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Marée Méthadone 



D'abord le goût amer et sucré du sirop.


Au début, un vent chaud annonce la marée.
Mais très vite la première vague, forte et sirupeuse, elle englue tout mon corps, me ralentie,la vague se retire un peu, mon corps est léger mais mes jambes restent de plombs. La deuxième vague alors arrive tout aussi collante, le goût amer englue mon palais, mes ailes enduites de sucre sont lourdes. Collants les gens, collantes les barres de métro et j'aimerai bien m'asseoir. La vague se retire, dans ma tête ça secoue, comme les rouleaux qui percutent le récif. La troisième vague arrive, elle est déjà moins collante, le sirop se dilue, le goût passe un peu, je suis un peu moins perdue. Puis les vagues se font de plus en plus vagues, leur amplitude se dissipe.


Le matin, le lagon est à sec. J'attends patiemment, la vessie pleine, assise sur une nouvelle chaise froide, celle à côté du bureau de l'infirmière.


Mes journées sont géniales. Mes nuits pourries. Vers 20h00 la marée se retire, il ne reste pas plus qu'un petit clapotis. Et vers 3h00, un peu avant, un peu après, c'est l'impression de désert.


On maintient encore une journée à 5mg. Pour le moment c'est gérable mais il va falloir que je dorme.


Aujourd'hui je reçois le rouleau dans le bureau de l'infirmière. J'suis assise et prolixe, même enduite de sirop, l'infirmière me trouve plutôt vive. Ça n'est pas mon infirmière habituelle mais elle est fort aimable également. Je commence à trouver mes marques. Je quitte le centre à la troisième vague.


Vers 20h00, à nouveau, la marée se retire. Ça n'est pas insupportable mais c'est désagréable. Le sommeil tarde à venir, quand je le trouve enfin, l'alarme me réveille. J'ai froid, j'ai mal partout et c'est frisonnante, emmitouflée dans une grosse écharpe, que je me rends à Saint Anne.


On passe à 10mg. J'ai peur que la première vague ne soit trop forte. Finalement ça me rend un peu plus ensuquée mais je me sens plutôt bien jusqu'à 13h00. J'ai un coup de barre, que je tente de contrer par une gélule de guarana. Je me mets à trembler, j'ai la nausée, j'ai des palpitation, ça ne va pas et dans une heure je vais bosser. Je décide de m'allonger un peu, je somnole mais ne dors pas. Le réveil sonne, je dois aller au travail, ça va un peu mieux.J'ai la nausée.


Je suis surdosée mais j'ai plus mal aux jambes.


Le soir les vagues sont encore bien présentes, elles me berceront durant 7h00. 7 putain d'heures. C'est mon réveil qui me tire du lit, je veux encore dormir, ça fait si longtemps. Le percale me fait du chantage, aller encore dix petites minutes. Je cède une première fois. Pour une fois c'est le snoozer de mon téléphone qui me tire de mon sommeil et pas le snoozer à codéine.


Je vais oublier les réveils à 6h30 ce week-end. Pas de bol, je bosse. Je bosse tôt. Je me lève à 7h15. On continue à 10mg, même si nous convenons que 7,5mg serait plus approprié pour éviter les nausée.


J'ai l'impression d'enfin reconnaître la fatigue. D'habitude quand je suis fatiguée, mon corps lutte, mes jambes tressautent, j'ai des tremblements, mes membres semblent ne pas vouloir écouter mon cerveau qui leur somme pourtant de se reposer. Là, ils ont rendus les armes. Ils sont prêts à dormir . Si ça n'est la céphalée induite par la baisse de caféine, je me sens plutôt bien. Fatiguée mais bien.


La marée est moins forte qu'hier. C'est peut-être lié au fait que pour une fois mon corps n'est pas à sec.


Je marche avenue René Cotty. J'aime cette avenue bordée de grands immeubles haussmaniens aux corniches délicates, aux  rotondes élégantes et aux motifs classiques. De temps en temps quelques immeubles contemporains aux balcons de verre viennent rythmer le parcours. Et il y a cette allée que je suis pour fumer mon spleef à l'abrit des buissons qui longent les voies.


La vague glue arrive, mon pas se ralenti, le monde se ralenti, je monte dans le RER, j'ai besoin d'espace. La vague se retire, il reste l'écume, je change de ligne, je m'assoie. La deuxième vague arrive, j'ai sommeil, je ferme un peu les yeux, le train me balotte, mon corps est léger et mes jambes aussi.


