Salut les psychos !
Le virage contre-sanitaire de Psychoactif s'intensifie, en cohérence avec la réflexion sur la stigmatisation menée par l'asso. J'essaye d'y participer de mon mieux, car j'y vois beaucoup d'enjeux politiques et cliniques qui m'enthousiasment.
Myoz et Anton_Zimmer, vous avez pas un peu fini d'essayer de me mettre le nez dans mes contradictions ?! 
Ca me fait cogiter, et du coup, ça m'oblige à me mettre au travail !
Ce message tente de répondre à vos objections le plus sérieusement possible, puis de reformuler l'idée que je défendais dans mes précédents posts, et de l'expliquer avec plus de rigueur.
L'ensemble forme un très long texte, en trois parties qui se complètent, mais qui peuvent être lues indépendamment et dans le désordre. En quelque sorte, les deux premières parties servent d'introduction à la troisième. Je crois que ça éclaire plutôt bien mes autres messages sur ce sujet.
Discours médical, autostigmatisation et reconnaissance symbolique
1/ L'articulation impossible entre clinique et politique : un défi incontournable. Réponse à Myozotis. Environ 32 000 caractères.
2/ Psychologisation, pouvoir médical et contestation politique. Réponse à Anton_Zimmer. Environ 14 000 caractères.
3/ Une illustration de la synergie entre discours médical et autostigmatisation : du besoin de reconnaissance de la douleur, jusqu'au sevrage brutal. Analyse du texte de Chancelotus. Environ 16 000 caractères.
A réserver à un public averti, et avec un peu de temps devant soi
C'est plus long que tout ce que j'ai jamais écris sur PA. Je le mets en spoiler afin de ne pas trop encombrer la lecture du fil pour ceux que ça n'intéresse pas. La partie 3 se trouve dans un second post pour des raisons techniques.
1/ L'articulation impossible entre clinique et politique : un défi incontournable.
Réponse à Myozotis. Environ 32 000 caractères.Spoiler
Myozotis a écrit : je trouve juste ton post un peu violent
Si il faut parler de violence, alors commençons par dire que la violence est de tous les côtés dans cette histoire.
Quand tu écrivais que Chancelotus faisait preuve d'"arrogance caractérisée", c'était un cri du coeur, et c'était loin d'être infondé !! Mais pourtant, nierais-tu que réduire tout ce qu'il a dit à cette simple sentence, ça avait quelque chose d'un peu violent ? Et les messages d'encouragements sans réserve de Simon2 n'étaient-ils pas un peu violents eux aussi ? Sans parler des différents posts à la gloire du pouvoir médical que la modération a dû effacer, tellement ils étaient directement insultants envers certains membres de l'équipe.
Il me semble que les messages de Chancelotus contiennent déjà, en eux-mêmes, une certaine forme de violence, et que les champis et critiques qu'il a reçus en attestent. Pour moi, le malaise sur ce sujet provient du fait que Chancelotus s'inflige lui-même quelque chose d'ultra violent, et qu'il nous décrit son "supplice" proche de la "torture" dans le menu détail, tout en s'étonnant et s'enorgueillissant de la facilité avec laquelle il parvient à supporter tout ça (Ref 8, 13). Ce que je trouve le plus violent, c'est qu'il nous prend à témoin du mauvais traitement qu'il s'inflige avec la complicité "bienveillante" des médecins, et qu'il attend qu'on le soutienne en l'encourageant à continuer et en lui envoyant tous nos voeux de réussite. Cette violence, je la devine involontaire, alors je n'ai pas voulu l'accabler, mais oui, je te le concède, moi non plus je n'ai pas trouvé de réponse parfaitement non violente à son message.
