Toxicophobie mon amour

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prescripteur
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Bonjour,
à la suite d'une lecture récente je me suis rendu compte que j'étais dans l'erreur quand j'évoquais les "causes" de la toxicomanie (heureusement avec des guillemets qui attestent d'un doute sur la signification).

Les causes décrivent une relation où A entraine B de façon mécanique et sans faire appel à la décision.
Ainsi le staphylocoque cause les furoncles ou l'alcool cause l'ivresse.

Alors que le motif est un élément A qui nourrit une décision en compagnie d'autres motifs et raisons diverses.
A peut entrainer B ou non selon la décision prise par la personne en fonction du ou des motifs, de sa "philosophie de vie" et de son environnement.

En matière de consommation de psychotropes il peut rarement exister des causes, comme la prise répétée d'opiacés qui entraine une dépendance (par exemple en cas de douleur prolongée), mais dans la quasi totalité des cas la consommation résulte d'une décision.
Et cette décision est prise non seulement en fonction du produit et de ses effets mais de la personnalité du consommateur et de son environnement (le classique triangle).
Ce qui explique que le même effet du produit entraine des décisons différentes selon les personnes et leur environnement. Et aussi que les mêmes problèmes d'existence d'une personne entrainent des décisions différentes selon l'effet du produit et selon l'environnement.


C'est pourquoi il n'est pas possible de décrire une "cause" de la toxicomanie. Tout au plus peut on décrire des motifs courants de consommation et leurs relations avec la consommation effective.



Cette différence a notamment des conséquences juridiques. Au début de la circulation automobile des avocats avaient plaidé que la conduite en état d'ivresse relevait d'une causalité (l'alcool entraine l'ivresse) et donc que cela amoindrissait la responsabilité du conducteur.
Mais la justice estime que la décision de boire avant de conduire (sachant évidemment que l'alcool cause l'ivresse)  engageait la responsabilité du conducteur et même constituait un facteur aggravant. Il peut en être de même avec l'epilepsie mal contrôlée, la prise de benzodiazepine etc.. toutes causes de risques sur la route.
Par contre l'irresponsabilité peut  être plaidée en cas d'intoxication involontaire et vraisemblablement acceptée par la justice.

La vision du produit comme cause est aussi à la base d'une vision "commune" de la toxicomanie qui serait causée directement par les produits et qui "justifierait" donc de ne legiférer que sur le  produit.
Ce qui est évidemment confondre cause et motif.

La prise de psychotrope cause des effets (par les propriétés pharmacocinétiques et dynamiques) qui ne sont pas (dans la plupart des cas) maitrisables par l'usager une fois le produit absorbé. Sa liberté de choix, sa sécurité et sa responsabilité juridique éventuelle sont donc concentrés sur le processus de décision avant consommation et c'est donc là que peut être exercée la réduction des risques. Notamment avec la lecture de PA.

Amicalement

Dernière modification par prescripteur (28 janvier 2020 à  17:38)


S'il n'y a pas de solution, il n'y a pas de problème. Devise Shadok (et stoicienne)

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Morning Glory
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4361 messages
Toujours très intéressants tes posts, jsuis fan wink

La vision du produit comme cause est aussi à la base d'une vision "commune" de la toxicomanie qui serait causée directement par les produits et qui "justifierait" donc de ne legiférer que sur le  produit.
Ce qui est évidemment confondre cause et motif.

Je comprends pour la prise de volant et la logique que je trouve bonne, mais si la "justice" se basait sur le fait qu'il y a motif à l'inverse, ça risquerait de les conforter dans "t'avais qu'à pas faire ça c'est ta faute donc t'es coupable" (toxicophobie wink ), non?


Μόρνηνγγ Γλωρύ
I <3 5-HT & DA ~

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prescripteur
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ça risquerait de les conforter dans "t'avais qu'à pas faire ça c'est ta faute donc t'es coupable" (toxicophobie wink ), non?

Oui c'est bien ce qu'on constate dans la pratique, ce" qui ne veut pas dire évidemment que je l'approuve !!
En fait sous couvert de lutter contre le produit on réprime l'usager, surtout s'il appartient aux "classes dangereuses". On ne compte pas les personnalités, notamment de l'audio-visuel,  qui proclament leur consommation sans problème apparent.
Amicalement

Dernière modification par prescripteur (29 janvier 2020 à  08:30)


S'il n'y a pas de solution, il n'y a pas de problème. Devise Shadok (et stoicienne)

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Caïn
PsychoAddict
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Non Prescripteur, ce temps-là est passé. Désormais ils sont black-listés.

