La consommation de drogues (ou la dépendance) n’est pas un problème de santé mentale 



Bonjour,

voici une traduction d'une communication d'INPUD (Réseau international des personnes qui consomment des drogues) et de l'association Harm Reduction International.

Elle n'est pas nouvelle, mais elle nous concernent toutes et tous. Elle remet en question la notion "d'addiction", considérée comme stigmatisante, et celle de "trouble lié à l'usage" défendue par le DSMV. Elle defend plutot le concept de dépendance, qu'elle soit physique, psychique ou psychologique.

A Psychoactif, nous sommes complémentent d'accord avec cela !

Pierre

Les personnes qui consomment des drogues et la santé mentale
https://hri.global/wp-content/uploads/2 … UD_1-2.pdf

Les discussions en cours, notamment entre les principaux donateurs internationaux, ont soulevé des inquiétudes au sein de Harm Reduction International et du Réseau international des personnes qui consomment des drogues (INPUD) concernant l’inclusion proposée de la santé mentale dans le programme de réduction des risques et, plus généralement, concernant l’amalgame entre consommation de drogues et santé mentale. Ce document vise à stimuler et clarifier le débat sur ce sujet.


Bien que certaines personnes consommant des drogues puissent souffrir de problèmes de santé mentale, la consommation de drogues et la dépendance à ces drogues ne constituent pas en soi un problème de santé mentale. L’amalgame inquiétant entre consommation de drogues et dépendance, et problèmes de santé mentale est inexact, stigmatisant et pourrait avoir des conséquences néfastes à long terme pour la communauté, notamment en privant les personnes qui consomment des drogues de leur capacité à prendre des décisions concernant leur corps et leur vie. Cela pourrait réduire les ressources disponibles pour la réduction des risques et les services communautaires, et conduire à déclasser les interventions de santé publique fondées sur des données probantes et qui sauvent des vies dans les directives nationales et internationales. Le manque de volonté politique et le financement insuffisant constituent des obstacles majeurs à la mise en œuvre de la réduction des risques à grande échelle, et cet amalgame pourrait sérieusement perturber la disponibilité, l’accès et la prestation des services essentiels.


Bien qu’il n’existe pratiquement aucune donnée pour étayer cette thèse, l’idée selon laquelle l’«addiction » est une maladie du cerveau est séduisante, simple et rassurante. Cette théorie contribue à l’élaboration de politiques antidrogues irréalistes, coûteuses et néfastes, et ne tient pas compte du rôle des facteurs socioéconomiques tels que la pauvreté, le sans-abrisme et la race. Elle ignore également l’effet stigmatisant du concept d’« addiction» au drogues.


Au cours des dernières décennies, nous avons pu passer d’une approche purement biologique et médicalisée de la consommation de drogues, centrée sur les responsabilités personnelles, à une approche plus holistique qui reconnaît les aspects sociaux et structurels de la consommation de drogues. Cette nouvelle approche reconnaît que les dommages liés aux drogues ne sont pas répartis de manière uniforme dans la société, mais touchent de manière disproportionnée les communautés stigmatisées et marginalisées. Confondre les problèmes de santé mentale et la consommation de drogues constitue un énorme pas en arrière par rapport à ces progrès.

L’inclusion du terme « trouble lié à l’usage de substances » dans la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V) déforme la notion de consommation de drogues. Le terme « trouble lié à l’usage de substances » confond les problèmes de santé mentale avec la consommation de drogues et/ou la dépendance aux drogues et a pour effet d’aliéner les personnes qui consomment des drogues et qui ne confondraient pas leur consommation de drogues avec une quelconque forme de « trouble ». Au cœur de la définition du DSM-V se trouve l’idée que les « troubles » liés à l’usage de drogues sont dus à des changements dans le cerveau, alors que la définition elle-même utilise 11 critères pour mesurer le « trouble ». Ces critères concernent le fonctionnement social, la conformité sociale et la productivité économique (par exemple, « ne pas réussir à faire ce que l’on devrait faire au travail, à la maison ou à l’école à cause de la consommation de substances » et/ou « abandonner des activités sociales, professionnelles ou récréatives importantes à cause de la consommation de substances »), ainsi que d’autres indicateurs liés aux effets physiques des drogues (par exemple, la tolérance, le sevrage).