Par certains aspects, je trouve que ses messages sont à rapprocher des annonces de suicide avec posts d'adieu ou mises en scène d'overdose, interdits sur le forum. Je ne fais pas cette comparaison pour demander des fermetures de sujets ou des bannissements, je ne peux qu'éprouver de la compassion pour le sentiment de solitude et d'exclusion des personnes prises dans de telles logiques : j'en ai fait partie. Si je fais ce rapprochement, c'est parce que je pense que ce sont des demandes d'attention et de reconnaissance tout à fait comparables. Un peu comme une personne suicidaire qui veut nous expliquer toutes les bonnes raisons qu'elle à de vouloir en finir, Chancelotus veut nous raconter toutes les bonnes raisons qui le conduisent à ce comportement violent envers lui-même qu'est l'arrêt brutal. Le véritable enjeu est humain, l'essentiel n'est pas tant d'en finir, que d'avoir des interlocuteurs qui le prennent au sérieux quand il raconte ce qui lui arrive. Qu'est ce qu'il ne faut pas faire pour se faire entendre... Mais du coup, que répondre à ça sur PA ?
Je suis moi-même divisé quant à mon intervention sur ce fil. Je ne vais pas jouer aux innocents : je sais bien que c'est antipathique "d'aller contre" ce que dit Chancelotus, et de contester frontalement les représentations qu'il se fait de lui-même et de sa douleur. Je sais bien qu'il ne peut que détester ça, et pourtant, je le fais quand même...
Je suis sensible à ton objection, et je l'aurais encore partagé sans réserve pas plus tard que l'année dernière. En effet, je suis le premier à dire que d'un point de vue clinique, c'est à dire d'un point de vue pratique et humain, c'est tout à fait inefficace d'essayer d'expliquer à quelqu'un ce qui le détermine, et c'est rarement bien reçu de contester ses logiques et ses signifiants parce qu'ils sont violents ou stigmatisants. Au mieux, ça ne produira pas d'effet, même avec la meilleure explication du monde, et au pire, ça fâchera sévèrement la personne, et ça fera obstacle à tout lien social de camaraderie avec elle. Bref, si la personne est en détresse, ça ne l'aidera pas. Dans mon expérience, c'est toujours plus fécond d'interroger les expressions et les termes employés que de les contester ou de vouloir les expliquer.
J'ai souvent été confronté à ce dilemme, alors que j'animais la salle d'attende de mon analyste un peu comme un groupe de parole. Neutralité oblige, je ne répondais jamais rien de clashy, même lorsque je recevais les propos les plus abjects, et dont je savais qu'ils insultaient toutes les autres personnes présentes. Je plaçais tous mes efforts dans l'accueil de la parole de la personne en détresse. Ce que j'ai souvent constaté, c'est que cette approche semblait bonne pour la personne perturbatrice, mais pas toujours pour l'ensemble du groupe...
Depuis mes débuts sur PA, je suis perpétuellement divisé entre la clinique et la politique. Dans de nombreux sujets du forum, la pratique de la RDR non prescriptive s'aligne plutôt harmonieusement avec ma pratique de l'analyse, ce qui est logique puisqu'elle partagent la même éthique qui associe le refus de la prescription à la reconnaissance du savoir expérientiel des personnes.
Mais sur certains sujets, les deux entrent parfois en dissonance. Mon coté clinicien voit une personne en détresse qui a besoin qu'on s'intéresse à ce qu'elle raconte, alors que mon coté militant politique voit un sujet passionnant à commenter et déconstruire. Mais on ne peut pas "écouter" et "parler de soi" en même temps, il faut choisir... Le cul entre deux chaises quoi^^ Ici, le clinicien se sent totalement impuissant, alors c'est le militant qui prend le dessus, pour parler du réel qui échappe au discours médical et scientifique.
En effet, je pense que ça n'est pas seulement un point central à prendre en compte dans nos pratiques d'autosupport, mais aussi une notion à défendre, à expliquer, et à illustrer, car elle a une dimension politique déterminante, qui justifie pleinement le virage contre-sanitaire de PA. Ma façon d'intervenir sur ce sujet me pose question, et je ne suis pas très sûr de moi : toutes les conventions sociales me poussent à reculer. Mais dans le doute, je préfère essayer de dire mon truc même si c'est difficile d'oser m'exprimer là-dessus, plutôt que de me taire et de regarder Chancelotus prendre le forum à témoin de sa souffrance résolue dans la douleur. C'est peut-être une erreur, je ne sais pas, je tâtonne...
