E-dito n°18 (juin 2018) Finis les TSO (Traitement de Substitution Opiacée), place aux TAO (Traitement de l’Addiction aux Opioïdes) !
Nouveau paradigme ou foutaises marketing ?Dr Alain MOREL, Dr Richard LOPEZ, Fabrice OLIVET, Pierre CHAPPARD,
Dr Maroussia WILQUIN, Dr Bertrand LEBEAU, Dr Stéphane ROBINET Donc les
TSO ont vécu (et bien vécu), voici venu le temps des TAO.
C’est en tous cas le souhait ardent des firmes qui commercialisent les MSO (Médicaments de
Substitution Opiacée) appelés sûrement dans la foulée à devenir des MAO (Médicaments de l’Addiction aux
Opioïdes).
De quoi s’agit-il exactement et que se cache-t-il derrière ce nouvel acronyme ?
Pourquoi faut-il se débarrasser des MSO et des
TSO au profit des TAO ?
En premier lieu, il faut se rappeler que
les termes TSO et MSO furent entérinés par la communauté scientifique du champ des addictions en 2004, lors de la conférence de consensus de Lyon, sous l’égide de l’ANAES (devenue depuis HAS) et de la FFA (Fédération Française d’Addictologie).
Première question que cela pose : pourquoi des firmes se permettent de changer un acronyme qui définit un concept de traitement, validé en France par toutes les Sociétés Savantes réunies ?
Dans le domaine de la
substitution nicotinique, l’acronyme TSN (Traitement de
Substitution Nicotinique) n’a pas pour vocation d’être remplacé par TAN (Traitement de l’Addiction à la
Nicotine). A moins que les firmes qui les promeuvent emboitent le pas de celles qui commercialisent des MSO.
C’est d’ailleurs fort prétentieux et pour le moins étrange qu’une
substitution (nicotinique ou opiacée) se déclare pour des raisons plus marketing que scientifique comme un traitement de l’addiction. La
buprénorphine et la
méthadone ont-elles démontré qu’elles traitaient l’addiction ? Si oui, sur quels critères ? A notre connaissance, elles ont démontré leur efficacité sur beaucoup de critères (mortalité, séroconversion, réincarcération, consommation illicites…) et aussi sur des aspects sociaux (petite délinquance, resocialisation…) mais aucune étude n’a démontré que ces médicaments traitaient l’addiction en tant que telle. A moins que les génies du marketing nous expliquent en quoi consiste ce traitement de l’addiction ! Le fait de baisser le
craving au cours du traitement ne suffit pas pour parler de traitement de l’addiction.
Les Autorités de Santé, de leur côté, HAS et ANSM, continuent de qualifier les MSO de ‘traitement substitutif’ dans les documents qu’elles produisent et les indications qu’elles accordent aux firmes dans les autorisations de mise sur le marché. Et ce, à juste titre ! On peut donc s’étonner de voir fleurir des documents promotionnels évoquer clairement la notion de TAO alors que les mentions légales font clairement référence au traitement de
substitution (substitutif).
Alors pourquoi cette obstination à vouloir se débarrasser du terme
TSO ?
On se rappelle qu’il y a plus de 15 ans, la firme Schering-Plough, alors distributrice de
Subutex® s’était déjà aventurée dans un exercice marketing comparable, tout aussi périlleux. Elle avait proposé alors, documents promotionnels à l’appui et experts-aidants, l’acronyme MAAO (Médicaments Anti-Addictif aux
Opiacés), pas moins (1) ! Nous nous en étions déjà étonnés dans un éditorial du Flyer et, comme beaucoup de concepts marketing, les MAAO avaient fini aux oubliettes de l’addictologie.
Mais déjà l’idée de régler par le médicament le problème complexe de l’addiction avait surgi des cerveaux des as du marketing.
Cette nouvelle offensive semble montrer que cette idée du médicament qui traite l’addiction n’est pas morte !
