La poussière. Acte II : "Enrique le cafard".

Catégorie : Témoignages
26 décembre 2013 à  05:24

La poussière. Acte 2  : « Enrique le cafard  ».

Mardi. Je me réveille, il fait noir, je suis dans une grande chambre d'hôpital. Quelle heure est-il  ? 5 heures  ? 6 heures  ?

Aucune idée. J'ai envie de pisser, je suis encore perfusée et je n'ai pas envie de galérer à  me lever. Oh et puis merde, j'ai trop envie de pisser. Je me lève, tire l'espèce de support à  perfusion qui roule dans un vacarme à  travers la pièce. Une vieille dame dort dans le lit d'à  côté, je fais mon possible pour ne pas la réveiller. J'ouvre la porte des toilettes, allume la lumière et tombe nez à  nez avec un cafard rampant sur le carrelage...

Ou bien était-ce une blatte  ?

Je l'évite comme je peux, vérifie qu'il n'y en a pas d'autres cachées sur les chiottes... Je pisse. Dans quelle merde je me suis fourrée... Le cafard continue son petit cheminement à  travers ces sordides toilettes. C'est la deuxième fois de ma vie que je vois un cafard. Enfin, la dernière fois ce n'était pas un mais des milliers de cafard géants en Andalousie... Oui géants, jusqu'à  plus de 5 centimètres pour les plus petits, du fait du climat extrêmement chaud similaire à  celui d'Afrique du Nord. Ils « déblattisent  » les rues tous les matins en pulvérisant un liquide sur tous les trottoirs de la ville à  l'heure où en France les éboueurs viennent récupérer les poubelles. Malgré ça, on croise très souvent des énormes cafards écrasés sur la chaussées, voire montant les murs des habitations, des bars, sortant des canalisations de certains vieux immeubles. La ville grouille de ces affreux insectes.

Immonde.

D'ordinaire phobique des insectes, ce petit cafard me paraÎt mignon à  côté de l'horreur qu'il me fait me remémorer. Cela me donne envie de lui donner un nom  : ce sera Enrique, en hommage à  ses cousins géants espagnols. Je le trouverais presque touchant à  faire sa vie de blatte, à  la petite nuance près qu'il la fait au sein de MES toilettes, dans MA chambre d'hôpital. Je saisis tout de suite l'ambiance dans laquelle je me suis empêtrée... Je suis pied nus, désormais, je redoublerai d'attention en marchant dans cette chambre...
Ma vessie vidée, je m'empresse de rejoindre mon lit en espérant qu'Enrique ne viendra pas m'y rendre visite. Je suis encore pataude, j'ai encore de la fièvre. Je me rendors.


8h. Il fait jour. « Je suis en enfer ici  !  ». J'ouvre les yeux, et sort du brouillard en entendant cette phrase prononcée avec une voie rauque et caverneuse. C'est ma voisine, une très vieille dame, dont j'apprendrai plus tard qu'elle a 96 ans, qui exprime sa joie de vivre dès le matin.
Ça ne percute pas encore dans mon cerveau mais je finirai par être d'accord avec elle...

Petit déjeuner. J'avale le morceau de pain servi avec une microscopique barquette de confiture industrielle « gélifiée  » et un carré de beurre, je bois le bol de cet ignoble café tant bien que mal. Je me dis que c'est rien, à  midi ça sera meilleur. Rester illusoirement optimiste.

L'infirmière m'apporte un cachet de Contramal pour la douleur. C'était le dernier cachet auquel j'aurai droit, ensuite on ne me filera plus que du Doliprane. Heureusement, les douleurs sont vites passées, mais j'avoue que je n'aurais pas été contre un petit morphinique pour faire passer ce moment pour le moins douloureux pour les nerfs...

Une toute jeune médecin vient me voir, elle me pose quelques questions bateaux sur ma consommation de drogues. En toute franchise, je lui réponds que cela fait maintenant à  peu près 5 ans que je me shoote, que je prenais de l'héroïne et du Subutex, que je n'étais actuellement plus dépendante physiquement car j'avais arrêté par moi même quelques semaines avant.
Je ne lui ai pas expliqué comment, mais m'étant de nouveau accroché à  l'héro, j'avais pris du Sub à  doses dégressives pendant une courte période d'une dizaine de jours, et à  la fin, je me suis aperçue que je n'avais plus de manque physique si je ne prenais pas de Sub. J'avais donc arrêté en douceur, un peu échaudée par mes récents déboires avec moi même. Les semaines passant, le matos usagé était resté entassé dans un sac à  pharmacie, et l'envie a fini par revenir... Me poussant à  faire ce shoot crasseux qui m'avait fait terminer là  avec une infection.