J'ai sommeil parce que c'est normal d'être fatiguée quand on a peu dormi.


J'ai sommeil et je chéri cette sensation.

Dans mon sac je transporte deux flacons, soigneusement rangés avec leur ordonnance, le seul moyen légal de transporter de la méthadone. Je réfléchis, je pourrais ne consommer que 75% de mon traitement mais puisque je devrais avaler les 10mg au csapa dès lundi, ça ne me semble présenter qu'un intérêt limité dans une phase de stabilisation. De toute façon on verra ça demain matin.

Il est 8h15, c'est la première fois que j'avale la méthadone chez moi, j'avale les 7,5 cl entièrement. Le week-end se passe. Bien.
Il n'y a plus de marrée basse et beaucoup moins de rouleaux. Les vagues me ballottent, c'est un peu grisant. De tant à autre j'ai le mal de mer, un fond de nausée me perturbe. Je mange un morceau et ça va mieux.

J'ai encore quelques boîtes de prontalgine et de dafalgan codéine, elles sont posées prêt de mon lit, à côté du réveil codéine, je crois que ça me rassure de les savoir à leur place. Je rempli toujours mon pilulier, guarana, fer, melatonine, vitamine B12... Les prises rassurent mon esprit coutumier. Dehors, un brouhaha mêlé d'éclats de rire s'échappent des bars alentours, quelques uns tournent à la recherche d'un endroit où garer leurs  véhicules, l'écho de la vie nocturne.


La marée méthadone me porte sur ces flots doucereux, sucrés et collants. Le ressac me berce des nuits entières, miracle jaillissant des eaux sirupeuses. Je rêve de Poséidon et de son trident, il agite la marée, l'apaise, il souffle un vent chaud, je transpire, il souffle un vent froid, je grelotte, il frappe le fond marin, je tremble.


La marée méthadone englouti l'univers, l'espace-temps est tordu. Je me promène dans un monde nouveau ou tout est à peu près comme avant mais pas exactement. Les journées sont plus courtes, les heures plus longue et mes paupières sont lourdes.

Catégorie : Traitements de substitution - 29 septembre 2017 à  09:37

Reputation de ce commentaire
 
Texte mis dans les morceaux choisis de Psychoactif. (pierre)
 
Texte tout simplement Magnifique, merci / Away
 
Bon vent au matelot du rafiot Ferraille sur la mer Méthadone :) Gilda



Commentaires
#1 Posté par : Anonyme95 29 septembre 2017 à  10:33
Prose saline vivifiante et chaloupante à la fois. J'adore, j'ai l'impression de marcher à côté de toi dans les rues de Paris et t'accompagner dans ton parcours wink

 
#2 Posté par : Tag'ada 29 septembre 2017 à  12:27
Je plussoie Anonyme, ton récit nous donne l'impression d'être là, tout près de toi...
Codéine ou méthadone, ta plume reste toujours vibrante. Tout devient poétique lorsque tu écris, même ce qui est moche devient beau. Tu as du talent, n'en doutes jamais !

Tu fais preuve d'un courage incroyable pour gérer tout ça avec le quotidien en tous cas.
Respect.

Des bises

 
#3 Posté par : psychodi 29 septembre 2017 à  13:32
"la marée méthadone englouti l'univers"...

poète poète...beau, beau...mise en abîme de tes bobos et de ton vague à l'âme...

le talent de gentle iron, on ne s'en lasse pas vraiment...on te l'a dit je crois non ?

 
#4 Posté par : ElSabio 29 septembre 2017 à  17:41
Bonjour,


De banalités du quotidien, tu arrives à transcender ton ressenti pour en faire une quasi-œuvre littéraire, on prend vraiment beaucoup de plaisir à découvrir et à visualiser cet amalgame de petits rien qui mis bout-à-bout forment une très belle chronique, merci de partager ces moments, très chouette.


Bien amicalement.

 
#5 Posté par : Sufenta 30 septembre 2017 à  08:45
Bonjour

Une question à peut être aborder avec tes soignants, si 10mg sont trop d'un coup peut être que 5 le matin et 2,5 le soir peut être une bonne solution ?
A discuter, sinon très beau récit bravo !

