Stanislas Grof et les matrices périnatales

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petero homme
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[texte de Patrice Van Eersel] [issu d'un bouquin ou d'un article, je sais pas] [c'est une sélection d'extraits]

L’affaire commence à Prague, en 1955. Parmi les produits inconnus que les psychiatres tchèques testent sur leurs patients, il y a une petite famille qui les fascine assez : les hallucinogènes, en particulier le déjà célèbre LSD.

Les choses commencèrent très classiquement : on donna d'abord du LSD à des cobayes humains et on prit des notes. Deux cents microgrammes d'acide et hop ! Huit heures de paranoïa démentielle. Ou d’extase mystique euphorique. Toutes les grandes maladies, mais exprimées avec une ampleur inédite. De mémoire de psychiatre, on n’avait jamais assisté à des délires aussi clairement manifestés. Les psychiatres braquèrent tous leurs projecteurs sur ces « voyages dans la folie ».

Les hallucinés souffrant de névroses - c'est-à-dire la plupart - retrouvent les scènes traumatisantes de leur enfance. Exemple de Peter, le garçon qui se retrouvait sans cesse dans des situations hyper-masochistes et ne comprenait pas pourquoi… Le malheureux passait sa vie à rechercher des sadiques et se livrait à eux corps et âme. Le LSD fit remonter en détail, la façon dont ses parents le battaient quand il était enfant. La scene fit irruption au cours d’une séance extrêmement violente : Peter se revit, tout petit, battu par sa mère, puis enfermé dans la cave. Ce « souvenir » le bouleversa et allait marquer le début d’une guérison spectaculaire.

Ce qui étonne le plus les psychiatres tchèques, c'est à quel point les scènes des traumatismes sont, non seulement rappelées à la conscience, mais intégralement revécues. y compris sur le plan physiologique, le sujet se retrouve réellement, comme à huit ans, en train de se faire tabasser par son père. Il chiale. Il est tout rouge. Son coeur bat à cent vingt. Des douleurs lui mordent effectivement le corps à des endroits précis. Gonflements. Boursouflures. Des stigmates psychosomatiques intenses. Il semble la proie des démons. Puis Il s'agite dans tous les sens. Il crie : « Débranchez-moi ! Disjonctez-moi ! »  Il se rue sur l’assistante, Il retombe par terre. Il se tient en foetus. Il donne l’impresslon d'être écrasé de toutes parts, comme habité par un mouvement de reptation formidablement lent et puissant.

Que lui arrive-t-il ? Plus tard, ayant atteint un état de paix intérieure totalement inédit pour lui, il dessinera naïvement un enfant pressé dans une machine à hacher la viande: c’est la vision qu'il a eue au paroxysme de sa crise de « démence ».

Et les psychiatres tchèques se regarderont en se grattant la tête. Car la seule conclusion qu’ils puissent tirer de cette expérience est la suivante : cet homme a revécu sa naissance.

Pour l’orthodoxie mécaniste des psychiatres marxistes, le cerveau du foetus en train de naître n'est pas assez mûr, neurologiquement, pour pouvoir enregistrer le moindre souvenir .

Du coup, nos psychiatres pensent à Otto Rank, qui considérait que tous les souvenirs infantiles pouvaient être considérés comme des « souvenirs écrans », masquant le plus pénible de tous les souvenirs : celui de la naissance.

Particulièrement intéressé par cet aspect du « travail psychédélique », Stan Grof va mettre dix ans à découvrir et à énoncer la théorie des Matrices périnatales, quatre "tambours" formidables, sur Iesquels toutes les chaînes de noeuds psychiques futurs vont venir s’ancrer, en quatre tresses résonnantes.

De quoi s'agit-il ? La naissance s'effectue en quatre temps :

1° - D'abord tu étais bien. Le souvenir océanique de l'intérieur du ventre de ta maman a signé tes plus anciennes impressions. Elle et toi ne faisiez qu'un, et tu as goûté sensuellement et émotionnellement à l'idée de l'un. Plus tard, toutes tes grandes euphories, extases, sérénités, impressions de fusion avec un autre être, ou avec la nature, ont fait résonner cette « signature » là, que Grof appelle la matrice périnatale fondamentale numéro un. La « résonance » en question peut d'ailleurs s'amplifier jusqu'à la folie, chez les individus à l'égo mal établi. Ou jusqu'à I.extase mystique, chez les grands artistes.

2° - un jour, brusquement, tu as basculé en enfer. Cela faisait un certain temps que tu te trouvais un peu à l'étroit. Et soudain, l'utérus de ta Maman s'est mis à se contracter de toutes parts. Le col n'étant pas encore ouvert, la situation t'a semblé sans issue. Vu le temps dans lequel tu vivais alors, cet enfer a duré éternellement. C'est la seconde signature, le second marquage (au fer rouge, celui-ci) de la psyché. Les hallucinés que Grof assiste dans leurs trips revivent psychologiquement et physiquement, des situations de grande souffrance, absurdes. Dans leurs délires, ils décrivent des pieuvres géantes, des forces monstrueuses qui les ligotent. Visions de cimetières, de champs de bataille déjà refroidis. Explication : à ce second marquage est venu ensuite s'ancrer tout un enchaînement de traumatismes biographiques. Toutes les situations traumatisantes parce que sans issue, que l'individu, surtout enfant, a traversées, ont fait résonner au fond de lui cette matrice périnatale numéro deux. Ce n'est qu'en revivant certe phase de sa naissance qu'il pourra, dit Grof, définitivement se délivrer de ces traumatismes. Grof est persuadé que les grands penseurs et artistes de « l'absurde » ont conservé un noeud à ce niveau précis de leur inconscient.

