Comment fourguer son opioïde? épisode 1/3

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Rick
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Comment fourguer son opioïde?


PAR HAROLD NOTTET

Harold est l’un des collaborateurs de Médor. Il a publié des enquêtes sur, entre autres, la drogue hallucinogène ayahuasca, le neurologue Steven Laureys, les éoliennes offshore ou le bingo. Harold est journaliste indépendant et s’intéresse à tout ce qui touche à la santé, aux nouvelles technologies et à l’environnement, et plus spécialement aux sujets où s’imbriquent ces trois thématiques.

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Quelles armes, légales ou non, déploie un big pharma pour contrer l’arrivée d’un antidouleur générique? Le cas stupéfiant de deux offensives menées en France et Hollande par le labo belge Janssen.

Épisode 1 - En France



C’est un éclairage inédit sur les coups bas d’un puissant lobby pharmaceutique. Des révélations mises à jour par l’Autorité française de la concurrence et la Cour d’Appel de Paris. Restez bien assis. Fin 2005 expire le monopole des patchs de Durogesic, médicament à base de fentanyl. Cet antidouleur morphinique est un acteur très en vue de la crise sanitaire des opioïdes qui frappe les États-Unis. La firme belge Janssen, filiale du numéro 1 mondial Johnson & Johnson, est propriétaire du Durogesic. Va-t-elle laisser la concurrence des génériques s’installer en France sans bouger? Pas du tout. Janssen orchestre alors une campagne agressive pour contrer l’arrivée d’un générique commercialisé par le labo allemand Ratiopharm. Et pour ensuite le couler. Making of.
Le plan de bataille

Si l’histoire, qui date de 2007, vous est seulement racontée aujourd’hui, c’est parce que la Cour d’Appel de Paris a enfin, au bout de longues procédures judiciaires, rendu une vérité juridique : Janssen Pharmaceutica a bel et bien joué les gros bras pour contrer un concurrent direct dans le monde de la douleur. Comment?

Les documents internes mentionnés par l’Autorité française de la concurrence détaillent un véritable plan de bataille sur le territoire français. D’abord, Janssen met sur pied une «Team ANTI-Ge?ne?riques» et dresse la liste des professionnels de la santé à cibler en priorité. Son «Plan produit pour 2007» trace ensuite les stratégies à mettre en œuvre pour maximiser les ventes de Durogesic avant l’arrivée du concurrent et minimiser ensuite l’e?rosion de son opioïde. Trois scénarios sont envisagés.


Le plus mauvais pronostique le débarquement du générique en janvier 2008, une baisse des ventes de Durogesic et un taux de pénétration du concurrent de 40% dès la fin de l’année. Le meilleur ne prévoit en revanche aucune érosion du chiffre d’affaires grâce à une diminution du prix en milieu hospitalier… et à un mystérieux retard du générique.

L’attaque sournoise

Comment repousser l’intrus? Légalement, c’est impossible. En octobre 2007, l’Agence européenne des médicaments a déjà approuvé la demande de reconnaissance du générique de Ratiopharm. Les États-membres ont donc 30 jours pour délivrer l’autorisation nationale de mise sur le marché. Elle n’arrivera pourtant qu’un an plus tard. Par un tour de force pour le moins singulier, le labo belge parvient à faire pression sur l’Agence française de sécurité du médicament (ANSM) pour qu’elle rende un avis de?favorable a? l’octroi de ce statut.

Par l’envoi répété de courriers et l’organisation d’une réunion avec son directeur général, la firme pharmaceutique a en effet asséné à l’Agence «ses préoccupations de santé publique en cas d’octroi». Son argument massue : le générique ne présente pas les mêmes garanties que son opioïde. Une affirmation jamais étayée par une étude clinique, relève l’Autorité de la concurrence, et de nature à créer un climat anxiogène. Tellement anxiogène que l’ANSM remet en cause la reconnaissance du générique alors qu’elle n’est pas compétente pour le faire. Un coup (bas) de maître. Et une année de monopole supplémentaire pour l’opioïde belge. Soit un chiffre d’affaires pour le seul marché français de plus de 84 millions d’euros.