Bref, je ne lui explique rien de tout ça, elle repart sans dire mot, et une infirmière revient quelques minutes plus tard avec de l'Atarax pour seule réponse. Le dialogue hospitalier dans toute sa splendeur. Je gobe donc son cachet, pas du tout habituée aux médicaments. Et je sombre dans le sommeil.


12h. On me réveille, « à  table  ». On me redonne un Atarax, je le prends docilement. Je mange ce que je peux de leur barquette micro-ondée pleine d'eau. C'est vraiment imbouffable.

Et puis l'ennui. Les minutes passent comme des heures, les heures comme des jours. Le temps passe tellement lentement. La journée s'éternise. Seules deux prises de tensions et deux repas immangeables en barquettes vinrent la rythmer.


Mercredi, 6h du matin. Comme la veille, je me lève pour pisser, essaye de ne pas « trop  » réveiller ma vieille voisine avec mon machin à  roulette pour la perfusion. Et rebelotte, qui vois-je de bon matin  ? Enrique  ? Oui, c'est bien lui.

A la variante près, qu'aujourd'hui il est en promenade sur le gant de toilette de la voisine... Hum, ce petit moment de bonheur du matin.

Je finis par comprendre que dans cet hôpital il faudra inspecter la lunette des toilettes tous les matins afin de s'assurer qu'un cafard n'est pas déjà  en train de l'utiliser. Et accessoirement qu'il ne faudra rien laisser dans la « salle de bain  »...
De toute façon, à  cet instant je m'en fous, je n'ai aucunes affaires. Même pas une brosse à  dent qu'Enrique pourrait enjamber de ses petites pattes velues. Je suis encore plus dégueulasse que lui, je n'en peux plus, je ne rêve que d'une douche, de me laver les cheveux, de me brosser les dents, de mes habits propres, de me maquiller, bref, d'un peu d'hygiène et de confort... Je hais cette robe « mortuaire  » dont on m'a parée.

Je me sens au fin fond d'un gouffre de merde avec pour seul compagnon du matin, Enrique, en ballade sur le gant de toilette de la vieille d'à  côté.

Retour au lit. Une infirmière vient me retirer la perfusion et me propose de prendre les antibios par voie orale. J'en suis ravie, cela me libère d'une attache bien invalidante. Après ça, je décide d'enlever l'affreuse tenue d'hôpital et de remettre les habits avec lesquels je suis arrivée. J'ouvre le sac poubelle dans lequel ils ont entassé mes affaires, mon pantalon est tâché de vomi sur le mollet, comment j'ai fait ça  ? Je ne sais plus, mais tant pis, je préfère encore remettre mes habits sales, seul apparat de mon humanité en ces lieux.

Et puis tout s'accélère. J'en ai marre, je n'en peux plus d'être ici. Je n'ai aucune affaire, je ne veux prévenir personne que je suis là , j'ai trop honte de moi. Je suis encore mal, pataude au possible, et certainement fiévreuse, mais tant pis, si je dois rester ici, ce sera avec des habits propres et de l'hygiène, sinon je me casse. J'attrape donc mon sac à  main, ma veste, et je descends appeler un taxi pour rentrer chez moi me chercher des affaires et de la thune.


14h30.
Le taxi arrive, il m'emmène chez moi. Je lui demande de m'attendre en bas. J'ouvre la porte de ma chambre. Le choc.

Je vois d'abord l'arrosoir rempli et dégoulinant de vomis, puis les toilettes plein de chiasse dont je n'avais même pas tiré la chasse tellement j'étais mal, le matos usagé avec lequel je m'étais shootée deux jours avant, la partie de PS3 encore en route. Tout était dans l'état où je l'avais laissé en précipitation.
Je tire la chasse, vide la bouteille de produit à  chiottes dans la cuvette et décide que le produit aura tout le temps d'agir pendant que je serai à  l'hôpital. Je vide l'arrosoir et le met à  tremper, range rapidement, et prépare un sac d'affaires de toilettes et d'habits propres. Je mets foison de nourriture à  mon petit rat dans sa cage, un énorme bol d'eau, ne sachant pas pour combien de temps j'en ai avant de revenir...

