En France, même le trafic de cannabis est imposableLE MONDE | 28.08.2013 à 07h46 • Mis à jour le 28.08.2013 à 09h11 |
Par Shahzad Abdul
Lorsqu'il a été condamné, le 15 avril 2011, à trois ans de prison pour trafic de stupéfiants par le tribunal de Nanterre, Farid, 37 ans, s'imaginait que la sanction s'arrêterait là , et qu'une fois sa peine purgée, il pourrait redémarrer de zéro. Mais le 5 décembre 2012, deux semaines avant sa sortie de prison, il reçoit un courrier de mise en demeure de la direction générale des finances publiques lui réclamant 23 933 euros d'impôts sur le revenu et 15 227 euros au titre des prélèvements sociaux. "A payer immédiatement", sur la
base de la somme issue du trafic de stupéfiant saisie lors de son interpellation.
Lorsque les policiers avaient arrêté Farid dans son appartement cossu des Hauts-de-Seine, ils avaient trouvé 305 grammes de résine de
cannabis dans une boîte de cigares et 60 700 euros en liquide. L'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués avait saisi cette somme, ainsi que les soldes de ses comptes bancaires, une voiture et un scooter.
A la réception du courrier, Farid pense à une erreur : "Dans ma tête, ce trafic était un dépannage, pas un vrai travail, c'est pas imposable." En fait, une loi de finances de 2009 a créé une "présomption de revenus pour les personnes qui se livrent à certains trafics délictueux et met en place un dispositif de taxation forfaitaire en fonction du train de vie. (...) Rien n'empêche l'imposition de revenus issus d'activités lucratives non déclarées et illicites comme le trafic de stupéfiants."
A sa sortie de prison, dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve, Farid a obtenu un contrat aidé de serveur dans une entreprise d'insertion, payé au smic et choisi de solliciter un délai de paiement. Le fisc lui accorde un échelonnement pour une partie de sa dette (à raison de 50 euros par mois). Mais une autre partie devait être honorée, ce qu'il ne fait pas. A force de majorations, sa dette atteint désormais 43 131 euros. Pour ne rien arranger, en juillet, son salaire a été saisi pour... un trop-perçu de RSA, en 2012. Période qu'il a passée en prison avec des comptes clôturés.
ENTRAVE À LA RÉINSERTION
Cette situation "ubuesque met à mal sa réinsertion", déplore Nathalie Vallet-Papathéodorou, la travailleuse sociale qui gère le dossier de Farid à l'Association réflexion action prison et justice (Arapej). Dans un courrier adressé le 24 juillet aux ministres de la justice et de l'économie et des finances, l'Association indique que "le signal envoyé par l'administration fiscale paraît être à l'opposé des conclusions de la conférence de consensus sur la lutte contre la récidive". Elle s'interroge, "au-delà des montants, sur ce que cela signifie de laisser entendre qu'un trafic de stupéfiants est un travail comme un autre lorsqu'on est dans une logique de réinsertion".
Le 9 août, dans un communiqué adressé aux mêmes ministres, la section française de l'Observatoire international des prisons (OIP) a estimé que les exigences "astronomiques" du fisc risquent d'"entraver ses nombreuses démarches de réinsertion". François Bès, responsable de l'OIP en Ile-de-France, poursuit : "Pour parfaire le caractère absurde de la situation, le niveau de revenu sur son avis d'imposition lui interdit toute prestation sociale." Avec sa chemise blanche, son regard clair et son sourire en coin, Farid conclut, fataliste : "Si j'y pense trop, je deviens fou."
Shahzad Abdul
Source :
http://abonnes.lemonde.fr/sante/article … 51302.html