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La nuit, je suis le gros chat gris. 



La tête enfouie dans mes vêtements, je sens bien que je suis en train de perdre pieds. Je voudrais disparaître. Du moins n'avoir plus d'identité, être comme un animal, pas de papier, pas de compte en banque et la survie en seule préoccupation.

Au moins je n'aurais pas à lutter en permanence contre moi-même afin de réussir non seulement à survivre mais aussi à vivre.

Je suis plus douée pour la survie que pour la vie. Je ne comprends pas bien le langage codé que semble pratiquer la plupart mes congénères. Je comprends pourtant les mots qu'ils emploient, les phrases qu'ils construisent mais il y a les sens cachés. Et pire il y a les sens cachés que les autres imaginent dans mes mots. Alors ça m'épuise, ça me frustre, ça me désole.

Je flotte sur un radeau, qui, après la terrible tempête, a perdu des planches et moi qui ai perdu des vivres. Il y a de plus ou moins gros bateaux, au loin mais j'hésite. Je sais qu'une fois dans le confort sec d'un gros bateau, je ne regretterai pas mon radeau. Mais là, à l'instant où je les perçois presqu'immobiles dans le fond bleuté du lointain, j'ai l'impression qu'ils sont inaccessibles. Je dois prendre une décision et je repousse ce moment depuis deux semaines.

J'ai profité de l'été et des soirées comme autant de raison de boire, autant de manière de tuer le craving, ou plus exactement d'y succomber.

Mais que fuis-je ?

Moi-même.

Depuis que j'ai onze ans je suis l'enfant bizarre, la fille qu'on moque, celle à qui on crève les pneus de vélo, celle qu'on bouscule, celle à qui on dit des choses horribles et toutes ces cruautés d'enfant. Mais comme les autres me rejette, c'est que je dois changer, je dois leur ressembler. J'ai passé de nombreuses années à essayer, en vain, d'être aimable. J'ai tenté de répondre aux exigences sociales et j'ai failli. Je suis tellement désolée que ces gens aient à me supporter, en échange ils me gratifient de leur mépris, leur haine parfois et même leur malveillance.
Et pour ceux qui m'aiment , malgré tout, j'ai l'impression d'être un poids. Comme ils doivent m'aimer pour être encore auprès de moi. Alors je vis mes difficultés en secret pour ne pas les accabler plus. Et je repousse la gestion des problèmes car je suis bien incapable de les gérer seule.

Je suis incapable et le monde des humains me semble parfois insurmontable.

Je voudrais disparaître.

Je veux me blottir dans le creux chaud et moelleux d'un opiacés, parfois j'aurais voulu le faire à mort.


Le monde n'est pourtant pas insupportable, il est même magnifique et les  gens sont beaux, parés de leur individualité. Nous vivons dans le paradis terrestre et sommes si souvent infoutus de réaliser que nous pouvons nous passer des chimères. L'univers est beau et son fonctionnement élégant.

Je ne veux pas mourir, j'aime la vie et son goût de métal. Je veux encore y goûter comme je veux encore goûter aux baisers amoureux, aux éclats de rire, à la musique, à l'odeur de la mer, aux couleurs de l'aurore et celle du crépuscule, aux bains chauds, aux ballades dans un Paris désert, à l'odeur d'une peau moite, au sorbet au durian et toutes les choses que je ne connais pas encore.

J'attrape un livre pour me servir de support à rouler et je tombe sur Boris Vian, c'est marrant les hasards de la vie, lui non plus ne voulais pas crever tout de suite.

«Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algues
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le gout qui me tourmente
Le gout qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir gouté
La saveur de la mort...»

Catégorie : Autres - 31 juillet 2017 à  11:34

Reputation de ce commentaire
 
Gros matou littéraire - 0nirik
 
Hop, je contre-champignonne... | coddeine



Commentaires
#1 Posté par : 0nirik 31 juillet 2017 à  14:05
Faudrait que je lise du Boris Vian, mais à tout hasard — parce que ce type m'a mis une claque et que c'est la première fois que je lis quelqu'un qui me ressemble — je te conseille d'aller lire les poèmes de Raymond Carver ; je n'ai lu que le recueil "Là où l'eau rejoint l'eau", en partie, mais j'ai pris une énorme claque.

