C'est bientôt les 20 ans de l'institutionnalisation de la
RDR (2004). On s'aperçoit à Psychoactif que nous n'avons pas les mêmes pratiques ni concepts que la
RDR institutionnelle (en
CAARUD et
CSAPA) et nous nous questionnons sur la définition de
réduction des risques.
Nous vous partageons quelques constats et concepts que nous avons travaillés pour une
RDR renouvelée, psychosociale, citoyenne, qui permet au PUD (Personne Utilisatrice de Drogues) de restaurer son pouvoir d’agir, de sortir de l’aliénation due à la
stigmatisation sur les drogues et de s'émanciper dans des trajectoires de consommation hors des prophéties auto-destructrices. (comme les fameuses prophéties « accro à la première fois », « perte inévitable de contrôle si on reconsomme après un
sevrage»...)
Nous faisons le constat d'une
RdR institutionnelle qui porte en elle ses propres limites : elle se limite aux risques sanitaires et souvent aux outils pour les réduire.
Nous voulons une
réduction des risques positive qui s’intéresse autant aux risques qu’aux bénéfices liés à l’usage de drogues. Repérer et cultiver les bénéfices de l'usage, c’est sortir de l’aliénation du discours dominant sur l'abstinence, qui fait des drogues un fléau, une chose nuisible. Repérer et cultiver les bénéfices de l'usage permet à la PUD de faire des choix éclairés, de repenser son parcours et d'ouvrir les trajectoires d'usage.
Nous voulons une
RDR qui n'ait pas peur de banaliser l’usage de drogues . Non au sens laxisme moral du terme, mais qui lui rend son caractère ordinaire, qui enlève le caractère mystique/sacré de la consommation de drogues. La sacralisation des drogues réduit la PUD à son usage. Il n'est plus qu'un héroïnomane, un cracker et non plus une personne. Il faut redonner à l’usage de drogue sa juste place et rien que sa place : l'usage de drogue est un élément parmi d’autres de l’individu.
Nous faisons aussi le constat d'une
RDR institutionnelle où
le savoir expérientiel de l'usage de drogues a disparu. Nous voulons une
RDR qui apprenne à expérimenter les drogues, à les consommer et à les contrôler. C'est sûr que si le seul horizon des drogues c'est l'abstinence, le savoir expérientiel sur la consommation paraît anachronique. Mais c'est l’abstinence comme paradigme dominant qui est anachronique. Comme toute activité, la consommation de drogue s'apprend, se maîtrise petit à petit. Mais pour cela il faut une
RDR qui reconnaisse et cultive le savoir expérientiel de l'usage (pairjectivité). Ce savoir, méprisé de certains professionnels est pourtant essentiel non seulement dans l'apprentissage des effets des drogues, mais aussi dans celui du contrôle de sa consommation (par exemple gérer les méthodes d’approvisionnement)! Ce savoir expérientiel, combiné à l’autosupport est un puissant outil de changements de trajectoires de consommation, et de sortie des prophéties autoréalisatrices.
Nous voulons une
RDR non normative et non prescriptive. Il faut partir de là où en est la personne, et coconstruire un continuum de possibles et de trajectoires avec ses désirs et ses besoins.
Comme acteur et actrice de la
RDR, nous devons non seulement accepter la consommation de l’autre mais aussi ses risques. La norme et la prescription conduisent à la
stigmatisation des usages considérés comme les plus à risques, hors ce sont ces PUD qui ont le plus besoin de
RDR.
Par exemple la fameuse échelle « le mieux c'est de ne pas consommer, puis si on consomme de ne pas injecter » est avant tout une échelle morale, un avatar de la
stigmatisation du consommateur.trice de drogues, mais surtout de la personne injectrice.
Nous voulons une
réduction des risques qui combatte et déconstruise la stigmatisation de l’usage de drogues et ses préjugés. Dans cette lutte contre la
stigmatisation, la lutte contre la Violence symbolique a une place à part. La Violence symbolique, c'est les PUD qui ont intégré le discours dominant sur les drogues, avec tous les préjugés qui vont avec. C'est pour cela que les PUD vont se considérer comme des mauvaises personnes parce qu'elles consomment. Cette auto-stigmatisation alimente la honte et la culpabilité, elle est responsable d’une baisse de l’estime de soi, qui diminue le pouvoir d’agir, provoque des dégâts psychosociaux immenses (dépression, stress, surconsommation,
craving...) et empêche de s’approprier les bénéfices de la consommation.
Cette déconstruction de l’autostigmatisation devrait être un objectif des structures addicto dans un but d’émancipation des PUD. Malheureusement, Psychoactif fait le constat que sans travail spécifique sur la
stigmatisation, les professionnel.le.s reproduisent le discours dominant, stigmatisant, dans lequel l’usage de drogue est un fléau. La grande majorité du système de soin en addictologie est donc basé sur l’abstinence avec des professionnel.e.s aux croyances stéréotypées qui ne peuvent pas voir les compétences acquises par les PUD et les bénéfices liés à leur usage, et donc ne pas parler d’émancipation ni de pouvoir d'agir, hors de l’arrêt des drogues.
L’autostigmatisation des PUD combinée aux préjugés des professionnels (entretenus par le système des biais de confirmation) est explosive et conduit à des non-recours au soin, à de la discrimination et de la maltraitance.
A Psychoactif, nous sommes les témoins privilégiés de cette violence institutionnelle permanente et massive, car les personnes viennent témoigner sur notre plateforme.
Devant ces constats, nous essayons à Psychoactif de construire une
RdR qui intègre pleinement l'usage en prenant appui et en cherchant à développer les savoirs expérientiels, permettant à chaque PUD de penser un mieux pour soi et d'augmenter son pouvoir d'agir. Pour nous, la
RDR est d'abord
un projet politique de changement des rapports des individus et de la société vis-à-vis des drogues, de contestation du discours dominant d’abstinence et de la répression liée aux usages de drogues. Et nous appelons toutes les personnes qui veulent faire bouger la
RDR, qui veulent lutter contre la
stigmatisation et les discriminations des PUD à travailler avec nous.
Pierre Chappard et Fabienne Pourchon, fondateur et fondatrice de Psychoactif