MEDECINE PSYCHEDELIQUE : Généralités et PAP (O.Chambon) 



Salut les psychonautes !!!

J'ai décidé de me lancer dans une petite série de rédactions en plusieurs volets sur l'usage des psychédéliques dans le milieu médical.
Dans ce premier essai nous aborderons les généralités et tenteront une approche de ce qu'est la psychotérapie assistée sous psychédélique.
Pour cela je vais emprunter des extraits issues de l'ouvrage d'Olivier Chambon (Médecin psychiatre défenseur de l'utilisation des psychédéliques en tant que médicaments) dans lesquels je rajouterais ma vision personnelle des choses, elle n'engage que moi.
Si ce que vous vous apprêter à lire vous plait je vous encourage fortement à lire son livre en intégral "La Médecine Psychédélique" aux éditions "Les Arènes".

https://arenes.fr/wp-content/uploads/2016/01/c_la-medecine-psychedelique.jpg.webp


1) UN PEU D'HISTOIRE POUR COMMENCER
2) QU'EST-CE QUE LES PSYCHÉDÉLIQUES (PDL)?
3) PEUT ON PARLER REELEMENT DE SUBSTANCES HALLUCINOGENES ?
4) HALLUCINATIONS OU VISIONS DE REALITE(S) ?
5) PSYCHEDELIQUES : L'APPELLATION LA PLUS PERTINENTE
6) PSYCHOSES OU EXPERIENCES MODIFIEES DE CONSCIENCE : QUELLES DIFFERENCES ?
7) PSYCHOLYTIQUE ET PSYCHEDELIQUE
8) SET AND SETTING : BACK TO BASICS
9) LA PSYCHOTHERAPIE ASSISTEE PAR PDL OU PAP




1) UN PEU D'HISTOIRE POUR COMMENCER.

Si on fait l’impasse sur la pratique et les conaissances utilisées depuis des millénaires, les premières recherches scientifiques dans le domaine des PDL ne datent pourtant pas non plus d’hier.

En Occident, entre 1947 et 1976, on a assisté à une explosion phénoménale de l' intérêt et de la recherche (à la fois dans et en dehors des laboratoires) sur les psychédéliques et sur leurs applications.

Durant cette période, plus de 700 articles de recherche6 furent publiés dans des revues à comité de lecture, attestant la sécurité et l'efficacité des psychédéliques, et enrichissant la pratique clinique et la méthodologie de recherche.
De la fin des années 1940 jusqu'au milieu des années 1960, de très nombreuses publications décrivirent l'évolution de quelque 40000 patients ayant pris part à une thérapie assistée par PDL ou à des essais cliniques, et plusieurs dizaines de livres parurent sur le sujet. Un certain nombre de conférences internationales sur les thérapies par PDL furent tenues.

Deux types de psychothérapies assistées par psychédélique (ou PAP) apparurent :

- La Thérapie psychédélique
- La Thérapie psycholytique. 

La thérapie psychédélique mettait en avant les expériences mystiques et leurs retombées psychologiques ; ce type de thérapie était spécialement destiné aux patients alcooliques ou à la réhabilitation de criminels, en utilisant de hautes doses (plus de 200 gg) de LSD. La thérapie psycholytique elle,  explorait l' inconscient en synergie avec la thérapie psychanalytique.
II se focalisait sur le traitement des névroses et des troubles psychosomatiques en utilisant de faibles doses de LSD (100 à 150 pg), ainsi que d'autres PDL8.

Dès 1968, la FDA américaine (I' Agence nationale du médicament : Food and Drug Administration) interdisait toute recherche humaine avec les PDL, et en 1970 le CSA (Controlled Substances Act) finissait de prohiber toute forme de consommation des PDL. Une législation identique se répandit dans le monde occidental, principalement par le biais de l'ONU, relais très efficace des lois américaines.
Les praticiens et les chercheurs avaient produit des résultats très prometteurs qui, du fait de la prohibition imposée à partir de 1966 aux États-Unis puis à travers le monde, furent très peu exploités. Des contraintes difficilement franchissables furent également imposées à la recherche dans ce domaine, mettant un point d'arrêt à l'étude humaine des PDL.

Si vous ne l'avez pas déjà vu je vous conseille de regarder la série de documentaires intitulés  « Voyage aux confins de l’esprit. » (How to change your Mind) de Michael Pollan qui aborde quatre psychédéliques (LSD, MDMA, Psilocybyne et Mescaline) la propagande que ces substances ont subies ainsi que  leurs propriétés thérapeutique élargies.



En 1992, la FDA permit la reprise de la recherche sur les PDL avec des sujets humains (grâçe nottament à Rick Doblin, 1992). Un nouvel âge d'or de la recherche sur les bénéfices thérapeutiques des PDL commença. II faut souligner le rôle important du Dr Rick Strassman en 1990, qui a obtenu, après un long parcours labyrinthique auprès de I' Administration américaine, l'autorisation d'étudier à nouveau, chez l'homme, les effets physiologiques et psychologiques d'un psychédélique universel, la DMT (N, N-5,5-diméthyItryptamine) lors d'injections intraveineuses allant jusqu'à 0,4 mg/kg, donc très fortement psychédéliques ll .

Pour information, actuellement trois associations américaines et trois associations européennes jouent un rôle majeur dans le financement et le soutien de ce renouveau de la recherche :

- La MAPS ou Association multidisciplinaire pour des études psychédéliques[ fondé par le militant Rick Goblin.

- Le Heffter Research Institutes

- Le Council on Spiritual Practices

- La Fondation Beckley en Angleterre

- La Société Psychédélique qui possède des branches dans différents pays notamment en europe et en russie.

- L' Association suisse pour la thérapie psycholytique SAePT.

En 2009, huit domaines principaux de recherche clinique sur l'utilisation des PDL étaient en cours de développement :

- I. La thérapie assistée par PDL (psilocybine, LSD et MDMA) pour les sujets présentant une anxiété liée à une mort prochaine ;

- 2. La psilocybine dans le traitement des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) ;

- 3. Le LSD, l' amide de l'acide lysergique (LSA) et la psilocybine dans le traitement des douleurs neuromusculaires de la face ;

- 4. La psilocybine en tant que catalyseur d'expériences spirituelles ;

- 5. La psychothérapie assistée par MDMA (ecstasy) chez les sujets atteints de trouble de stress posttraumatique ;

- 6. La psychothérapie assistée par kétamine et ibogaïne dans le traitement des toxicomanies à l'alcool et aux opiacés (héroïne) ;

- 7.    Des études en sciences fondamentales (biologie, imagerie médicale, etc.) sur divers psychédéliques.

- 8.    Le traitement de certaines dépressions (kétamine).


Maintenant que le cadre est posé abordons le vif du sujet.

2) QU'EST-CE QUE LES PSYCHÉDÉLIQUES (PDL) ?

" Ceux qui parlent de psychédéliques mais n'en ont jamais pris sont discrédités par leur inexpérience, et ceux qui parlent de psychédéliques parce qu'ils en ont pris sont parfois discrédités à cause de leur expérience " - Gordon Wasson -

Un psychédélique est une substance naturelle ou synthétique,  -  il n’y a pas de « bonne chimie naturelle » et une « mauvaise chimie de laboratoire », la nature elle même est chimie -  dont la consommation entraîne des changements aux niveaux physique, émotionnel, mental et spirituel.

Les drogues, elles, peuvent être classées en deux familles :

-  Celle des substances qui accélèrent ou amplifient certaines fonctions psychobiologiques normales (comme l'attention, la rapidité de pensée, l'éveil, etc.); ce sont les « speeds» ou «stimulants», « nootropiques », comme la caféine, la cocaïne, la nicotine, les amphétamines

-  Celle des substances qui modifient dans un sens opposé les mêmes fonctions psychobiologiques, en les ralentissant ou en les réduisant; ce sont les «sédatifs», les « calmants », comme les opiacés (dont fait partie l'héroïne), les benzodiazépines (exemple : Valium) et I' alcool.

Les psychédéliques font partie d'une autre famille de substances: celle qui modifie la qualité de la conscience plutôt que de produire une accentuation ou une réduction des processus mentaux.

Ces substances ont la particularité de révéler au sujet qui les consomme une perspective radicalement différente sur les contenus et les processus de son esprit.
L'effet des psychédéliques est très variable, même pour une dose identique donnée à la même personne à différents moments.
La nature de l'effet obtenu est autant liée au contexte psychologique et environnemental (Set and Setting), présent lors de la prise, qu'à la dose de la substance.

Par contraste, les produits appartenant aux deux premières familles (les drogues) produisent des effets semblables chez différentes personnes ou chez une même personne à différents moments.

