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Revenir. Essayer de revenir.
D'un interminable cloisonnement, d'une apnée longue et intenable.
De l'autre côté de la fiction se sont approchés de moi… qui ? quoi ?
Rien… plus rien n'est visible.
Sors de ta veille, réveille-toi, remonte les stores.
C'est fini.
LAAW ??
Un sourire face à l'abîme…
Mon retour à l'état dit normal dans le premier et vrai réel est coriace. C’est comme une transe de 48 heures non-stop de derviche tourneur sous émulsif sanguin d'acide lysergique mixé à de la crystal-kaïn. C’est une déconnexion, une Dés-Immersion à l'épreuve. J’ai des effluves de visions, comme si des briques de matières fluides et organiques se désunissent. L’Immersion... encore... le merdier cloné. Aux détours d'une confluence de trimarans qui percent l'évaporation des spirales-prismatiques, celles que les Immergés nomment ohtavan, de vastes processions comme dix planétoïdes informatifs constituées d'anneaux en croisements, comme ceux de Saturne, formulent d'intensives vibrations sonores issues des combinaisons de l'externe et de l'interne, celles des Immergés reliés. J’ai l’impression que cet univers s'éloigne. Je perçois encore dans un flou préconscient des silhouettes chromées de Projections qui s’émiettent. En quoi ce que je ressens parait-il plus vrai que ce que je reflète ? Y’a-t-il un « vrai » côté du miroir ? Et si ce côté véritable n’était qu’un moyen pour certaines forces du cosmos d’observer sans relâche l’humanité ? Où est ce que ce fils de trade de Tsad m’a emmené ? Je parle tout seul. Je murmure tous ces trucs dans le vide sans m'en rendre compte. Je ressens un engourdissement général. L’une de ces sensations bénies s’enfuie déjà, à peine ressentie, dans un air doux, un vent frais qui parcourt ma nuque et mes épaules ; une sensation qui jamais ne reviendra. Le ciel est dégagé à certains endroits, l’aube est profonde et les chasseurs de foudre sont à pied d'œuvre. Le disque lunaire parsème ses nuances suaves, ma respiration reflète à merveille l’état de mon esprit. Je suis enlisé au sol, bras écarté. Je fais plier les herbes hautes humidifiées par la rosée, d'un soir avancé. Je me rappelle cette phrase qu’un cousin lança à Claire, dans un contexte particulier (sa fricote avec le Raid de Jettatura, hors-contrée truande des Terres-Australes) : « tu dis revenir de loin ? C’est surtout… que tu n’es allée nulle-part… » Je crois qu’il en va de même pour moi en cet instant.
Coup hardcore.
Mon esprit reste enlacé dans l’horreur passée. Mes tempes s’enflamment. Je sens comme une plaque de fer froide me collant la nuque et l'arrière du crâne. Pendant qu’hulule l’un de ces rapaces nocturnes en voie d’extinction, je devine qu'un vaste bocage embrasse l'espace à mes arrières. J’ai toujours aimé entendre cette prise de parole (éloquente) de ces drôles de bolides. Des tréfonds de la biosphère mourante, de tout ce qui vibre, chante, piaille ou cri, un réconfort immanent m’agrippe. La chouette était le premier symbole de ma mèt-is. Je m’appuie des coudes sur la terre aqueuse pour me redresser, en repérant les enclos lointains du champ. Mes mains sont couvertes de crasse sanguinolente, je pressens qu’un filet de sang grimpe de ma joue jusqu'à l'oreille, secouée par un acouphène qui martèle des sons de machines d'usine. Le froid, la tremblote et l'envie culminante de m’étreindre au corps d’une femme. Ce froid vient couvrir mes bras nus, colle mon cou à la sueur séchée. Une douleur évasive mais éreintante tiraille mes côtes. Je ne porte qu'un t-shirt noir, sous une couverture de survie, dotée d'un matricule au thorax, sur une poche. J’ai un short de toile bleuté déchiré sur l'avant-jambe droite. J’ai des blessures aux genoux et des grains de sable pénètrent mes écorchures. Je ne ressens pas l’envie de faire mes besoins, mais vu l’odeur pénible et flasque de mes mouvements, cette fois je crois que… peut-être... grimace de dégout. Pas de bol, ma mémoire revient avec la délicatesse que je lui connais. Je la redoute, maintenant. Des visages, des noms, des odeurs de cadavres cramés emmêlées avec celles d’excréments et de l’asphanéon dissout. Ça c’était réel. Les nœuds au ventre... le J.A.C. L'âme terrorisée : vérifier la vie comme une boucle de l'enfer. Qui avait survécu ? Et aussi... oh damn’… Il y avait cette salle de torture. J’hurle. Presque à la mort. C’est un foudroiement de rage qui m’étreint à défaut d’une femme. Mes larmes pourraient ne plus s’effacer. Plus envie de rire, je me souviens clairement. Je revois l’arène. Je me vois tomber. Je me vois agrippé par trois jets de paranucléïds, encadré par un cube holographique. Autour de mon être, une case scintille d’un séduisant bleu lagon vif et argenté. J’entends une acclamation enthousiaste du public, des milliers de morts-vivants dans les tribunes. Ma tête tourne et je me retrouve en apnée, j’ai l’impression de me noyer. Le Cratère s’ouvre, et avant de m’anéantir, me dévore.