INPUD préfère parler de « dépendance aux drogues », terme utilisé par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et la Classification statistique internationale des maladies (CIM), à la fois pour ses associations plus neutres et parce qu’il distingue la dépendance physique, physiologique et psychologique. Le terme englobe la différence entre ces formes, ce que le terme pathologisant de « trouble lié à l’usage de substances » ne parvient pas à faire.


Les problèmes de santé mentale peuvent survenir parallèlement à la consommation de drogues ou à la dépendance aux drogues, mais cela ne signifie pas qu’ils sont toujours le résultat de la consommation de drogues ou qu’ils précèdent la consommation de drogues. Il est important de souligner que les problèmes de santé mentale et la dépendance aux drogues peuvent découler des mêmes facteurs structurels, comme la pauvreté, le manque d’accès aux soins de santé et à d’autres services, le sans-abrisme, la stigmatisation et la discrimination. Dans certains cas, mais pas dans tous, les personnes commencent ou continuent à consommer des drogues pour faire face à des problèmes de santé mentale, et dans certains cas, les drogues peuvent aider les personnes à gérer leurs symptômes de santé mentale, ainsi que les défis de la vie.


Les personnes qui consomment des drogues, comme tout le monde, devraient avoir accès à un soutien en matière de santé mentale en fonction de leurs besoins. Nous devons trouver des moyens d’encourager un meilleur accès aux services de santé mentale pour les personnes qui consomment des drogues sans considérer la consommation de drogues et/ou la dépendance comme des problèmes de santé mentale en termes absolus. En outre, nous devons chercher à remettre en question en permanence les idées qui pathologisent la consommation de drogues et les personnes qui en consomment, qui nient la volonté et le pouvoir d’agir des personnes qui en consomment, en leur retirant le droit de faire des choix concernant leur santé physique et mentale. Les personnes qui consomment des drogues consomment des substances pour diverses raisons, notamment pour la recherche rationnelle du plaisir et la régulation des émotions. Nous devons trouver de meilleurs modèles qui tiennent compte de la complexité et de la multitude de rationalités de la consommation de drogues et de la dépendance, et continuer à remettre en question les modèles simplistes qui pourraient potentiellement causer plus de dommages et de préjudices.

Catégorie : Actualités - 28 septembre 2024 à  21:03

Reputation de ce commentaire
 
Une pierre importante à l'édifice de la drogologie, à réfléchir !
 
Pour la fin de l'amalgame entre PUD et problème de santé mentale !!! (kaneda)
 
Un regard nouveau qui mérite d'être défendu et entendu ! Ronnie83
 
Oui à la remise en cause de la pathologisation des consos et des personnes. PTX.



Commentaires
#1 Posté par : kaneda 05 octobre 2024 à  06:50
Salut,

Merci pour le partage de ce magnifique texte, très bien écrit.

Il relate bien la stigmatisation que certaines Personnes Utilisatrice de Drogues peuvent rencontrer lors d'un passage au CSAPA par exemple, en tous cas, moi, j'ai déjà vécu cette stigmatisation : mon médecin addictologues n'arrivait pas a concevoir que l'on puisse consommer sans avoir de problème psy ! C'est quand même dingue comme point de vu, bonjour la stigmatisation !!!

kaneda

 
#2 Posté par : Initiativedharman 05 octobre 2024 à  11:26
Salut,

Pour ma part, mes addictions passées avec d'abord l'alcool, puis ensuite la coke sniffée et ensuite basée étaient étroitement liée à un problème de santé mentale.
Je ne saurais dire si mes consos sont la cause ou la conséquence de ces troubles, les deux sans doute.
Je ne suis absolument pas d'accord avec cette phrase tirée du blog  : " la consommation de drogues et la dépendance à ces drogues ne constituent pas en soi un problème de santé mentale. ". Il faut nuancer.

 
#3 Posté par : Pesteux 05 octobre 2024 à  18:45

Merci pour la traduction !


Pour rappeler que toute consommation ne débouche pas sur une dépendance, et que toute dépendance n'est pas cause ni conséquence d'une souffrance psychique, 1000 fois oui !

Pour éviter que les PUDs se vivent comme des malades mentaux quand ils sont dépendants, ou bien quand ils souffrent de leur consommation, c'est encore 1000 fois oui !