Mais au final, le médicament générique arrive tout de même sur le marché. Game over pour Janssen? Ce serait trop facile. Demain, Médor vous raconte le lancement de la phase 2 du plan d’attaques de Janssen.
https://medor.coop/nos-series/la-douleu … uer-a-lire




Episode 2 : Comment fourguer son opioïde (2/3)
Les commandos de Janssen


Texte Par Harold Nottet
Publié le 03/03/2020


https://medor.coop/media/images/Durogesic_2.max-800x530.jpg



Territoire quadrillé, cibles identifiées, argumentaires en béton armé. Quand Janssen Pharmaceutica lance une offensive marketing pour lutter contre l’arrivée d’un anti-douleur générique concurrençant son Durogesic, mieux vaut ne pas être dans la ligne de mire.

Finalement reconnu (lire l’épisode précédent), le générique de la société Ratiopharm arrive sur le marché fin 2008 et se met à concurrencer le Durogesic, médicament à base de Fentanyl (un opioïde) de chez Janssen Pharmaceutica, laboratoire belge détenu par le géant américain Johnson&Johnson.

Janssen déploie alors la phase 2 de son offensive pour dénigrer son concurrent et réduire ses ventes à néant. Les cibles : les médecins et pharmaciens. Tous les médecins et pharmaciens de France! Son plan d’attaque identifie d’abord «tout argument scientifique susceptible d’influencer les professionnels de la santé» afin de les convaincre de prescrire leurs patchs et de s’opposer à leur substitution. Contrairement à la loi belge, les officines françaises ont en effet le droit de substituer un générique à un médicament breveté prescrit par le médecin.
L’opération commando

Le «mode opératoire» est agressif : envoi de 300 visiteurs médicaux – qualifiés de «commandos» - chez les médecins et pharmaciens, communications adressées par fax, cartons de livraison ou courrier ordinaire, publication dans des revues spe?cialise?es, programmation de formations dédiées et de bilans téléphoniques pour s’assurer de leur adhésion.

Janssen le martèle dans toutes les langues : les génériques ne sont pas identiques à son opioïde star et ne sont donc pas substituables. Mais la manipulation ne peut être totale sans l’appui des autorités. La firme va donc mettre à profit une mise en garde inscrite par l’ANSM dans le répertoire des génériques de fentanyl. Pour certains patients plus fragiles, l’Agence française recommande un suivi médical en cas de substitution, que soit du Durogesic à un générique ou d’un générique au Durogesic. Janssen réduit ce message au premier cas de figure, réaffirme la non substitution et ajoute que «le risque de surdosage expose à la dépression respiratoire potentiellement fatale en dehors de structure de soin». Une note de bas de page qui ne figure pas non plus dans la mise en garde initiale.

Le labo diffuse massivement ce message et installe même une fenêtre pop-up de rappel dans les logiciels de pharmaciens et de médecins! Au cas où certains resteraient sourds au chant de la propagande. Les résultats sont explosifs. 6700 officines reçoivent la visite d’un délégué, 12800 sont contactées pour un «entretien confraternel», 5400 suivent la formation à distance, 17500 pharmacies et 12000 généralistes succombent au pop-up alarmiste. La force de frappe marketing de Janssen est considérable.


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Autorité de la concurrence (France)


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Extraits de la de?cision n° 17-D-25 du 20 de?cembre 2017 de l'autorité de la concurrence relative a? des pratiques mises en œuvre dans le secteur des dispositifs transdermiques de fentanyl, France, 2018
Autorité de la concurrence (France)


De nombreux professionnels sondés par l’Autorité de la concurrence en 2017 se rappellent très bien de l’offensive. «Juste avant l’arrivée des génériques, j’ai reçu beaucoup de visites des délégués médicaux de Janssen», témoigne une cancérologue de Lille. Un discours «très insistant» à nouveau concentré sur les soi-disant différences entre le générique et le Durogesic, les risques de sous- ou de surdosage. «Ce message tendait à me culpabiliser. On me laissait par exemple entendre que les patients à qui j’aurais prescrit le générique seraient rattrapés par la douleur.»