Il y aurait aussi de la violence si on fermait ce topic comme tu le proposes, car ça poserait un tabou sur le sujet. On le fait quand il s'agit de personnes qui viennent raconter leur suicide en direct sur PA, ou qui semblent attendre trop d'attention par rapport à ça. Mais ici, il s'agit d'un sujet directement en rapport avec l'usage de drogue, donc ça serait quand même une perte importante pour tout le monde si on ne pouvait pas du tout en parler. D'ailleurs, du point de vue de l'enjeu humain pour Chancelotus, il n'est pas certain qu'une fermeture du topic serait mieux vécue que la contradiction.
Il y aurait également de la violence en laissant le sujet ouvert, mais en n'osant rien répondre de contrariant. Si on se tait, on laisse la parole exclusive à la pression des proches et au discours médical. Si on laissait Chancelotus prendre tout le forum à témoin du bien-fondé du sevrage brutal sans oser lui répondre quoi que ce soit de peur de le "faire vriller", ça serait une violence immense, et pas seulement de Chancelotus envers lui-même, mais aussi envers tous les lecteurs potentiels de ce fil. Il n'y a pas que lui que ça pourrait "faire vriller" !
Mais ça serait une violence ordinaire, voila pourquoi elle ne dérange pas tant que ça...
Myozotis a écrit : je trouve ça juste pas très fair-play d'aller autant creuser dans ses représentations, du sevrage, de son rapport à la souffrance....
Ca me semble pourtant des thèmes qu'il est capital d'explorer pour éclairer ce qui se passe dans ce genre de contexte. Comment rompre avec la violence du discours médical et de la stigmatisation sans parler de tout ça ? Si on n'ose pas évoquer ce genre de choses sur les sujets délicats, on se condamne à ne s'adresser qu'aux drogués heureux avec leur conso, et à encourager tous les autres à s'en remettre à leur psy/addicto normatifs !
Ce qui me fait obstacle, et je crois que c'est ce qui nous embarrasse tous un peu, c'est qu'on sent bien que c'est la détresse humaine qui pousse Chancelotus à reproduire malgré lui la stigmatisation et le discours médical, à son corps défendant ! Mais ils sont si bien intégrés dans la logique de ce qu'il raconte, qu'il n'est pas possible de les contester sans contester le discours même de Chancelotus, alors que je n'ai rien contre lui, et que je ne lui souhaite que le meilleur. Comment faire autrement ?
Pour être parfaitement clair : il faut se rendre à l'évidence, humainement, je pense que nous sommes totalement impuissants à l'aider en quoi que ce soit. On ne peut rien faire pour lui sur le forum, en dehors de lui offrir la satisfaction de recevoir quelques messages d'encouragement et de soutien, qui pour moi ne sont pas des aides, mais des validations de la logique qui le fait souffrir.
Ce que montre ce sujet, une fois encore, c'est que les personnes en détresse psychique sont bien souvent dans l'incapacité de mettre en place des stratégies de réduction des risques. Chancelotus à tous les conseils et tous les témoignages du forum sous la main, il a tout ce qu'il faut pour s'éviter un sevrage brutal, ça n'est pas un problème d'accès à l'information qui le conduit à s'infliger ça. C'est un problème purement clinique, qui provient de la façon dont le discours médical interprète les demandes des personnes.
Mais je n'écris pas tout ça pour faire de la clinique, j'y ai renoncé dès le départ, je vois bien que c'est impossible. Si je me donne cette peine, c'est surtout pour parler de la dimension psychique qui n'est pas prise en compte par le discours médical, et de la façon dont elle peut donner corps à la stigmatisation, parce que je pense que ça a une portée politique. C'est-à-dire que je m'adresse plutôt aux autres lecteurs, qu'à Chancelotus lui-même. Ca n'est pas vraiment lui que j'invite à creuser ses représentations du sevrage et du rapport à la souffrance. Avec le recul, je me rends compte que même lorsque je m'adresse à lui explicitement dans mon texte, finalement, ça n'est qu'un procédé d'écriture, qui n'est que le reflet ma contradiction intérieure. Ca n'est pas très élégant, je m'en rends bien compte, alors autant l'admettre, et y aller carrément.