3° - Puis le col de l'utérus s'est lentement ouvert. « Une pièce de dix sous », disaient les sages-femmes. « Courage, ma petite, je vois une pièce de cinq francs, ça ne sera plus long maintenant. » Vous avez déjà assisté à une naissance ? Tensions extrêmes, pressions affolantes. De l'enfer absurde, l'enfant bascule dans quelque chose d'infiniment plus violent encore, mais qui au moins prend une direction. Lentement, il se retrouve aspiré dans le col de l’utérus, abominablement compressé.

Quel déchaînement, quand les hallucinés revivent ce passage. Ils se retrouvent dans des scènes orgiaques bestiales, scatologiques, sado-masochistes. Avec des détails inconcevables. Jouissance extrême et souffrance extrême inextricablement emmêlées. Ils ont des visions de révolutions, de massacres à la Barbe Bleue. Comme si tous les refoulements formaient  une vaste chaîne, venant s'ancrer au tout premier souvenir : la matrice périnatale fondamentale numéro trois. Là encore, Grof prétend que seul le fait de revivre cet épisode de la naissance permet la libération effective des noeuds psychiques correspondants. Et les penseurs ou artistes qui aiment mêler la violence, le sexe, le sang, etc. auraient tous une MPF III (matrice périnatale numéro trois) hyperchargée.

4° - Enfin, après l'enfer et la violence apocalyptique, tu as été chassé hors de ta terrible Maman adorée. Le plus grand regret de ta vie fut aussi ton plus grand soulagement - essaie de te débrouiller avec ça ensuite ! Ta première gorgée d'air a coïncidé avec ta première affolante impression d'étouffer. Mais enfin tu étais libre. Et tu as fondu dans le soleil d'une jouissance presque pure. « Presque ». Premier rappel de l'ancienne fusion océanique, la matrice périnatale fondamentale numéro quatre a le bonheur humble. Quand ils la revivent sous LSD, les patients de Stanislas Grof ont des visions de paysages immenses, lumineux et calmes, de ciel rempli d'arcs-en-ciel, de plumes de paon. Ils aiment le monde entier et veulent le prouver le plus vite possible au maximum de gens. Ils connaissent la béatitude de ceux qui ont bien fait l'amour...

Parfois, leur extase est brutalement interrompue par une violente douleur au nombril - le fait de couper le cordon ombilical est-il aussi indolore qu on le prétend généralement ?

Bien des analyses s'éclairent. Souvent un conflit psychologique grave semblait trouver sa solution dans le rappel d'une scène traumatisante de la petite enfance. Mais que ce soit dans l'histoire de Peter le masochiste ou dans celle de Renata l'hystérique, le désamorçage est d'abord demeuré insatisfaisant et la vitalité des patients basse. Jusqu'au jour où les barrières ont craqué, révélant les véritables scènes primordiales. Le rappel à la conscience de la scène où sa mère le bat n'est importante, pour Peter, que parce qu'elle le rapproche de sa matrice périnatale numéro trois. De fait, le garçon ne fut définitivement guéri qu'après avoir revécu cet épisode de sa naissance.

On est en 1965 lorsque Grof commence à discemer les grandes lignes de ce que nous venons de décrire. Il est invité aux Etats-Unis, pour une conférence intemationale sur les thérapies à base d’hallucinogènes.

Grof est impressionné par l'ampleur de la vague psychédélique chez les thérapeutes américains. Pourtant, c'est curieux, aucune theorie sérieuse n'émerge. Lui-même n'est pas encore assez sûr de lui pour trop s'avancer sur le terrain des matrices périnatales qu'il commence à deviner. Mais, sitôt rentré à Prague, il se remet au travail tel un forcené.

La relative faiblesse théorique de ses confrères américains lui a donné des ailes. Il dispose maintenant d’une montagne de rapports d'expérience, minutieusement relevés.

Les statistiques transforment ses hypothèses en armées blindées. Qu'un seul patient se plaigne de douleur au nombril après avoir présenté tous les symptômes du nouveau-né, pure coïncidence. Quand ils sont quarante, c’est différent.

Quand l'université John Hopkins lui demande s'il est d'accord pour venir passer un an chez eux, à leurs frais, il saute en l'air de joie. Il va mettre deux ans à obtenir une seconde autorisation de sortie. On est en mars 1967. De nouveau, l'Amérique ! Hélas, quand il débarque, tout a changé. Le temps d'un éclair, le paysage social entier a basculé.