Pour défendre les budgets spécifiques aux programmes de réductions des risques, et éviter que les PUDs se retrouvent mis en minorité au milieu d'une population de personnes psychiatrisées qui n'ont pas du tout les mêmes besoins matériels, c'est toujours 1000 fois oui !


Ensuite, c'est très perso, mais quelque chose brouille un peu mon interprétation du communiqué : l'utilisation répétée de l'expression "santé mentale" me pose question. Dire "la dépendance n'est pas un problème de santé mentale", et ce que ça n'est pas renforcer ce à quoi on veut s'opposer ?

Cette préoccupation de se distinguer de la santé mentale, ça peut aussi refléter une façon de se rassurer en se disant que les "malades", c'est les autres. Et inciter certains PUDs à revendiquer une "normalité" qu'ils refusent de reconnaître aux personnes psychiatrisées. On garde la frontière entre les "sains" (saints ?) et les "malades", mais on se place juste du bon côté de cette frontière.

Sur ce point, je pense que la drogologie est à un carrefour philosophique. Les PUDs ne sont pas des malades mentaux du seul fait de leur usage ou de leur dépendance, je suis bien d'accord. Mais ceux qui témoignent utiliser des drogues dans la recherche d'une "régulation des émotions" ou pour apaiser une souffrance psychique le sont-ils ? Est-ce que ce sont des malades mentaux qui se droguent pour se soigner ? J'ai l'impression que si on répond oui, on délégitimise leur façon de s'y prendre avec ce qui les fait souffrir, on les encourage à penser que leur rapport au produit à quelque chose de pathologique et de malsain, et on les pousse à s'en remettre à une logique médicale/psychiatrique qui leur ôtera toute souveraineté sur leur conso et sur leur conception du bien-être.

Pour moi, l'expression "santé mentale", ça évoque toujours un jugement sur le comportement de l'autre et sur son rapport au monde. Je lui préfère de loin la notion de "souffrance psychique", qui me semble moins stigmatisante, moins normative, et qui n'implique pas forcément une cause "médicale" avec tout l'imaginaire de dégénérescence biologique que ça convoque. Chacun est souverain pour dire s'il souffre ou non, ça n'est pas une affaire d'expert comme pour la santé mentale.

Et pour PA, c'est quoi la santé mentale ?

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J’ai adoré ton analyse. Pixie

 
#4 Posté par : pierre 06 octobre 2024 à  15:51
Bonjour,

Je remets le paragraphe du texte, car j'allais réécrire la même chose :

Les problèmes de santé mentale peuvent survenir parallèlement à la consommation de drogues ou à la dépendance aux drogues, mais cela ne signifie pas qu’ils sont toujours le résultat de la consommation de drogues ou qu’ils précèdent la consommation de drogues. Il est important de souligner que les problèmes de santé mentale et la dépendance aux drogues peuvent découler des mêmes facteurs structurels, comme la pauvreté, le manque d’accès aux soins de santé et à d’autres services, le sans-abrisme, la stigmatisation et la discrimination. Dans certains cas, mais pas dans tous, les personnes commencent ou continuent à consommer des drogues pour faire face à des problèmes de santé mentale, et dans certains cas, les drogues peuvent aider les personnes à gérer leurs symptômes de santé mentale, ainsi que les défis de la vie.

Bien sur que ce sont deux champs qui se recoupent, mais ce que nous ne voulons pas, y compris politiquement, c'est etre associé d'emblée à des problèmes de santé mentale. Combien de médecins que nous avons fréquentés pensent que nous avons des problèmes de santé mentale parce que nous consommons !

C'est quelque chose aussi de très concret sur PA, que l'équipe de modo doit gérer tout les jours, et que nous n'avons pas totalement trancher, surement a cause de ce qui est dit dessus. Mais c'est en intense réflexion entre nous, ne serait ce que pour avoir une vision plus claire à proposer.  :

- Laisse t'on quelqu'un poser une questions médicales sur les AD ou les neuroleptiques  (dosage, ajustement de traitement, changement de traitement....) ?
Nous avons décider que non (et depuis longtemps), justement pour ne pas être confondu avec la santé mentale. Pour les AD et les neuroleptiques, les noms des forums ont été changés en "Interaction entre drogues et AD" et "Interaction entre drogues et neuroleptiques"

Mais alors laisse t'on une question sur les TDAH et la ritaline ? A priori c'est de la santé mentale aussi. Mais ils se trouve que la ritaline est aussi utilisée comme drogue, et que quand on lit les témoignages d'usage de ritaline pour les TDAH, ils peuvent raconter les memes choses que les PUD sur les effets notamment. Pour l'instant, nous avons décidé de laisser ce genre de questions ou témoignages.

