Le corproject de Laaw Mandelbrot attrape au vol l’assemblage d’infɵdés concernant l'une des coursives mémorielles de Rhisɵpsis, que celui-ci avait envoyé lors de son incommunicable élévation dans l’un des lieux clefs les plus périlleux du secteur-culminant. La Projection se saisit d’une série d'images interceptée de ses nombreux rêves, incluant quelques informations dissociées de son existence, dans une Ab-strate en apogée. Une tempête magnétique de pixels embrasse l'étendue du tour-advent de faisceaux lumineux incarnats et or. Accompagnée du corproject d’un coéquipier délivreur hacktivist, les deux êtres spectraux lévitent jusqu’au dédale parcouru de courants cinématiques. D’innombrables figures cubiques se contournent d’imposants dragons diamantins touristiques, qui arpentent des monts brumeux de séquoias aux mille facettes informatives, d’où s'expulsent des lacs de pixels foisonnants et d’où se réfractent les bases de données cylindriques en orbite autour de fenêtres astroballes ; elles-mêmes ouvertes sur des sites de jeux divers, d'ornements graphiques à la mode, de tapisseries d'un million de baldaquins et d'édifices. Des centaines de milliers de vagabonds Immergés flottent pour beaucoup sur des æshnes vives argentées, ou sur des planches à voiles, ou en delta-plane. L’éther informatif se confond en eux. Les données, symboles, verbiages encadrés de panneaux d'avertissements, de flèches, de sons visuels, de notes de musique liées aux mouvements, saturent l’ambiance divergeant d’un Immergé à un autre. Les formes que prennent leurs A.M.I rivalisent avec l’infinité des nombres. Des bateaux conquistadors arborent les étendards du Circuit et s’envoient dans le vide blanc sur les lignes axonométriques en voies de développement, par l’inventivité des Intelligences de Synthèse du constructile. Des trains fantômes surfent en destination du nuAge de Magellan. Des jeux de stratégie ou de rôle s’ouvrent en chaque angle en cours d’élaboration suivant les désirs d’accroissement ou les volontés créatrices. D’immenses paquets d'infɵdés s’entrecroisent en symphonies, s’emmêlent aux fracas de lueurs kaléidoscopiques ou explosent en paysages complexes panoramiques, ou se contrastent en certaines directions en éclairs fractals, sortant des entrailles réflexives de pensées et d’interfaces à façonner. Des végétaux multiformes augmentent ou diminuent leurs masses selon les menus et leurs boucles fonctionnelles. Partout des édifices se modélisent, partout le MirAge s’accroit et grignote le vide, partout se complexifie au fur et à mesure qu'augmente le nombre de ses façonneurs Immergés intégraux ; d'abord débutent les corprojects personnels puis s’enchaînent les additions souhaitées à d'autres galaxies privées, chaque être y apporte sa pierre angulaire, les projets de ses « processions » de constructions visuelles. L’afflux d’horizons espacés les uns aux autres comme autant de plateformes thématiques sont survolés de delta-comètes, qui lors de leurs passages éclairs s’exposent en nébuleuses de souvenirs, que les hautes-sphères des CVIR et leurs I.S ont pour projet d’élaborer en souvenirs interactifs, soit le pouvoir de s’y insérer, de les revisiter, voir même de les modifier. Les Immergés percent de leurs visuels des fenêtres aux arrière-plans sans fin, leurs souvenirs eux-mêmes ouverts sur d'autres mondes internes et contrôlés. Les fonctions Ctrl de surveillances sont en nombre incalculable et se tissent en des espaces sans cesse fluctuants, en déformations constantes et indétectables - même en un palier de Visio surpuissant : leurs stations CVIR, liées aux centres d’observations dômes-x-rhéniums, sévissent précisément dans les intervalles impénétrables de ces paliers.
C’est par infiltrat de l’un des nombreux dômes-x-rhéniums agissants en pares-feux, que les Projections de Laaw et de son coéquipier gravissent la dernière inclinaison orchestrant la création d’une demeure clandestine, qui s’élabore près d’entours in-identifiés par les CVIR, depuis peu craintifs de l'existence même et inexplicable de ces champs de singularités hors de contrôles. Quel que soit l’infɵplan et ses milliers d’options, cette entoure prohibée est purement invisible pour un Immergé voyageant hors des lignes axonométriques de son champ d’éventualités, tel un cube dont seules les arêtes se rendraient visibles, au travers d’un foisonnement infini d’autres figures entièrement apparentes et fondues en elles, distordant cependant le tissu froissé du tour-advent présent.
