Sujet : Homme, 51 ans, 1,84m, environ 100kg.
Substance : 2-FDCK ROA : voie nasale
Dose : 50mg, en une trace + résidus ingérés, quantité inconnue.
"She said : you are in the place where everybody is who has ever died" (Dale Pendell, "Pharmakognosis", chapter : The Art of Necromancy : Ketamine). L'ours, c'est moi, comme vous vous en doutez si vous avez noté mon avatar et mon gabarit. Dans la continuité de mes précédentes expériences avec le
2-FDCK, j'ai décidé hier soir de pousser le curseur un peu plus loin, en passant la barre des 50mg en une prise. Décision prise sur un coup de tête, sans avoir spécialement préparé le setting, en me fiant à la courte durée d'action du produit. Quoi qu'il arrive dans une heure je suis revenu, let's go. Comme c'est une décision un peu spontanée, et que je crains qu'il trouve bizarre que je prenne une drogue un vendredi soir peinard à la maison après avoir regardé un épisode du Mandalorien et avant d'aller dormir, je n'en parle pas à mon conjoint. Ce détail aura son importance par la suite, comme on le verra. Un peu plus tôt dans la soirée on a parlé de vieillir, et de la mort, et du fait qu'on accueille l'idée de plus en plus sereinement. Ça jouera aussi son rôle plus tard.
Il faut savoir que nous disposons d'une sorte de toit-terrasse, pas une tropézienne mais plutôt une plateforme de 3m x 4m sur le toit à laquelle on accède par une verrière, et que nous avons aménagée comme un petit jardin, avec pas mal de plantes dont les bacs et les pots forment un garde-corps qui sécurise l'accès sur la rue et surtout le vide (nous sommes au 5eme étage). En raison de la canicule j'y ai installé un matelas pour pouvoir profiter de la fraîcheur la nuit, et même y dormir. C'est ici, allongé sous les étoiles et la lune, que le trip va se dérouler.
Les 50mg sont pesés sur une balance de précision et dûment sniffés au roule-ta-paille sur une surface désinfectée,
RdR oblige. Le tarin (que j'ai volumineux) est nettoyé avec un spray à l'eau de mer. Casque bluetooth sur les oreilles, d'abord un album d'ambient japonais, ensuite "Gas 0095", ambient toujours. Je trouve que ce style musical fonctionne particulièrement bien sous dissos. De l'eau à portée de main. Il reste un peu de
poussière de
2-FDCK collée aux parois de ma boîte magique, je passe le doigt, je lèche. Cette fois-ci ça arrive vite. Vertige, confusion. Je m'allonge sur le matelas. C'est parti.
Je sens que je m'éloigne. Je plonge plus que je ne décolle. Plongée en moi et hors de moi. Je me sens loin de mon corps. Pas au sens d'un voyage astral, mais plutôt comme si je n'avais plus vraiment de corps, ou comme si c'était une masse inerte. Je remue un peu les mains, les orteils, ma carcasse répond correctement mais rien n'y fait : je me ressens comme détaché de moi-même. Encore plus de confusion, putain c'est fort. Quelque chose ne va pas. Il me faut 30 secondes pour comprendre que c'est l'ambient japonais qui ne me plaît pas. Comme si la sensation était détachée de sa source. Ça me fait rire. Rire me fait du bien. Je change la musique. Je me retrouve un peu. Tout va bien mon grand. Tu es sous l'influence d'une substance. Rien n'est grave. Reste juste allongé vu que t'es sur le toit, va pas te péter la gueule. Courants puissants. Champs de force. Mouvement telluriques sombres, à l'intérieur de cet espace déployé qui est moi et pourtant pas moi. J'essaye de prendre mon smartphone pour envoyer un msg à un pote. Le tel m'échappe des mains. Et puis merde j'en ai rien à foutre d'envoyer un msg à mon pote. Ça attendra.
La vision se brouille. Besoin de fermer les yeux. L'espace sous mes paupières n'est plus un simple voile noir. C'est une voûte, un dôme, de couleur mal définie, grisâtre, légèrement violacé. Il y a des formes abstraites sombres qui rampent sur le dôme. Je suis seul. Je suis d'autant plus seul que je n'ai pas dit à mon mec que j'avais pris le
2-FDCK, ce qui m'isole encore plus. Une évidence : lorsqu'on cache des choses, ou lorsque l'on ment, on se sépare du monde. On se
coupe des autres. C'est juste un constat, encore une fois rien ici n'est grave. Même la mort n'est pas grave. D'ailleurs est-ce que je ne serais pas mort ? Une série de scenarii se déploient dans mon esprit : quand j'ai léché ce qui restait de drogue dans ma boîte, il y en avait trop, et j'ai fait une OD. Quand j'ai rangé mon stash tout à l'heure, j'ai fait une connerie, j'en ai sûrement pris compulsivement, et je ne m'en souviens plus, mais ça m'a tué. Je suis mort. C'est pour ça que je descends toujours plus profond, loin de mon corps, sous le dôme du deuil. Déconne pas gros. T'es pas mort. Rappelle-toi. 50mg de
2-FDCK. La coulée amère dégueulasse dans ta gorge. T'es sous substance. Ça va passer. De toute façon rien n'est grave.