Car il y a aussi de la violence dans les propos de Chancelotus, de la violence contre lui-même d'abord, et de la violence indirecte contre les autres qui n'ont pas voulu s'infliger ça, ou qui ont payé cher le fait de se l'être infligé. Il y a la violence de la quasi-promotion du sevrage brutal, mais aussi la violence symbolique de nous faire valider sa logique d'autodestruction, en nous prenant à témoin de sa propre souffrance. C'est le truc que j'ai fait étant jeune, et qui a pourri mon rapport aux autres pendant des années, alors je peux en parler parce que c'est quelque chose que je connais. Je poursuivais une logique très proche de la sienne, que je décrivais d'ailleurs avec la même expression : "être pris au sérieux". Encore une fois, je ne veux pas l'accabler : la violence dont il s'agit, c'est la violence du désespoir...
Mais si on ne dit rien, on laisse un boulevard au discours médical et à la stigmatisation que les messages de Chancelotus véhiculent implicitement. Comment en parler sans qu'il se sente accusé ? Est-ce que c'est seulement possible ? Je n'en sais rien, mais je crois qu'il faut se laisser travailler par cette question, car elle me semble essentielle dans notre combat politique.
Oui, ce que j'essaye de faire dans mes messages sur ce fil, c'est bien de parler des représentations du sevrage et du rapport à la souffrance, en montrant leur dimension humaine et politique, c'est-à-dire en montrant combien elles sont déterminées par la guerre à la drogue que mène le discours médical, par sa logique même, bien plus que par la violence intentionnelle des praticiens. Mon but est purement illustratif. Ca me semble plus constructif et plus politique que de faire le procès de Chancelotus en relevant tout ce qu'il dit de violent et de totalement contraire à la ligne éditoriale du site. Il me semble aussi que c'est quand même moins violent, même si ça ne va pas dans son sens pour autant.
Car qu'il le veuille ou non, la prise à témoins du forum de sa propre souffrance a pour effet de faire la promotion du Cold Turkey, en le présentant sous un jour positif, légitime, et légitimateur. Oui, il y a cette violence implicite là dans ses messages. Il y a la violence de transmettre, à travers son témoignage, toute la logique du discours psy addicto qui présente la conso comme un symptôme, et l'abstinence comme la guérison de ce symptôme. C'est-à-dire que la conso est mise du côté du pathologique, et l'abstinence du côté du normal.
Et ce que je fais valoir, c'est qu'abstinence et arrêt brutal sont au moins autant des symptômes que les consommations dites "problématiques". Je n'emploie pas le mot symptôme au sens médical du terme, au sens de pathologies qu'il faudrait éradiquer, mais au sens de Rabelais ou au sens de Marx, c'est à dire, l'effet de quelque chose de plus profond, qui nous échappe parce qu'il n'est pas directement visible. Bien sûr, on pourrait aussi parler du symptôme au sens de Freud, mais son ambiguïté entre la médecine et la psychanalyse risque plus de porter à confusion que d'éclairer mon propos. Pour moi, abstinence et arrêt brutal sont les effets d'un réel qui n'est pas pris en compte par la médecine, et qui se confortent et se renforcent dans le lien social de domination qu'elle institue.
Comment c'est possible de laisser quelqu'un encourager ça sur un forum de RDR ? Pour moi, l'arrêt brutal est un sujet grave qui nous concerne tous, et pas seulement pour les Opiacés. On est combien à s'être cassés les dents là-dessus sérieux ? On est combien à en avoir souffert ?
Les risques de l'arrêt brutal, ça n'est pas seulement le PAWS, c'est aussi le risque de s'enfermer durablement dans des schémas psychiques autodestructeurs, et de s'installer dans un équilibre ruineux. Pour moi, on ne peut pas comprendre les effets de la stigmatisation si on la conçoit seulement comme une contrainte extérieure qui nous tombe dessus comme une tuile. L'essentiel de la stigmatisation, ça ne sont pas les étiquettes qu'on nous colle dessus, et auxquels on ne croit pas du tout. L'essentiel de la stigmatisation, ce sont les étiquettes que nous nous collons nous même, et auxquels nous croyons dur comme fer ! Sur PA, on appelle ça "l'autostigmatisation".