Les PDL sont donc des « médicaments » (car entrainannt un impact thérapeutique positif) efficaces et puissants, n'entraînant pas de dépendance physique.

Il peuvent être employés avec sécurité pour l'organisme et l'esprit, moyennant le respect de précautions et d'utilisations bien précises.

Un psychédélique n'est pas une drogue ! (par  définition même)
Cela prendra du temps avant que les mœurs ne changent, cette idée étant fortement implanté de par le caractère « ilégal » de sa production/consommation et de la propagande qu’elle a subit depuis des décénnies.

Mais attention, les psychédéliques ne sont pas non plus des médicaments miracles comme le laissent entendre certains articles à sensation depuis quelques années !!!

Je le répète afin d'éviter toute confusion, nous abordons dans cet essai la prise de psychédéliques dans un usage "Thérapeutique" et non récréatif.

Ils impliquent activement le sujet et nécessitent donc son engagement dans un cadre soigneusement préparé et protégé.

C’est ce qui constitue certainement la clé de leur impact thérapeutique, la participation ACTIVE du patient. Prendre un PDL, c'est d'emblée se situer à mi-chemin entre la prise d'un médicament et le suivi d'une psychothérapie.

3) PEUT ON PARLER REELEMENT DE SUBSTANCES HALLUCINOGENES ?

La désignation d'« hallucinogène» est probablement l'une des plus répandues mais également l’une des plus trompeuses à propos de la nature même des psychédéliques.

Un hallucinogène est censé n'induire QUE des hallucinations, c'est-à-dire des illusions de perceptions, des perceptions imaginaires sans objet ou matière réel ; or ce n'est pas toujours le cas des psychédéliques.

En médecine psychiatrique, les hallucinations qui surviennent dans le cadre d'une psychose sont essentiellement de nature auditive.
Lorsque des hallucinations visuelles se manifestent, c'est principalement dans des cas d'atteintes toxiques du cerveau, accompagnées d'un état de grande confusion mentale.
Or, dans l'expérience des visions sous PDL, le sujet conserve simultanément une conscience étonnamment claire et reste tout à fait capable de tenir compte des autres aspects de la réalité.

Pour Jan Kounen, la substance va permettre de "pénétrer des mondes" qui sont plutôt des visions que des hallucinations, dans le sens où elles ont une cohérence. Ce n'est pas une réalité déformée ; c'est une autre réalité complète qui se superpose à la réalité, qui, elle, reste la réalité

« Hallucinogène » est peut-être également le mot qui peut effrayer le plus les néophytes car il colporte l'idée que les PDL vous entraînent dans des univers artificiels, de nature délirante, sans possibilité de contrôle de votre part et sans aucune valeur de vérité ou de connaissance. II s'oppose au terme de «substance visionnaire», qui, lui, implique que le consommateur peut percevoir (avec de réels bénéfices) de nouvelles réalités jusqu' alors inconnues, que ce soit à l'intérieur de lui (origine psychologique des visions) ou à l'extérieur de lui (aspect transcendantal).

En terme plus simple : Les visions induites sous psychédéliques ont « du sens » là ou les hallucinations n’en ont pas.

4) HALLUCINATIONS OU VISIONS DE REALITE(S) ?

L'exploration de l' inconscient par les PDL permet d'extraire de façon rapide un matériel psychique extrêmement riche et d'une grande cohérence qui pourra ensuite être retravaillé par diverses méthodes de psychothérapie. La vision elle-même signale un début d'intégration à un niveau cortical supérieur, comme c'est le cas pour le rêve.

À un autre niveau, si l'on évoque l'aspect spirituel, le terme « hallucinogène» est équivoque pour les chamanes, puisque, selon eux, c'est notre réalité quotidienne, ou ordinaire, qui est la véritable illusion ou hallucination.
On pourrait faire un parallèle avec le choix proposé au héros du film Matrix : prendre une pilule bleue (notre sérotonine habituelle, cette substance psychotrope dans laquelle baigne naturellement notre cerveau, qu'on peut alors qualifier d'hallucinogène du quotidien) et rester dans le monde engendré par la «Matrice», ou bien prendre une pilule rouge (une substance psychédélique), et voir l 'envers du décor, une réalité cachée et cependant plus vraie que la précédente.
Les PDL sont alors considérés comme des outils pour percevoir d'autres réalités, bien plus réelles que la réalité ordinaire pour ceux qui les vivent.
Ces « autres mondes » (pour reprendre le titre d'un film de Jan Kounen) correspondent à des champs d'énergie possédant d'autres fréquences de vibration que celles de notre monde ordinaire, voire des univers parallèles ou de la matière noire, comme le postule le Dr Rick Strassman (2005) en se basant sur les découvertes de la physique quantique.

Notre cerveau est un processeur de données qui nous permet d'halluciner de façon stable la réalité sous-jacente.

II absorbe des données par l'intermédiaire de récepteurs appelés « sens».

S'il n'hallucinait pas, s'il voyait vraiment la réalité, il percevrait uniquement des champs d'énergie en mouvement, beaucoup de vide et très peu de matière (ce que décrit la physique quantique).

En réalité, nous créons la vérité que nous connaissons.

La conscience assemble et synthétise la réalité de façon à nous faire évoluer dans cette réalité. Cette construction cognitive de la réalité nous est propre et ne constitue pas la réalité en soi mais une manière de s'y adapter.

La qualification d'hallucination est en fait totalement dépendante du jugement d'un observateur extérieur qui, parce qu'il ne voit pas dans la réalité ordinaire ce que le sujet sous PDL est en train de voir, qualifie ces phénomènes d' illusoires, d'irréels ou d'hallucinatoires ; en fait, cela peut s'interpréter différemment, et les visions peuvent notamment résulter du fait que de nouveaux canaux de perceptions (ou d'anciens qui avaient été obturés) soient devenus disponibles grâce à la substance.

La synesthésie (capacité à visualiser des ondes sonores) en est un parfait exemple. Dire que ces visions sont des hallucinations, c'est un peu comme si un non-voyant qualifiait un voyant d'«halluciné» parce que ce dernier est capable de voir ce que lui ne voit pas.

« Sous psychédéliques, il n'y a pas d’hallucinations, seulement des observations C'est une réalité constante, indépendante. Vous pouvez choisir d'y porter ou non votre attention. Elle va continuer à évoluer même sans votre attention. Et quand vous vous y intéressez à nouveau, vous n 'allez pas la retrouver comme elle était quand vous êtes partis, mais comme les choses se sont déroulées depuis votre départ. Ce n'est pas une hallucination, mais une observation. »

Les psychédéliques nous confrontent ainsi à des questionnements fondamentaux :

- Y a-t-il une seule ou plusieurs réalités , à des niveaux de perception différents ?
- Est-elle indépendante de nous ou construite par nous ?
- De quelle nature sont les phénomènes que le sujet est ainsi devenu capable d'observer?

II existerait - pour résumer - deux possibilités non exclusives l'une de l'autre :

-    Soit les PDL augmentent la disponibilité du matériel psychique contenu dans l'inconscient du sujet
-    Soit les PDL permettent la perception de mondes invisibles parallèles, qui existent indépendamment de l'expérimentateur.

En fait, on peut avancer qu'une dose faible de PDL («psycholytique») met au jour I' inconscient du sujet, sa vision personnelle et son origine psychologique propre alors qu'une dose psychédélique forte révèle son «extra-conscient», c'est-à-dire du matériel (connaissances, mondes invisibles, entités) qui ne provient pas du psychisme inconscient du sujet, mais réside à I' extérieur de lui, son aspect transcendantal.

Cette existence d'une réalité indépendante du sujet, de ses conditionnements, de ses fantasmes et de son inconscient, est suggérée par la constatation que le type de visions peut être indépendant des attentes spécifiques ou du milieu culturel du consommateur.

Ainsi, deux études ont décrit les réactions subjectives de deux populations distinctes ayant consommé l'ayahuasca.

La première (Harner) est constituée d'Indiens de la forêt tropicale sudaméricaine, et la seconde (Naranjo), de Chiliens blancs en milieu urbain. Ces derniers ne connaissaient ni l'origine de la substance qui leur était administrée ni sa relation avec les Indiens d' Amazonie, et ils ne pouvaient en anticiper les effets. Ils ont cependant rapporté des expériences qui reprennent certains thèmes bien connus de l'expérience chamanique, dont la sensation d'une âme séparée ou distincte du corps, le vol, la métamorphose en mammifère, oiseau ou poisson et la possession par l'esprit. En outre, ces Chiliens citadins blancs ont souvent décrit deux sortes de visions spécifiques des Indiens de la forêt tropicale : celles de reptiles et de grands félins. Dans le cas des Indiens, les félins étaient toujours des jaguars ; parmi les Chiliens, il s'agissait de tigres, de léopards et/ou de jaguars.


