« Histoire de la réduction des risques liés à l'usage de drogues » : différence entre les versions

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En 1984, l'Îlot Chalon est devenu une gigantesque scène ouverte d'héroïne à côté de la gare de Lyon. Rasée et réhabilitée, cette scène se déplace à la Goutte d'or. La thématique du trafic local, et à travers elle du dealer, monte en puissance, accroissant la répression des usagers revendeurs (Duprez, Kokoreff, 2000). La loi de 70 est censée faire une distinction nette entre trafic et usage, mais son application s'avère plus compliquée : les usagers sont souvent revendeurs pour financer leur consommation et ils sont condamnés comme des trafiquants. En septembre 1984, le garde des Sceaux, Robert Badinter, publie une circulaire recommandant au Parquet de déterminer si la qualité de trafiquant de stupéfiants ne prime pas sur celle d'usager. En 1986, Jean-Claude Karsenty, président de la MILDT, instance créée en 1982 pour coordonner la lutte contre la drogue, propose le vote d’une loi qui crée une incrimination spéciale de cession de stupéfiants pour usage permettant d’utiliser la procédure de comparution immédiate afin de réprimer plus vite et plus fort les usagers revendeurs. Les prisons se remplissent d’« ILS ».
En 1984, l'Îlot Chalon est devenu une gigantesque scène ouverte d'héroïne à côté de la gare de Lyon. Rasée et réhabilitée, cette scène se déplace à la Goutte d'or. La thématique du trafic local, et à travers elle du dealer, monte en puissance, accroissant la répression des usagers revendeurs (Duprez, Kokoreff, 2000). La loi de 70 est censée faire une distinction nette entre trafic et usage, mais son application s'avère plus compliquée : les usagers sont souvent revendeurs pour financer leur consommation et ils sont condamnés comme des trafiquants. En septembre 1984, le garde des Sceaux, Robert Badinter, publie une circulaire recommandant au Parquet de déterminer si la qualité de trafiquant de stupéfiants ne prime pas sur celle d'usager. En 1986, Jean-Claude Karsenty, président de la MILDT, instance créée en 1982 pour coordonner la lutte contre la drogue, propose le vote d’une loi qui crée une incrimination spéciale de cession de stupéfiants pour usage permettant d’utiliser la procédure de comparution immédiate afin de réprimer plus vite et plus fort les usagers revendeurs. Les prisons se remplissent d’« ILS ».
En 1986, Jaques Chirac devient Premier Ministre et reprend à son compte le discours d’associations telles que le « Comité Antidrogue ». Il s’insurge « contre l’injonction thérapeutique qui aboutit finalement à une absence de traitement et à une absence de sanction ». Il demande à Albin Chalandon, Ministre de la Justice, de rassurer et frapper l'opinion publique. Ce dernier dénonce ceux qui ont le monopole du soin, les psychiatres, jugé laxistes. Il veut imposer l’application stricte de la loi avec traitements obligatoires ou incarcération et annonce la création de 1 600 places dans des centres pénitentiaires pour désintoxiquer de force les drogués, et de 2000 pour l'association « Le Patriarche », alors même que l'on sait déjà que celle-ci pratique un traitement fondé sur la coercition et une sanctification du maître fondateur, Lucien Engelmajer, sans parler des abus sexuels et des malversations2.
En 1986, Jaques Chirac devient Premier Ministre et reprend à son compte le discours d’associations telles que le « Comité Antidrogue ». Il s’insurge « contre l’injonction thérapeutique qui aboutit finalement à une absence de traitement et à une absence de sanction ». Il demande à Albin Chalandon, Ministre de la Justice, de rassurer et frapper l'opinion publique. Ce dernier dénonce ceux qui ont le monopole du soin, les psychiatres, jugé laxistes. Il veut imposer l’application stricte de la loi avec traitements obligatoires ou incarcération et annonce la création de 1 600 places dans des centres pénitentiaires pour désintoxiquer de force les drogués, et de 2000 pour l'association « Le Patriarche », alors même que l'on sait déjà que celle-ci pratique un traitement fondé sur la coercition et une sanctification du maître fondateur, Lucien Engelmajer, sans parler des abus sexuels et des malversations. (Tous ces faits ne seront finalement reconnus par la justice qu’en 1998, Engelmajer sera condamné par contumace quelques temps avant de mourir et de voir son association si puissante se retourner contre lui puis s’écrouler au début des années 2000.)




Cette annonce va provoquer un tollé. Les psychiatres, Olievenstein, Valeur, Curtet, et l'ANIT (Association Nationale des Intervenants en Toxicomanies), association créée en 81 pour regrouper les intervenants en toxicomanies, montent au créneau, soutenus par des associations de défense des droits de l'homme et de magistrats. Le 23 octobre, Michèle Barzach, Ministre de la santé se désolidarise suivie notamment par Philippe Seguin, son Ministre de tutelle, par Simone Veil, ancienne Ministre de la santé. Mais Albin Chalendon persiste, révélant en octobre l'étude « d’une disposition qui prévoit l'internement des toxicomanes majeurs à la demande des familles ou du procureur de la république ». La contestation est relancée, outre l’opposition, de nouveaux membres de la majorité expriment à leur tour leur réserve. Un procureur, Georges Apap, désavoue publiquement la politique répressive du gouvernement. En janvier 1987 le retrait du texte est définitif.
Cette annonce va provoquer un tollé. Les psychiatres, Olievenstein, Valeur, Curtet, et l'ANIT (Association Nationale des Intervenants en Toxicomanies), association créée en 81 pour regrouper les intervenants en toxicomanies, montent au créneau, soutenus par des associations de défense des droits de l'homme et de magistrats. Le 23 octobre, Michèle Barzach, Ministre de la santé se désolidarise suivie notamment par Philippe Seguin, son Ministre de tutelle, par Simone Veil, ancienne Ministre de la santé. Mais Albin Chalendon persiste, révélant en octobre l'étude « d’une disposition qui prévoit l'internement des toxicomanes majeurs à la demande des familles ou du procureur de la république ». La contestation est relancée, outre l’opposition, de nouveaux membres de la majorité expriment à leur tour leur réserve. Un procureur, Georges Apap, désavoue publiquement la politique répressive du gouvernement. En janvier 1987 le retrait du texte est définitif.


== L’aveuglement face au sida ==
== L’aveuglement face au sida ==
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