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Eau écarlate 





Ce que cette pub ne dit pas, c'est que l'eau écarlate est un puissant hallucinogène. Je ne recommande nullement son usage récréatif étant donné qu'il s'agit d'un produit hautement toxique.

Mais voilà; j'ai eu 14 ans, j'ai été con, et j'ai essayé. Plusieurs fois.

La première fois, c'était en séchant les cours au collège. Avec des connaissances, nous nous étions groupés derrière le bâtiment pour en sniffer avec un chiffon.
Je ne connaissais pas. J'avais déjà vu un jeune sniffer une fois l'essence de son scooter, et c'était à ce moment-là pour moi une expérience qui se voulait analogue.

J'en avais sniffé juste un peu. Mais ça a bien agi, et vite. Je restais assis, adossé au muret, complètement silencieux tandis que dans ma tête une scène de malaise se déroulait; je me voyais, et je voyais le fourgon de ma tante se garer devant l'établissement, puis je la voyais en descendre, avant de se diriger vers moi et de me coller une claque monumentale. Ce n'est pas arrivé, mais j'aurais juré l'avoir sentie. S'ensuivirent des maux de tête et un état de torpeur qui cessèrent après quelques heures.

La deuxième fois, c'était toujours avec les mêmes connaissances. Nous étions agglutinés dans un coin d'herbe près d'une route en travaux.
Nous sniffions dans une chaussette que nous nous fîmes passer à plusieurs reprises.
Au bout de quelques tours, j'ai senti une grande euphorie m'envahir. Ainsi qu'une grande chaleur. Mes membres me paraissaient d'un coup beaucoup plus lourds et fastidieux à déplacer. Comme j'étais à peine habitué au cannabis, je pensais que les effets se limiteraient à ces quelques sensations. Ce ne fut évidemment pas le cas.
J'ai commencé à me sentir de plus en plus lourd. Les sons autour de moi avaient laissé place à une courte boucle audio qui se répétait à l'infini dans mon cerveau. Le bruit des travaux alentours. Ou pour être plus exact, un sample d'environ 1.5 secondes de ces bruits.
Donc, je me sentais lourd, avec une tête toute légère. Comme cela créait un déséquilibre je décidai de me lever brusquement.
Et là, premier flash. Le visage de tous mes camarades s'était transformé en smileys jaunes et rouges. Wow. Ma toute première hallucination visuelle.
Dans la même journée la chaussette qui avait servi à sniffer finira d'ailleurs en feu, puis sur ma tête, brûlant une partie de ma chevelure. Bienheureusement rien de sérieux.
Nouveau mal de crâne.

La troisième fois, j'étais seul. J'avais gardé de l'eau écarlate dans une bouteille en aluminium que j'avais bouchée d'un bouchon de liège. J'avais décidé d'aller me promener dans une zone éloignée de chez mes parents, en pleine nuit, et de me défoncer à l'eau écarlate jusqu'à atteindre mes limites. La mort n'étant pas à exclure.
Cette expérience fut d'abord différentes des deux premières. J'ai tout d'abord sniffé directement à la bouteille durant cette session. Bien que je sentais une certaine lourdeur dans mon corps, je n'avais cette fois ni boucle audio ni hallucinations. Dans un premier temps.
Mais voilà, je devenais de plus en plus lourd, et j'avais chaud. Très chaud dans tout mon corps. A ce stade ma démarche était très étrange, car je devais faire un effort énorme afin de soulever mes jambes pour marcher. Heureusement il faisait nuit et il s'agissait d'un coin qui était à l'époque proche de la campagne et des plantations, aussi, seules quelques voitures croisèrent mon chemin ce soir-là.
Décidant au vu des effets inattendus de rentrer (péniblement) chez mes parents, j'engageai le chemin inverse. Je me retrouvai alors à côté de mon ancienne école primaire. Là se trouvait une cabine téléphonique. J'en profitai alors pour passer un appel (un long appel en réalité) à mon meilleur ami de l'époque, qui, surprise, s'avérait être en compagnie d'un autre de nos camarades de classe cette nuit-là. Ils semblaient se moquer de ma diction et avoir du mal à comprendre la moitié de mes phrases.
J'ai par la suite appris, bien après être rentré, que cet appel téléphonique n'avait jamais eu lieu.