Work in progress ! Et ce document nous a pas mal aider dans notre reflexion.


 
#5 Posté par : Acid Test 07 octobre 2024 à  00:34
Il y a différents types de souffrances psychiques ou psychologiques et de fait , je pense qu'il y en a qui relèvent de la santé mentale et d'autres qui relèvent de situation de vie bien concrètes / des circonstances , qui ne sont pas forcément en rapport avec la santé mentale.

Par exemple , il y a des personnes qui ont tout matériellement et meme bien plus , jusqu'à ne plus savoir quoi en faire et qui sont dépressifs.
Quand on leur demande pourquoi ils sont depressifs , certains ne savent pas pourquoi et il n'y a pas moyen de trouver une cause précise àvleur dépression.
Ce n'est pas parce qu'ils ne peuvent pas faire ci ou ça matériellement mais ils ne savent pas pourquoi ils sont dépressifs.

À côté de ça , il ya des des dépressions circonstancielles , directement liées à des situations matérielles par exemple , où les gens sont coincés dans des situations , qui font que leur vie leur leur est ( ou est devenue )  insupportable et si ils étaient dans d'autres situations , ils ne seraient pas dépressifs .
.
Tout comme ça peut venir d'un état de santé.
Par exemple , une personne était ou est passionnée par tel ou tel sport , ele est active et le pratique régulièrement .
Elle est heureuse dans sa vie meme si tout n'est pas pafait dans celle ci , car elle à cette chose à quoi se raccrocher , qui lui donne une raison d'etre / de vivre .
Puis un jour elle a soit un grave accident , soit une maladie particulièrement invalidante qui se déclare.
Certaines personnes arrivent à dépasser leur condition pour etre en mesure d'apprécier la vie différemment , quand d'autres en seront totalement " incapables " parce qu'ils ne trouvent pas ou plus la satisfaction qu'ils avaient dans la vie avant leur accident .
Certains vont arriver à se remettre d'une façon ou d'une autre , alors que d'autres ni arriveront pas .
Ça depend aussi beaucoup des attentes des gens vis à vis de la vie et de leurs capacités d'adaptation ( ce qui ne veut pas dire que leur vie sera forcément "rose " mais ça influera beaucoup sur leur ressenti)  .

On peut le voir comme aux jeux paralympiques par exemple , ou certaines personnes ont réussi à dépasser leur handicape pour rendre leur vie plus agréable ou tout du moins , arriver à la rendre plus supportable en trouvant une manière de continuer â faire un sport ou en faire un autre et à trouver du plaisir d'une manière ou d'une autre  , alors que d'autres n'y arriveront pas.

Est ce que quelqu'un est forcément atteint d'un trouble mentale lorsqu'il n'arrive pas à supporter la condition de vie dans laquelle il se retrouve , je ne pense pas.
Quelqu'un de passionné par une activité , si tu lui enlèves pour X raison , sa raison d'etre, il n'arrivera pas forcement à s'adapter mais je ne pense pas qu'il ait un trouble mentale pour autant.
Quand quelqu'un vit vraiment pour quelque chose de particulier et qu'Il ne peut pas / plus le faire pour X raison, il n'arrivera pas forcément à s'y adapter .
Il peut devenir dépressif , comme il peut arriver à le surmonter.
Tout comme pour quelqu'un qui se retrouve en prison , privé de liberté, tout le monde ne peut pas forcément s'y adapter; surtout quand il sait que ça va etre pour un bon nombre d'années.
Des gens qui se retrouvent à prendre perpétuité aux USA par exemple ou ailleurs  , je peux comprendre qu'il y en aient qui préfère la peine de mort !
Ils vont plonger dans un profonde dépression , si du jour au lendemain ils sont gracié et sortent de prison ( en partant du principe qu'ils n'y ont pas passé un temps qui leur a semblé insurmontable , ce qui aura pu affecter leur santé mentale ) , leur dépression partira comme elle est venue du fait de retrouver la liberté .
Après évidemment , la situation dans laquelle ils se retrouveront une fois dehors , aura surement une influence sur leur morale.
Si c'est quelqu'un qui s'y retrouve pour trafic de drogue par exemple ( qui n'est pas un psychopate , ou quelqu'un dont la santé mentale a fait qu'il se retrouve en prison pour un crime ) , sa dépression due à l'enfermement s'arrêtera surement.