5) PSYCHEDELIQUES : L'APPELLATION LA PLUS PERTINENTE

Le terme de « psychédélique» (que l'on doit à Albert Hofmann), reflète un désaccord philosophique profond avec celui d'«hallucinogène». Il signifie rendre l'esprit plus pleinement conscient de luimême, de ses contenus et de ses processus. Par définition, un psychédélique ouvre l'esprit, et « nettoie » les portes de la perception.
Un psychédélique révèle des niveaux plus profonds et plus fondamentaux de la perception, et mène à la lumière de la conscience des choses qui étaient auparavant inconnues, non perçues, secrètes et cachées.

Les récepteurs de notre cerveau (les organes des sens) ne sont capables de capter qu'une infime partie des messages envoyés par le monde extérieur ; on ne peut pas dire que, dans l'état de conscience ordinaire, on perçoit le monde objectivement, tel qu'il est réellement.

Un PDL permet d'étendre la partie visible du monde un peu comme l'ajout d'une nouvelle antenne sur un toit permettrait de capter d' autres programmes.

En tant qu'adjectif, « psychédélique» contient aussi un autre sens, par opposition à celui de «psycholytique». Il signifie que le sujet ingère des doses fortes, dites « psychédéliques permettant alors une ouverture plus profonde du psychisme qu'à des doses faibles, dites «psycholytiques ».
Ces doses fortes permettent d'accéder à des informations au-delà de la simple biographie personnelle, au-delà de l'inconscient freudien ou non freudien, avec, notamment, l'apparition de souvenirs de la naissance, ou l'induction d'expériences mystiques ou transpersonnelles (Stanislav Grof).

Une expérience complètement différente, d'une autre réalité, peut survenir, au cours de laquelle le sujet peut se sentir transporté dans un autre temps ou espace, une autre dimension, ou un autre niveau d'existence, qui peuvent lui sembler complètement réels. C'est cette expérience qui apparaît avoir les effets les plus profonds et les plus durables chez l'utilisateur. Il s'agit de déclencher, par l'effet de choc du PDL, une expérience mystico-religieuse. Celle-ci doit servir, dans le cadre du traitement psychothérapeutique associé, de point de départ pour une restructuration et un rétablissement de la personnalité du patient.

6) PSYCHOSES OU EXPERIENCES MODIFIEES DE CONSCIENCE : QUELLES DIFFERENCES ?

L'important ne se situe pas dans la particularité de l'état de conscience du sujet, mais selon l’ATTITUDE dans laquelle il se trouve. Selon qu'il se sent maître de l'expérience ou qu'il en devient le jouet, cela peut faire toute la différence.

Le malade psychotique sera davantage ballotté chaotiquement par l'expérience ; effrayé, il est enclin à combattre et à lutter ; ses efforts vont se révéler futiles et entraîner encore plus de peur sans jamais vraiment pouvoir s’extriper de cette situation.

Au contraire, la personne dite  'saine', restera davantage maîtresse de cet état d'être. Tout en faisant l'expérience de modifications radicales de la conscience, elle apprécie les nouvelles expériences qui se présentent à elle, et, tout en ressentant crainte et étonnement, va continuer à les explorer et même à s'en réjouir.

Cela ne veut pas dire que, si lors d’un de vos voyages vous expérimentez ce que l’on appelle communément un « bad trip » vous soyiez psychotique mais si lors de vos consommations vous ne connaissez « que ça » il serait intéressant de stopper les prises et de consulter.

La plupart des consommateurs avertis connaissent bien en général les deux états cités  précedemment sans pour autant que l’on puisse parler d’état psychotique.

La psychose n'est ni volontaire, ni désirée.

Un utilisateur expérimenté de PDL peut être considéré comme un navigateur compétent ou un «co-équipier» de la substance.

- C’est une danse qui se pratique à deux.-

Notons aussi qu'un symptôme particulièrement essentiel dans la psychose est absent (sauf maladie préexistante sous-jacente) dans l'expérience psychédélique : ce sont les hallucinations auditives MALVEILLANTES (des voix disant du mal du sujet qui les entend ou des gens qui l'entourent) l’entrainant petit à petit dans une forme de délire psychotique et/ou de paranoia.

À la différence de la psychose, l'expérience psychédélique peut être structurée et pleine de sens.

Quand le sujet en dépasse les aspects difficiles, l'expérience peut être gratifiante, inspirante et plaisante.

Avec très peu d'exceptions, à la fin des séances de PDL (quand elles sont encadrées, bien sûr), les gens se sentent vraiment mieux, en meilleure forme physique, plus heureux, enrichis intérieurement et dans un état de plénitude. Rien de cela ne peut être dit à propos de la psychose !

Les effets des PDL ne sont donc pas assimilables au délire !

Alors que, chez le sujet schizophrène ou délirant chronique, les processus de clivage psychique et de projection produisent une néo-réalité hallucinatoire (particulièrement accoustico-verbale) et délirante (imaginaire), générée par l'inconscient ; les productions psychiques liées aux PDL semblent procéder d'un mécanisme différent.
Elles sont beaucoup plus proches des états modifiés de conscience ou EMC (le concept d'Altered States of Consciousness, ASC, des Anglo-Saxons), ou états étranges de la conscience 11 d' origine spontanée ou qui se produisent sous l'effet d'une pratique spécifique.

Ici, contrairement au délirant, le sujet sait qu'il est en train de vivre quelque chose de différent et d'extraordinaire, gardant toujours, en parallèle, au moins une partie de sa conscience de la réalité ordinaire, et, une fois l'expérience finie, il n'adhère pas totalement et rigidement aux autres réalités qu'il lui a été donné d'expérimenter.

Ces états étranges de la conscience sont «des expériences de courte durée, qui comportent une modification de la conscience de soi et une transformation des rapports avec le monde» (Valla, 1992).

Dans leur définition, on peut retenir la notion de perte de conscience des limites extérieures de soi, associée à une manière inconnue d'appréhender un environnement inconnu, qui correspond aux concepts psychopathologiques de dépersonnalisation et de déréalisation, sans qu'il soit possible d'en référer, chaque fois, à la pathologie.

La différence entre un chamane et un psychotique, c'est que le premier maîtrise parfaitement le passage d'un mode de conscience à l'autre, et peut entrer et sortir à volonté des états modifiés de conscience qu'il provoque à des fins utilitaires.

Le consommateur ne confond pas ses visions avec ce qu 'il continue à voir en même temps dans la réalité physique ordinaire. Cependant, cela ne rend pas pour autant l'expérience moins puissante : le sujet confère vraiment une réalité à ses visions, mais il les conçoit comme appartenant à une réalité séparée qu 'il ne pourrait appréhender sans le PDL.

Quant aux rapports avec le delirium, les PDL sont des composés chimiques qui, à des doses non toxiques, entraînent rarement de la confusion mentale, des troubles de la mémoire ou une désorientation à l'égard des personnes, de l'espace et du temps (Hoffer et Osmond, 1967).

Seule exception, les glycolates naturels (atropine, scopolamine, hyosciamine, contenus dans le datura ou d'autres plantes comme la jusquiame, la mandragore, et la belladone) et synthétiques (trihexyphénidyI) 14, qui induisent une confusion mentale importante, avec perte massive du rapport à la réalité, désorientation spatio-temporelle et troubles mnésiques. Cette classe de PDL est d 'un maniement délicat et réellement dangereux pour le non-initié; ils n'ont d'ailleurs pas fait I' objet d'étude d'utilité et d'efficacité en clinique.

Je digresse un peu… revenons en à notre sujet : les deux types d’approche psychothérapiques.

7) PSYCHOLYTIQUE ET PSYCHEDELIQUE

Sandison introduisit le terme «psycholytique» (c'està-dire relâchement ou ouverture de l'esprit) en 1960 pour désigner l'utilisation du LSD, de la mescaline et de la
psilocybine comme adjuvants d'une psychothérapie déjà en cours.

L'idée est qu'à travers l'utilisation répétée de doses faibles ou moyennes de la substance l'assouplissement des défenses mentales permet au patient de devenir plus intensément conscient de sa dynamique émotionnelle auparavant inconsciente et de ses patterns de comportements probablement acquis lors de la petite enfance

Une telle prise de conscience amplifie les effets de la psychothérapie et amène à la résolution des conflits intérieurs.
Ici, le sujet est juste censé faire l'expérience d'un contact plus large et plus profond avec les productions de son propre inconscient, mais non avec des réalités non visibles, extérieures à lui (dose psychédélique).