Les corprojects intrusifs de Laaw et de son coéquipier stoppent un instant leur gravitation, ébahis par la puissante auto-organisation des « Projections » du moi. L'homologue du corproject de Laaw capte de sa paume orientée aux plus haut des quadrillages du constructile, une brume magnétique qui de mémoire d’Immergé, reste étrangère à tout ce qui fut observé depuis l’initialisation des tours-advents et la création initiale du MirAge même. Des vols par centaines de lépidoptères phénoménaux aux ailes enrichies de détails codés et d’énigmes mathématiques façonnées en casse-têtes à résoudre, bondissent de nuances dorées en tons négatifs, se croisent et se recroisent pour donner aux quadrillages « célestes » réfractant d’infinitésimales données, un sourire étrange.
Les deux Projections clandestines remarquent les lointains bateaux calqués sur ceux qui jalonnèrent de leurs exploits l'histoire humaine. De grandes marées hautes de figures et de chiffres, recouvrent quelques champs non-formatés. Des interstices « portuaires » créés à partir de substances informatives hétéroclites s’élaborent en bases de données, offrant l'assurance d'être guidé en cas de plantage du programme opté dans la Salle des Choix, palier secondaire de la Visio-II, d’où se formate le corproject. L'air du tour-advent présent propose aux deux Immergés une infinité d'indications, de positionnements, d'adaptations.
– Avez-vous réceptionné le post ? émet le corproject du coéquipier de Laaw.
Le corproject d’ohtavan de celle-ci, bien plus fin et structuré d’inflexions diamantines séduisantes, fait signe à son coéquipier de léviter à son niveau.
– Oui c'est visionné, émet-elle en retour.
– Donc… de quoi s’agit-il ?
La Projection de Laaw abaisse sa capuche miroitée de vibrations extérieures à leur champ de singularité. Les formes expressives d’ohtavan qui émanent d’elle sont comme une myriade de faisceaux solaires mutés en corps conscient.
– Rien. Un message de mon ex-ami disparu. J’attends qu’un doute en moi se dissipe pour vous en dire plus.
Dès l’ultime voie évanouie à leurs arrières, les deux êtres prismatiques se fondent au centre désiré, enveloppé de feuillages translucides ou de hautes brindilles conductrices d’informations concises. Le duo fait éparpiller en sa lévitation la luxuriante obstruction Infɵréa, pour que s’élabore le dernier couloir - qui une fois assemblé, formaté puis formé, n’expose plus qu'un fin corridor cristallisé. Les éléments alentours puis en chaque angle visuel et en toutes directions s'effacent progressivement en un fondu qui dispose à la vue des deux corprojects intrusifs ses briques de milliards d’infɵdés dans un défilement vertical, des figures en premier lieu complexes commencent à se simplifier pour enfin s’étendre en rien, en incréé. Le corridor s'y prolonge jusqu'au lointain ; immense tunnel pénétrant l’incolore du silence, passage confidentiel agrémenté d'une porte cerclée à digicode. De magnifiques rosiers aux nuances magmatiques entourent les plateaux dimensionnels délimitant l’extrême limite puis l’absence des procédés d’assemblage des matériaux Infɵréa. Au plus près de son embouchure s’ancre un banc de pierre, où se tient assis un individu sous forme peu commune d’ectholo. Au vu des brassées lumineuses qui s’y accorde, il apparait telle une Projection cinétique provenue du corridor lui-même. Le corproject coéquipier le désigne du doigt, puis le présente comme « le résultat terrifiant d’une décennie de recherches mortuaires et de tentatives pseudo scientifiques orchestrées dans les toiles de l’Agence de Recherche Transfiguratrice »
– Laaw, voici celui qui fut votre partenaire au Yocto-Parc : le sujet Magéo.
