant dans une forme et lucidité optimale. 1m88 pour 85 kilos. Je n’étais encore que peu expérimenté dans l’usage des psychédéliques à cette époque, c’était mon troisième trip. A, plus expérimenté, était comme mon « druide », initiateur et sérieux accompagnateur.

---



Le décor.



L’endroit souhaité se trouvait à environ 30 minutes de marche. Des chemins tortueux dans une vallée, rendus difficilement praticables à cause d’arbres imposants tombés au sol durant le précédent orage. E filme l’excursion avec une caméra équipée d’un stabilisateur pour documenter la quête. File indienne, randonneurs alambiqués errant à travers arbres en bonne santé, autres défoncés et ruines de je ne sais quoi qui longent le chemin. Un ruisseau s’écoule au centre et accompagne les courbes de la vallée. La fraîcheur de l’hiver se fait bien ressentir et notre face terrestre commence rapidement à fuir le soleil. Après un bon moment de marche, nous nous arrêtons à une grande ruine de pierre qui devait être le vestige d’un moulin. Il fallait escalader une pente assez difficilement pour arriver à son niveau, et à un plateau, sorte d’éperon barré où il y avait une vue dégagée sur une petite partie de la vallée. C’est à ce moment-là que les effets commencent à se faire ressentir. Vous savez, cette impression étrange qu’il y a un changement. Ce « truc » impalpable qui est là sans être là, bien avant que les effets visuels ne commencent. Le liquide encéphalique qui rentre en ébullition, et les œufs durs, les cartons, qui peuvent péter à tout moment. Nous regardons la vue. Je me pose sur les premières branches d’un petit arbre à un mètre cinquante du sol et me concentre sur les textures qui sont à ma portée. C’est simple, complexe, beau, à en être épris de joie. Devant moi, il y a une feuille d’un vert très clair qui pend, je l’attrape légèrement sans l’arracher. C’est là qu’elle semble se métamorphoser en une chose qui ressemble à une rainette, qui bondit, change de topologie, rebondit, gluante, parcoure mon bras droit, et finit par s’évaporer.

La machine est lancée.



L’idée d’être en plein milieu d’une forêt lors d’une montée d’acide devient tout de même bien stressante, d’autant plus que la nuit arrive dangereusement. Je propose à mes potes de ne pas trop traîner. Une heure s'est donc écoulée après la prise et j’entame la descente de la pente. Cependant il était déjà très compliqué de savoir si je montais ou descendais. Annulation des lois de la physique. Proprioception grillée. Nous nous décidions alors à trouver un lieu ou placer la caméra. Eux ne ressentent pas encore les effets. J’ai besoin de m’asseoir. La nuit est tombée et notre champ de vision ne s’étend plus qu’à quelques mètres. Il est très dur d’interpréter les distances. Les derniers arbres que je peux apercevoir s’emmêlent jusqu’à former un grand mur de briques rouges. Très mauvais sentiments, l’humidité se fait pesante, il faut partir. Leur entreprise, qui n’est plus mienne depuis 15 minutes, est presque accomplie. Moi j’observe le sol feuillu qui devient une immondice grouillante, une purée de vers, de mille-pattes, de larves de cétoines juteuses. Ceux-ci commencent à gravir mes jambes, je décide de prendre la fuite. Quelle est la meilleure solution pour fuir une légion de rampants ? J’ai opté pour la transformation en véhicule, en imaginant un truc qui roule bien, une 205. Jamais je n’ai vu un ver de terre tenir plus de sept secondes sur une carrosserie qui fonce à vive allure. Transformé en machine de vitesse, ma nouvelle dynamique me fait quitter le sentiment désagréable d’emprisonnement et de suffocation. L prend fuite avec moi, pensant sans doute que courir était un bon moyen de se divertir. Et c’était une très bonne initiative. Ce qui ressemblait au départ d’un cauchemar se changea en jouissance incommensurable. Les brindilles qui longeaient mon chemin frappaient mon visage et faisaient imploser les gouttes d’eau nouvellement formées par l’humidité présente. Mélange d’un sentiment de vitesse pris dans un ralenti blockbusteresque. J'éclaire ma route à la lumière d’un portable, et il m’était impossible de savoir de quel côté cette lumière divine provenait. Nous étions motivés à bouffer la route. J’ai à un moment fait une marche arrière, croisant le chemin de E, sourire psychopathique, caméra en main, comme si nous étions ces Américains qui détruisent des souches d’arbres aux explosifs sur RMC Découverte.