En cours de séance, il réélabore un matériel psychique refoulé et des structures irréelles, des faux concepts, idées et attitudes, qui ont été accumulés tout au long de sa vie.
Il y a donc une sorte de « nettoyage psychologique » qui semble accompagner l' imagerie subjective. Hofmann (2003) parle d'un affaiblissement, voire une rupture de la barrière Moi/Toi.
Ces deux éléments aident les patients noyés dans un réseau de problèmes relatifs au Moi (l’ego, son individualité) à échapper à leur fixation et à leur isolement, ce qui leur permet d'établir une meilleure relation au thérapeute et, par suite, d'être plus réceptifs à une influence psychothérapeutique. Le sujet devient plus « disponible » émotionnellement et psychologiquement.
C'est une approche tout à fait compatible avec la conception psychanalytique du traitement, et les psychanalystes européens furent les principaux psychothérapeutes à explorer cette voie.

À I' inverse, l'approche psychédélique trouva son essor essentiellement aux Etats-Unis.

Quand on demande aux individus pourquoi ils prennent des PDL, ils répondent souvent qu'ils les utilisent pour leur développement personnel ou spirituel, une meilleure compréhension et une découverte de soi, et que leur utilisation leur semble importante pour eux, parce qu 'ils ressentent souvent un gain en termes de prises de conscience personnelles, religieuses ou philosophiques.

Ces types de perception peuvent résulter d'une modification du fonctionnement cognitif du cortex frontal, une aire du cerveau où se produisent les décisions et l'attribution de significations .
Ce raisonnement peut expliquer pourquoi les humains prennent des PDL alors que ces substances ne produisent pas d'effets de récompense dans les modèles animaux ( système dopaminergique) : le type de renforcement qu'elles procurent chez l'humain est essentiellement de nature cognitive, sous forme de perception d'un élargissement de la conscience, d'une plus grande compréhension ou d' intuitions profondes, qui n'aurait pas de contrepartie chez les ayant un cortex frontal moins développé.

La possibilité d'utiliser un PDL comme auxiliaire médicamenteux en psychothérapie repose sur ses effets, qui sont opposés à ceux des psychotropes du type tranquillisants. Alors que ceux-ci ont plutôt tendance à occulter les problèmes et conflits, si bien qu'ils apparaissent moins aigus, qu'ils perdent de leur importance aux yeux du patient, ils sont au contraire mis à nu avec le PDL; ils sont vécus plus intensément, donc plus facilement reconnus et plus accessibles à un traitement psychothérapique.

Il est reconnu que les psychothérapies avec PDL provoquent une expérience contenant une profonde expansion de la conscience (état modifié de conscience) au travers de laquelle l'individu ne gagne pas seulement en termes d'«insight thérapeutique» vis-à-vis de sa dynamique émotionnelle et névrotique, et en termes de modifications comportementales, mais aussi par ce que cette expérience provoque comme questionnement sur sa propre vision de la nature de la réalité, en transcendant ses conceptions existentielles.

Les effets des PDL sont sensiblement différents d'une personne à une autre.

Cependant, il semble exister une corrélation entre la dose ingérée et la nature de l'expérience psychédélique, selon les quatre phases décrites par Masters et Houston (1966) :

-    1 : Sensorielle (images eidétiques et autres changements perceptuels, modification de l'image corporelle, distorsions spatiales et temporelles)

-    2 : Biographique-analytique (reviviscence d'expériences émotionnelles importantes du passé, confrontation à des problèmes personnels, conflits relationnels, buts de l'existence)

-    3 : Symbolique (images historiques, légendaires, mythologiques et archétypales) ;

-    4 : Intégrale (expérience religieuse, union mystique, illumination, intégration psychologique).


Une dose légère peut ne provoquer que des couleurs rosées et une sensibilité aux nuances de la musique; une dose plus forte peut mettre le sujet en contact avec des thématiques psychanalytiques ou lui procurer un sens de communion avec la nature ; une dose encore plus forte peut provoquer une expérience où existe une complète dissociation d'avec le sens de soi, de son corps et de l'environnement, le sujet vivant la «mort de son ego», une « grâce» potentielle, mais qui peut être aussi terrifiante.

Alors que la dose peut influencer grandement les effets, l'état d'esprit du sujet — ouverture et réceptivité, qualité de l'attention et intentionnalité — peut se révéler encore plus important pour déterminer l'effet final.
Ceux qui se trouvent dans un état d'esprit ouvert, détendu et avec un vrai désir d'expérience spirituelle peuvent connaître une expérience transcendantale avec une dose même modérée.
Bien sûr, un tel état d'esprit réceptif peut engendrer une expérience spirituelle sans aucune prise de substance.
En fait, certains experts disent que notre état de conscience « normal » constitue en réalité une version appauvrie et réduite d'une réalité sousjacente beaucoup plus large, plus profonde et plus vivante, celle des yogis et des physiciens quantiques, à laquelle, dans notre immaturité, nous résistons 29

Dans ce champ, il est couramment accepté que le concept de set and setting est le déterminant le plus important de l'expérience psychédélique, au cours de laquelle la substance joue juste le rôle de catalyseur ou de « Trigger».

8) SET AND SETTING : BACK TO BASICS

Le Set, c’est le positionnement ou cadre interne du consommateur (motivation, attente, intentionnalité, projet, mais aussi personnalité et degré de développement spirituel ou énergétique antérieurs)
Le Setting est l'environnement externe, le «cadre extérieur», comprenant la présence d'un thérapeute, d'un « guide» ou d’un « gardien », « trip sitter ».

Contrairement aux traitements psychotropes couramment utilisés en psychiatrie (antidépresseurs, anxiolytiques) qui sont censés agir essentiellement par leur action pharmacologique, le cadre interne et externe ne jouant qu' un rôle mineur.
Cette découverte du rôle déterminant du cadre peut d'ailleurs être étendue à l'ensemble des autres expériences entraînant des états modifiés de conscience sans substances (hypnose, méditation, transes, isolation sensorielle).

9) LA PSYCHOTHERAPIE ASSISTEE PAR PDL OU PAP

Un aspect important, concernant la PAP, est la rapidité du processus thérapeutique. En comparant les PDL avec les médicaments psychotropes classiques, agissant sur l'humeur, qui doivent être pris pendant de longs mois, on s'aperçoit que les PDL ne nécessitent qu'un nombre très restreint de prises, sous la supervision d'un thérapeute, au cours de séances de psychothérapie.

En contrepartie, le temps de présence soignante nécessaire lors de la prise de PDL est assez important (plusieurs heures), même si, au final, le processus psychothérapeutique est grandement accéléré.

Même de faibles doses provoquent des changements comportementaux et psychiques prononcés pendant au moins cinq heures, dans la plupart des cas.

Les patients ont donc besoin d'être surveillés en continu pendant toute cette durée, et aussi plusieurs heures après, pour réduire au minimum toute survenue d'effets négatifs.
L'incidence de ceux-ci est basse lorsque les individus sont soigneusement sélectionnés, surveillés et suivis, tout particulièrement quand on leur a donné des doses adéquates de PDL de bonne qualité pharmaceutique.

Toujours en rupture vis-à-vis de l'usage habituel des autres substances psychoactives en psychiatrie, il est généralement reconnu que I' expérience personnelle du thérapeute ou du « guide» est un prérequis essentiel d'une psychothérapie psychédélique effective. Sans cette expérience préalable, la communication entre le thérapeute et le sujet dans un état psychédélique est sévèrement limitée. Ce principe entraîne par voie de conséquence que l'un des paramètres importants de l'expérience psychédélique est l'expertise du thérapeute.

Sur le même modèle que la formation psychanalytique, le clinicien a tout intérêt à avoir vécu lui-même quelques séances sous PDL, avec une finalité explicitement didactique, cette démarche étant complétée par une supervision des séances psychédéliques qu'il pratiquera par la suite chez ses patients

Le PDL est un catalyseur ou un amplificateur des processus psychiques et physiques : ce n'est pas un remède miracle qui guérirait à lui tout seul, indépendamment du reste !!!

Prendre une substance hallucinogène conduit ainsi à repenser totalement son rapport au soin, au médicament et à la médecine, tout autant que son rapport à soi, à son corps et à sa conscience.

Les PDL ne font pas tout le travail à la place de la personne : ils lui montrent ce qui est à changer, ils lui donnent des indications précises, en enlevant couche après couche les voiles de ses illusions ou de ses croyances erronées, mais le chemin sera ensuite fait par la personne ; c'est le travail essentiel de I'intégration.