Le corproject de Laaw m’observe attentivement, son visuel émet comme une oscillation détachée du reste. Elle confirme les données mémorielles qu'elle a interceptées. Mon moi en Immersion, errant quelque part (et donc à priori partout) se projette ici, et s’accroche aux limites d’un épuisement qui me désintègre, pièces par pièces. Le sursaut d’impression violente qu’elle se noie dans un bain de lueurs bleutées, marquant sa fascination, me fait esquisser un sourire. Mais je la visualise aussi sans détours. La Projection intangible de mon esprit pénètre son aura limpide si rapidement que son corproject se parasitent par à-coups d’ondes translucides. Une suite de pensées codées s'importe en sa source mémorielle, sans être captées par son coéquipier. Le sourire que je lui tends n’est pas faux, ni non-sincère. Il est simplement acculé à ma mise en pièce progressive. Ma voix claironne en son corproject, par un direct-lien étrange, une passation de ressentis, en signaux hermétiques que nous seuls pouvons comprendre. Ces deux Projections intrusives, se fondent en moi, se complémentent en moi. Nous nous contemplons grâce au temps singulier produit par ce tour-advent présent, élaboré comme indétectable pour les oreilles et les yeux des CVIR. Le corproject de Laaw s’agenouille face à moi. Mes pensées divaguent et se prolongent le plus loin possible ; un point de vision propulsé des horreurs de mon ancien monde qu’était l’espace terrestre, vers l’oasis de délivrance accessible par la fin du corridor.
– Iraïs… murmure-t-elle doucement.
– Hello Ancestral Franc-Tireuse de pacotille…, lui dis-je, rictus affaibli, et sans pouvoir la regarder droit dans les yeux.
Le corproject de l’hacktivist, sans doute issu de la phratrie T’R-Ink, monte la garde en dehors du champ, guettant les interventions intempestives de sondes virales Ctrl déjà en cours de finalisation, à peine créés dès l’entrée intrusive des deux Projections clandestines. Le corproject de Laaw effleure ma joue prismique impalpable. Son émoi m’imprègne, saisi comme vif et distinct, et pour elle intensif. Des ressentis jamais vécus vis-à-vis d’un phénomène du MirAge, ou… pour quelqu’un ? Au lieu de s’en tenir à la distance préconisée pour cet entretien, elle m’entoure de ses bras, passant à travers mon immatérialité, représentant une forte étreinte. La force vitale de cet élan m’abîme encore un peu plus. Aucune larme de craquage ne vient et ne viendra. Ma résistance m’intime de ne pas céder à cette mièvrerie mélodramatique, même si ce qui se joue ici est tout sauf un mélodrame. Tout sauf un blockbuster interactif. Mais je ne suis plus, littéralement, qu’écran de fumée.
– Le maximum d’infos Laaw ! Faites vite ! ordonne de son poste le corproject aux aguets.
Laaw se délasse de moi, son aura s’emplit d’affliction. Je n’ai nul besoin de lui souffler ce que j’ai à dire, Laaw comprend d’emblée qu’on m’a dépossédé de ma clairvoyance.
– C’est comme ça, murmuré-je, lisant en elle.
Ma miroitante apparence devient par moments aveuglante.
C’est son coéquipier d’Ombrillégal qui en arrive à l’invective, une fois quitté son poste.
– C’est l’A.R.T qui s’en est emparée ? Ils ont donc réussi leur coup ? Qu’est-ce que tu sais de la faille créée sur les hauteurs culminantes du MirAge ? En es-tu la cause ??
Pas envie de répondre. Pas envie de lui répondre à celui-là, j’le connais pas. Qu’il aille se faire cuire un œuf dans la galaxie privée de Magellan. Je me contente d’approuver par un haussement d’épaule. Je le regarde d’une lassitude profonde plus qu’explicite, à m’en rendre imprévisible et dangereux. Durant dix secondes personne ne dit mot. C’est le corproject de Laaw qui brise le silence en devinant la situation présente.
– L’A.R.T a capturé Antéo. La clairvoyance était en lui aussi. Iraïs…
Assis sur ma chaise à bascule sous une véranda du vieux sud, vis-à-vis d’un champ paisible de maïs légendaire bordé de peupliers bienveillants, je suis comme un centenaire repu qui a filé rencard à Socrate pour achever une partie d’échec. L’antique « Antiquité » tout compte fait, est bien plus réelle que réelle, bien loin du simple mythe. Autre sourire à cette pensée fluviale qui cette fois apparait à la vue du tandem en train de m’épier. Je mate le sol mouvant de réfractions et de lueurs diverses. Mes tibias s’entrecroisent, mes pieds se meuvent tranquillement. Je sais que je retourne bientôt chez moi.
– Non, Laaw. Je me souviens… de rien. On est à zéro. Totale razzia.