Je pense qu'il faut différencier une dépression circonstancielle ( pouvant etre solutionné ou pas )  , d'un état dépressif sans cause précise par exemple.

 
#6 Posté par : prescripteur 07 octobre 2024 à  08:48
Bonjour, tout depend aussi de ce qu'on nomme "maladie mentale".
Par exemple dans le cas du deuil il y a un "etat depressif" (tristesse etc..) qu'il ne faut pas confondre avec une depression vraie. Mais il y a aussi des depressions vraies declenchées par un deuil. Où est la "maladie" et où est l'adaptation au deuil ?

Pour moi (mais ça m'est personnel) seules les psychoses et quelques autres pathologies  sont des vraies maladies mentales, c'est à dire des comportements irrationnels et imprevisibles, "délirants". Et d'ailleurs on s'aperçoit de plus en plus qu'elles correspondent à des "anomalies" cerebrales de fonctionnement (evidemment difficiles à mettre en evidence avec les examens traditionnels (radiographie etc..). Ce sont donc vraiment des "maladies du cerveau"

Le reste ce sont des "etats mentaux" , plus ou moins rationnels mais sans perte de contact avec la "realité". Bien sûr certains beneficient des traitements psychiatriques, pour notamment attenuer la souffrance psychique, mais c'est un tres large continuum d'etats mentaux, allant de la limite avec la psychose à la zenitude, en passant par la depression. 
Malheureusement le DSM (Diagnostic et Statistical Manual d'origine US) a compliqué la tâche en publiant des criteres "diagnostics" qui ont classifié comme malades mentaux 30% des adultes.
Avec un parti pris de "pathologie". Par exemple l'anxiété sociale (existant depuis des millenaires sous le nom de timidité) est devenue une pathologie "du cerveau", donc necessitant un traitement pharmacologique (notamment AD, avec des effets secondaires appreciables) , même si elle est créée ou aggravée par des evenements de vie (trauma, dysfonction familiale etc..).

Je rejoins là , je pense, ce que dit Acid test dans le post precedent. Je precise que je m'inspire de ma pratique de plus de 15 ans de Medecin de prison. Clairement les patients psychotiques (qui n'ont rien à faire en prison mais y sont de plus en plus nombreux) sont différents des autres, même quand ils demandent des soins "psychiatriques".

Pour conclure je pense que le debat sur la "maladie mentale" des PUD est un faux debat. Comme nous tous ils ont des "etats mentaux", qui entrainent plus ou moins de souffrance pour eux et leur entourage. Mais ce ne sont pas des maladies du cerveau (ce que la Medecine "classique" dit de l'addiction) mais des etats de la personne. Et l'intervention du psychiatre, du psychologue, du philosophe, du religieux etc..et de la femme ou l'homme de bonne volonté  peut ameliorer la souffrance mais ne pose  pas un diagnostic  de "maladie".
Certains par contre peuvent etre "malades mentaux" , de façon continue ou temporaire, mais ils ne constituent pas des humains à part, au même titre que les diabetiques, les hypertendus etc.. Ils ont juste besoin de traitements et surtout de respect.

Concernant les addictions, "maladies du cerveau" selon certains experts, est ce que les personnes traitées au long cours par les opiacés pour douleur sont des "malades mentaux". Evidemment non. Pourtant leur fonctionnement cerebral (avec dependance physique) ne diffère pas de celui des usagers recreatifs. Ils ont tous deux une modification des circuits dopaminergiques. Idem pour les TDAH traités à la Ritaline.
Les "maladies du cerveau" ne sont parfois (souvent ?) que des conséquences et non des causes de l'usage. Les modifications cerebrales peuvent rendre  dépendants  (chez les usagers therapeutiques comme recreatifs) et il faut bien sûr les connaitre et eventuellement les traiter. Mais ce ne sont pas en soi des maladies du cerveau.