Reste que te lire est très agréable.

 
#2 Posté par : Gentle Iron 31 juillet 2017 à  15:32
Merci Onirik,

J'ai téléchargé quelques pdf de Carver et y ai jeté un coup d'oeil, j'ai lu à peu près la moitié de "Cathedrale" une nouvelle disponible en pdf et j'avoue que c'est plutôt agréable à lire et plutôt drôle:

«A beard on a blind man! Too much, I say. »

J'aime beaucoup la façon dont s'organise son texte en phrases courtes et peu encombrées (je devrais en prendre de la graine).

J'en lirai plus pendant les vacances.

 
#3 Posté par : el_addicto 31 juillet 2017 à  15:39
Au niveau de ta com' je la trouve super moi ! :)

Tu sais les autres rejettent tout ce qui ne leur ressemblent pas. Si t'es pas du genre biere et foot a la TV, tu seras immanquablement rejettee par tout ceux qui aiment ca. De plus, je ne veux pas banaliser, mais l'adolescence est LA periode ou on rejette et se fait rejetter. Et ca a cree un trauma chez toi. Mais pourquoi t'ont t'il rejettee ? Parce que tu n'etais pas comme eux. Ca ne veut pas forcement dire moins bien qu'eux !! Y'a plein d'enfants/ados qui sont rejettes parce que plus intelligents (le syndrome du "premier de la classe")

J'ai profité de l'été et des soirées comme autant de raison de boire, autant de manière de tuer le craving, ou plus exactement d'y succomber.

Mais que fuis-je ?

Moi-même.

Tu es super lucide sur ton etat.

Tu sais, je l'ai fais pendant longtemps, au travers des voyages, soit dans d'autres pays, soit dans d'autres etat mentaux (avec l'alcool notamment, comme toi, mais d'autres trucs aussi), dans les deux cas, ca fonctionne bien...un temps et apres, ca ne cree que des problemes. Mon humble avis, issu de mon experience,  concentre toi sur le probleme principal qui est l'alcool, meme si c'est tres difficile, et ta lucidite retrouvee t'aidera a gerer le reste.

De ma propre experience, c'est douloureux certes, mais une fois sevre, tu n'es pas pire que sous alcool, donc tu souffres toujours, mais t'as un cerveau bien mieux equipe, pour gerer les problemes, et, c'est presque triste a dire, mais etre plus aceptee car on est dans une societe qui stigmatise beaucoup les buveurs reguliers ou qui boivent beaucoup (les UD en general d'ailleurs).

Et pour ceux qui m'aiment , malgré tout, j'ai l'impression d'être un poids. Comme ils doivent m'aimer pour être encore auprès de moi. Alors je vis mes difficultés en secret pour ne pas les accabler plus. Et je repousse la gestion des problèmes car je suis bien incapable de les gérer seule.

Pareil, j'ai eu ce raisonement, mais j'ai la chance d'etre bien entoure et mes amis (j'en qi pqs 50 hein, p'tet 4 ou 5 vrais amis) et famille m'ont vachement soutenu et signifie que je n'etais pas un poids mais quelqu'un qui avait besoin d'aide ce qui est normal vu mon histoire. Ils ont ete top. Si tu leur demandes de l'aide et qu'ils te font culpabiliser ou autres, tu as toujours les CSAPA qui sont, en general, la pour t'aider et non pas te juger.

Une fois, j'ai discutte avec une fille d'AIDES (qui n'est pas du tout un CSAPA) qui m'a dit : la ou la plupart des UD echouent dans leurs tentatives de sevrage, c'est la premiere etape : reconnaitre qu'on a besoin d'aide et en demander.