Il semble d'ailleurs que les PAP conduisent principalement à activer les mécanismes endogènes d'autoguérison, comme d'ailleurs beaucoup de méthodes utilisant à fin thérapeutique les états modifiés de conscience (hypnose ericksonienne, EMDR).

Enfin, à la différence des médicaments ordinaires, qui nécessitent une prise quotidienne sur le long cours, les PDL agissent souvent en une seule ou quelques prises.
Les bénéfices financiers seraient intéressants pour notre Sécurité sociale, mais les laboratoires pharmaceutiques y verraient pour leur part une perte de gains ne les incitant pas à commercialiser ces produits.




Voila pour ce premier volet les ami(e)s, j'espère que ça vous aura plu, félicitations aux plus courageux qui auront eu la patience de tout lire. Je suis conscient que cela peut paraitre un peu "indigeste" et que je m'adresse un peu plus à une "niche" d'individus, d'ou la volonté de scindé en plusieurs chapitres. J'ai essayé de rendre la lecture aussi  ludique que possible en proposant un maximum de liens externes. J'attends vos retours.

Psychédéliquement Vötre
EdA

Catégorie : Opinion - 13 mai 2023 à  21:18

#dépression #médecine #opinion #pap #psychédéliques #thérapeutique

Reputation de ce commentaire
 
Merci du partage !



Commentaires
#1 Posté par : CPartiEnCouilles 16 mai 2023 à  00:26
Salut,

Eh ben sacré partage d'informations, avec le petit côté POV en plus , j'ai pas encore été voir les liens je vais faire ça en plusieurs fois. J'ai hâte de lire la suite en tous cas. Je trouve le sujet très intéressant et j'apprécie le fait qu'aujourd'hui il y ai un petit regain pour les recherches sur ces thérapies.

J'avais pu voir il y a quelques années un ancien vétéran de la guerre en Afrique, assisté par des médecins sur une thérapie avec de la MDMA sur son stress post-traumatique. Les résultats étaient plutôt positifs.
C'était un documentaire sur la chaîne Vice je crois mais je ne me souviens plus donc à prendre avec quelques pincettes.

En tous cas, je vais sûrement revenir sur ce post plusieurs fois pour bien tout assimilé.
Merci pour le partage super

Bien à toi.

 
#2 Posté par : Ergot des Aigles 17 mai 2023 à  09:44

CPartiEnCouilles a écrit

Salut,
J'avais pu voir il y a quelques années un ancien vétéran de la guerre en Afrique, assisté par des médecins sur une thérapie avec de la MDMA sur son stress post-traumatique. Les résultats étaient plutôt positifs.
C'était un documentaire sur la chaîne Vice je crois mais je ne me souviens plus donc à prendre avec quelques pincettes.
En tous cas, je vais sûrement revenir sur ce post plusieurs fois pour bien tout assimilé.
Merci pour le partage super
Bien à toi.

Salut CpartienCouilles merci pour ton retour.
Oui ils ont de plus en plus nombreux aux usa a recevoir ce type de traitement pour soigné les Syndromes de Stress post trauma, notamment graçe à Rick goblin de la maps que je cite plus haut. On peut également voir un de ces vétérans militer pour l'association dans le doc que je cite "voyage aux confins de l'esprit", celui sur la MDMA j'ignore si c'est ce doc que tu as vu.

Après je tiens à préciser que ni chambon ni moi ne détenons une quelconque vérité et que l'ensemble de ce billet ne reste qu'une "vue de l'esprit" dans le sens ou c'est la manière dont nous percevons la chose et dont nous interpretons les études mais sans tenter de s'imposer en quoi que soit ^^.

Je ne sais pas si vous connaissez "l'alégorie de l'éléphant" mais elle met parfaitement en lumière ce que je veux dire.


 
#3 Posté par : Pesteux 06 juin 2023 à  01:39

Avertissement : pavé de 7 pages sous word. A réserver aux plus motivés^^


Un grand merci à toi Ergot. Pour ton article approfondi, et pour l'invitation à la discussion qui l'accompagne. Le sujet de la psychothérapie me passionne depuis mon adolescence, et celui des psychédéliques m'a toujours intrigué. Alors, un article sur le livre d'un psychiatre et psychothérapeute qui noue les deux, je suis au paradis :)

Mais je suis un peu embêté du commentaire que je m'apprête à faire, car il va être critique. Et je ne voudrai pas donner l'impression de mal recevoir ton travail, car il m'inspire beaucoup, et que je t'en suis reconnaissant. C'est pas tous les jours que j'ai l'occasion d'écrire sur mes centres d'intérêt, et que je suis bien heureux que tu m'en donnes l'occasion. Ton résumé me semble fidèle, il colle à ce que j'ai entendu Olivier Chambon dire lors de ses interventions publiques. Mes critiques visent certains points du discours de Chambon, et pas du tout ton article.

Par ailleurs, j'ai spontanément beaucoup d'estime pour Chambon. Un psychiatre qui accorde tant d'importance à la dimension subjective, qu'il va jusqu'à oser affirmer publiquement que la dimension objective est un produit de la vie subjective, ça mérite mon soutien. Une telle assertion peut paraître totalement farfelue dans les domaines techniques, quand on veut produire des médicaments ou des smartphones, mais elle me semble tout à fait opérante dans le domaine humain, quand on veut conduire une psychothérapie, travailler sur la dimension psychique d'un sevrage, ou même seulement nouer des liens avec nos semblables.

Bref, j'aime bien Chambon. Il a l'air sympa, ouvert, et enthousiaste. Je m'y intéresse de plus en plus. J'ai pas encore lu son livre, juste ton article, et écouté quelques interventions publiques sur youtube. Mais c'est justement au sujet des points où il ne me semble pas fidèle à ses convictions sur la dimension subjective que je vais le critiquer. Je vais poser deux objections :
- Sur la catégorisation des produits qui est proposée, en particulier l'exclusion des psychédéliques de la catégorie "drogue".
- Sur la conception de la psychose et du délire qui est véhiculée.

Je sais que c'est surtout la 2e qui t'intéresse, mais je ne peux pas attaquer directement par là. Il devrait y avoir une certaine articulation entre les deux. Aujourd'hui, on fait la première, la catégorisation des produits et l'exclusion des psychédéliques de la catégorie "drogue". Parce qu'on est sur psychoactif, et que là, le discours de Chambon nous enfonce.




Les drogues, elles, peuvent être classées en deux familles :

-  Celle des substances qui accélèrent ou amplifient certaines fonctions psychobiologiques normales (comme l'attention, la rapidité de pensée, l'éveil, etc.); ce sont les « speeds» ou «stimulants», « nootropiques », comme la caféine, la cocaïne, la nicotine, les amphétamines

-  Celle des substances qui modifient dans un sens opposé les mêmes fonctions psychobiologiques, en les ralentissant ou en les réduisant; ce sont les «sédatifs», les « calmants », comme les opiacés (dont fait partie l'héroïne), les benzodiazépines (exemple : Valium) et I' alcool.

Les psychédéliques font partie d'une autre famille de substances: celle qui modifie la qualité de la conscience plutôt que de produire une accentuation ou une réduction des processus mentaux.
[...]
Par contraste, les produits appartenant aux deux premières familles (les drogues) produisent des effets semblables chez différentes personnes ou chez une même personne à différents moments.

Les PDL sont donc des « médicaments » (car entrainannt un impact thérapeutique positif) efficaces et puissants, n'entraînant pas de dépendance physique.

Il peuvent être employés avec sécurité pour l'organisme et l'esprit, moyennant le respect de précautions et d'utilisations bien précises.

Un psychédélique n'est pas une drogue ! (par  définition même)

Je suis en complet désaccord avec cette présentation des choses.


I. Sur la classification des drogues et médicaments

Pour commencer, restons objectif et rationnel, autant qu'on peut...

a/ Déjà, cette séparation en 3 familles selon l'action sur fonctions psychobiologiques (accélérateurs, ralentisseurs, et modificateurs), me semble une pure abstraction, une simplification outrancière, mal fondée cliniquement. Je parle ici de "clinique psychique", celle qui s'appuie sur le vécu des personnes. Et en matière de psychothérapie, c'est la seule boussole dont nous disposons.

Ces 3 familles peuvent éventuellement décrire des catégories d'effets psychotropes, mais certainement pas être rattachées formellement à des substances précises.

