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La souffrance ou l'ordonnance. 



J'suis dans l'métro.
J'aimerais m'asseoir tellement j'ai l'estomac noué et les jambes qui flageollent mais la rame est pleine.
Il y a des gens autour de moi, les visages inconnus du matin. Ils sont habillés de tissus de diverses couleurs, formes, styles et textures, des chaussures vert d'eau aux criantes rouges, mêlées aux tons ternes, prédictions de l'automne.

Nation.

Changement. Je déambule dans les couloirs, portée par une vague de femmes et d'hommes qui, pour la plupart s'en vont travailler. Eux aussi semblent porter un bagage trop lourd pour leur corps fatigués.

La 6 pue bien plus que la 2.
À ces parfums trop forts, mélangés d'eau de toilette bon marché et fragrances capiteuses de grandes marques à mémère, je leur préfére presque les odeurs de transpirations.

J'ai opté pour Saint Anne. Mon choix a été motivé par leur capacité à prendre en charge des troubles psychiatriques associés aux addictions et de bons neurologues. Une structure hospitalière. C'est peut-être con mais la science, ça m'rassure.

Bien sûr je flippe. Je me rends compte que je crains de paraître ridicule avec mes petits problèmes. Ah mais c'est rien ça ma bonne dame, un suppo et au lit. Allez, prenez donc une tisane à la camomille, ça vous fera du bien. Hop!

C'est que mon médecin de famille m'a habituée. Les douleurs c'est dans la tête.

Place d'Italie.

Est-ce que Glacière a réouvert?

Corvisart.

C'est une vielle rame. Les stations ne sont pas annoncées. Je me le fais dans ma tête:

Glacière.
Première annonce joyeuse.

Glacière.
La deuxième pour les dépressifs.

De nombreux véhicules circulent sur le boulevard Auguste Blanqui.
J'ai envie de vomir. Je fais la feuille.

Je longe Saint Anne. Le csapa est de l'autre côté du bâtiment.

Le chemin ressemble à une longue marche penitente. Enfin, c'est moi qui m'en fais tout un cinoche, s'qu'on est capable de d'infliger parfois.

Je tremble. J'ai rien mangé.

J'arrive au bout de la rue. Ça ne ressemble plus à l'hôpital. Ça ressemble à un quartier résidentiel. Si je me suis perdue je vais me mettre à pleurer.

Le panneau!  J'attends un peu devant la grille, je sonne. Je rentre. On m'accueille.

L'infirmière est aimable et chaleureuse. Je feins d'être détendue. Je suppose qu'elle a l'habitude et doit comprendre que j'ai la touille.
Ça  sonne, ça appelle, ça rentre.  Ça prend quelques minutes avant que le calme s'installe dans le bureau et que je tente de répondre sagement aux questions. Je ne sais pas ce qui est important. Je fais la moue, je souris, je fronce des sourcils (ça veut dire que j'essaie fort de me rappeler quelque chose ou, dans un autre contexte, que je fais caca) mais je fais de mon mieux pour coopérer.

Le médecin va me recevoir. C'est une psychiatre addictologue.

Je voudrais avoir une main à tenir. Un coeur chaud à serrer. Mais c'est avec le froid de la chaise que je partage le bonheur d'avoir bougé mes fesses. J'me suis pas lavée, j'ai pas mis de déo mais j'm'en fous, je suis là. J'ai le forum dans ma poche mais je veux garder mes mots pour la docteure médecin psychiatre addictologue.

L'attente est courte. Même pas le temps de mettre mes idées en place.

L'addicto me reçoit. Elle est accompagnée d'un étudiant, discret, dont j'oublierai presque la présence.

On commence.

Je vois s'écrire, sur la feuille A4,  vierge il y a encore quelques secondes, la liste de mes consommations actuelles et passées. Alcool, codeine, héroïne, mdma, amphétamines, lsd, cannabis, champignons, benzodiazepines, ketamine, subutex, tabac. J'en ai oublié mais je crois que c'est pas très grave.
Puis les événements marquants, tout est là, griffonné en désordre sur le papier.
Les insomnies.
Les violences morales, à l'école, le harcèlement.
Les insomnies.
Les violences sexuelles.
Les insomnies.
Les violences physiques.

Je retiens la déferlante d'émotion. C'est  pour ça que j'ai fumé un spleef. Je ne veux pas pleurer. Je n'ai pas pleuré.

On parle de mes consommations, quand, comment, pourquoi? Je ne sais pas pourquoi.

Une fois dans le métro, au retour je saurai pourquoi. Fuir les enjeux d'un monde que je ne comprends pas. Mourir mais juste un peu.

Et pourquoi le subutex n'allait pas? Parce que... Je ne sais pas... Je suis très reconnaissante au traitement de m'avoir sorti du milieu. Mais... j'avais l'impression d'être punie.

