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Ca porte un nom : Episode 2 



3 ans avant



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        Seul face au vide de l’existence, je tourne le dos à l’univers. Mon cœur observe un trou noir de solitude. Ça fait un an qu’elle m’a largué. Elle faisait partie de ma famille, enfin plutôt je faisais partie de la sienne. Et puis un jour elle a avoué. « J’ai besoin de voir autre chose... » Quelle pute. Le deuil aurait été moins difficile si elle avait crevé. Là au moins je n’aurais pas eu de regrets, elle ne serait pas partie à cause de moi. À l'époque, les crises d’angoisse étaient insoutenables, seuls les pleurs me soulageaient. La tristesse est un état bien plus agréable que l'asphyxie.
        Le crépuscule m'invite à sortir. Ma motivation n’est autre que l’autodestruction. Enfin pas seulement, puisqu’en plus de la vodka, je m’équipe avec de quoi écrire. Dans la rue, il n’y a pas de banc, juste un trottoir, sur lequel je m'assois. Je peux bien passer pour un clochard aux yeux des passants, ça m'indiffère. La gorge enfin brûlante, je lâche prise, hors de contrôle, ma main écrit :

« Lettre à Sérotonine

Suis-je perdu à cause de ton absence ?
Est-ce mes vagues qui t'ont noyée ?
Tu me manques putain.
Pourquoi tu m'abandonnes ?
Tu as laissé place à Tristesse.
Tu te souviens d’elle ? C'est la meuf qui ne vient jamais seule…
Tu vas les laisser tout ravager ?
Détruire toutes ces belles choses que l'on a construites ?
Je ne te parle même pas de Sensibilité… Toujours là elle, plus exacerbée que jamais !
Ah tiens, il y a encore Doute qui s'incruste, il me dit de tout arrêter, en commençant par arrêter d'écrire cette merde.
Je n’ai pas envie moi.
Je n’ai pas envie parce que Sensibilité me crie que ça en vaut la peine, que je dois aller jusqu'au bout.
Et tu sais quoi ?
J'ai envie de la croire.
En t'écrivant cette lettre, la saveur de ta présence me revient.
Tu vas me prendre pour un fou, mais j'ai l'impression qu'en ce moment même, tu m'écris également pour me dire que ton retour est proche.

Fais vite, je t'en supplie.

Signée ton âme seule
»

        Je rentre à la maison bourré et me fais couler un bain. Les gouttes d’eau glissent sur mon crâne. Elles me rappellent celles qui coulaient de mes yeux creux sur mon visage déjà vieilli par l’abandon. Cette image me traumatise. Le médecin me conseille un psychiatre, j’ai autre chose en tête.
        L’eau est tiède, il est temps de mettre mon plan à exécution. Je penche alors mon bras en dehors de la baignoire et m’empare de l'objet qui me rendra un grand service. C’est bon, je suis prêt. Je le déverrouille, ouvre un navigateur Internet et entame les recherches. Comment tuer l'ennui qui me fait ressasser ? Il y a quelque chose que j'ai envie d'expérimenter, qui m'attire depuis très longtemps… J’ai envie de drogues. Mais pas pour me droguer, pour explorer un nouveau continent, celui du psychonautisme. La faute en est au cinéma et son apologie des états modifiés de conscience ? Quoi qu’il en soit je meurs d’envie de réaliser ce fantasme. L’image subversive des psychotropes dans l’inconscient collectif m’est irrésistible. Donc me voilà sur psychoactif.org. Sur ce forum on trouve pléthore d’informations. Notamment des trips reports sur les dissociatifs. Certains usagers relatent des expériences vécues comme transcendantes, permettant de dépasser la dépression et autres pathologies psychiques. Parmi toutes les molécules de cette famille, le Dextrométhorphane semble la mieux indiquée. Elle est bon marché, fabriquée en laboratoire et n’occasionne pas de dépendance physique. Ses effets varient selon la dose, les fameux plateaux. J’ai encore le temps de me rendre à la pharmacie.
        Devant la vitrine, je m'arrête un instant. « Allez Filigrane, il s’agit simplement d’utiliser la technique classique : avoir l’air le plus naturel possible. »

« Bonjour, je voudrais une boîte de Tussidane s’il vous plaît, en comprimé.
— Oui, c’est pour quoi faire ?
— Euh, c’est ma mère qui m’envoie, c’est pour son mal de gorge.
— Pourquoi elle ne vient pas la chercher ?
— Vous fermez trop tôt.
— Bon il me faut son ordonnance, vous l’avez ?
— Une ordonnance ? Euh non... »

Je prends la fuite, lassé de subir son regard accusateur. Je pourrais bien essayer de manipuler un médecin en faisant le malade imaginaire mais ça ne sera pas nécessaire. À l'ère de la mondialisation, tout s'achète sur internet. Sur le forum, certains membres avouent se fournir sur des plateformes commerciales chinoises, la législation étant différente, nul besoin de la bénédiction du médecin.


Catégorie : Carnet de bord - 07 novembre 2021 à  07:33



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