Un very-very bad trip commence. L’A.R.T est présente, dès le début je le perçois, tout autour de moi. Me voilà rat de laboratoire, prêt à être disséqué. Mentalement disséqué. Le pire étant que je reste lucide face à ce qui se passe. J’ai repris conscience vingt mille lieux dans une captivité, enterré. En position dressée, tenu de part en part dans une toile de cordons et de nœuds, la cloison du vestibule me touchant le ventre, impossible de bouger ne serait-ce qu'une épaule. La chaleur, les jambes en feu, le visage en nage. Plus un geste possible, le manque coulissant d'un appareil psychique privé du mouvement. Mon corps d’esprit ingère chacune de ses parcelles, mon corps est muré dans le silence des aiguilles du temps - et ce silence est d’horreur. Seules s'actionnent mes pupilles épuisées, tournées vers les projos du plafond qui caressent odieusement mon crâne ; et l'incrédulité de l'instant, évidemment. Pas moi... pas ça. Ouais, dans la gueule béante d’une bête féroce couverte d'ordures. Le mal suprême, faisant jaser chaque meute, chaque phratrie à travers mille hors-contrées. J’ai testé pour vous…
Je ressens encore là maintenant les pensées obsédantes de ces moments.
Mais je laisse le cyclone mémoriel me traverser. Il passe, il s'atténue par graduation avec l'air retrouvé. Le chant des grillons et la marche invisible du monde m’entourent et me protègent, comme jadis les cercles du Feu Sacré entouraient et protégeaient nos ancêtres menacés par l’esclavage. Dans cette existence, je n’ai connu que des cieux lugubres empourprés de nimbus toxiques, où un soudain 48 degrés à l’ombre peut frapper après qu’une tornade hivernale ait opérée son énième razzia sur nos campagnes déjà mortes. Inutile de préciser pourquoi les tornades ne passent jamais les Remparts Anti Flux. Mais en cet instant, le ciel, l’air, les senteurs me grisent.
Je tâte mes membres dans la furie des images en moi qui partent en fumée. J’essuie mes pleurs et tacle de mes bras l'atmosphère, par de grands mouvements tremblants, mal assurés. Est-ce que je sucre les fraises ? Est-ce que je fête mon centenaire sur ma chaise roulante qui est un petit bijou technologique ? En fait j’éclate de rire. Et je m’enserre fortement, en touchant mon visage. Rien à en dire je crois que tout est à sa place. Je suis entier et le monde ici, le monde maintenant, est sublime et vaste. Le froid... qu'importe le froid ? Il est la chose la plus agréable ressentie depuis dix ans. Plus de souffrance et que des souvenirs merdiques d'un monde merdique. Une route spacieuse sous mes pas, en roue libre devant moi. Grand-Manitou fais m’en le serment : que ce sentiment de libération se fige et reste tel quel, ici, pour toujours, maintenant.
