Blogs » Cub3000 » 

LSD : la première fois, 1993 



On est en 1993, au festival interceltique de Lorient. Comme pour tous les festivals à cette époque, il y a à quelques centaines de mètres de la ville, dans un coin pas désagréable (pas mal d'arbres notamment) un camping sauvage où les festivaliers peuvent poser leur tente gratuitement. On y croise des gens dont on se demande où ils vivent le reste du temps, des travellers, des punks à dreads, des tribus de crusties avec bus, camions, enfants, chiens, toute une faune pirate bariolée, haute en couleurs et sévèrement perchée...

J'ai 19 ans, on est monté avec toute ma bande de potes dans une 4L repeinte de couleurs psychédéliques, on est clairement à cet époque dans un délire post-hippie, et surtout notre projet est simple : on va enfin goûter à ce fameux LSD dont on a entendu dire tellement de choses depuis quelques mois (il faut situer le contexte : on est en pleine vague rave, il y a aussi une sorte de revival psyché et depuis le début des années 90 les drogues hallucinogènes sont très en vogue, y compris dans les festivals rock et en dehors du public techno)...Donc notre première mission en arrivant sur le camping sera de trouver des buvards, on se demande un peu comment ça va se passer vu qu'on a pas particulièrement d'expérience en la matière...

En fin de compte ça se passe le plus simplement du monde : en engageant la 4L psyché sur le chemin du campement, on est repérés immédiatement, et alors qu'on roule au pas, la fenêtre ouverte, une keuponne qui se prélasse sur un hamac suspendu entre deux arbres nous interpelle : "hey, vous voulez des trips ? J'ai des fraises !"

Ça nous convient très bien, ces petites strawberries sont un peu les pop-stars de cet été 93 et elles sont réputées pour être de bons petits acides, pas trop forts mais largement suffisants pour passer une soirée bien délirante et découvrir le produit. On en  achète tout de suite cinq, pas peu fiers de notre trouvaille, et on file monter nos tentes. Règle n°1 : toujours assurer le campement, avant de se droguer ! C'est le crépuscule, et à peine les tentes montées, on sort les petits buvards avec leur fraise toute mignonne, et hop, on en avale un chacun.

strawberry


Une bonne demi-heure plus tard, et précisément au moment où on commence à se dire qu'il ne se passe rien....ça se met à chatouiller...Comment décrire une première montée d'acide ? La première, la toute première, alors qu'on a même pas 20 ans, des rêves et des illusions plein la tête, qu'on se prend un peu pour Jim Morrison et qu'on est en train de découvrir pêle-mêle le milieu alternatif et ses codes, les festoches, les drogues, bref, la vie quoi !

Au début ça ressemble à une sorte d'ivresse éthylique. Au moment où je me dis que j'ai la sensation d'être engourdi bizarrement, comme à moitié bourré, mon pote A. annonce : "c'est chelou j'ai l'impression d'être bourré comme si j'avais bu une demi-bouteille de vodka, mais en même temps je me sens super clair"...C'est ça !!! Et puis ça fait comme des espèce de bouffées de chaleur, qui partent du plexus et remontent au visage, j'ai comme l'impression qu'un vent chaud me souffle au visage, mais un vent qui soufflerait depuis mon plexus...Les couleurs deviennent vives, vives comme l'été, c'est ça, une énorme sensation d'été qui s'installe en moi, comme un feu...Je me balade sur le camp, sans trop m'éloigner de nos tentes, je suis un peu étourdi, surpris, pas effrayé mais en train de comprendre qu'il s'agit d'une expérience puissante...

E. se tient debout pas loin de moi, il vacille un peu, secoué de quintes de rire, il me regarde et il me dit : "putain comme c'est intérieur, en fait !"
C'est exactement ça. Je m'attendais à voir des licornes roses, un ciel vert ou je ne sais pas quoi, mais ça n'est pas ça du tout...Certes toutes les couleurs me flashent à la gueule comme si le monde s'était transformé en une sorte de tapis bariolé, style péruvien, des formes bizarres palpitent sur le sol et tout semble animé d'une étonnante vibration, mais ça n'a pas beaucoup d'importance par rapport à la sensation intérieure, l'espace intérieur qui existait en moi sans que je le sache, et que le LSD me révèle...Il y a une immensité ardente en moi, un feu magnifique qui brûle sans faire souffrir, mais en consumant tout ce qui est superficiel, tous les masques, tous les jeux, toutes les images que je m'efforce de me donner...Le LSD me met face à moi-même. Face à mon vrai moi.