La drogue c'est de la merde, surtout quand t'en as plus.

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Kao
ça s'en va et ça revient
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Attention, le long texte partagé par Mascarpone n'est pas de lui, mais de Salomé (qui je crois n'est pas sur ce forum, quoique ce serait pas impossible, dans mes pérégrinations sur internet en plus de dix ans je l'ai connue sur un forum, puis sur un autre, puis sur Facebook. Nos chemins sur la toile ont tendance à se croiser, et pas qu'un peu smile), il s'agit du texte dont j'ai posté le lien juste avant. Je précise parce que je lis "malheureusement t'as bien raison", alors que la personne qui l'a écrit n'est pas présente sur le fil.

Sinon pour répondre à Prescripteur : souvent, en effet, la réponse "parce que c'est bon", ou "pour le plaisir" est la première qui tombe. Parce que c'est celle que la société attend. C'est Jean-Pierre Jacques, dans son livre Pour en finir avec les toxicomanies, psychanalyse et pourvoyance légalisée des drogues, qui aborde ce sujet des drogues (et surtout de l'héroïne) comme automédication à une souffrance psychique. Pour beaucoup des personnes qu'il a rencontrées (en tant que psychanalyste et médecin spécialiste de la question des drogues), c'était aussi le discours de surface, celui qu'on donne au premier abord, dont on s'auto-persuade même parfois. Mais l'analyse avançant, très souvent les personnes qu'il reçoit se rendent compte qu'il y avait bien une douleur psychique avant leur entrée en drogues, et qu'elles ont trouvé dans cette ou ces drogue(s) quelque chose qui apaisait cette douleur (qu'elles aient, consciemment ou inconsciemment, cherché le remède ou qu'elles l'aient trouvé alors qu'elles cherchaient d'abord autre chose). Ce qui ne signifie pas qu'il n'y a pas de dimension de plaisir pour autant (comme il l'écrit, les humains trouvent du plaisir dans bien des choses, de la soupe au potimarron au saut à l'élastique, alors pourquoi pas dans l'héro). Mais il bat en brèche le mythe du shoot d'héro qui équivaudrait à "un orgasme en mille fois plus puissant" (absurdité qui traîne encore dans des livres écrits par des médecins pour des médecins, c'est dire le niveau de mythes qui circule dans le milieu médical sur les UD, mythes sans doute pas étrangers à la maltraitance des UD par une grande part du monde médical...).
Il rappelle aussi que la fin d'un immense déplaisir est souvent perçu comme un plaisir, ce qui est assez logique (si j'ai une migraine carabinée pendant deux jours, quand elle disparaît, ma sensation c'est que "ah ! ça fait un bien fou de ne plus avoir mal !").

Que ce soit des gens que je connais ou que j'ai entendus dans des reportages, le témoignage selon lequel l'entrée dans l'héroïne a été le point de sortie des idées suicidaires revient fréquemment.

Pour moi, mon entrée en usage de drogues a été un peu particulier, parce que des trucs qui sont inconscients chez bien des gens étaient parfaitement conscients et assumés chez moi (ce qui en a agacé plus d'un, UD ou non). Je VOULAIS devenir toxico, comme l'avait été mon père, être accro et en chier un max. C'était mon projet d'avenir quand j'étais ado. L'idée c'était de m'autodétruire sans passer par l'acte radical du suicide (oui, j'étais en très grande souffrance psy à l'époque). Le fait est qu'une fois que j'ai connu l'héroïne, je n'avais plus envie de me suicider ni même de crever à petit feu, puisque j'avais trouvé un moyen de vivre sans souffrir atrocement. Je regrette juste qu'à cette époque, on ne m'ait pas informée sur la possibilité de consommer de l'héro de façon modérée, sans être accro jusqu'au bout des ongles. J'ai du apprendre ça par moi-même, avec le temps et les rencontres. C'est pour ça que je suis une fervente défenseure de l'idée de pairs-aidants qui ne soient pas obligatoirement abstinent-e-s (idée pas facile à faire admettre dans le milieu de l'addictologie...).