Je flotte sur un radeau, qui, après la terrible tempête, a perdu des planches et moi qui ai perdu des vivres. Il y a de plus ou moins gros bateaux, au loin mais j'hésite. Je sais qu'une fois dans le confort sec d'un gros bateau, je ne regretterai pas mon radeau. Mais là, à l'instant où je les perçois pres qu'immobiles dans le fond bleuté du lointain, j'ai l'impression qu'ils sont inaccessibles.

Tu dois avoir aussi une depression severe, en plus des autres problemes, car la depression te leurre en te faisant croire que tu ne t'en sortiras jamais (que tu n'atteindras jamais les gros bateaux). Dans les CSAPA, ils ont des psychologues formes a gerer ca . C'est important car c'est probablement ca qui genere ta dependance. Si t'etais pleinement heureuse, tu n'aurais pas besoin de produits, tuy en rpendrais peut etre de temps en temps, pour le fun, mais tu n'en aurais pas besoin (je pense que tu saisis la difference). Enfin....c'est ce que je me dis ...

Desole si ce post fait un peu psychologie de comptoir, mais j'ai l'impression que nos histoires se ressemblent pas mal, alors je me suis permis de te livrer mon analyse, dans le seul but de t'aider. J'espere que je ne suis pas a cote de la plaque....

COURAGE !

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bonne analyse a mes yeux

 
#4 Posté par : 0nirik 31 juillet 2017 à  15:55
Mais de rien G.Iron, tout le plaisir est pour moi.

Il a style sec, très impactant et pourtant terriblement doux et/ou dur à certains moments — je pense à un poème qui s'appelle "La tourte de ma fille" ou quelque chose dans le genre (flemme de monter prendre mon recueil j'avoue) ; et oui je lis en français, gros inculte que je suis.

Après, j'aime bien tes longues phrases — j'adôôôre les longues phrases, les lire ou les écrire ; Kerouac m'a donné ce goût.

 
#5 Posté par : Gentle Iron 31 juillet 2017 à  17:42

el_Addicto a écrit

[...]

Hola el (famoso?) addicto,

Tout d'abord merci de m'avoir lue. Le fait que tu te sois identité à mon parcours me touche beaucoup.

J'aurais beaucoup à répondre à tous ce que tu as écrit mais ça me demanderai d'expliquer beaucoup de choses sur moi et l'affligeante banalité de mes déboires. C'est déjà beaucoup de me raconter mais j'aime écrire et ça me fait du bien. Ça m'aide à rester lucide.

Je consomme de l'alcool en ce moment pour calmer le craving d'opacié. J'ai sans doute frôlé l'alcoolisme à plusieurs reprises mais j'ai un passif familliale particulièrement riche en alcooliques et ne connais que trop les ravages que cela provoque, j'aimerais bien m'en dispenser.

Pour le csapa je suis en train d'y réfléchir mais c'est très encadré (et c'est bien), j'ai peur que cela ne me décourage. À l'époque, c'est une des raisons pour lesquelles j'avais stoppé mon tso à la buprénorphine un peu à l'arrache (mauvaise idée).

Merci encore.

Prends soin de toi.


0nirik a écrit

[...]

Je le lis en anglais parce je n'ai trouvé que des pdf gratuit en anglais, ma première intention était de lire une traduction ^^


 
#6 Posté par : el_addicto 01 août 2017 à  06:03

J'aurais beaucoup à répondre à tous ce que tu as écrit mais ça me demanderai d'expliquer beaucoup de choses sur moi et l'affligeante banalité de mes déboires. C'est déjà beaucoup de me raconter mais j'aime écrire et ça me fait du bien. Ça m'aide à rester lucide.

No problemo, tu fais conne tu le sens wink

Je consomme de l'alcool en ce moment pour calmer le craving d'opacié. J'ai sans doute frôlé l'alcoolisme à plusieurs reprises mais j'ai un passif familliale particulièrement riche en alcooliques et ne connais que trop les ravages que cela provoque, j'aimerais bien m'en dispenser.

Ouais et t'as bien raison. C'est pas tres marrant d'etre alcoolique. Apres chacun fait comme il peut pour gerer ses cravings et remplacer un produit par un autres est, apparemment, assez commun ... Tu bois quotidiennement ? Beaucoup ?