Certes, ça peut être pratique de parler de stimulants/accélérateurs et de sédatifs/ralentisseurs pour rassembler des produits différents dans un même groupe afin de mettre de l'ordre dans son armoire à pharmacie ou d'organiser les discussions en différents sous-forums. Mais à mon avis, quand il s'agit de clinique et de thérapie, on devrait parler substance par substance, pour rester rigoureux et éviter les généralisations trompeuses. Ca parait évident quand on parle dosage, pourquoi serait-ce différent lorsqu'on parle effets des produits ?

Les effets euphorisants et désinhibants de l'alcool sont largement connus, et collent mal à une définition qui le réduirait à un simple "sédatif" ou un "calmant". Beaucoup d'amateurs l'utilisent au contraire comme un "stimulant". Quand on ouvre une bonne bouteille pour l'apéro, c'est rarement pour endormir nos convives.

Contrairement aux idées reçues, les benzos aussi peuvent avoir des effets "stimulants". Quand on est inhibé par l'angoisse, un léger anxiolytique peut diminuer cette inhibition, et au final, avoir un effet plutôt "accélérateur". La personne retrouve la capacité à dire et à faire des choses, alors qu'elle serait paralysée par son vécu intérieur sinon.

On pourrait aussi donner l'exemple des effets hallucinogènes des ZDrugs, qu'on risque de complètement oublier si on les réduits à de simples "sédatifs".

A l'inverse, certains consommateurs de cocaïne ou de speed décrivent un effet "calmant", contrairement à l'idée reçue. Ca les pose, et ça leur permet de se concentrer. La corrélation avec un diagnostic TDAH n'est pas systématique : on peut ressentir un effet calmant sans vivre avec un TDAH, et vivre avec un TDAH sans ressentir cet effet calmant.

Par ailleurs, de nombreux auteurs semblent trouver l'inspiration grâce à l'alcool ou aux opiacés, ce qui témoigne de leur effet "modificateur de conscience". Ca n'est pas un effet de même nature que les psychédéliques, mais si un produit permet de libérer la parole et les idées, si il peut stimuler l'imagination jusqu'aux plus folles inspirations, il me semble dommage de le réduire à un simple sédatif, et de lui dénier d'emblée tout intérêt en psychothérapie.

Je ne dis rien de très original, et je n'apprends rien à personne avec ces remarques. Les contre-exemples à cette séparation en 3 familles me semblent très nombreux, on pourrait en ajouter beaucoup d'autres. Je veux surtout souligner combien cette classification me semble objectivante et réductrice, et partager mes inquiétudes quant à l'intension qui est visée.

Tous les témoignages du forum invalident cette idée défendue par Chambon que "les drogues produisent des effets semblables chez différentes personnes ou chez une même personne à différents moments". Au contraire, la clinique semble plutôt démontrer que les effets varient selon les personnes et les moments, et ce, quelle que soit la substance.

Si il fallait absolument faire des psychédéliques un médicament, je les rangerais dans la catégorie des "produits de contraste". Parce que j'ai l'intuition que c'est l'effet de contraste avec la réalité ordinaire qui fait le potentiel révélateur du produit, et pour souligner que le bénéfice thérapeutique ne provient pas de l'expérience psychédélique en elle-même, mais de son interprétation/intégration dans le vécu du sujet. Ca permet d'insister sur la primauté de la subjectivité dans les progrès attendus, et de minimiser la dimension thérapeutique de l'effet psychotrope à lui tout seul.

Mais ça ne changerait rien à la structure logique qui est déployée. Je suis trop gentil en critiquant les "3 familles", et en y ajoutant une 4eme. Parce que pour Chambon, ce n’est pas 3 familles, c'est 2 familles + 1. Le +1 étant les "modificateurs de conscience". Trop précieux pour se mêler aux 2 autres pesteux, les "ralentisseurs/sédatifs" et les "accélérateurs/stimulants". C'est une dialectique de l'exclusion. Je suis sûr que mes amis champis, qui poussent entre les bouses de vache et les crottins de chamois, ne font pas tant de chichis.


b/ Ensuite, cette idée de sortir les psychédéliques de la catégorie infamante des "drogues", pour lui réserver la catégorie noble des "médicaments", me semble elle aussi mal fondée cliniquement, et refléter un parti pris moralisateur. Que Chambon soit un psychiatre/psychothérapeute sincère qui tente cette opération dans le but politique d'obtenir le droit d'exercer ne rend pas l'idée moins gênante.

Mal fondée cliniquement, car nous avons de nombreux témoignages sur les effets thérapeutiques positifs des drogues. Par exemple, les bénéfices que certaines personnes peuvent tirer de la cocaïne ou des amphets ne sont plus à prouver. On a aussi des personnes qui utilisent les opiacés comme anxiolytiques ou comme antidépresseur. Ou de la 3MMC. C'est également le cas pour l'alcool, etc.

Le fait que ces substances peuvent exposer à des surdoses ou à une perte de contrôle de la consommation ne suffit pas à effacer les bénéfices qu'elles peuvent apporter, et à les disqualifier comme médicaments. Par exemple, on peut tomber dans un usage incontrôlé des anti-inflammatoires face à certaines douleurs musculoarticulaires, abuser des antitussifs quand on a une bronchite chronique, etc. Les produits en question doivent-ils être exclus de la famille des médicaments ? Leurs effets thérapeutiques positifs doivent-ils être oubliés ?

A contrario, certaines expériences psychédéliques tournent mal, et peuvent exposer les personnes à des conséquences psychiques négatives, à court, moyen ou long terme. Et ce, même si on sait repérer les symptômes ou les discours de structure psychotique en amont, et qu'on les exclut des expériences. La préparation au trip, la possession de benzos voir de neuroleptiques, l'accompagnement par un thérapeute ou un trip sitter expérimenté, ça permet de réduire le risque, mais certainement pas de l'exclure totalement. La possibilité d'un impact thérapeutique négatif ne doit pas être balayée d'un revers de main, même en définissant des indications et des contre-indications strictes.

On ne peut pas non plus sortir les psychédéliques du lot en se basant sur la quasi-impossibilité de surdose. D'abord, parce que Chambon inclut aussi la Kétamine et la MDMA dans les psychédéliques, et que des surdoses sont possibles avec ces produits. Ensuite, parce que même en ne considérant que la psilocybine et le LSD, qui peuvent difficilement causer de graves problèmes physiques, on ne peut pas balayer comme ça les conséquences d'une "surdose psychique". Quid des malheureux qui essayent 4 buvards de 250ug pour leur première prise ? On ne peut pas leur garantir que les effets négatifs s'arrêteront avec le trip, et qu'il n'y aura pas de conséquences durables. Est-ce moins grave que des effets négatifs physiques ? Perso, je considère que le risque de surdose existe dans tous les cas, même lorsque c'est uniquement le psychisme qui est affecté.

Cette impossibilité du risque 0 me semble justifier de laisser les psychédéliques dans la grande famille des drogues, du moins si on tient à conserver cette catégorie. Parce que si on les rebaptise en médicaments au nom de la "sécurité pour l'organisme et l'esprit" et de "l'impact thérapeutique positif", on cache les énigmes et les paradoxes de la psyché sous le tapis, et tant pis pour l'ignorance ! On refait la même erreur qu'avec les Benzodiazépines, les Neuroleptiques, et les Antidépresseurs. On fait appel à l'imaginaire collectif du médicament pour en faire des produits miracles, on leur place une auréole éblouissante au dessus de la tête, et on leur colle sur le dos des préjugés positifs aussi outrageusement simplificateurs que les préjugés négatifs dont sont accablés les autres drogues. Au final, on nie la complexité de la psyché, des situations, et de la subjectivité des personnes. Et ça ne me semble pas un bon début pour soigner la souffrance psychique. Ca crée des attentes démesurées chez les personnes, chez leurs proches, et chez leurs soignants. Pour moi, c'est là que se trouve l'angle mort de la prise en charge psy aujourd'hui, beaucoup plus que dans le manque de molécules à potentiel thérapeutique. Je ne veux pas qu'on dise un jour "prends tes psychédéliques et ne cherche pas à comprendre", comme on le fait avec les autres médicaments psychotropes. Changer les psychédéliques de catégorie me semble donc créer plus de problèmes que ça n'en résout.

Assumer les psychédéliques comme des drogues n'empêche nullement de leur reconnaître un intérêt thérapeutique ou spirituel. Le rapport bénéfices/risques ne peut pas être apprécié en fonction de la seule substance, sans prendre en compte la personne et le contexte. Ce qui sera un traitement salvateur pour certains sera destructeur pour d'autres. Et on ne pourra jamais prédire le résultat à l'avance et le garantir sur la notice du médicament. Classer les psychédéliques dans les médicaments, c'est en faire un contrat d'assurance avec ses clauses en petits caractères. Je préfère, et de très loin, qu'on revalorise les drogues et qu'on les légalise, en tant que telles.

