Les nouvelles routes de la cocaïne

Casse-tête : la France est sommée de se conformer aux accords de Schengen, imposant la libre circulation sans dispositifs de ralentissement aux zones frontalières, y compris au col du Perthus, point d'entrée de la cocaïne via l'Espagne. Quitte à  ce que les routes de la drogue restent grandes ouvertes, pour le plus grand bénéfice des trafiquants.

La France a un sérieux problème. Jusqu'à  présent, malgré les accords de Schengen sur l'ouverture des frontières, la France a toujours maintenu des postes «observatoires» se présentant la plupart du temps comme des péages. Le ralentissement imposé aux véhicules permet aux douaniers, gendarmes et policiers de l'air et des frontières (PAF) d'effectuer des contrôles « ciblés » sur certains axes routiers sensibles d'entrée en France (Barcelone-Montpellier, Bruxelles-Paris, Gand-Lille et Luxembourg-Metz), où sont régulièrement réalisées des saisies de drogue.

Au cœur du débat, le col du Perthus, point d'entrée en France de la cocaïne.
Une réunion de crise devait se tenir ce jeudi à  Perpignan autour du président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), le magistrat Etienne Apaire. Parmi les participants priés de proposer des solutions : le préfet des Pyrénées-Orientales, la gendarmerie, la police judiciaire et les douanes. «La situation de tolérance de l'Espagne à  l'égard de l'usage de stupéfiants a été un véritable appel à  tous les trafiquants internationaux, confie Etienne Apaire. L'Espagne est l'un des premiers pays consommateurs de cocaïne d'Europe et cette situation nous impose -tout en respectant les directives européennes-de faire évoluer notre dispositif de contrôle des trafics en provenance de ce voisin.» Un voisin embarrassant où «les organi sations criminelles sud-américaines sont déjà  installées, observe un policier français. La cocaïne est partout, l'argent aussi. L'Espagne, c'est Tahiti pour les voyous... Et c'est aux portes de la France.»

Cinq millions de consommateurs réguliers en Europe

L'affaire tombe au moment où l'Observatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT) présente, dans son dernier rapport, la cocaïne comme «la deuxième drogue illicite la plus consommée en Europe de l'Ouest». Quatorze millions d'adultes européens en auraient pris au moins une fois.
Son prix - de 50 à  70 euros le gramme - baisse constamment en Europe depuis 2003 en raison d'une saturation du marché, comme le prouvent les saisies réalisées sur notre sol : 5 tonnes en 2005, près de 10 tonnes en 2006, 6,5 tonnes en 2007 et 8,2 tonnes en 2008.

En 2009, la production de cocaïne en Amérique du Sud était estimée à  un millier de tonnes selon l'ONU - qui se base sur des observations par satellites des zones cultivées - dont 750 tonnes en Colombie, 150 tonnes au Pérou et 100 en Bolivie. La moitié part sur le marché américain et 30 % vers l'Europe.Les taux d'interception s'établissaient entre 37 et 50 % en 2008 selon l'ONU, soit 709 tonnes saisies. Près d'un kilo sur deux parvient jusqu'au consom mateur.

Côté américain, le contrôle de plus en plus sévère de l'acheminement terrestre à  la frontière mexicaine a obligé les trafiquants à  innover. En bordure des fleuves, cachés sous le feuillage de la forêt colombienne, les cartels construisent des sous-marins à  moteur Diesel, en bois et polyester, capables de transporter jusqu'à  8 tonnes de cocaïne à  travers le golfe du Mexique vers la côte sud des Etats-Unis. Les Coast Guards américains ont déjà  réussi à  en arraisonner quelques-uns, mais plusieurs équipages ont préféré couler leur bateau en eau profonde avant de se livrer.

Dans le Sahel, les terroristes rançonnent les convois

16 juillet 2009, un bâtiment de la marine nationale en patrouille dans la mer des Caraïbes vient d'arraisonner un go-fast transportant pour 33 millions de dollars de cocaïne.

Côté européen, le contrôle renforcé des aéroports des grandes capitales a incité les cartels à  transiter par l'Afrique de l'Ouest. La cocaïne quitte les côtes colombiennes et vénézuéliennes dans des go-fast, des hors-bord équipés de moteurs de 1 000 chevaux. Mission de l'équipage : transporter le plus rapidement possible vers les eaux internationales 2 à  3 tonnes de coke conditionnée. Le transfert se fait en haute mer, à  l'abri des curieux, sur des cargos rouillés ou des voiliers qui livreront en Afrique. La marine française croise en permanence en mer des Caraïbes avec ses frégates porte-hélicoptères. Hélico contre go-fast, poursuites, mitrail lages... Le 13 février 2009, l'équipage du Ventôse, appuyé par les commandos marine, décharge sur les quais de Fort-de-France 600 kilos de cocaïne répartis dans 23 barils après l'arraison nement d'un go-fast.
A bord, six Colombiens et un Vénézuélien, remis aux policiers du bureau local de l'Office central pour la lutte contre le trafic illicite (Octris) qui vient d'ouvrir une autre antenne à  Pointe-à -Pitre.

L'Afrique aussi veut sa part du gâteau. Si la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau ou le Ghana font figure de zones de transit traditionnelles, la plupart des Etats d'Afrique de l'Ouest sont touchés, non seulement par la corruption liée au trafic mais aussi par la consommation. «Les pays de transit ont longtemps cru qu'ils ne seraient pas impactés, or les habitants de l'Afrique de l'Ouest deviennent de plus en plus des consommateurs», observe Etienne Apaire.

En février dernier, au Sénégal, Brice Hortefeux participait à  une conférence regroupant sept Etats d'Afrique de l'Ouest inquiets de voir prospérer le trafic de cocaïne sur leur territoire et annonçait une aide de l'Europe de 15 millions d'euros, dont 800 000 versés par la France. Ce jour-là , une « note de synthèse » distribuée aux participants déplorait le «déficit de coopération judiciaire entre Etats», la «léthargie des comités interminis tériels de lutte contre la drogue» et «l'inertie des magistrats» locaux.

Mais la cocaïne est également soupçonnée de financer le terrorisme islamiste en traversant le Sahel pour rejoindre l'Espagne via le détroit de Gibraltar. Le 10 décembre, les forces de sécurité maliennes ont arrêté six trafiquants de drogue internationaux issus du Front Poli sario. Le chef du groupe, de son nom de guerre sultan Ould Bady, serait à  la tête de l'un des plus gros réseaux d'acheminement de la cocaïne à  travers le Sahara. Il serait aussi impliqué dans l'enlèvement de plusieurs ressortissants européens pour le compte d'al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).

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