Pour le csapa je suis en train d'y réfléchir mais c'est très encadré (et c'est bien), j'ai peur que cela ne me décourage. À l'époque, c'est une des raisons pour lesquelles j'avais stoppé mon tso à la buprénorphine un peu à l'arrache (mauvaise idée).

Encadre ? Que veux tu dire par la ? Moi j'y vais une fois une heure par semaine et c'est pas une prison :). Ca depend peut etre des centres en fait ...

Dans tous les cas, bon courage a toi !


 
#7 Posté par : coddeine 03 août 2017 à  16:40
Nous sommes tous des chasseurs-cueilleurs coincés dans une vie d'agriculteur...

Je suis désolé si ça n'a aucun sens pour vous, mais c'est ce que ça m'a renvoyé...
(Et on se détends sur la culpabilité les copains (ça m'va bien d'dire ça, tiens !)...)
Reputation de ce commentaire
 
Bien vu (les 24h00 sont passées !) G.Iron

 
#8 Posté par : Gentle Iron 03 août 2017 à  20:24

coddeine a écrit

Nous sommes tous des chasseurs-cueilleurs coincés dans une vie d'agriculteur...

Salut coddeine,

C'est très clair pour moi en tout cas, je me reconnais plutôt bien là dedans.
Compter les graines à part peut-être si c'est du pavot (oui enfin compter une à une peut-être pas c'est pas très gros) ou de la weed, c'est pas exactement mon truc.

Edit: je voulais te champignonner mais je t'ai déjà champignonner il y a moins de 24h00


 
#9 Posté par : Gentle Iron 03 août 2017 à  20:58

el_addicto a écrit

Encadre ? Que veux tu dire par la ? Moi j'y vais une fois une heure par semaine et c'est pas une prison :). Ca depend peut etre des centres en fait ...

Désolée El famoso addicto, j'étais persuadée de t'avoir répondu. En fait j'ai répondu sur un thread à plus ou moins la même question.

Dans les csapa il y a un certain protocole (et c'est bien je pense) et beaucoup de rendez-vous. Je suis une catastrophe avec les rendez-vous. (8 ans que mon dentiste attend que je prenne le prochain rendez-vous, à part ça j'ai une très bonne hygiène dentaire mais ça ne remplace pas un dentiste).
J'ai vraiment peur de ne pas arriver à dépasser ce cap.
J'ai un proche qui me sert de coach de rendez-vous. Il est charger de me rappeler de prendre mes rendez-vous (à la rentrée le dentiste) et de noter ceux qui sont trop lointains pour que je m'en souvienne. Et j'ai pas très envie de lui en parler, j'suis déjà un gros boulet, alors que mes proches pensent que les opi c'est fini (pour ceux qui ont jamais été au courant, c'est une minorité), j'ai vraiment pas envie de les faire flipper/souffrir/culpabiliser...

Pour autant c'est l'occasion de rencontrer un addictologue, un psychiatre, de faire un bilan hépatique (parce-que même si j'ai toujours respecté la dose de paracetamol, je ne pèse pas bien lourd et on ne sait jamais) et d'essayer de démêler tout ça.

Il est très possible que je souffre de troubles dépressifs. Et s'il je n'ai pas répondu précisément à cela, j'en suis désolée mais c'est que je suis incapable d'en parler pour le moment.

J'avais répondu en premier lieu, en détail à ton post et j'ai tout effacé. Trop long, trop confu, trop personnel et finalement ça n'a que peu d'intérêt, je suis un individu comme de nombreux autres, ni pire ni meilleur.
Je me sens déjà un peu mal à l'aise de m'étaler comme je le fais, sur le blog ou dans les forums, ça fait beaucoup de bien et c'est un forum d'entraide et de rdr, c'est pas souvent qu'on peut se livrer sans jugement.

Merci beaucoup El Addicto.

Prends soin de toi et profite de tes proches, c'est précieux.


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