Ce que disent les arbres 1 - Refuge & Sanglots

Catégorie : Tranche de vie
01 novembre 2020 à  05:08

Aout 2020

Je me réfugie dans une des chambres de mon lieu de travail.
Tout le monde est en vacances, je sais que le lieu est désert et que je pourrais y être tranquille.

J'ai le coeur qui bat plus vite qu'une voiture sur l'autoroute, je tremble comme si j'avais froid, et pourtant je transpire comme si j'étais dans un sauna.
Je m'allonge sur le lit, dans cette chambre à la décoration froide qui n'est habituellement pas pour moi.
Pendant un instant, je perçois tout ce qu'ont perçu nos invités de la saison passéé.

Cet été, je ne travaille pas ici.
J'ai un autre travail, dans la même ville.
Mais là, maintenant, je n'ai pas la force d'y aller.
J'y suis allée deux heures ce matin et je me suis éclipsée sur la pause déjeuner. en disant que j'allais me reposer deux heures et que je reviendrai cet après midi.

Mais non
je n'irai pas
je le sais en arrivant dans la chambre 
Je ne suis pas en état physique.
Je ne veux pas qu'on me voit comme ça.
Je ne peux pas me présenter comme ça.
tremblante, vacillante, déboussolée

Alors, je me réfugie dans ce lieu, pour me reposer.
Car je n'ai même pas la force de prendre la voiture et conduire une demie heure pour rentrer chez moi.
Je sais que je ne suis pas en état, que ce serait dangereux.

Pourtant, la nuit dernière, je l'ai fait.
J'ai pris le volant à 2h du matin pour rentrer après une soirée avec mes collègues.
Je me foutais de tout, je n'avais plus conscience de rien.
Tout ce dont j'avais envie, c'était choper 1g.
Alors j'ai conduit, sans aucune peur, sans notion du danger. Inconsciente, irresponsable.
J'ai consulté mon téléphone, et tout à coup j'ai senti une secousse et un bruit. La voiture frottait une rambarde sur le côté droit. J'ai tourné le volant d'un coup sec, et je suis revenue sur la route. J'étais seule, sans voiture autour de moi.
Ca ne m'a pas semblé si grave.
C'est le lendemain matin seulement, après une nuit blanche, que j'ai constaté les dégats sur la voiture.
Mais je n'ai pas tout de suite réalisé que j'avais fait quelque chose de grave, que j'étais allée trop loin.
Que cette rayure, tout le long de la voiture de mon copain, c'était un détail par rapport à ce qui aurait pu m'arriver.
A ce que j'aurai pu m'arriver toute seule.
Que c'était plus que mon comportement "Borderline".
La ligne, je ne la frôlais pas cette nuit là, je l'avais bel et bien franchie.

A ce moment là , dans cette chambre, j'y pense un peu.
Mais j'essaye de repousser cette prise de conscience.
Je suis trop accaparée par mon corps, par ces souffrances physiques qui prennent toute la place.

J'envoie des messages à mes collègues à qui je fais faux bond, et je ne reçois pas de réponses.
Ca me rend folle.
Je perds complètement pieds.

Mes pensées partent dans tous les sens
et à la fois,
tout ce à quoi je pense c'est,
faire taire cette douleur
arrêter tout ça
et pour que tout cela se calme
il me semble trop douloureux d'attendre
de patienter
de me dire que cela va finir par passer

non, je veux me soulager maintenant
alors tout ce que je trouve c'est
finir le sachet
et puis
fumer clopes sur clopes
et puis
ouvrir une bouteille de rosé trouvée derrière une porte fermée à clé du bureau, une bouteille parmi toutes les autres, achetées pour ces soirées du printemps qui n'ont pas pu avoir lieu
toutes, annulées
la saison, rayée

je fume accroupie sous la fenêtre de la chambre,
j'écoute les bruits du bâtiment,
j'entends parfois des voitures, des gens qui viennent et qui parlent quelques mètres plus loin
je sursaute,
j'ai peur qu'on découvre ma présence
je me fais toute discrète, je marche sur la pointe des pieds, j'ose à peine tousser ou me moucher,
comme si on allait découvrir que je suis là,
dans quel état je suis là
et j'en ai tellement honte
que ces pensées ne font qu'amplifier plus encore les battements de mon coeur, les frissons, les sueurs

derrière les rideaux de la chambre que j'ai tiré, la lumière de l'été passe
j'entrouvre le plus doucement possible la fenêtre, pour que la fumée de mes cigarettes puisse sortir
quand tout devient calme et que je sens que personne n'est là
que je suis bien toute seule dans ce lieu
j'entrouvre les rideaux et je regarde les arbres par la fenêtre
il y en a beaucoup autour du bâtiment
et je me dis qu'ils sont beau, ces arbres
et que ce refuge
heureusement qu'il est là
heureusement que je peux écouler ma peine, à cet endroit là
trouver une place à ma solitude
souffrir librement
dans cet espace


La journée passe, finalement
si lentement, mais elle finit par passer
et peu à peu, je reprends mes esprits
le brouillard s'estompe un peu
et quand je commence à voir plus net, je regrette déjà cette torpeur sécurisante

je retrouve un peu de force et d'énergie
j'ai envie de bouger, je me lève, je descends dans la cuisine
je me ressers un verre de rosé
j'attends
mais je ne sais pas vraiment quoi
ce que je vais pouvoir faire après tout ca
finalement,
je commence à accepter
à me dire que cela va s'arreter
et que demain est un autre jour

mais malgré ça, une tristesse s'empare de moi
je pleure, je larme, je ruissèle
je commence à suffoquer
je respire à peine, j'ai la sensation d'être envahie par une tristesse plus forte que moi, par un chagrin qui ne m'appartient plus
je n'ai plus la force de retenir
je me sens désespérée, tout m'abandonne

accroupie sur le carrelage froid de la cuisine
tout s'en va
les sanglots me tordent le souffle

Il arrive alors,
mon collègue
pas celui du travail de l'été, celui de toute l'année
celle passée et celle qui viendra

on devait faire une soirée ce soir là
on a échangé quelques messages plus tot
il voulait savoir s'il pouvait venir boire un verre avec tout le monde, je lui ai dit qu'il n'y avait que moi et que j'étais dans un sale état

il me retrouve là,
blottie contre le carrelage froid
sanglotant
ca devait être un triste tableau
il me dira plus tard qu'il a cru un instant que j'étais morte en voyant mes pieds sur le sol
mais non,
je suis bien
vivante

et c'est cette vie qui me fait tout ça
cette vie que j'aime et que j'embrase plus que je ne le dois

quand tout s'en va,
j'ai toujours envie
de poursuivre le chemin

(à suivre)



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