On parle du cannabis, je ne refuse pas d'arrêter,dans l'absolu mais pas sans pouvoir gérer l'impulsivité. Je lui parle du tabac forcément associé et des vaporisateurs, qu'elle n'a d'ailleurs pas l'air de connaître. L'étudiant, qui l'accompagnait invisiblement depuis tout ce temps, se met à hocher de la tête, lui sait de quoi je parle.

Je devine qu'elle déroule les choses dans son esprit, qu'elle tente de faire de ce brique et ce braque de mot, un canevas cohérent.

Elle annonce les solutions, toujours de son ton calme et courtois.
Le sevrage ambulatoire, mais ça ne me semble pas approprié puisque, dans mon cas, ça a déjà foiré.
Le sevrage hospitalier, la même mais à l'hôpital, entourée de soignant dans un contexte surveillé et sans la possibilité de compenser avec d'autres toxiques. Le plus dur étant de ne pas replonger. Elle parle du revia, j'ai le coeur qui se serre en pensant à Anonyme, elle insiste un peu, voit ma moue, elle n'insiste pas plus.
La substitution, ils ne prescrivent pas d'autres formes de buprénorphine que du suboxone, je n'écoute plus tout à fait ce qu'elle dit, je pense au Chat et au foutu goût de citron, j'ai du faire la moue, encore, elle ne termine pas sa phrase. Elle me détaille la procédure méthadone, la prise contraignante au début car délivrée quotidiennement au centre, ils ont des infirmières pour ça, très compétentes, juste la bas, au fond du couloir.

A moi de réfléchir.
Elle me rassure, elle me montre les mots que je ne cesse de regarder frénétiquement, la liste des toxiques que j'ai consommé et me rappelle qu'il n'y en a plus que quatre aujourd'hui, ceux qu'elle a surligné. Elle me fait deux ordonnances, une prise de sang et une échographie du foie.

Nous avons une semaine. Elle pour discuter de mon cas avec ses confrères. Moi pour savoir ce que je veux. Avec des devoirs en prime, mes habitudes de sommeil et mes prises de codéine, d'alcool et tout ce qu'on peut épingler sur le tableau de mon âme. Elle sait que je ne fais pas souvent mes devoirs mais je vais quand même essayer.

Je ne veux pas de sevrage brutal, ni à la maison, ni dans un endroit avec des médecins pour me dire que c'est normal si j'ai mal. J'ai déjà assez morflé. Laissez moi tranquille.

Je n'ai pourtant pas envie de rester enchaînée à un ordonnancier pour toujours.

La souffrance ou l'ordonnance.


Nous avons une semaine !

Catégorie : Traitements de substitution - 31 août 2017 à  23:58

Reputation de ce commentaire
 
Beau récit 'métro-addicto-pas dodo'. Bon courage pour la suite :) Gilda
 
wow. Un très beau témoignage, je suis impressioné. Groovie
 
Ouais " WOW ", c'est le mot. Anna



Commentaires
#1 Posté par : PsyAgentDouble 01 septembre 2017 à  14:12
écris un livre!

et tiens nous au courant de la suite

 
#2 Posté par : Tatami 01 septembre 2017 à  15:45
Qu'est ce que tu me ''fous les boules'', continue,
Tu es belle, magnifique comme ta plume...
Tu me fais chialer.
N'arrête pas de t'écrire et de nous écrire.
"@plus dans le bus'' Gentle, avec ou sans déo, cracra eek
Je t'embrasse fort.
MERCIS
Tatami

 
#3 Posté par : 0félie félée 01 septembre 2017 à  16:07
Beau ton texte !

Moi idem surtout pas de sevrage hôpital/clinique, pas de sevrage brutal, non merci, j'ai déjà morflé et j'ai maintenant la certitude que je suis incapable de respecter la diminution progressive de consommation, les boîtes me filent entre les doigts. Je procrastine, misérablement.

Alors que faire ? Ch'sais pas quoi faire ? Qu'est-ce que j'peux faire, ch'sais pas quoi faire...

 
#4 Posté par : thecheshirecat 01 septembre 2017 à  16:56
Toujours magnifique, comme d'habitude, Gentle :)
Je suis à la fois flatté et désolé que mes petits problèmes de citron t'aient assez marqué pour que ça ressorte dans un moment comme ça ! Tu sais, je crois que je commence à m'habituer ><'

Je pense que tu as raison de fuir le sevrage sec comme la peste. Je pense qu'une hospit' te ferais plus de mal que de bien, pour bien connaître le sujet, mais je n'ai peut être pas toutes les cartes en main. Pour les autres solutions, c'est une histoire de sensibilité.
As tu évoqué la piste Dicodin ? Ou pas pensé/osé ?