– Essaye de te souvenir, lance l’enquiquineur d’un ton suffisamment lourd pour lui tendre un sourire du genre « recommence et je t’expulse d’ici ».
– On veut, on va y retourner. Et s’éteindre. Une magie réelle. Une écloSpiral, murmuré-je.
– Où ? murmure-t-elle, d’une voix trouble.
– Au continent-caché. Couleur indescriptible d’un monde caché. Couleur nouvelle. Qui verra vivra…
– C’est…
– Bordel !! s’écrie la Projection du gus d’Ombrillégal, ses capteurs percevant l’intrusion imminente d’une sonde Ctrl nu-school, fraichement créée pour l’occasion.
– Ne t’en fais pas pour moi, dis-je à Laaw. Retrouve Claire Brillant et dis-lui que… dis-lui qu’on s’en sort plutôt pas mal. Plutôt très bien même. Elle se marrera, c’est sûr.
Le corproject de Rom s’empresse d’attraper le bras d’ohtavan de Laaw en lui intimant « de détaler » au plus vite.
– Rom bon sang, une seconde ! lance-t-elle. Dis-moi…
Je me lève et serre sa main compacte des deux miennes fantomatiques, qui la traversent.
– Je le sais maintenant. C’est un fragment du MirAge, une Maz-ident, qui a commandité à la blind extrême nommée Esploris d’extraire sur Victor les séquences mémorielles de ma virée « extatique » par le biais du torrent. Je n’aime pas ce mot « extatique » mais je ne sais pas comment déterminer ce truc autrement. C’était… hors du MirAge. C’était hors de tout. De tout, vraiment. Victor a expiré ensuite, je pense.
– Esploris…, acquiesce-t-elle.
– Allez cassos ils sont sur nous là ! glapit la Projection du lieutenant.
L’ensemble du lieu perd de sa substance cristalline. Il froidit, se métallise, l’obscurité revient, reprend ses positions. J’observe la Projection de Laaw pour la première et dernière fois.
– Je suis désolée, Iraïs...
– Tu verras ça va aller. Toi et les tiens, vous savez ce que vous devez faire. J’ai foi en vous, maintenant. Mieux vaut tard que jamais, non ? Même en ce monde virtuel qui n’existe que dans notre tête.
Son corproject se retourne sans me dire adieu. J’dois être obscur, siphonné de la cafetière et fou à ses yeux, en plus d’être flou comme un revenant. Ses ressentis à mon égard sont fait d’attirance pure.
– Une dernière chose, dis-je en m’évaporant dans le Milieu-Infɵréa, aspiré par le corridor cristallin.
– Oui ? répond-t-elle de dos, déchirement flagrant dans la voix.
– L’Esprit est grand !
Sur ces mots Laaw se retourne. Je ne suis plus. Une pâleur obscure persiste. Puis la nuit primordiale règne de nouveau. Les deux Immergés clandestins tentent une sortie de cette nouvelle enclave-interdite en évitant tous contacts sensibles aux pulsations-ondulations extérieures des processions en cours, captées en vibrations identifiables par les réseaux-bases Ctrl locaux.
Le duo atteint finalement mais ardument le dôme-8-rhénium, un observatoire Ancestral depuis peu surcodé jaune par le MémoSénat et donc sous surveillance. Le corproject de Laaw songe à son ex-ami Antéo, sans doute désintégré ou plongé dans les précipices infinis du constructile, tandis que le coéquipier d’Ombrillégal s’apprête à exposer en direct-lien son compte-rendu à destination du KCP : sur le mystère Esploris et la non moins énigmatique dénomination torrent. La Projection de Laaw stoppe sa gravitation, pénètre l’espace de l’observatoire virtuel, lévite jusqu’au centre d’une pièce à l’allure de cockpit d’engin spatial et se prépare à la Dés-Immersion. En cette dernière boucle bouclée du tour-advent présent, le corproject se fléchit et pose aux sols réfractant ses genoux. Laaw murmure une prière pour son ex-ami disparu, paupières fermées. Puis une seconde, les yeux grands ouverts, levés vers d’insondables hauteurs : Une prière pour celui qui, par excursion sans précédents, parvint à traverser l’au-delà des deux réels, par-delà les deux mondes, par-delà les confins du MirAge - et jusqu’au continent-caché.
Catégorie : Expérimental - Aujourd'hui à 07:05