CLIMAX



1h30 après la prise, c’est la sortie de la forêt. Retour au logis en passant par le petit hameau ou des décorations de Noël étaient installées en nombre. Et c’est sur le chemin menant à celui-ci que … grande baffe dans la gueule. Ma vision n’est plus qu’un étirement centrifugé, spaghettifié, verticalement et horizontalement, les couleurs des décorations prises dans un torrent meurtrier. Je marche en zigzag, à chaque pas mes jambes s’élancent dans ce décor comme si elles giclaient à plus de 15 mètres. Les quelques centaines de mètres qui restent à faire sont compliqués. C’est se dire si à dix minutes près, il aurait été possible de sortir vivant de cette “jungle”.

Oui, le mot spaghettification existe vraisemblablement.


Astronaut falling into a black hole (schematic illustration of the spaghettification effect), Laura A. Whitlock, Kara C. Granger, Jane D. Mahon - The Anatomy of Black Holes An Information & Activity Booklet Grades 9-12, 1998-1999, Updated 2001 (produced for NASA's Imagine the Universe! website).



Nous arrivons. Les deux personnes restées sont surprises de voir une équipe de cinq ravagés rentrant brutalement en gueulant des choses incompréhensibles. Premier reflex, enlever les plusieurs couches épaisses de vêtements pour éviter une contamination de l’espace domestique avec toutes les choses terrifiantes rencontrées en milieu hostile. Des coulées de sueur dignes d’une cascade. Je me lance sur le canapé, et... deuxième uppercut dans la gueule. Ma vision est comme celle d’un fps ou l’on a modifié le fov à plus de 400, me faisant voir mes deux épaules comme des collines de plusieurs kilomètres. D’un coup, ma conscience se retrouve expulsée de ma tête et je m’observe à la troisième personne. C’est le climax du trip. C’est d’ailleurs l’une des seules fois que j’ai pu observer un tel effet, les autres fois étant avec des dissociatifs, et d’une manière bien différente. À noter que sur plus d’une vingtaine de trips à l’acide, j’ai eu tendance à consommer de l’alcool, ce qui atténue à mon goût grandement les effets hallucinogènes. Ce trip là est l’un, si ce n’est le plus puissant que j’ai eu à vivre, et j’ai pourtant expérimenté des dosages plus importants. Mes amis ont, eux, eu une expérience plutôt « normale ».

Vitesse.



---



Le temps s’écoule, les cycles et boucles temporelles se perpétuent… je ne vous fais pas de dessin. Avec A nous essayons de nous rendre sur le PC fixe installé dans le même salon pour y mettre de la musique, impossible de comprendre une foutue chose à cette machine. Avions-nous laissé notre âme d’êtres technologiques à cette forêt ? Nous nous regardions tous en souriant dans un blanc pas vide d’intérêt comme si nous étions à nouveau des nourrissons incapables d’une communication cohérente. Prononcer un mot est déjà si complexe. Des visages qui voltigent, des nez, yeux, bouches, oreilles qui s’allongent, déformations inhumaines. Il est très dur de faire la distinction entre des images fixes et des vidéos tellement tout est mouvant.

Portrait de A.