Les jambes amorphes, je me relève. J’observe les alentours. Les phares des terrains locaux se répercutent dans les largeurs du pré. À quelques lieux s'étendent des checkpoints, des relais à hélices et des éoliennes désuètes. Une caserne en bas du pré me fait de nouveau grimacer ; rien à faire de ce côté-là, les Volts sont analogues aux tiques. Et ce bocage est comme ma résidence. Ces fils de trade rôdent dans les parages : qui dit caserne à proximité dit contrôle et surveillance accrue sur l’ensemble de l’échiquier. Je n’ai pas la moindre petite idée d’où je me trouve. La pensée qu’il s’agit d’un espace-transféré se répète dans ma tête. En bas du champ à droite, trois décharges surplombent deux consortiums étalés de long en large, et pour saupoudrer la scène, une multitude de mouettes défoncées aux pollutions zigzague au travers des fumées carburées. J’ai toujours l’impression que les humains les font marrer. Je commence à fouler l'herbe humide d'une démarche peu sûre, les pieds nus, gonflés et souillés par les efforts du choc - une sensation engourdie qui ne me déplait pas. Je devrais m’interroger sur le fait que mon tibia ne me fait plus mal, mais j’essaye d’ignorer ce superflu. Seules quatre de mes plaies aux latérales du crâne et quelques points de sutures me lancent dans un tournis difficile mais supportable, le chant des oiseaux survivalistes réapparait lentement avec la brume matinale.
L’image de Laaw a bien du mal à me quitter. Ma Graine Data Mémorielle est réactivée. J’effleure avec insistance les contours de mes plaies. Aucune graine Immersive n’est implantée en moi. C’est en poursuivant mon chemin aux effluves du sang coagulé, que je perçois en contre-bas un rocher dés-engouffré de terre, arcbouté à un abri de spatiogare. Un bureau est tapi devant cet abri. Il ressemble furieusement au bureau de la salle administrative du Yocto-Parc et à la vue du stratien en costume blanc métallisé et cravate rouge vif assis derrière, je me fige.
L’un de ces miroirs-Psychés issus du plus gros canular de la décennie s’élève sur trois mètres à ses arrières. Des parcelles du langage Immersif qu’est l’erzat fluctuent sur la face transparente. Je stoppe net ma descente et me raidis. Le technocrate me fixe et bouge de façon étrange, mouvant ses épaules comme l'effet d'une vague. J’hésite quelques secondes avant de faire volte-face ; je tourne les yeux à droite et à gauche en quête d’un chemin de traverse. Mais ce stratien m’envoute d’effroi. Comme un somnambule emparé par l’absence, des images par dizaines cognent mon mental. Les chasseurs de foudre ont cessé leur activité, les brassées de l’aube accentuent l’aurore boréale à l’Est. Une bullprotect noirâtre s’active et englobe le bureau. Mes stigmates brulent, je sens une nausée monter tandis que ma tempe droite bourdonne. Mes jambes tremblent et mon tibia cette fois sort de sa léthargie. Ma vue faiblit. D'une voix craquelée aussi stridente qu'un freinage des antiques TER aperçut dans un abécédaire, le stratien me lance :
– Qui es-tu, créature ? RETOURNE DANS LA RONDE.
L’idée tenace qui me fauche est que j’hallucine. Que ce truc n’est pas réel. Que j’ai intérêt de me ressaisir. Ça ne change rien à l’affaire. Au contraire. J’essaye de rebrousser chemin, mais la motricité de mes jambes cotonneuses ne répond plus.
– Nous t'avons prévenu. RETOURNE DANS LA RONDE.
Sa bullprotect s’élargit de plus en plus. Le stratien s’estompe telle une silhouette aérienne prenant son envol. Je ne discerne plus que ses yeux écarquillés, qui enveloppent mon esprit, s’introduisent dans mes pensées. C’est cahoteux, ça ne peut avoir le moindre sens, c’est simplement réel. Mais que ce soit réel ne signifie pas que ce soit vrai. Entièrement paralysé, la silhouette bientôt disparue m’exhorte à l’effondrement. Je ne perçois même plus le jour naissant.
Alors sa bullprotect m’englobe.
Tu les vois Iraïs ?
Tu es ailleurs ?
[...]
Catégorie : Expérimental - Aujourd'hui à 01:04