Si l'autostigmatisation produit des effets si profonds, c'est parce que nous y prenons part, et que nous nous reconnaissons dans les représentations qu'elle véhicule. Qu'on le veuille ou non, le symbolique est notre seul lien à l'Autre, et nous nous y inscrivons, car nous y trouvons des bénéfices psychiques dans notre rapport au monde. L'immersion dans le symbolique, c'est-à-dire l'apprentissage de la parole, ça commence dès la naissance, avec nos parents : il faut bien prendre part au discours de l'autre si on veut qu'il s'occupe de nous, et ça nous conduit tout naturellement à nous identifier à la place que nous occupons dans son discours. Mais ça continue durant toute notre existence, et notamment dans nos rapports avec le système social et médical. Par exemple, voici deux impasses autodestructrices en rapport avec le sujet, qui me semblent suffisamment fréquentes et bien connues pour parler à un maximum de lecteurs.
Le premier exemple, c'est qu'une fois qu'on a enduré toute la souffrance du sevrage sec dans l'espoir d'un mieux-être ou pour sauver sa santé, une fois qu'on a été si fier de soi d'avoir réussi cet effort surhumain, une fois qu'on s'est enfin senti quelqu'un de bien, en étant parfois directement soutenu, gratifié et encouragé à s'infliger le pire, une fois qu'on a savouré sa victoire et qu'on y a sincèrement cru, et ben on ne se voit pas du tout "avoir fait tout ça pour rien" ! On se retrouve coincé dans une impasse : le sevrage était si dur que maintenant que c'est terminé, quoi qu'il arrive, on osera difficilement revenir en arrière, et on préférera se dire que le mal-être qui reste "passera avec le temps" (Ref 20). Ca peut conduire à un véritable effet tunnel, et créer des contextes où on endure la souffrance pendant des années, en restant déterminé à attendre éternellement le jour où on aura enfin oublié le produit. Même si tout va mal, même si on est complètement déprimé, même si on souffre comme un chien, et même si ça nous conduit à multiplier les autres surconsommations frustrantes dans l'espoir vain de retrouver un peu des effets du produit perdu : on ne peut plus renoncer aux bénéfices de légitimation apportée par l'abstinence, et à la revalorisation sociale si durement acquise à laquelle le sevrage avait d'abord donné droit.
Le second exemple est une variante inversée du premier, c'est quand on rentre dans une spirale infernale, où les arrêts brutaux dans la douleur et les reconsommations se succèdent et se répètent infiniment sans trouver d'autres issues que la répétition. La logique de revalorisation de soi à travers les bénéfices symboliques du servage sec est la même que dans le premier exemple, mais au lieu d'être un gain chèrement acquis auquel on ne peut plus renoncer, il s'agit cette fois-ci d'un gain qui n'est jamais définitif, et qu'on doit perpétuellement réitérer pour en retrouver les bénéfices. On peut vivre ça toujours avec le même produit, ou bien en passant d'un produit à un autre au fil du temps. Dans ce genre de tableau archi classique, les addictos ne s'intéressent quasiment qu'au moment où on "craque" et où on ne peut plus résister au désir de reconsommer. On n'analyse presque jamais le moment où on "craque" pour le sevrage brutal, et où on cède à ce "craving" autodestructeur qui conduit à ce passage à l'acte aussi douloureux qu'inutile. Pourtant, l'arrêt brutal est très souvent vécu de façon tout aussi compulsive que le craving : ça nous travaille tellement qu'on finit par passer à l'acte, sans que la volonté y soit pour grand-chose. Ca n'est pas un choix, c'est pour ça que j'avais appelé ça un peu ironiquement "être accroc au sevrage sec" dans mon premier message.