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En 2009, un mail interne à Janssen se réjouit de la faible pénétration du générique dans les ventes en France.
Autorité de la concurrence (France)


Le dépôt des armes

Le labo belge, lui, est rattrapé par l’instance française. «Janssen a communiqué aux professionnels de la santé exerçant en ville et à l’hôpital des informations inexactes, incomplètes ou ambiguës, qui revêtent un caractère trompeur, de nature à jeter le discrédit sur les génériques et à limiter la substitution avec le princeps (Durogesic, NDLR)».

Un discours impossible à contrer pour un labo qui ne dispose pas de la même puissance de marché, note encore le contrôleur. Pour avoir violé les règles de la concurrence et les législations européennes en faisant obstacle à l’arrivée du générique et en orchestrant cette campagne de dénigrement, Janssen se voit imposer une amende de 25 millions d’euros.

La firme se pourvoit alors devant la Cour d’Appel de Paris qui réévalue en juillet 2019 à la baisse le chiffre d’affaires du Durogesic en 2008 - l’amende passe donc à 21 millions d’euros - mais confirme bien le jugement de première instance. Le tout livre un témoignage unique sur une stratégie marketing d’un labo pharmaceutique pour protéger son marché de la douleur.Médor a sollicité un commentaire de Janssen Pharmaceutica, sans succès.



Episode 3 :
A venir (l'épisode 2 a été publié aujourd'hui)

Dernière modification par Rick (03 mars 2020 à  22:09)

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Mister No homme
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Son argument massue : le générique ne présente pas les mêmes garanties que son opioïde. Une affirmation jamais étayée par une étude clinique, relève l’Autorité de la concurrence, et de nature à créer un climat anxiogène.

C'est malheureusement un argument plus que recevable.
Les génériques ne sont pas soumis aux mêmes contraintes de recherche sur la biodisponibilité que l'original.
D'ailleurs les génériques sont exemptés d'une partie des recherches qui ont permis au princeps d'obtenir l'AMM. C'est ce qui permet aussi de diminuer les coûts de fabrication.
Si la biodispo diminue ou est plus importante, le dosage varie, c'est ce qui pose problème pour une même quantité de principe actif contenu.
Pour la plupart des médocs, ça ne pose pas de souci particulier, suffit que la pilule ou gélule se délite au bon endroit du digestif.
Malgré cela les labos pour diminuer les coûts vont utiliser des excipients moins chers, qui posent davantage de problèmes d'allergie par exemple.
Par exemple, que ce soit le sub ou un patch fentanyl, utiliser un générique après le princeps ou vice versa peut générer des variations qui peuvent être perçues comme un dosage plus bas ou plus important même si la dose de principe actif est totalement identique dans les 2 spécialités.
Après certains génériques sont rigoureusement identiques à l'original, seul l'emballage change. Dans ce cas, le fabricant commercialise la même chose à l'identique, mais c'est dans le cas où des gros labos  concurrencent les génériques qui les concurrencent.
Même dans ce cas, la tentation d'utiliser des excipients cheap peut être une politique commerciale.

En France, les opioïdes sont sur protégés.
Il est plus facile de se faire prescrire légalement du fentanyl que des cannabinoïdes et l'expérimentation ne va pas changer cette absurdité scientifique générée par des puissants lobbys.

Pour avoir le droit d'utiliser les cannabinoïdes, il aura fallu tester les différents paliers d'opis ou se faire opérer pour un dispo de neurostim...
Ce ne sont pas les labos directement qui mettent en place ces mesures, ce sont les autorités de régulation qui sont complices.

Dernière modification par Mister No (04 mars 2020 à  08:01)


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