Et le taxi me ramène à  l'hôpital dont je m'aperçois alors qu'il se trouve ni plus ni moins que dans ma rue. Au numéro 400, tout à  l'opposé. Même si j'avais su, de toute façon, je ne suis pas en état de marcher, j'ai affreusement mal au ventre et encore de la fièvre.
Enfin, je pouvais prendre une douche, m'habiller proprement, me coiffer, me maquiller, reprendre vie en somme.


La suite, je ne sais pas si je dois vous la raconter. Ce qui précède n'était déjà  pas flatteur, mais la suite marque encore un pas de plus dans le glauque. Tant pis, dignité foutue pour foutue, confions-nous.


16h. Les douleurs au ventre ont fini par se transformer en diarrhée carabinée. Je me rends donc dans les toilettes de la chambre afin de me soulager. Au moment de tirer la chasse d'eau, je deviens livide et manque de m'évanouir  : la cuvette est tapissée de sang. Je tourne de l'oeil, et appelle l'infirmière pour lui conter ma belle « mésaventure  ». Elle me dit que c'est inquiétant et revient avec un « pot à  merde  ». Vous voyez le pot pour les analyses d'urines  ? Bon, et bien c'est le même mais en grand format pour les analyses de merde. Je ne savais même pas que ça existait...
« Tenez, vous faÎtes là -dedans et je repasse le chercher plus tard  ».

Ok, je dois chier là  dedans.

Elle vient de me donner un Smecta, il a fait effet et ça m'a complètement passé l'envie... Durant l'heure qui suit, je m'évertue donc, dans un incessant ballet entre mon lit et les toilettes, de lui remplir son « sexy  » pot à  merde, sous les yeux de ma vieille voisine un peu à  l'ouest qui ne comprend sans doute rien à  ce qui se passe. Je n'arriverai qu'à  pondre une petite crotte de lapin, je ferme le bocal et le place en évidence sur la table de la chambre... Honte pour honte, autant exposer ses œuvres.

Les maux de ventre continuant, je me persuade que je pourrais bien aller chopper un peu de Sub... D'une pierre deux coups, ça me ferait un petit shoot et ça calmerait les diarrhées. C'est bien connu, les opiacés, ça constipe... Quelles excuses on ne se trouve pas dans ces cas là ...

20h30. L'hôpital est à  un quart d'heure à  pied de chez moi où est garée ma voiture... Un petit trajet à  pied, et une demi heure de voiture plus tard je serai à  Barbès... Ok, merde, j'y vais.
J'arrive à  ma voiture, démarre et prend le chemin de la « pharmacie en libre-service  » du Nord de Paris... A la radio, il y a le débat de la présidentielle entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, ça tombe bien, j'avais justement envie de l'entendre. Mais leurs paroles sont lointaines pour moi, leurs préoccupations aussi...

J'arrive à  destination, choppe une plaquette en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, file au Caarud à  côté chercher tout le matos propre nécessaire, et reviens aussi vite que partie à  l'hôpital. Je gare ma voiture devant l'hôpital. Il est vide.

22h. Les couloirs sont déserts. Je me demande comment je vais remonter au service, la porte est fermée... Je sonne à  l'interphone et personne ne me répond. Il y a une caméra et je soupçonne l'infirmière de garde de mon service de ne pas vouloir m'ouvrir car elle avait compris mon petit manège. Avant de partir, je lui avais demandé si je pouvais « m'absenter une heure ou deux  ». Elle m'avait dit non me disant que les portes seraient closes à  mon retour. J'étais quand même partie.

Je pars donc au service des urgences, le seul ouvert, et explique que j'ai du m'absenter pour « chercher des affaires  » et que je n'arrive plus à  remonter dans ma chambre... On me demande mon nom, mon service, tout ça, et j'entends alors un des médecin ou infirmier, que sais-je, murmurer  : « ah, c'est cette patiente là ...  ». Il parle de moi là   ? L'infirmière de garde de là -haut l'a prévenu ou quoi  ? Je ne saurai jamais, après quelques minutes, ils finissent par la joindre et me laisser monter...

Sans le moindre bruit, un peu la queue entre les jambes (façon de parler, on s'entend hein), je traverse le couloir, priant pour ne pas croiser l'infirmière en question... Ouf, j'atteins finalement la chambre sans encombre.