Dernière modification par Kao (09 février 2020 à  02:48)


"La valeur éthique d'une société se mesure à  la manière dont elle traite ses membres les plus vulnérables" (Roland Gori)

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Caïn
PsychoAddict
Inscrit le 04 Oct 2013
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Salut Kao,
J'ai pas trop compris le début de ton post, je crois que Mascarpone a cité le texte de façon à ce que l'on voit bien qu'il n'est pas de lui.
Pour en venir à ce que tu dis, le mythe du shoot d'héro 1000 fois plus jouissif que le sexe. C'est en effet du grand nawak. Ceci dit, la notion de plaisir est bien là dans l'héro, mais aussi dans la C., le crack. Dans mes meilleures défonces, je me souviens que je me disais wahou je me suis jamais senti aussi bien. Sauf que je me suis aussi dit ça, lors de moments amoureux et sexuels.
Donc bon le plaisir est bien là, pas forcément supérieur à d'autres plaisirs mieux adaptés à la société. En ce qui me concerne, parmi mes plus grands kiffs, il y a celui de surfer une poudreuse légère tombée la nuit même, alors qu'il fait un grand soleil.
Ou encore de sentir que je joue bien au tennis, de me prendre pour Federer dans un tournoi de plage. Ces plaisirs "naturels" existent, chacun peut les trouver dans tel ou tel domaine qu'il affectionne. (Pour un matheux, ce sera de résoudre une équation incroyable, pour un littéraire d'écrire un texte qu'il juge bien.)
La société essaie de ne pas évoquer les plaisirs de la came de peur d'être incitative (ce qui est hors-la-loi, ça devrait nous faire réfléchir sur la "liberté d'expression" dont on dispose à ce sujet). Elle parle plus du manque, des galères qu'elle associe, à tort ou à raison, à la drogue. Mais, encore une fois, ces plaisirs existent.

Mais, le plaisir, ça reste une raison mais c'est pas LA raison du fait qu'on se drogue. En fait il n'y a pas UNE raison mais DES raisons.

Parmi ces différentes raisons, tu as mis le doigt sur une des raisons qui me semble moi-aussi essentielles. On vient à la drogue parce que c'est une sorte d'auto-médication à un mal de vivre, à différentes souffrances intérieures.

La drogue devient un médicament, un médicament interdit.

In fine, je dirais qu'il y a ces deux raisons essentielles, le plaisir et le soin apporté. Il y en a d'autres.

La drogue c'est de la merde, surtout quand t'en as plus.

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Kao
ça s'en va et ça revient
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384 messages
Oui, Mascarpone a cité le texte en indiquant bien qu'il s'agissait du texte dont j'ai posté le lien, mais dans les réactions en bas de son post, il y en a une qui m'a fait pensé que ça n'avait potentiellement pas été bien compris par tout le monde (ça arrive sur les forums, on lit un peu en diagonale et on loupe un truc).

Pour le reste de ton post, je suis assez 'accord avec toi. D'ailleurs, ni moi ni Jean-Pierre Jacques ne nions cette dimension de plaisir, nous ne faisons que la ramener à une juste mesure (surtout dans le cas des opiacés, parce que c'est vrai que le shoot de coke... c'est autre chose !).

Perso, outre certaines drogues, il y a aussi le grand galop dans la nature avec un cheval que j'aime, les bains bien chauds avec clope, thé bien sucré et shoot d'héroïne (miam ! Ah oui, j'avais dit "outre les drogues ahah !), les promenades dans la nature, prendre des animaux sauvages ou domestiques en photos, dormir avec mon gros chien tout contre moi... et des tas d'autres choses. Pas le sexe par contre.

Le rapport de notre société aux plaisirs des drogues est double, et très hypocrite. D'un côté on affirme que ses plaisirs sont immenses, genre paradis artificiels et orgasmes multipliés par 1000, mais toujours avec un sous-entendu moraliste du genre "t'as pris de ces plaisirs interdits, alors c'est normal que t'en chie", à la base d'une certaine façon de concevoir les cures de détox, encore en vigueur dans certains endroits (il faut que la personne en chie, histoire qu'elle pige bien que la vraie vie, c'est sans drogues et sans plaisir considérés comme trop grands) : sevrage à la dure, avec remontrances quand la personne est au plus mal, voire maltraitances physiques, psychiques et même sexuelles à la clef.
De l'autre côté, il est interdit par la loi même d'évoquer non seulement les plaisirs, mais aussi toutes les qualités d'une dogue. Dire qu'on a trouvé l'apaisement de ses angoisses dans sa conso d'héro, ou qu'on soigne ses crises de déréalisation avec des prises de LSD, c'est "présenter des drogues sous un jour favorable" aussi.
Évidemment, certaines drogues peuvent être présentées sous un jour favorable. Il leur suffit pour cela d'être à base d'éthanol. Là la présentation sous un jour favorable peut être affichée en grand dans la rue et les abribus, le seul bémol étant de nous rappeler qu'on ferait mieux de consommer avec modération... Encore une vaste hypocrisie sur la question des drogues.