Et ce moi est beaucoup plus sauvage, libre, non-conditionné, que tout ce que j'aurais pu imaginer...En cet instant je me sens à la fois très vulnérable et fragile, emporté dans une expérience, un ouragan psychique d'une importance existentielle énorme, mais aussi très lucide. Ce sont tous les rôles, tous les personnages qu'il faut jouer, tous les conditionnements qu'on nous impose, par l'éducation, l'école, le lycée, la télévision, la famille, la culture, la langue du pays on l'on naît, qui s'évanouissent soudain, devant cette incroyable évidence : le monde entier est un théâtre, je suis un acteur qui y joue son rôle...Et là, l'acide est en train de me faire voir les coulisses, l'envers du décor .

Nous nous retrouvons, au milieu du camp, autour d'un énorme feu où squattent des dizaines de personnes, toutes dans le même état que nous. C'est comme une fraternité d'éveillés, de gens qui ont compris que derrière le théâtre de l'existence il y a cette intensité de vie, et que c'est ça, le sens de vivre : connaître cette intensité, ce flux, et rester dedans. Il fait nuit maintenant et nous sommes éclairés par les flammes, qui nous donnent des airs tsiganes...Les couleurs sont superbes, les visages sont beaux, on se sourit. Je me sens un peu comme un gosse les yeux écarquillés, qu'on vient d'accepter à la table des grands et qui regarde comment font les adultes pour ne pas commettre de gaffe...Il y a là de terribles punks qui s'amusent à se pousser les uns les autres dans le feu et en ressortent avec d'énormes éclats de rire, ok, compris ! Ce sont les guerriers de notre tribu ! Mon pote C. ne se sent pas très bien, comme perdu, il me demande de rester à côté de lui un moment...Moi j'ai fini d'encaisser la première vague et je commence à me sentir à l'aise dans ce maëlstrom de sensations, je veille donc mon pote. Première expérience de tripsitting, moi-même perché.



Il y a une buvette avec une sono à proximité du feu, ça joue rock psyché, heavy-metal, Led Zep, avec C. nous bloquons sur le passage psyché au milieu du morceau, quand Robert Plant couine des "hhhaaa haaaa haaaa" suraigus au milieu d'un orage de sons distordus, est-ce que c'est une version longue de la chanson ? Impossible à dire mais ce passage semble durer des heures, des heures de chaos à la fois magnifique et terrifiant, jamais je n'avais entendu la musique de cette manière, aussi intensément...Il se passe aussi des choses bizarres dans ma tête, alors que je ne me suis jamais posé de question sur mon identité de genre, je me sens d'un seul coup devenir femme, c'est très troublant. Et en observant bien je m'aperçois que cette femme, c'est ma mère, décédée cinq ans plus tôt. Tout en restant capable d'observer le phénomène, je sens ma mère qui vit en moi. C'est à la fois très paisible et très déroutant. Je me lève, je laisse C. se débrouiller un peu seul, j'ai besoin d'air...

Je vais faire un tour dans le camping, qui pendant qu'on squattait le feu est devenu une sorte de village nomade de saltimbanques médiévaux. Une sorte de communauté primitive et primordiale de gens connectés par cette expérience foudroyante de vie. Des rastas qui tapent sur des djembés, des hippies qui offrent des acides supplémentaires à notre pote G., la seule fille de notre bande, je me dis que je devrais faire attention à elle mais ce que je vis est tellement fort que je n'ai plus la capacité de prendre soin de quelqu'un d'autre, là tout de suite ça va un peu être chacun son trip et on se retrouve ensuite...J'ai l'impression qu'il n'y a rien en dehors de ce camp, lorsque je me rend aux limites du spot, en bord de route, au loin je devine des bâtiments en tôle de zone industrielle, tout un monde tellement insignifiant par rapport à ce que je suis en train de découvrir, que c'est comme s'il n'existait pas, comme s'il était factice, comme si c'était un décor. Nous sommes au centre de la galaxie, nous sommes les vivants...

Reflux et amorçage de la descente...Je commence à me sentir assez paranoïaque, moins en phase, plus replié, plus triste. À ce moment je supporte assez mal d'être en groupe, je finis donc par retourner près de ma tente. Je continue pourtant à croiser des gens totalement hallucinants, notamment deux espèces de punks fluos qui se mettent à me parler de leur passion, les raves et la techno. C'est un univers que je ne connais alors pas du tout et sur lequel j'ai beaucoup d'a priori, mais cette rencontre bouscule mes certitudes...Bientôt moi aussi je vais plonger dans la rave, mais à ce moment je n'en sais évidemment rien, ma curiosité est juste piquée, ces gars n'ont clairement rien à voir avec l'image fake et commerciale que j'avais de la techno...