La vieille est dans son lit mais ne dort pas, il fait complètement noir dans la chambre, seul le halo de la lumière du couloir perce à  travers le « hublot  » de la porte. Je m'enferme immédiatement dans les toilettes. Complètement échaudée par l'expérience que je suis en train de vivre, je suis définitivement convaincue qu'un shoot doit se faire proprement... Sous peine de se retrouver là  à  vivre cette éprouvante hospitalisation...

J'étends le champs de travail, et méticuleusement prépare un shoot qui aurait sûrement reçu les louanges de la très appréciée infirmière de garde, si ce n'était pas du Sub que je me préparais à  m'injecter. Je trouve une veine, au creux du poignet, à  côté de celle-là  même qui m'avait emmené ici... L'aiguille transperce la peau, la flamme rouge, le top départ, je presse le piston.

Ça va mieux. Je jette mon matos sale, le cache au fond de la poubelle sous du PQ chiffonné par mes soins, me mets en pyjama, luxe que je pouvais désormais me permettre grâce à  mon excursion chez moi de l'après-midi. On ne s'en pas compte mais c'est un détail qui a toute son importance quand on a qu'une pauvre robe miteuse d'hôpital à  se mettre jour et nuit – homme ou femme d'ailleurs, même combat de la honte quel que soit le sexe.

Et je me glisse dans mon lit. Je m'endors. L'infirmière est venue deux ou trois fois « vérifier si j'étais là   » cette nuit là , ouvrant à  chaque fois la porte bruyamment et allumant la lumière... Je la soupçonne de s'être innocemment «vengée» en venant troubler mon sommeil...

[...]

Reputation de ce commentaire
 
Texte mis dans les morceaux choisis de Psychoactif. (away)



Commentaires
#1
Disturb
Anim' à  la retraite
26 décembre 2013 à  11:40
Salut Bicicle ,

encore bien ficelé cette suite d'aventures lié à  l'acte I .
9a donne envie de lire la suite.

plusieurs questions " pratiques" viennent à  mon esprit cependant , mais je vais les taire , histoire de laisser part belle à  la " magie " ( si je puis dire ) de l'histoire .

Hate de te lire à  nouveau.
Prends soin de toi wink

Disturb


Salut Bicicle,

En espérant que tu ne le prenne pas mal, je lis ton blog avec attention, un peu comme un roman...
Moi aussi j'ai hâte de te lire à  nouveau, porte toi bien Bicicle, le mieux possible du moins...

DC


#3
ziggy
Michel HAmBurger avec nous
26 décembre 2013 à  13:17
acte 3 ? on l'attend :)


#4
away
Adhérent PsychoACTIF
26 décembre 2013 à  15:56
Que viva Enrique !( sauf dans nos chiottes respectifs bien entendu )
Salut Bicicle, il me tarde de lire la suite ( comme mes petits camarades... ) ; comme d'habitude, tes écrits sont haletants, on s'y croit !
Bye
Away

"Time in, tune on, burn out"
The Sisters Of Mercy


Toujours aussi bien écrit! Je continue à  suivre avec attention :)


Comme les copains, je kiff troooop tes histoires!!
Ne le prends surtout pas mal, car je comprends bien que derrière ces écrits se cache une a(mésa)venture bien réelle et certainement très éprouvante mais j'étais trop contente quand j'ai vu que tu avais enfin sortie la suite!  L'ajout de "acte1" au titre mettait la puce à  l'oreille d'une suite imminente et je l'attendais avec impatience!  wink

Allez, acte 3, acte 3! :)

Et surtout j'espère que tu te remet vite et bien...


Bicicle, ton texte commence comme une allégorie, on est pas si loin de la métamorphose de Frantz Kafka big_smile

Imagine si cette blatte s'était fait un vieux fix pourris avec tes filtres toupis souillés dans les toilettes de l'hôpital, à  6 heures à  ton réveil. hmm

Quoi qu'il en soit, je compatis, cette septicémie a dû être pénible à  vivre.
Reviens nous en pleine santé Bicicle


Moi , je suis un type horrible , et j'en suis à  souhaiter qu'il t'arrive pleins de malheurs , juste pour que tu continues à  écrire de chouettes textes comme tu fais wink


Pendant l'espace d'une demie seconde tu m'as fait peur "la lie" lol
Porte toi bien Bicicle et à  très vite.

DC


salut, felicitations, j ai aimé te lire pour pleins de raisons(souvenirs, ton humour, tu nous faits t accompagner avec toi -fort-...)une suite?

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