"La valeur éthique d'une société se mesure à  la manière dont elle traite ses membres les plus vulnérables" (Roland Gori)

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Caïn
PsychoAddict
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2003 messages
Kao,
je pense aussi que tous ces discours consistant à exagérer le plaisir procuré par les drogues (pour affirmer ensuite que ces plaisirs seront cher payés). Tout comme l'interdiction pénale de tout discours présentant les drogues sous un jour favorable, et l'interdiction tout court des drogues autres que l'alcool, relèvent de la toxicophobie 
Une toxicophobie qui découle du fait, selon moi, du potentiel danger pour les sociétés humaines d'autoriser un tel discours. Imagine que l'on dise aux gens, tu seras bien plus heureux avec ton g.d'héro qu'avec tel ou tel objet, ou voyage, boulot ou activité lucrative, c'est tout un équilibre économique qui s’écroulerait.

La drogue c'est de la merde, surtout quand t'en as plus.

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youpi
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Inscrit le 06 Jan 2019
11 messages
Il me semble qu'aujourd'hui c'est très massivement que les humains s'exposent à des produits psychoactifs.

Si je cultive l'entre-soi si commun aux cercles de consommateurs je sais que ma pratique n'a rien d'exceptionnel.
Je participe à un phénomène de masse.
Et si je n'en avais pas déjà, je me dote d'un handicap.
J'utilise des prothèses perceptives qui comportent des risques imprévisibles que je n'assume pas dans leur totalit?.

Je veux en abuser sans en trépasser.

Quoi de plus banal.

Sans compter les nombreux toxiques environnementaux que je suis amené à ingérer/inhaler/infuser plus ou moins activement et à mon insu.
Encore et encore comme tout le monde.

Merde.

Ah! Sauvé!! Je parviens à faire exception en étant radicalement toxicophobe quand même: j'utilise la protection respiratoire professionnelle FFP3

Ma phobie des  toxique

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youpi
Nouveau membre
Inscrit le 06 Jan 2019
11 messages
Ben mon loulou, t'en fais " couler de l'encre " avec la toxicophobie.

Des émotion ancrées dans le jugement. Nécessairement.

Aujourd'hui, si l'on peut considérer qu'un virus est toxique, alors ils pullulent les toxicophobes même parmi les consommateurs actifs de toxiques.

Toi aussi tu les vois se terrer,  tous ces toxicophobes, avec la trouille du covid19?

Toxicophobe moi aussi, j'évite les produits ménagers & les aliments trop traités.

Et puis, paradoxe: je sors.
Malgré la menace virale et la toxicité des PV.

Quel UD se terrerait par crainte de mourir?
Franchement!

Bien à tous

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Huckleberry Finn
Nouveau membre
Inscrit le 25 Dec 2018
41 messages
le texte du début a été posté en 2017, mais je voulais juste dire que je l'avais trouvé super !!

bises à tous !

gros courage pour ce **%¤!! de confinement !

HF

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Mister No
Pussy time
Inscrit le 04 Aug 2014
8406 messages

Quel UD se terrerait par crainte de mourir?
Franchement!

Je pense que nous sommes nombreux à ne pas nous terrer, et à prendre sur nous en diminuant notre conso, en la gérant pour diminuer les risques de transmettre ou choper cette saloperie.
Sans se terrer, être UD ne signifie pas que nous ne respectons pas au maximum le confinement.
Tu sembles oublier que la solitude et l'isolement ne sont pas compatibles avec notre besoin d'interagir avec les autres, cela ne concerne pas que les usagers de prodz.
Finalement, tu y participes un peu aussi a la toxicophobie en forçant le trait , sans le vouloir bien entendu.
Pour pas être malade, faut aller toper sa bouffe, son savon, son insuline, ses médicaments ou sa came... pour pas être malade... Ça ne fait pas des UD des trompe la mort, ou des même pas peur de mourir. C'est un peu caricatural, non ?

Dernière modification par Mister No (02 avril 2020 à  09:08)


Just say no prohibition !

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