Parti pris moralisateur, parce que j'ai l'impression que Chambon est si passionné de psychédéliques, qu'il veut les sortir de la catégorie des drogues juste pour crédibiliser sa démarche vis-à-vis des préjugés ambiants et de la morale dominante. Ce faisant, il les renforce. On dirait qu'il se sent obligé de montrer patte blanche pour que ces idées soient mieux acceptées par communauté médicale. Mais c'est perdu d'avance, à partir du moment où il affirme que la dimension objective est un produit de la dimension subjective, et non l'inverse, et qu'il ajoute que c'est l'esprit qui crée la matière et non l'inverse, c'est mort : la grande majorité de la communauté médicale et scientifique ne voudra plus jamais entendre parler de lui (c'est ma boule de cristal qui le dit^^, et je n'approuve pas du tout cette ostracisation, je ne fais que la constater).

C'est un mauvais calcul. Parce qu'en faisant ça, il plante un couteau dans le dos à toutes les personnes qui utilisent des drogues non psychédéliques. Ca l'amène à tordre les faits en ignorant les témoignages des personnes, et à valider certains préjugés qui nous oppressent. Je ne pense pas que ça soit son but, je pense qu'il se tire une balle dans le pied en faisant ça. C'est d'autant plus paradoxal et fâcheux que le monsieur semble par ailleurs accorder une grande valeur à la subjectivité et à l'empathie. Perso, pour parvenir aux mêmes fins, je préfère revaloriser la drogue, ou me débarrasser de cette frontière entre le médicament et la drogue. Ca n'enlève rien au potentiel thérapeutique des psychédéliques, mais ça évite de se fermer à celui des autres drogues, et de stigmatiser ceux qui les utilisent, que ça soit dans un but thérapeutique ou récréatif.

En résumé, je lis ce passage sur les drogues comme une théorie compliquée pour rationaliser un jugement de valeur. Un jugement qui ne s'assume pas. Et je ne trouve pas ça rassurant. J'ai peur qu'il croie vraiment à ce qu'il raconte. Ca me rappelle ce que j'entendais en teuf. Cette espèce d'anoblissement des psychédéliques, cette idéalisation par rapport aux autres drogues, qui finit toujours par déraper vers le mépris de ceux qui les utilisent. J'ai aimé le monde de la free, mais ça, ça m'a toujours fait grincer des dents. Tu vas me dire que c'est banal, qu'on voit ça partout, et que ça ne nécessitait pas tout un développement. Ben si.

Parce que là nous parlons d'un psychothérapeute. Parce qu'il forme d'autres psychothérapeutes. Et qu'il semble jouir d'une certaine popularité dans le milieu psychédélique français. Chambon, c'est déjà une autorité symbolique. Sa parole compte.

Et parce que "le traitement des toxicomanies à l'alcool et aux opiacés" fait partie des indications pour les thérapies assistées par les psychédéliques.

On parle donc d'un thérapeute drogué, qui soigne en utilisant de la drogue, des personnes droguées. Mais lui il préfère se penser en thérapeute complètement clean, qui soigne avec des médicaments, des personnes toxicomanes. Il se place en surplomb. Si il a de telles idées en tête quand il reçoit des gens qui utilisent d'autres drogues que des psychédéliques, ben il doit avoir bien du mal à s'ouvrir à la subjectivité de ces personnes. Et un thérapeute qui est fermé au discours de ceux qui se confient à lui, et ben ça peut être dangereux. Et je pèse mes mots en écrivant ça. Je ne remets pas en cause sa bienveillance, mais je suis un peu inquiet quant au travail qu'il a fait sur lui-même. Sortir des trucs comme ça, de la part d'un thérapeute centré sur la subjectivité, ça le fait vraiment pas. La seule bienveillance ne suffit pas. Là, il nous enfonce pour mieux nous soigner. Et ça me rappelle quelque chose...



II Sur la définition du terme "drogue"

Maintenant, passons aux choses sérieuses : place à la subjectivité la plus totale...

Dans nos échanges où je t'annonce que je vais contester le retrait des psychédéliques de la catégorie "drogues", tu me réponds en me demandant quelle définition on doit choisir pour en débattre, et en me faisant valoir que "médicaments" se dit "drugs" en anglais.

Je pourrais esquiver et te répondre que pour moi, si ça a un effet psychotrope, c'est une drogue. Donc les psychédéliques sont des drogues. L'alcool est une drogue. Les benzos, les antidépresseurs et les neuroleptiques sont des drogues.

Mais je veux être honnête, et j'apprécie ton exigence. A ce point de notre échange, je ne peux pas me débiner, donc je me dois de te répondre le plus sérieusement du monde, et de tout mon poids : aucune définition !

Ou toutes les définitions, si tu préfères.

Y compris celles auxquelles on ne pense pas d'emblée. Y compris les totalement impensables. Surtout celles-là même. Parce que c'est là que se trouve le réel. Dans l'impensable. Si ça se pense, si ça se comprend, c'est que t'es en train d'imaginer. Ce que tu penses, c'est la dimension de l'imaginaire. Le réel est ailleurs. Quand tu crois avoir compris, tu as sûrement tord :) Moi aussi hein ! On en est tout là... La carte n'est pas le terrain, une figure géométrique est toujours fausse, et le destin de toute théorie est d'être réfutée !

Quand je veux vraiment être sérieux, pour les sujets importants, je me méfie des définitions. Elles sont toujours trop définitives, leurs finitions sont trop parfaites, trop entières, trop artificielles, trop fermées, trop limitées, trop menteuses, illusoires... Je leur préfère des indéfinitions, ou des infinitions. Quoi, ça existe pas ?! Ben faut les inventer.

Je me refuse à définir le terme "drogue". Dans ce commentaire, je parle de la drogue en tant que signifiant. Je parle de ce qu'on entend quand le mot est prononcé. Et de l'effet que ça fait de l'entendre. C'est très vaste...

Ce son à déchiffrer, cette énigme à résoudre.

Tu te rappelles de la première fois que tu l'as entendu ?

Pas seulement la matérialité sonore du mot, mais au-delà. Je parle de la puissance évocatoire et invocatoire du terme. C'est comme Beetlejuice, à peine tu invoques son nom, elle est presque là. Et même si elle n'est pas là, c'est son absence qui la remplace. Tu cases le mot dans 3 phrases en public, et tu verras de quoi je te parle. Mais tu connais déjà. Tout le monde connaît ici. Quand les gens "clean" (quel joli mot) commencent à parler de untel "qui se drogue", en son absence. T'as déjà remarqué ce qui se passe ? Tu sais, cette impression que la terre va s'ouvrir en deux et que celui qui porte la marque du démon va disparaître dans un nuage de soufre. Ou emporté par un torrent de fausse compassion dégoulinante de moraline puante. Ou nié, ignoré, bâillonné, invisibilisé par les autres dans un silence morbide et interminable. Ou encore brûlé au bûcher par la colère fulgurante, avec ses cortèges d'insultes, d'accusation de mensonge, de manipulation ou de trahison. C'est selon les personnes et les moments... La drogue en tant qu'elle ne laisse personne indifférent. En tant que mot qui rend fou.

La drogue, perçue comme pacte avec le diable. Le dragon à deux têtes, paradis artificiel et panacée pour l'une, enfer et damnation pour l'autre. Ce mauvais génie dont on peut faire notre allié, pourvu qu'on apprenne à l'apprivoiser sans se faire dévorer. Ce cristal aux multiples facettes dont les dictionnaires nous somment de n'en gober qu'une seule à la fois. Ce dieu disputé, que chacun veut s'approprier, ce médicament excommunié par la médecine, que la bourgeoisie veut capturer en le transformant en marchandise, et que les inquisiteurs veulent exorciser en le prohibant. Ce rave qui nous relie, ce rapport social médiatisé par le produit. Cet écho sulfureux qui part des caniveaux pour remonter jusqu'aux plus hautes sphères du pouvoir. Ou l'inverse. La drogue aussi bien comme phénomène social, que comme représentation individuelle et subjective. Du rêve à l'angoisse collective. La drogue en tant qu'objet de désir et fantasme intersubjectif. De la source de tous les maux à la dernière lueur d'espoir et de réconfort. La drogue en tant que désir bancal, indicible, et ininterprétable. La drogue comme concept qui nous échappe toujours un peu, mais auquel il faudrait juste dire non, il parait... parce que c'est comme ça. Comme si c'était toujours possible ! Ou même souhaitable !