Amicalement

 
#7 Posté par : psychodi 07 octobre 2024 à  12:00
sujet très intéressant
pour ma part, le terme de "santé mentale" m'a toujours posé question...et que certaines personnes fassent un lien très hygiéniste et bien-pensant avec les conso de psychotropes ne m'étonne qu'à moitié...

voici un lien récent (septembre 2024) vers un communiqué de presse issu du collectif du Printemps de la Psychiatrie, qui dénonce la "cérébrologie" actuelle et les dérives "santémentalistes"

cliquer ICI

bonne lecture

 
#8 Posté par : prescripteur 08 octobre 2024 à  12:22
Bonjour, un article à l'appui de la "psychiatrisation" de la société.

https://www.lexpress.fr/sciences-sante/ … LLEFTRUNU/

Amicalement

 
#9 Posté par : Pesteux Hier à  22:57

pierre a écrit

ce que nous ne voulons pas, y compris politiquement, c'est etre associé d'emblée à des problèmes de santé mentale. Combien de médecins que nous avons fréquentés pensent que nous avons des problèmes de santé mentale parce que nous consommons !

Pour être parfaitement clair : je suis entièrement d'accord avec ça ! 

C'est même extrêmement courant dans les milieux psy de penser que toute consommation est révélatrice d'une souffrance cachée, qu'elle est l'expression d'un mal-être, ou le symptôme de quelque chose d'enfui, qu'il faudrait éradiquer.

Il y a même une idée courante qui veut que "le toxicomane" ne peut et ne doit pas être écouté comme les autres personnes, car il court-circuiterait la parole et l'élaboration par la consommation du produit. Un psy qui te dit ça, tu peux lui retourner le compliment, tu peux lui répondre qu'en fait il parle de lui, que c'est lui qui court-circuite la parole des personnes en pensant lire le fond de leurs âmes dans leur comportement de consommation. Tu peux lui répondre qu'il pense à leur place, et que ce qu'il raconte ne reflète que ses propres fantasmes sur les consommateurs ! Un psy qui s'appuie sur ce genre de conviction pour priver, restreindre, culpabiliser ou infantiliser les PUDs dans leur accès au produit, tu peux lui répondre que c'est pour soulager ses propres angoisses à propos de leur consommation qu'il les brutalise, tu peux lui dire que l'acting-out est de son côté !

Je n'ai jamais mis les pieds dans un CSAPA, mais quand je lis les témoignages du forum, ça m'inspire que les institutions de l'addictologie sont une sous branche de celles de la psychiatrie, que par contre je connais bien. Oui, officiellement ce sont des institutions séparées, les bâtiments ne sont pas les mêmes, et c'est pas la même étiquette sur la blouse du docteur, mais en fait, on fait face à la même idéologie et aux mêmes méthodes dans les deux cas. En ce sens, c'est parfaitement cohérent de trouver des "troubles de l'usage d'une substance" dans le DSM.

Ce qui me paraîtrait une erreur, aussi bien sur le plan stratégique que sur le plan humain, ça serait de laisser la question des souffrances et des symptômes psychiques des PUDs (quand il y en a) au "sentémentalisme" de la psychiatrie, c'est-à-dire en fin de compte, à l'opposition (c'est un raccourci à peine exagéré).

Ca serait une erreur parce que la psychiatrie nous rattrapera toujours. Je ne prends pas beaucoup de risque si je prophétise la biologisation toujours plus radicale de nos différents états psychiques, et l'extension toujours plus grande de la psychiatrisation de nos existences (je rejoins les propos de Prescripteur sur ce point, ainsi que le texte mis en lien par Psychodi). Même si on arrive un jour à faire retirer les "troubles de l'usage" du DSM (ce qui serait une victoire symbolique immense !), tant qu'il y aura des PUDs qui déclarent souffrir de leur consommation, la santé mentale sera là pour naturaliser leur souffrance, et prescrire/proscrire certaines molécules et certains comportements.

