Source:
Le ParisienDate: 18/11/2019

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Alcool : salariés de Ricard, ils dénoncent «la pression permanente» pour boire au travail. Trois commerciaux, dont l’un encore en poste, affirment avoir subi une «pression permanente» pour boire ? ce que Pernod Ricard dément.
Ils racontent être devenus dépendants à l’alcool et malades.https://www.youtube-nocookie.com/embed/SowycryM5tw&feature=oembed Trinquer pour vendre son produit : Julien, ancien employé de Ricard, raconte, notamment, les pastis avalés par dizaines lors des ferias. LP/Philippe Lavieille« Les médecins m'ont dit que l'
alcool m'avait grillé les neurones, j'ai des hallucinations et j'entends des voix »… Trois témoins, deux anciens commerciaux de Ricard, et une autre toujours en poste, dénoncent une «pression permanente» au sein de leur entreprise ? qui le dément ? pour boire au travail. L'un d'eux a affronté en septembre son ancien employeur devant les prud'hommes. La décision sera rendue à la fin du mois. Une consommation d'
alcool excessive, racontent-ils, qui les a rendus dépendants et malades.
«Le médecin m'a dit : si vous continuez comme ça, dans trois ans, vous êtes morte», Amélie, commercialeSon ton jovial tranche avec ses mots violents. « Je suis broyée, anéantie », répète Amélie (le prénom a été modifié). Pendant plus d'une heure, cette commerciale, toujours en poste et sur laquelle nous ne donnerons aucun détail pour préserver son anonymat, explique comment, en travaillant chez Ricard, elle a peu à peu sombré dans l'alcoolisme. Elle résiste grâce à des « cachetons » pour « parler, tenir debout, vivre ».
Elle est loin l'euphorie des débuts lorsque cette bonne vivante, amatrice de Ricard, est embauchée chez les « meilleurs », le « Graal », « son rêve ». Une fois dans la société, elle se plie vite au rituel du pastis, servi par ses collègues, à midi, après une réunion, le soir à l'apéritif. Puis avec les clients qu'elle rencontre. « C'est la culture de l'entreprise, si on dit non, on est mal vu ».
A la fin de sa formation, sa fiche d'évaluation, raconte-t-elle, mentionne « résistance à un effort intense ». « Mes collègues, qui m'avaient observée boire, m'ont expliqué qu'ils avaient analysé ma réaction à l'
alcool, si je tenais ou non. La case était cochée ».
«De quoi tu te plains ? T'es payée pour faire la fête»Pour tenir, Amélie vide ses verres dans les plantes. Mais elle prend goût à cet esprit de fête, avec sa nouvelle famille, et la débutante prend de la bouteille. L'apothéose de la beuverie, un séminaire de trois jours sur un bateau à Barcelone en Espagne. « Personne ne dormait, on descendait des litres, certains ont fait des comas éthyliques, je me rappelle n'avoir mangé qu'une seule fois ».
Au fil du temps, sa charge de travail augmente. Départs en retraite non remplacés, secteurs agrandis, nouveaux produits… Le soir, exténuée, elle boit pour se donner du courage. « On me disait : de quoi tu te plains ? T'es payée pour faire la fête ». Un verre, deux, une bouteille, jusqu'à ce jour où elle se casse la figure dans l'école de son enfant.
Son médecin l'arrête pour « burn-out ». « Si vous continuez comme ça, dans trois ans, vous êtes morte », lui dit-il, comme un électrochoc. Sa cure de désintoxication finie, ses « amis » lui manquent.
«J'ai des hallucinations et j'entends des voix»Le jour de sa reprise, elle prévient son chef qu'elle ne peut pas boire une goutte à cause de son traitement. « A la fin de la réunion, il m'a dit : tu prends un Ricard ? Allez fait pas chier, t'es pas chez Perrier ici ! ».
Très vite, Amélie « pète à nouveau les plombs ». « C'est fini, je n'y retournerai plus. Les médecins m'ont dit que l'
alcool m'avait grillé les neurones, j'ai des hallucinations et j'entends des voix », confie-t-elle, en arrêt maladie.
Si elle s'apprête à saisir les prud'hommes, elle reste, pourtant, très attachée à son entreprise qu'elle aime autant qu'elle la déteste. « Aujourd'hui, lorsqu'on me demande qui est Amélie, je réponds : Je suis une Ricardienne, c'est tout ce que je sais. Sinon, je ne suis plus rien ».
«Ce clan, il faut le quitter pour ouvrir les yeux»Pâques 2016, sur une plage en Thaïlande. Dans ce décor de carte postale, Julien s'effondre devant sa femme et ses enfants. Dans son esprit, la petite phrase de son directeur, prononcée avant son départ en vacances, fait des bonds.
« C'est la dernière fois que tu profites de ta famille jusqu'à la rentrée. A ton retour, tu feras toutes les fêtes de l'été, de mai à septembre ». Julien avait protesté. « Non, je ne peux pas, c'est trop, trop d'
alcool ! ». « Si, tu le feras, t'es payé pour ça », avait-il répondu.
Impression de vide, ruminations, idées noires… Il ne reviendra jamais dans l'entreprise. Pourtant, ce manager apprécié pensait pouvoir assumer sa nouvelle charge de travail. Un an plus tôt, son secteur avait été agrandi après « un départ non remplacé ». On lui enlevait les Hautes-Pyrénées, plus rurale, et il récupérait l'Hérault, très peuplé, jusqu'à la frontière espagnole.