 
#6 Posté par : Gentle Iron 30 septembre 2017 à  14:47
Hello les psychos,

Merci Anonyme, merci Tag'ada de m'accompagner alors, le partager avec les psychos c'est une manière d'être moins seule dans mon aventure, ça m'a permis de sauter le pas et de me donner du courage.
Merci Psychodi, disons que j'ai des facilités à exprimer mes émotions à l'écrit (ouais à l'oral ça laisse plus à désirer).

Merci beaucoup ElS, c'est sans doute la forme littéraire où je m'en sors le mieux,la chronique, le quotidien c'est une matière facile à travailler, un peu comme l'acrylique pour la peinture .

Sufenta,

En sirop le dosage minimum est 5mg.
Je sais bien qu'avec une grosse seringue c'est possible de splitter le flacon mais splitter un flacon ne rentre pas dans le protocole car cela laisse un flacon ouvert avec de la méthadone dedans et les risques que ça entraîne.
Ils sont très à cheval sur les protocoles à Saint Anne.

Merci Away, Gilda et Pierre.


Bonne journée à toutes et tous, bon week-end !

 
#7 Posté par : Anonyme95 30 septembre 2017 à  17:37
Avec toi, j'ai aussi mon TSO... par procuration big_smile

 
#8 Posté par : Porygon 02 octobre 2017 à  02:54
Très bon poste comme d'hab !!
Mais du coup tu ressens du plaisirs avec ton tso ?

Vivement la prochaine chronique aha

Pory,

 
#9 Posté par : Gentle Iron 02 octobre 2017 à  11:03
Salut Porygon !

Merci beaucoup.


Question difficile tant la notion de plaisir est flou.
Disons que je ne cherche pas particulièrement le plaisir avec la méthadone, pas plus que je n'en cherchais avec la codéine (c'est ce qui m'a permis de ne pas augmenter les doses pendant 10 ans).
C'est l'équilibre que je cherche, cet équilibre je l'obtiens grace aux opiacés/opioïdes et à la weed.
Obtenir cet équilibre me permet de profiter des plaisirs que la vie m'offre: visiter le Louvre, regarder une bonne série, aller voir une expo, lire de la poésie ou un bon bouquin, me faire une après-midi-soirée-nuit  console...


J'espère que c'est clair !

 
#10 Posté par : Porygon 02 octobre 2017 à  23:35
C'est exactement ce que je recherche, juste retrouver les plaisirs que j'avais avant aha.

Et puis depuis que tape mon sub en trace (mais bon j'abuse genre je tourne à 8-10mg) j'ai l’impression de me renfermer sur moi-même... Je parle à plus personne pfffff
Du coup j'aimerais ben switch à la métha, mais bon je pense d'abord en acheter sur le DW histoire de voir....

A+

Pory,

 
#11 Posté par : Gentle Iron 05 octobre 2017 à  10:30
Je te déconseille de te fournir de la méthadone sur le DW.
Pour des raisons de dosage. La méthadone peut être lethal facilement. Si il y a une phase d'imprégnation à un dosage plus faible que celui que tu auras au final, c'est pour que ton corps s'habitue à la molécule. Un premier dosage est choisi et à moins qu'il soit vraiment beaucoup trop faible et que tu sois vraiment encore en chien, dans quel cas il sera augmenter le deuxième jour, la dose d'imprégnation est maintenue 3 jours, puis après on augmente et ce jusqu'à trouver la dose de confort qu'on stabilise.

Je te recommande de plutôt suivre le protocole méthadone dans un csapa, c'est plus rdr il me semble.

Le truc c'est qu'il faut être prêt à se lever pendant une à deux semaines tôt le matin. La dose de confort peut être rapide à trouver (une semaine) mais ça peut prendre plus de temps (deux semaines).  Je sais que dans certains csapa c'est une seule semaine. Dans mon cas ça été rapide et la deuxième semaine la doc m'a fait venir seulement 3 fois.

Soit prudent, ta tolérance a sans doute baissé avec la buprénorphine et la méthadone n'est pas un produit anodin (le poids que tu fais joue aussi, avec mes 45kg la prudence était de mise, 25mg peuvent suffir à me tuer en étant naïve).

Sinon je te suggère le spray, ou appelé le pschitt-pschitt par les grands scientifiques, plutôt que le sniff. Passé au filtre toupie, les excipients du comprimé n'iront pas se déposer dans tes voies respiratoires.

Bien amicalement !

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