La santé mentale contemporaine porte en elle le fantasme qu'elle suppose systématiquement aux PUDs qui viennent lui adresser leur plainte, et qu'elle accuse de lâcheté face aux défis de la vie : l'idée que toute souffrance psychique peut et doit être soulagée par un psychotrope. Or, c'est bien la santé mentale qui diffuse cette idée dans notre société, avec tous les moyens colossaux que les labos et les pouvoirs publics mettent à sa disposition. C'est un pompier pyromane qui se pose en remède du poison qu'elle diffuse. La seule différence avec la supposée "intolérance à la frustration" qu'elle prête aux "toxicomanes", c'est qu'elle prétend être capable de déterminer les molécules qui conviennent à chacun, mieux que les personnes elles-mêmes, à partir de critères objectifs et scientifiquement établis.

L'imaginaire de la santé mentale est entièrement biologique, mais sa pratique est exclusivement comportementale. C'est-à-dire que sa pratique est un démenti permanent de ses prémisses théoriques : le patient souffre de la chimie de son cerveau, mais on le considérera guéri si il adopte le comportement prescrit. La biologie ne sert que de justification à la naturalisation des comportements qu'elle défend. Les supposées anomalies ne sont jamais démontrées biologiquement. Mais les preuves scientifiques sont toujours imminentes, elle les pressent, elle est sur leur piste, il y a de plus en plus de preuves, c'est pour demain. Sauf que ça fait déjà 150 ans qu'on attend, et qu'en pratique, la santé mentale ressemble de plus en en plus à une science de la régulation des comportements qu'à une médecine au sens noble du terme.

Les PUDs qui déclarent souffrir de leur consommation ne sont pas forcément plus nombreux que ceux qui la vivent bien, mais ils sont forcément plus visibles sur le forum. Car ils se démènent, ils cherchent de l'aide où ils peuvent et comme ils peuvent, et le discours moralisateur et normatif de l'univers médical les pousse à venir la trouver par ici. Alors que les drogués heureux, ceux qui vivent bien leur conso et qui n'ont pas de problèmes particuliers avec ça, ils ont moins de motivations impérieuses pour venir écrire sur le forum. Et pour ceux qui n'ont pas de TSO, ils passent carrément sous les radars du monde médical. Les drogués heureux, c'est souvent les drogués invisibles. Et ça, faut reconnaître que c'est bien emmerdant pour nous.

Je pense que ça crée un biais important, qui n'en finit pas de mettre la ligne éditoriale du forum en difficulté. PA veut porter la parole des drogués heureux dans l'espace public et exploser les stigmatisations dont les PUDs sont victimes. Pour ça, l'asso tente de montrer qu'il est possible de consommer, y compris avec dépendance, tout en étant bien dans sa peau, responsable, et bien inséré dans la société. Je ne peux qu'applaudir cette démarche. Mais du coup, j'ai l'impression que l'abondance des messages de détresse sur le forum est parfois vécue comme un démenti, que ça donne un sentiment de solitude politique à l'équipe, et que ça peut alimenter la tentation de considérer qu'il s'agit de problèmes de santé mentale qui sortent du champ d'action PA.

PA est déjà largement convaincu qu'il faut se réapproprier notre plaisir, et apprendre à savoir l'accepter sans en avoir honte, mais j'ai l'impression qu'il reste encore quelques doutes quant à la nécessité de se réapproprier aussi notre souffrance de la même manière. Il a des doutes parce qu'évidemment, on ne veut surtout pas alimenter ce lien systématique entre conso et souffrance.

Mais si la drogologie n'ose rien dire sur la souffrance psychique, si elle se déclare incompétente sur le sujet et qu'elle laisse ça à d'autres par peur d'être confondue avec la santé mentale, ben elle abandonne le terrain à l'opposition, qui ne manquera pas de s'en servir pour nous clouer le bec. Nous aurons nos témoignages de drogués heureux pour faire la démonstration clinique que c'est possible de consommer et d'être bien dans sa peau, et eux, ils auront toute la souffrance du monde pour faire la démonstration inverse, et présenter nos vies comme des exceptions insignifiantes statistiquement. Dans ces conditions, c'est pas difficile de deviner qui va l'emporter dans l'opinion !