J'essaye de te faire sentir, avec mes maigres moyens, toute la richesse du signifiant drogue. Quelqu'un d'autre écrirait autre chose. Et même si on s'y mettait tous, on n'arriverait pas à épuiser le sujet. Cette richesse, on la perd en la rebaptisant médicament. Le sens qu'on donne au mot drogue ne change rien à l'opération qu'effectue Chambon en en excluant les psychédéliques. C'est une opération frauduleuse, un abus de pouvoir symbolique. Et le pire, c'est qu'il le fait sûrement en toute sincérité.

C'est très perso, mais je ne veux pas qu'on exclue les psychédéliques de tout ça, ni du reste. La drogue, c'est un signifiant primordial pour moi. Et ça l'était aussi pour des amis chers qui ont vécus pour ça, et qui sont morts avec ça, et non pas à cause de ça. Ce mot, je me dois de lui rester fidèle, et de le défendre bec et ongle. Sortir les psychédéliques du groupe des drogues, c'est les dévaloriser, les trahir, c'est comme les balancer aux keufs, c'est capituler pour espérer triper tranquille. Jamais ! J'te sors toutes mes tripes là. Je ne veux pas troquer la richesse et la complexité de la drogue contre la simplicité de façade et les fausses promesses du médicament. La face obscure de la drogue n'a rien à envier à celle du médicament. Il n'y a rien à gagner. Et tout à perdre. 


Ne reculant devant rien, je m'autocite, parce je trouve qu'il y a un certain à-propos.

Dans un trip report hallucinant, qui semble décrire une dépersonnalisation radicale :



Morning Glory a écrit

(...)
je ne percevais même pas la signification de ces mots en fait. C'étaient comme des sons dépouillés de tout sens.
(...)

Pesteux a écrit

Ca me parle ! Tu t'es jamais fait la réflexion que c'est ce qu'on vie à notre naissance ?

Quand on entre dans le langage, un mot c'est D'ABORD un son. La signification vient ensuite, on se l'imagine et on le plaque sur le son. Sans consulter le dictionnaire ou demander une définition à nos parents évidemment. Ces choses-là ne viennent que bien plus tard. Les mots les plus usuels, personne ne nous en jamais donné de définition. Ca me donne le vertige. Apprendre à parler, c'est structurer des mots insensés en phrases, comme les notes peuvent être structurées en une mélodie. Si ça sonne faux, le jeune artiste se fait tej à coup de bâton, et il essaiera de faire mieux la prochaine fois. Mais alors, d'où ça vient le sens ?

J'ai pas la réponse évidemment...

Par mon objection, je ne défends pas une molécule particulière, ni un effet psychotrope particulier, je défends un signifiant, et tout ce qu'il convoque. C'est ça qui s'entend, c'est ça qui se dit, c'est ça qui fait parler, c'est ça qui fait vibrer, donc c'est ça qui compte : c'est ça qui fait agir et qui fait réagir. Je suis convaincu que si on lâche sur ce signifiant "drogue", les molécules resteront la propriété du maître, qui continuera de nous les interdire ou de nous les imposer selon son bon vouloir, ses croyances à la con, et sa conviction inébranlable de savoir mieux que nous même. Si on lâche sur ce signifiant "drogue", on continuera à ne rien vouloir entendre de la dimension subjective, et à réduire les personnes à des réactions biochimiques objectivables.

Tu pourrais me dire : "mais alors, t'aime le signifiant drogue, et tu détestes cette logique drogue/non-drogue ?".

Et je te répondrais : "c'est pas une contradiction, c'est de la dialectique !"  big_smile

Evidemment, si je fais de la politique, si je prépare un poison pour le pouvoir, je le structure dans son langage à lui, je reste raisonnable et cartésien pour que ça passe inaperçu. Bien sûr, si je veux demander des subventions à monsieur le maire, ou une autorisation d'exercer à monsieur le ministre, je parle un autre langage que celui que je te tiens aujourd'hui, je n'essaye pas d'exalter ma subjectivité, je la tais, je courbe l'échine, je m'adapte. Et si j'étais Chambon, peut-être même que je me laisserais aller jusqu'à prétendre que les psychédéliques ne sont pas des drogues, en m'appuyant sur les préjugés les plus courants, soi-disant objectifs, rien que pour avoir le droit d'exercer, et aider ceux qui le souhaitent. Ca se comprend. La fin justifie parfois les moyens. Il faut savoir parler le langage du pouvoir, car il ne s'abaissera pas à écouter le nôtre.

Mais je ne suis pas Chambon. A qui adresse-t-il son livre et ses interventions publiques ? Parle-t-il au pouvoir pour l'hypnotiser ? Ou bien parle-t-il à des thérapeutes en formation pour les instruire ? Ou encore aux âmes en peine pour leur donner de l'espoir ? Quel désir mobilise t'il à travers cette logique d'exclusion ? Pour qui bat son coeur ? Pour qui sont ses épines ? Je ne l'ai pas encore assez écouté pour avoir l'impression de le déchiffrer. Quelques désaccords, même profonds, ne m'empêcheront pas forcément d'y trouver inspiration. C'est très riche ce qu'il raconte. J'aimerai bien en savoir plus... En attendant, qui aime bien châtie bien !


PS : Je suis apparemment destiné à poster mes pavés les plus perso et les plus travaillés sur le blog des autres. Je squat ton blog comme j'ai fais avec celui de MG. Encore une fois, c'est très gênant ça. Mais c'est parce que pour moi, "l'inspiration vient toujours des autres". Merci de m'avoir lu.

Reputation de ce commentaire
 
Texte mis dans les morceaux choisis de Psychoactif. (pierre)

 
#4 Posté par : pierre 06 juin 2023 à  16:30

Ergot des Aigles a écrit

J'ai décidé de me lancer dans une petite série de rédactions en plusieurs volets sur l'usage des psychédéliques dans le milieu médical.

Merci pour ce travail de vulgarisation qui permet à tout le monde de voir ce qu'il se passe avec les psychédéliques.

Pesteux a écrit

I. Sur la classification des drogues et médicaments

Néanmoins je ne suis au combien pas d'accord avec l'auteur. Je m’apprêtais à faire un post de commentaire, quand j'ai vu le texte de Pesteux...  qui traduit totalement ma pensée.

Chambon est totalement dans la reproduction du stigmate sur les drogués en disant que les psychédéliques ne sont pas des drogues.   Il essaie d'en faire des médicaments miracles, en enfonçant les autres drogues. Et c'est ce qui me gène parfois dans ce milieu de la révolution psychédélique...


 
#5 Posté par : Ergot des Aigles 07 juin 2023 à  22:03
Merci pour vos retours les gars!!! Dès que j'ai un peu plus de temps (je suis en train de faire des tutos pour la culture de champis) je vous répondrais à la hauteur de ce que je pourrais avancer comme arguments mais bon j'ai pas ta plume pesteux ^^ je suis plus à l'aise à l'oral mais je ferais de mon mieux.
C'est ce genre de débat qui m'interesse justement sinon je ne posterais pas des billets de blogs et me contenterais d'écrire des livres que je vendrais à ceux qui sont déjà d'accords avec moi avant même de les acheter haha.
D'ailleurs c'est justement par ce que ces sujets sont propices à l'échange d'opinions que je préfère les partager ici plutôt que sur les forums qui (pour moi) ont une visée plus "informative".
Pour le coup la réponse sera la mienne, pas celle de chambon, je le laisserais se "défendre" lui même, il n'a pas besoin de moi, d'autant plus que je ne tiens pas à le faire. Cependant autant je partage pas mal de vos points de vue sur le fond que sur la forme il y a des choses qui effectivement me donnent envie de défendre son approche, surtout dans la manière de procéder afin de faire "changer les mentalités", "vulgariser" ou "rendre plus accesible" un sujet aussi polémique, modifier la législation (ou même les moeurs) sur la longueur dans un monde dominé par des conservatismes religieux et le capitalisme.
Et c'est probablement sur ces points que nos avis divergeront plus surement!!! Pas tant sur la "direction à prendre" (que nous partageaons je pense) mais bien sur  la "manière" la plus - adaptée/efficace  -   selon chacun d'entre nous pour faire "avancer/changer les choses". Je donnerais également mon avis en tant que professionnel de santé qui n'engagera que moi. Mais perso être en désacord avec des gens dont je respecte la démarche, l'argumentaire et l'opinion cela me va très bien, bcp de gens pensent que désacord et conflit sont les mêmes choses, je ne partage pas cet avis (du coup pesteux inutile de prendre trop de gants avec moi ^^ en revanche je remercie encore ta prévenance).  Je reviens vite

Remonter

Pied de page des forums