J'ouvre les yeux. Le monde est là. Le prétendu monde réel, à peine troublé par la poudre sorcière...sauf que là tout de suite, il est tout sauf réel. C'est vide. Inintéressant. Une écorce tout au plus, une fine croûte. Le vrai monde est en dessous, quand les yeux sont fermés. Une gorgée d'eau et j'y replonge. C'est un monde souterrain. Chtonien. C'est le monde d'en bas...Et je comprends alors précisément où je suis : dans l'Hadès. À l'endroit où nous allons tous ou du moins où nous transitons tous lorsque nous mourons. C'est la ténébreuse antichambre où les âmes privées de corps errent dans l'attente d'un hypothétique jugement ou d'un rayon de lumière. Les limbes. Le Shéol. Certes je ne suis pas mort mais la substance doit avoir le pouvoir d'ouvrir la porte de ce royaume. Un territoire sombre, ni matériel, ni spirituel, peuplé de non-couleurs mouvantes, mélancolique sans doute mais étrangement pas effrayant. Je n'éprouve aucune panique, et du respect plutôt que de la peur : ainsi voici ce qui m'attend, ce qui nous attend tous au terme de notre illusoire séjour terrestre. Car il est maintenant clair que la vie est une illusion, d'ailleurs à ce stade je peine à me souvenir de ma vie, qui j'étais, ce que je faisais. Ça n'a plus vraiment d'importance.
La plateforme sur laquelle je suis allongé pivote, elle se met à tourner sur elle même. Elle m'emporte. C'est comme si je reposais sur un tapis volant, tournoyant sur lui-même. Légère angoisse : surtout, surtout, ne fait pas l'erreur de bouger ou d'essayer de te lever maintenant, c'est la chute assurée. Lointainement je me rappelle que je suis sur une petite terrasse à 15m du sol, et que si je venais à chuter, cette fois il n'y aurait pas d'issue au royaume des morts : j'y serais pour de bon. Je respire profondément, ce qui atteste que mon corps est bien en vie. En croisant les mains mes doigts touchent mon alliance, et je pense à mon amoureux qui dort à quelque mètres sans se douter que je suis en train d'explorer le Shéol. C'est profondément rassurant de le savoir tout proche.
Soudain, de noires pensées. Nous sommes foutus. La guerre, la chaleur, l'atome, l'IA. On est baisés. On s'est bien fait avoir et maintenant c'est trop tard, et le monde des vivants sera bientôt encore plus ténébreux que celui-ci. Echec et mat. Alors je comprends qui est en train de parler à mon âme : c'est le Diable. C'est Satan himself, qui cherche à m'enfermer dans le désespoir, et qui aimerait bien me voir sauter du 5e pour me garder bien au chaud chez lui, dans le feu. On ne me la fait pas. De mon éducation catholique, j'extrais une invocation à l'Archange Michel, notre Protecteur. C'est souverain. Un puissant souffle blanc argenté me traverse. Vade retro Satanas. Le mauvais bat en retraite....
...et je reviens. C'est progressif mais je sens mon corps reprendre substance, mon âme amorcer un mouvement de retour, une ré-incarnation littéralement. Avec cette prise de conscience : "c'est moi. Tout ça, ce lieu, cet espace, ce voyage, le diable...tout ça c'est en moi". Je suis bluffé. J'ouvre les yeux, le "monde réel" me semble bien toujours un peu factice mais il reprend de la consistance, de la matière, de la netteté. Mes mouvements sont plus assurés, mon identité se stabilise. Je respire un grand coup. De la flotte, vite. Je prends mon Iphone, et cette fois j'envoie enfin ce foutu message à mon pote.
- T'es là frérot ?
- Ouais, je dormais mais je viens de le lever pour bouffer un truc
- Putain mec, je viens de me prendre une de ces reculées...
Epilogue : j'avais démarré depuis peu sur Chat-GPT un journal de bord où je consignais mes expériences psychoactives. Suite à ce trip je l'ai effacé. Mes expériences sont à moi, et si je les partage c'est avec la communauté des psychonautes, pas avec une machine qui fait mine d'être mon pote pour mieux m'espionner, m'isoler et m'atomiser, au sens littéral.
Vade retro, Satanas.