Se poser en drogué heureux et assumer nos consos, ça a un intérêt politique indiscutable. Mais il y a un effet de bord dont il faut tenir compte : les personnes en détresse ont souvent l'impression d'un fossé immense entre elles et celui ou celle qui leur répond, et pour qui "tout va bien" (supposément). Faudrait pas que le désir de ne pas être confondu avec la santé mentale pousse chacun de nous à avoir honte des parts d'ombre de son parcours et des passages tortueux de son vécu. Si chacun commence à vouloir paraître plus inséré et plus équilibré que les autres, on creuse le fossé. On fossoie. On faux soit. (désolé, ce genre de truc c'est plus fort que moi^^).



pierre a écrit

Mais alors laisse t'on une question sur les TDAH et la ritaline ? A priori c'est de la santé mentale aussi. Mais ils se trouve que la ritaline est aussi utilisée comme drogue, et que quand on lit les témoignages d'usage de ritaline pour les TDAH, ils peuvent raconter les memes choses que les PUD sur les effets notamment. Pour l'instant, nous avons décidé de laisser ce genre de questions ou témoignages.

Que veux-tu dire exactement quand tu écris "la ritaline est aussi utilisée comme drogue" ? Je vais partir de l'idée que tu veux dire "comme drogue récréative, et non pas comme traitement", mais dis moi si j'ai mal compris.

Pour moi, utiliser un psychotrope pour en tirer des bénéfices "fonctionnel", ça reste un usage de drogue, et ça fait partie des pratiques des drogués heureux. Je suis pas sûr de bien comprendre ce que tu veux dire, parce qu'à te lire par ailleurs, je doute fort que tu partages vraiment cette morale d'état civil qui consiste à baptiser un psychotrope "drogue" ou "médicament" selon l'avis du médecin et l'inscription sur telle ou telle liste, qui changent au fil des époques, des pays, et des retournements politiques.

J'ai la conviction intime que désanitariser la rdr, ça implique nécessairement de rejeter cette distinction, et je reste persuadé qu'il est possible d'éviter la stigmatisation et la mise en minorité des PUDs parmi les personnes psychiatrisées sans tomber dans cet écueil.

A mes yeux, la vraie différence entre "drogue" et "traitement/médicament", c'est pas l'opposition entre le récréatif et le fonctionnel, dont la frontière est souvent assez floue (se faire plaisir et s'amuser, ça a plein d'avantages fonctionnels, c'est pas pour rien qu'à l'école, il y a régulièrement des recréations !).

Pour moi, la vraie différence, c'est la souveraineté de la personne sur sa conso.

Dire que c'est un traitement, c'est se reconnaître dans l'idéologie de la santé mentale et demander sa part, c'est valider la naturalisation des comportements jugés déviants par le DSM et s'identifier à ses diagnostics, c'est accepter et trouver normal de devoir en passer par le médecin pour avoir le produit, c'est troquer sa liberté et son autonomie contre la bonne conscience de ne pas être un drogué, mais un bon patient qui respecte sa prescription.

Dire que c'est une drogue, ça veut dire que c'est moi qui suis la seule personne légitime à décider quelle molécule, à quelle fréquence, à quelle heure, et à quelle dose. C'est comme pour ma sexualité, ça fait partie de mon intimité, ça ne regarde que moi, et les seules limites acceptables sont celles imposées par le respect de la liberté des autres.

Dire que c'est une drogue, c'est revendiquer une liberté fondamentale qui nous est refusée, c'est se réapproprier notre rapport au monde et nos symptômes (quand il y en a), et ça, la santé mentale ne peut pas l'accepter, car pour elle les psychotropes n'ont de raison d'être qu'en tant qu'outil de normalisation sociale.

J'invite l'équipe à ne rien lâcher sur la Ritaline, et à continuer d'accepter les questions et témoignages à son sujet. Perso, il me semble plus pertinent de travailler sur "comment on y répond sans accréditer l'idée que les PUDs ont des problèmes de santé mentale", plutôt que de les interdire. Pour moi, il ne faut pas laisser la santé mentale nous prendre la Ritaline, ni les nombreuses autres substances (MD, Keta, LSD, Psilocybine, et j'en oublie...) qu'elle expérimente pour en faire des outils psychothérapeutiques. Si on lui lâche les molécule les unes après les autres, on va finir à poil.


Amicalement.


PS : j'aurai bien aimé répondre aux posts très intéressant d'Acid Test et de Prescripteur, mais ça m'aurait éloigné un peu du thème "PUD vs santé mentale", et c'est déjà tellement long ce que j'ai écrit...


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