Bisous Gentle, ça me fait toujours très plaisir de te lire :p

 
#5 Posté par : Gentle Iron 02 septembre 2017 à  01:44
Salut PAD, Tatami, Ofelie,  le Chat, Gilda et aux lecteurs silencieux,

Il est tard et je m'endors mais merci beaucoup. Je reviens demain avec un cerveau fonctionnel.

Bonne soirée/nuit/journée/après-midi !

Amicalement.

 
#6 Posté par : Annabelle 02 septembre 2017 à  21:27
Écris un p..... d'livre! Bordel!

QUEL TALENT

Chaque fois je fonds
J'me sens vachement privilégiée de te lire et pour te remercier, je t'envoie 3 tonnes d'ondes positives et relaxantes pour cette semaine où ton cerveau risque de bouillir un peu.

Cela dit, je ne me fais pas des masses de soucis pour toi Gentle car tu ne le sais peut-être pas, mais t'es TROP FORTE !

Love

Anna

 
#7 Posté par : Gentle Iron 03 septembre 2017 à  00:47
Salut Anna,

Merci beaucoup, je ne suis pas toujours expressive à réception des compliments mais ils me touchent beaucoup.

Merci beaucoup.

Ouais c'est le bordel dans ma caboche mais à la fois les changements c'est stimulant (slogan 2000).

Je ne ferme aucune porte pour le moment.

Je vous souhaite une bonne soirée/nuit/sieste..
..

 
#8 Posté par : La lie 03 septembre 2017 à  03:32
Salut GI ,salut


Joli texte comme d'hab .... avec en bonus pleins de petits bouts de toi dedans ....

Souffrance ou ordonnance ....... tout en évitant la déchéance , tu finiras bien par trouver la cohérence .... :)

 
#9 Posté par : DVA5-2Tls 03 septembre 2017 à  16:22
Joli !
SIGNÉ: CE QU'IL RESTE DE DAVID

 
#10 Posté par : psychodi 04 septembre 2017 à  11:58
"mourir mais juste un peu"...punaise, comment c'est fort ça !!

talent d'écriture qui nous fait l'honneur de partager ses créations...

vibrant !!

 
#11 Posté par : ElSabio 04 septembre 2017 à  13:25
Bonjour,


Belle tranche de vie, qui plus est, agréable à lire, merci de te confier.

Le passage relevé par Psychodi me rappelle une citation de A. Allais :

"Partir, c'est mourir un peu, mais mourir, c'est partir beaucoup."


Bien amicalement.

 
#12 Posté par : Gentle Iron 04 septembre 2017 à  14:34
Bonjour,

Lalie, merci, si un jour j'attrape la cohérence ça sera la fête du slip ^^

Ce qu'il reste de David, merci.

Psychodi, déjà merci beaucoup et pour rejoindre la citation de El Sabio, c'est une sorte de sas entre la vie et la mort.

Bonne journée.

 
#13 Posté par : La lie 04 septembre 2017 à  15:09

Psychodi a écrit

"mourir mais juste un peu"...punaise, comment c'est fort ça !!

Si tu commences à relever toutes les punch-lines qui claquent venant de GI , et bien t'as pas fini lol !



Lalie, merci, si un jour j'attrape la cohérence ça sera la fête du slip ^^

Cohérence !!! Cohérence !!!!! Cohérence !!!!!!!!!


Ouais je l'appelle , ( et en plus,  ça pourrai pas mal me servir à moi aussi ce truc là ...) , en espérant qu'elle se raboule vite-fait cette satané cohérence !!!!


Ouais , je suis trop impatient qu'elle arrive , comme ça nous pourrons faire une grande  "fête du slip" !!  smiley-gen013

La "fête du slip , c'est un de mes hobby préféré , tu sais  !!!!! :)



smiley-gen013 Fête du slip !!! Fête du slip !!! Fête du slip !!! Fête du slip !!! smiley-gen013


 
#14 Posté par : Tag'ada 07 septembre 2017 à  23:50
Magnifique, drôle, émouvant...

J'admire le don que tu as pour écrire...Sous ta plume, même le plus dur devient beau.
T'es une sorte de magicienne c'est ça hein?!!

Je suis certaine que ton choix sera réfléchi, et le meilleur pour toi dans cette situation!
Tu assures GI, ne doutes plus de toi!!

Des bises

 
#15 Posté par : Maryjane13 13 septembre 2017 à  22:36
P.... ça prend aux tripes ton récit. J'ai même revécu les grosses montées le matin enfermée dans la rame de la ligne 6 lors de mon épopée parisienne. Sainte Anne j'ai pas vécu, mais tu viens de me le faire vivre... Arffff je perçois un grand moment de solitude ; tu méritais davantage d'empathie. Au plaisir de te relire, avec moins de désarrois.

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