A



E est toujours en train de filmer d’une manière professionnelle, c’est très stressant de se sentir observé de la sorte, mais c’est « pour la science ».
En parlant de science, je ne sais comment, nous en venions à [essayer de] parler de physique quantique. E me prend à dépourvu en me demandant d’expliquer cette diablerie. Je lui rétorque que je vais essayer de la démontrer. Me voilà lancé sur une performance artistique d’une heure et demie. Une table basse était recouverte de feuilles A3 immaculées. L et K avaient préparé en début d’après-midi une mixture à base de chou rouge pour pouvoir peindre avec. Fait intéressant, le violet une fois appliqué se change en un beau bleu. Nous sommes tous appliqués à ce qui semblerait plus être une abstraction globale qu’une démonstration appliquée d’équation quantique. Certains diraient que c’est une seule et même chose, moi, concentré, au critérium, je bosse dur. Dur, dur de faire putain de dessin quand on voit la réalité en trois plans différents, c’est comme débarquer sur Blender tout en ne bittant rien à rien du logiciel, livré à soi-même sans un tutoriel.

La science, la physique, du baratin... c est comme vous voulez...



Chose finie chose faite, il faut que je me dégourdisse, fumer une clope. Personne ne fume dans cette baraque. Nous avions une grande terrasse offrant une vue panoramique sur la ville de Clermont-Ferrand, et un transat en plastique. Je mets des écouteurs, le son Signal In The Noise de GoGo Penguin et m’allume une roulée.



C’est dégueulasse, c’est toujours immonde de fumer lorsqu’on est rempli d’acide, comme si l’on pouvait distinguer chacune des mille et une saveur des additifs toxiques ajoutés. Je regarde l’accumulation des lumières jaunes de la ville qui brillent puissamment au loin. La silhouette d’un diplodocus de 8 kilomètres de long semble y marcher. Au-dessus, les étoiles… si désordonnées. En m’y concentrant, mon cerveau génère un dôme de points bleus superposés aux étoiles à la différence qu’ils sont géométriquement parfaitement disposés. Je me suis alors dit, en grand charlatan, « la perfection est le chaos, et le chaos la perfection ». C’est inspirant. Au grand dam de n’avoir pu démontrer proprement la quantique à l’équipe, je rentre, choppe une feuille, m’appuie sur la vitre de la fenêtre, et dessine le fameux diplodocus. Ça, c’est du concret.

Mon chef-d œuvre.



ENDING



À partir de là les effets commencent à s’estomper tranquillement. Force des inspirations que ce voyage aura su me donner, je me pose et reprends les deux dessins pour les retravailler au propre sur une feuille canson, au stylo bic tout en usant d’une table lumineuse pour les superposer. Le sommeil fut bon.

Et là ça ressemble à quelque chose ? Non ? comment ça ???


"Composition", Stylo bille sur papier, 42x29.7cm, 2020.



Malheureusement, aucune image de ces fameux suidés à la clef. Mais ce voyage me donna pour l’année 2021 une idée d’installation appelée « Analogie du chaos », qui reprend un corpus d’éléments traitants de science dure et d’ésotérisme que j’ai trouvés comme réalisés. Il s’agit là purement de spéculation.

Analogie du Chaos.


Analogie du Chaos, Technique mixte, Vue d'exposition, 2021.



Voici aussi une "horizon d'événements cosmiques", inspirée des précédentes illustrations.

Horizon d événements cosmiques.


Horizon d'événements cosmiques, Critérium sur papier 50x65cm, 2021.



C’est une histoire parmi d’autres. En l’occurrence, j’ai trouvé intéressant de vous partager celle-ci, car elle permet de voir comment peuvent s’articuler processus créatif et altération de la conscience.



Si un jour j’ai l’inspiration, peut être pourrais-je vous compter comment une constipation éclaire peut transformer un trip en cauchemar ; resté bloqué, nu, pendant plusieurs heures en écoutant du Black Sabbath d’une manière ritualisé et hypnotique ; se retrouver seul dans un centre-ville et se prendre pour un riche investisseur chinois qui doit décider de ses futurs achats ; une conversation chantée avec Léo Ferré qui parle depuis le ciel ; se transformer en une bille de roulette russe de casino ; être un corps démembré dans une valise roulant sur un tapis d’aéroport face à des écrans géants montrant le futur de l’humanité jusqu’à l’éclatement de la Voie lactée...

Stay safe.

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