Je squatte ma tente, fatigué, un peu tendu car toujours stimulé par le LSD donc impossible de dormir, mais les effets vraiment intéressants sont passés, je ressens un vague malaise, je m'allonge dans ma tente pour attendre que ça passe, je serai bientôt rejoint par les autres pour qui l'expérience se termine également, sauf G. qui s'est fait offrir des buvards supplémentaires et qui trippera joyeusement jusque dans la matinée...

L'après-midi du lendemain nous allons nous poser sur une plage à proximité de Lorient pour prendre le soleil, nous baigner et nous éloigner un peu du pandémonium keupon qui ne s'arrête jamais. Finalement nous resterons 3 jours sur le camping avant de mettre le cap sur Amsterdam (mais c'est une autre histoire wink ) et nous ne verrons rien du festival mais peu importe : ça y est, nous avons pris du LSD.

Catégorie : Trip Report - 03 mai 2020 à  20:43

Reputation de ce commentaire
 
Texte mis dans les morceaux choisis de Psychoactif. (pierre)
 
Belle aventure, vraiment bien raconté! Merci ! Ocram
 
Super TR, on a l'impression d'y être :) Yopski
 
Belle narration, je rêve de vivre ce que tu as vécu cette nuit là ! -LUD
 
Flashback, on a le même âge... Nostalgie d'une liberté perdue ! / SC
 
Magnifique narration !
 
Stylé
 
Super texte, merci! Teona
 
Le plaisir de la première fois :) Sacré récit
 
Super bien écrit merci! On s'y croirait //pps



Commentaires
#1 Posté par : janis 03 mai 2020 à  21:24
Hello Cube3000,

Merci de ce super récit

C'est comme si j y étais !!

Un peu de fraîcheur psychédélique , sans arrière pensée de soin ou de rencontre avec Dieu, juste du plaisir, ça m a fait du bien.

93...j ai 18 ans...et j oscille entre Morrison et Slash

 
#2 Posté par : Ernekar Lokt1000 03 mai 2020 à  23:45
93, j'étais même pas en conception à l'époque x)

Chouette Tr, effectivement tu nous plonge dans un monde big_smile

Mais ça m'a bien refilé envie d'aller à Lorient tout ça, si le délire camtard y est toujours présent :)

 
#3 Posté par : Yopski 04 mai 2020 à  08:37

Au début ça ressemble à une sorte d'ivresse éthylique. Au moment où je me dis que j'ai la sensation d'être engourdi bizarrement, comme à moitié bourré, mon pote A. annonce : "c'est chelou j'ai l'impression d'être bourré comme si j'avais bu une demi-bouteille de vodka, mais en même temps je me sens super clair"...C'est ça !!!

C'est exactement ça, je ressens exactement la même chose wink
j'ai 21 ans en 93, j'ai connu la mdma cette même année 93, il a dû se passer un truc, je connais trop de monde qui a testé des prods cette année là big_smile

Sinon super TR et super bien écrit, on le dévore d'une traite !!!
Je viens de vivre mon 1er vrai trip de LSD il y a à peine 10 jours et ce truc est complètement dingue. J'avais pourtant essayé plusieurs fois avant mais le L s'est révélé à moi à la 4ème prise ... Je ne comprends toujours pas pourquoi à une 4ème fois ...
Si le coeur t'en dit, c'est ici : https://www.psychoactif.org/forum/t7689 … -fois.html

Reputation de ce commentaire
 
yes j'avais lu ton report ;)

 
#4 Posté par : bilon 05 mai 2020 à  13:18
je peux pas mettre de champignon vert, pas assez de post au compteur, mais le coeur y est !

19 ans aussi en 1993, première perche avec un Hofmann, souvenirs souvenirs ...

Super TR super

 
#5 Posté par : Papaseul 08 juin 2020 à  20:32
Salut salut,

Comme écrit plus haut j'ai dévoré ton texte moi qui lis pas terrible ben la ton texte il est passé tout seul.
Et puis ta première expérience m'a rappelé la mienne moi c'était en 96 dans un festival rock en Hongrie entouré de keupon aussi:D.

Si ça te tante j'ai essayé de le raconté aussi bien que toi lol
https://www.psychoactif.org/blogs/Premi … html#b3506

 
#6 Posté par : La Morvandelle 09 juin 2020 à  15:53
Très très chouette! Merci!
J'adore les punks!

Remonter

Pied de page des forums