De notre côté, nous pensons plutôt que les MSO permettent au patient (ou à l’usager si on préfère) de prendre ses distances avec les drogues illicites ou, au moins, d’en réguler la consommation. Nous pensons aussi que les
TSO doivent être envisagés dans une approche de
réduction des risques, pas forcément TAO-compatible ! Cette approche lui permettra de moins mourir, de moins se contaminer, d’aller mieux, de se réinsérer, etc…Pour ce qui est du traitement de l’addiction, il faudra repasser, la molécule ne suffira pas !
Nous croyons aussi deviner que l’émergence d’un postulat marketing comme celui de TAO pourrait préfigurer une communication à venir en faveur des «
buprénorphine-dépôt » [cf. article sur le sujet (2)] que le patient se fera injecter pour un mois et qui seront promus comme des traitements de l’addiction, si ce n’est de l’addict (qu’il vaut mieux traiter que substituer) ! Ce serait une régression totale si on en arrivait là. Encore une fois, nous sommes bien loin d’une approche ‘RdR’ qui devrait être maintenue, voire se développer.
« Traitement de l’Addictions aux
Opioides (TAO) » ouvre aussi peut-être plus facilement la porte à la prescription des médicaments à
base de
méthadone et de
buprénorphine pour des patients devenus dépendants ou avec une addiction aux
opioïdes analgésiques. Les firmes misent peut-être sur ce créneau, en raison notamment de la ‘crise américaine des
opioïdes’. Sauf que le marché français n’est pas le marché américain et cela ne saurait justifier une pseudo-révolution acronymique issue de réflexions marketing, si profondes soient-elles !
Que des firmes soutenues par quelques experts-aidants tentent d’imposer un concept thérapeutique aussi peu scientifiquement valable, à coup de documents promotionnels et de symposiums dans les congrès d’addictologie, est une histoire bien étrange !
Petit lexique des acronymes anglo-saxons – et autres - pour qualifier les traitements de substitution MMT :
Methadone Maintenance Treatment ; la notion de ‘maintenance’ n’a pas donné beaucoup de chance à ce sigle pourtant utilisé très couramment aux débuts de la
méthadone OST : Opioid
Substitution Treatment ; le plus proche de notre
TSO ORT : Opioid Replacement Therapy ; on est encore ici dans la notion de
substitution, treatment devient therapy
OAT : Opioid Agonist Therapy ; ici le A signifie ‘agoniste’ et non pas ‘addiction’
TDO : Traitement de la Dépendance aux
Opioides, utilisé par les francophones hors de nos frontières, en particuliers les québécois.
TAO : les canadiens utilisent cet acronyme depuis quelques années qui veut dire « Traitement par Agonistes
Opioïdes » et non pas de l’addiction aux…
En 2016, le terme Opioid Addiction Treatment est utilisé par l’ASAM (American Society of Addiction Medicine) (3). Il ne donne pas lieu à l’utilisation d’un acronyme (OAT) qualifiant un type de traitement. Il couvre à la fois les médicaments agonistes (buprénorphine,
méthadone) et antagoniste (naltrexone).
Il faut noter également que le Groupe Pompidou a utilisé lui-aussi l’acronyme TAO pour « Traitement Agoniste
Opioïde » et non de l’addiction aux
opioïdes…(4) en précisant bien qu’il s’agissait d’une contraction de « traitement du syndrome de dépendance aux
opioïdes par un médicament agoniste
opioïde ». « Der teufel steckt im détail » [Le diable se cache dans les détails…(5)].
Ces acronymes ont eu l’énorme avantage de faire disparaitre du langage (ou presque) les termes ‘drogues de
substitution’ ou encore ‘produit de
substitution’
1.
http://www.virginiapearl.com/img/book/P … 180-01.pdf2.
https://www.rvh-synergie.org/images/sto … reland.pdf3.
https://www.asam.org/docs/default-sourc … -5d_3d.pdf4.
http://www.traitement-dependance-opioid … tation.pdf5. Friedrich Nietzsche