La quatrième fois fut la dernière.
C'était l'après-midi. Mes parents s'étaient absentés pour je-ne-sais quelle raison, me laissant seul à la maison avec ma bouteille d'eau écarlate.
Comme la troisième fois, j'ai décidé de sniffer directement à la bouteille. Sauf que cette fois, je n'avais pas un fond d'eau écarlate dans une bouteille en alu, mais une bouteille neuve et entière à ma disposition.
Je m’asseyais sur le canapé, la bouteille à la main. Alors que les sniffs s'enchaînaient, et que la chaleur continuait de monter en moi, le geste de porter la bouteille à mon nez devenait une sorte de mécanisme automatique. Je me défonçais beaucoup plus que ce que j'avais initialement prévu. Et j'allais en payer le prix.
J'avais maintenant réussi à poser la bouteille sur la table basse du salon.
J'observais mes mains, et remarquant les rides sur mes phalanges, je me mis alors à penser que j'étais une sorte de reptile. Avant de doucement me lever et de me rendre devant un miroir pour voir mon reflet.
Je ne me reconnaissait pas. J'avais devant moi un pantin inconnu fait de chair.
J'ai alors eu une sensation au niveau de mon coude. En regardant mon bras gauche, je constatais alors que celui-ci était fait de plastique, était en train de brûler puis de fondre, avant de tomber sur le sol. Je regardai de nouveau mon reflet, puis de nouveau mon bras. Tout était normal.
Un peu troublé, mais sans trop y penser, je me rasseyais sur le canapé, pour profiter du petit flux d'air qui passait par la fenêtre.
C'est alors qu'après quelques secondes, le produit a véritablement agi.
J'avais la vue fortement brouillée par une neige visuelle multicolore.
J'ai d'abord vu les murs se dédoubler en couches distinctes de noir et de blanc.
Puis ceux-ci sont tombés. Pas tombés comme un mur pourrait logiquement tomber, en fait les murs à ce moment ont traversé le sol pour tomber dans un vide infini, me laissant dans un environnement entièrement noir. J'étais plongé dans le noir.
J'ai alors senti que je chutais à mon tour, indéfiniment vers le bas. Il n'y avait plus rien autour de moi, que du noir.
Pendant ma chute, j'ai vu apparaître face à moi un vieux poste de télévision, type CRT (écran à tube cathodique) sur lequel était diffusé en qualité VHS une sorte de vieille sitcom américaine qui prenait place dans un bureau. Je me souviens avoir distinctement vu un couloir, avec un photocopieur à côté d'une plante verte. Une femme avec une coupe au carré est alors passée d'un pas pressé dans le couloir, toujours sur le même plan fixe. Comme si elle entendait son nom, elle a alors tourné la tête en arrière. Elle avait le chiffre "4" tatoué au marqueur sur sa joue gauche.
Tout est devenu brumeux. J'ai repris connaissance sans trop savoir quand ni comment, et mon premier réflexe fut de ranger la bouteille d'eau écarlate dans le tiroir sous l'évier, pour ne plus jamais l'en ressortir.
Je suis ensuite allé dormir quelques douze heures pour récupérer.

Morale de cette histoire: N'essayez pas de sniffer des solvants. Les drogues de rue sont beaucoup plus saines pour votre corps et votre cerveau.

Merci de m'avoir lu.

Catégorie : Trip Report - 03 août 2019 à  17:39

Reputation de ce commentaire
 
Effrayantes, ces hallucinations. Ces solvants ont l'air hyper-toxiques. Lena.



Commentaires
#1 Posté par : Anonyme Acculée 11 août 2019 à  18:24
Quelle expérience ! J'ai essayé de me renseigner au sujet de la composition de cette eau écarlate, surtout pas pour la tester en tant que drogue, mais pour en évaluer la nocivité. Pas trouvé grand chose, si ce n'est un mélange de plusieurs solvants hydrocarbures aliphatiques (peut-être de l'hexane), tous plus dangereux les uns que les autres.

La publicité me rappelle une autre fausse pub (un fake) parue dans le fanzine VIPER numéro 5 spécial Noël. Je ne l'ai pas retrouvé : on y voyait une femme de ménage défoncée, allongée par terre, les yeux qui louchent, avec comme slogan "L'eau écarlate efface tout. Vraiment tout !".
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Les hallucinations sont bien flippantes. J'ai déjà connu quelque chose qui s'en rapproche. Tout d'abord, le fait de ne pas se reconnaître dans le miroir ou de voir une personne étrange, inquiétante, souvent dans un état malade morbide. Ça m'avait fait ça avec du poppers que je respirais en quantité énorme, sans m'en rendre compte, sous 3-mmc (association dangereuse, car la 3-mmc permet de supporter de longues inhalations de poppers; une fois, sans le faire exprès, toujours sous 3-mmc, du poppers m'est même rentré dans le nez, je suis tombée à terre, presque évanouie, j'ai eu peur; depuis, j'ai fortement limité mon utilisation du poppers dans ce contexte). Je me souviens, dans le miroir, j'étais blanche comme le regretté Klaus Nomi, décharnée par l’anorexie induite par le stimulant : c'est simple, j'ai cru que j'étais morte !

Lors de mes expériences du 1p-lsd et de la 4-ho-met, également, il m'est arrivé de m'observer dans le miroir et de vite détourner mon regard, craignant de faire un bad trip, tant les traits du visage, le corps et la personne que je voyais me paraissaient bizarres, inhabituels, voire, euh, assez défraîchis !
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Autre hallucination, la boucle audio, des sons ou des voix qui se répètent à l'infini. Ces phénomènes m’inquiètent, ma crainte est de tomber dans la folie ou bien encore une fois, de virer dans le bad trip. J'avais évoqué sur le forum la "respiration" de mon frigo, entendue sous hallucinogènes, bruit grave véritable de mon gros réfrigérateur amplifié ou déformé par les substances ingérées.

Enfin, mon top 1 dans ton récit cauchemardesque : avoir une longue conversation avec un fantôme ! Brrrrrr... En particulier quand tu réalises le délire après coup !

J'ai beaucoup aimé la précision de ton texte, en tous cas, encore merci.

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