Le LSD s'est échappé des labos. Il a commencé une grande danse sauvage dans tous les Etats-Unis. Le Tchèque n'en revient pas : le LSD incendie la plaine. Des millions de pékins se paient des transes à 100000 volts sans mode d'emploi. Après les savants, entrent en scène les journalistes. Les médias font un tintamarre hallucinant. La démocratisation fiévreuse du LSD en a tué l’étude.

Grof ne tentre pas chez lui. Il va devenir américain. Par chance, son travail avec le LSD va pouvoir se poursuivre, à Baltimore. Au Spring Grove Hospital, dans I'une des dernières poches d'expériences psychédéliques américaines. Une incroyable mission : il s’agit de donner du LSD à des cancéreux condamnés et particulièrement flippés.

Au départ, l'idée vient de Chicago, où le docteur Kast cherche à soulager la souffrance physique des cancéreux. La douleur obéit à des lois bizarres. On peut la combattre en l’oubliant ou, au contraire, en s'y engouffrant entièrement.

Certes, chaque trip est particulier, y compris chez un même malade, à qui les psychiatres font subir jusqu'à cinq séances LSD. Mais une constante se dégage : la thérapie la plus radicale semble exiger que l'on « vive sa mort ».  Curieusement, les psychiatres observent que cette expérience très singulière se déroule chaque fois dans le même contexte : en pleine remontée de la Matrice périnatale III. En d’autres termes, c'est au moment où le patient revit la partie la plus violente de sa propre naissance, qu'il se croit en train de mourir.

Couché en foetus, le corps secoué de spasmes très douloureux, et soudain l'idée s'impose à toi : tu vas mourir ! Tu te rebiffes des quatre fers. Alors c'est l'horreur. Tu cries. Tu supplies. Tu étouffes. Tu rapetisses. Tu éclates. Tu perds ton nom. Tu meurs.

Le fait de revivre l'épisode de la troisième matrice périnatale, fait généralement résonner la quatrième tout de suite après. Quand cela se passe, les malades terminent la séance complètement béats. Leurs derniers jours s'avèrent alors souvent les plus « clairs » de leurs vies. Avec les rebondissements positifs qu'on imagine sur le moral des familles.

Ce travail avec les mourants précise bien des choses que les Tchèques avaient déjà devinées, en travaillant avec de simples névrosés. L’angoisse de la mort se retrouve empiriquement au centre de tous les paradoxes de la psyché humaine.

Les souvenirs sont liés les uns aux autres par paquets, par chaînes, que Grof appelle des COEX (« constellations spécifiques de souvenirs formés d’expériences et de fantasmes condensés »). Quand tu as mal à l’une tu as mal a toutes, mais quand tu t'en débarrasses, c'est le poulpe entier qui part.

Plus profondes encore, viennent les fameuses matrices périnatales.

Le but de toute psychothérapie consiste a défaire ces cordes qui entravent le flux vital, à défaire donc ces ancrages. Pour cela un seul moyen : il faut revivre le moment où les matrices périnatales se sont constituées, c' est-à-dire la naissance. L'individu traverse une expérience des plus singulières : il « vit sa mort » et « renaît ». Toutes les grandes techniques d'initiation ont toujours reposé Ià-dessus. Le monde modeme redécouvre lentement ces très anciens savoirs.

Le plus surprenant, dans le matériau psychologique dont Grof se sert pour tracer sa cartographie, ce sont les détails. Non seulement les hallucinés ont l'impression de revivre tel ou tel moment de leur naissance, avec tous les symptômes physiologiques, mais ils mentionnent souvent, à leur insu, des tas de renseignemenrs : sur leur position dans l'utérus, sur la qualité du liquide amniotique, sur les rythmes, les saccades, les engorgements, les sécrétions. Il n'est pas rare qu'un individu découvre sous trip qu'il a failli être étranglé par le cordon ombilical - ce qui, lorsque la vérification est possible, s'avère exact.

Stan Grof  a cessé ses expériences sous acide depuis 1976. Entre-temps, il a mis au point une méthode dite de « thérapie holotropique », à base de techniques respiratoires.

Dernière modification par petero (21 août 2019 à  12:47)

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LLoigor homme
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Russia
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Les écrits de Grof sont extrêmement intéressant wink
(le hic c'est que les 2 bouquin qui parlent le plus des psyché un seul existe en version française hmm )

- Royaumes de l'inconscient humain : la psychologie des profondeurs dévoilée par l'expérience LSD. (Pas cher et trouvable facilement)

- LSD Psychothérapy (jamais traduit en français, et vu le vocabulaire même en parlant assez bien anglais c'est pas simple)

Ses autres livres sont sûrement intéressant mais perso vu que seul ces 2 la parlent uniquement des thérapies avec les psyché, ses autres livres m'ont jamais trop intéressé.

Вам не нужно делать ничего, кроме перевода подписи

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petero homme
Banni
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LLoigor a écrit

- LSD Psychothérapy (jamais traduit en français, et vu le vocabulaire même en parlant assez bien anglais c'est pas simple)

https://i.imgur.com/Wo50Qsc.jpg


Pour ceux qui sont calés en anglais, on peut le lire  en PDF en cliquant ici.

Dernière modification par petero (21 août 2019 à  16:59)

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