«Je tenais avec deux Guronsan par jour et cinq Red Bull»Mais, après seize ans à trinquer avec les clients et les collègues, Julien, la bête de travail, est essoufflé. Un territoire plus vaste, plus de fêtes, plus de cuites. Son médecin l'avait prévenu. « Depuis deux ans, j'étais tellement mort que je tenais avec deux Guronsan par jour et cinq Red Bull ».
Alors, les paroles de son supérieur avant son départ en Asie, « la goutte d'eau », lui font perdre pied. Toutes ces années, Julien avait foncé, parfois 20 heures par jour, les nuits de beuverie à dormir debout. Les pastis, avalés par dizaines en feria, finissaient par l'écœurer. « Je me disais : p*, est-ce qu'il va passer celui-là ? »
Désormais abstinent, il se souvient aussi d'un copain, proche du coma éthylique, « se bavant dessus dans sa voiture », d'un mail envoyé à son supérieur l'alertant sur l'état de santé d'une autre collègue. « Ça ne choquait personne et je n'avais connu que ça », raconte celui qui a été embauché à 23 ans. Mais pourquoi n'a-t-il pas dénoncé ces pratiques durant toutes ces années ? « Je ne m'en rendais pas compte, admet Julien. Ce clan, il faut le quitter pour ouvrir les yeux ».
«J'en étais à 12 pastis par jour», Philippe, ancien commercialOn l'appelait Monsieur Ricard, il en était fier de son surnom. Après vingt ans de bons et loyaux services, et un départ récemment négocié, Philippe (le prénom a été changé), la cinquantaine, a pris du recul, refait sa vie. Il a échappé au pire, se dit-il aujourd'hui.
« On picolait tellement, j'en étais à 12 pastis par jour. Comment j'ai fait pour passer entre les gouttes ?, s'interroge cet ancien commercial. J'aurais pu provoquer un accident au volant, tuer ou me tuer. »
«T'aimes pas les produits que tu vends ?»Il n'a pas oublié ce jour où il est tombé, ivre mort, sur une table à une foire, son lieu de travail. Les cadences infernales de feria, à picoler « de midi à 16 heures » et « de 21 heures à 2 heures du matin » après une brève sieste. Et le pire « la Fête de l'Huma, une saoulerie » : « Les commerciaux choisis étaient les plus résistants à l'
alcool. On buvait plus de 40 Ricard par jour ».
Jamais, dit-il, sa hiérarchie ne l'a freiné. « Au contraire, si je refusais un verre, mon chef me disait : t'aimes pas les produits que tu vends ? ». Encore maintenant, son addiction lui colle à la peau. « Mon corps et mon visage s'en souviennent », dit-il, pudique. Mais s'il choisit de témoigner, c'est pour les jeunes qui voudraient intégrer l'entreprise. « Ils risquent de devenir alcooliques, sans même s'en rendre compte ».
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Le reste de la presse FR reprend l'information:
Le Figaro,
Le groupe indique avoir mis en place un numéro vert anonyme pour recueillir les témoignages de collaborateurs, en cas de dérapage et y donner, le cas échéant, les suites nécessaires. Cette polémique intervient quelques semaines après l'annonce d'un plan de départs volontaires dans le département commercial du groupe, dans le cadre de la fusion des deux filiales Pernod et Ricard. Le groupe espère 190 départs nets parmi les 1300 salariés des deux entités.
Le Point,
« Créateurs de convivialité ». Le slogan de l'entreprise Pernod Ricard est engageant. Les 650 commerciaux doivent l'incarner et le vivre au quotidien, selon deux anciens de l'entreprise et une troisième toujours en poste. « Dans les bars, discothèques, fêtes et férias de mon secteur, on a un budget pour offrir des verres de pastis aux clients et on consomme avec eux, encouragés par notre hiérarchie. La devise de Ricard, c'est : fais-toi un ami par jour. Je picolais tous les jours, à force, ça devient une habitude », souligne Julien, 42 ans. Désormais parti de Pernod Ricard, il a choisi de lancer le dossier devant les prud'hommes. L'an dernier, après un burn-out reconnu comme maladie professionnelle, son taux d'incapacité permanente a été jugé à 36 % par le tribunal du contentieux de l'incapacité à Montpellier. Selon l'expert, il souffre d'un « état anxiodépressif caractérisé » qui résulte « certainement, directement et exclusivement, de l'exercice de sa profession ».
Le Monde,
Tombé un jour ivre mort lors d’une foire où il officiait en tant que commercial, un autre ex-employé explique avoir bu jusqu’à « 40 Ricard par jour » sur certains événements. « Les commerciaux choisis étaient les plus résistants à l’alcool », témoigne-t-il. « Si je refusais un verre, mon chef me disait : “T’aimes pas les produits que tu vends ?” », se souvient encore celui qui a récemment quitté l’entreprise après vingt ans d’ancienneté.
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Réagissant à la publication de l’article, le groupe Pernod Ricard a réfuté lundi 18 novembre « fermement l’existence d’une politique d’incitation à la consommation d’alcool parmi ses salariés ». Le numéro deux mondial des vins et spiritueux a assuré dans un communiqué qu’il n’existe « pas de directive ou de consignes internes données aux forces de vente pour les enjoindre à boire de l’alcool dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions ». Pour le PDG de Ricard SA et de Pernod SA, Philippe Coutin, « Ces allégations individuelles jettent aujourd’hui l’opprobre sur tous nos commerciaux, de Ricard à Pernod, dont nous saluons ici l’engagement responsable, tous unis par le même devoir d’exemplarité. »
Il existe pourtant un VRP qui ne se plaint pas d'être contraint à boire de l'alcool au travail. Devineriez-vous de qui il s'agit?
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