A mon avis, si on est aussi bavards pour parler de la reconsommation et de la culpabilité qui y est associée, alors qu'oser évoquer la jouissance ruineuse de l'arrêt brutal semble presque indécent, c'est parce que l'idée que c'est uniquement le plaisir de consommer qui nous détermine est profondément ancrée dans nos représentations de l'usage de drogue. C'est cette éternelle image du drogué incapable de contrôler sa conso parce qu'il ne supporte pas la frustration, et qu'il est entièrement gouverné par la recherche d'un plaisir facile. C'est un résidu Freudien très mal vulgarisé de l'opposition entre "principe de plaisir" et "principe de réalité". Et ça conduit à lire cette succession sans fin de sevrages brutaux de façon absolument univoque, comme une suite de ruptures avec le plaisir pour se réconcilier avec la réalité. Le résultat clinique d'une telle conception n'est pas beau à voir...
Pour moi, lire ce genre d'histoires comme une suite de périodes de consommation et de ruptures brutales avec le produit qui serait motivée par le désir de parvenir à une rupture ferme et définitive (ou un contrôle pour les plus progressistes), c'est appeler "rupture" ce qui relève de la continuité, et c'est ignorer complètement la cohérence d'ensemble de cette logique autodestructrice. Ca risque de conduire à un effet tunnel qui entretient les bénéfices paradoxaux des arrêts brutaux à répétition, en créant un contexte où chaque tentative sera saluée et reconnue comme un effort de plus pour atteindre la rupture définitive (ou le contrôle), qui se retrouve placée en objectif idéalisé et inaccessible qui s'éloigne à mesure qu'on s'en rapproche, comme un point de fuite sur la ligne d'horizon. De toute évidence, on n'est pas du tout face à une logique de recherche du plaisir et/ou d'évitement du déplaisir, sinon, comment expliquer un comportement aussi inefficace ?
Je pense au contraire qu'il faut souvent lire ce genre d'histoire comme un mode de consommation à part entière, où l'arrêt brutal fait partie intégrante du schéma de consommation. Dans certains rapports au produit, c'est bien l'arrêt brutal le centre de gravité qui fait qu'on y revient, car sa difficulté est bien mieux reconnue et acceptée que le plaisir de consommer, et qu'elle revalorise la personne et sa conso dans ses rapports sociaux. Ce sont les bénéfices symboliques de la rupture avec le produit qui font son attrait !
Dans ces deux exemples courants, tout se passe comme si l'équivalence "souffrance = reconnaissance sociale" prenait consistance, comme gravée au fer rouge dans les corps eux-mêmes par le supplice du sevrage. Pour moi, c'est un effet de la stigmatisation !
La stigmatisation, ça n'est pas "que des mots", ce sont des mots incarnés, comme il y a des ongles incarnés et des poils incarnés. Ce sont des mots qui s'incarnent dans nos corps, et qui forment de véritables plaies symboliques, et laissent des cicatrices profondes ! Bien souvent, l'arrêt brutal débouche sur une prison psychique, bien plus que sur la libération espérée par la personne.
Comment on fait pour réduire ces risques-là ? Cette libération illusoire encouragée et promue par les addictos conduit de nombreuses personnes en détresse à entretenir ce qu'il a de plus autodestructeur dans leur rapport au monde. Le discours médical qui nourrit les symptômes en croyant les soulager, c'est quand même affligeant, et ça mérite d'être dénoncé !
Myozotis a écrit : ce n'est pas le bon moment pour l'Op. Il est physiquement et psychologiquement vulnérable,
(...)
Ce que j'essaie de te dire c'est qu'il faut être un minimum armé pour pouvoir travailler là dessus et ce n'est, actuellement, pas le cas de l'OP. Donc oui, on répond juste à une urgence et c'est déjà beaucoup dans ce genre de situation.
(...)
Le risque là ne se limite pas à juste "froisser" qqun. Selon moi le risque c'est carrément de faire "vriller" qqun ce qui me paraît bien plus dangereux.
Te rends-tu compte à quel point cet argument réduit au silence toute lutte militante ou politique ?
Du coup, toute personne qui vivrait une situation de détresse psychique bénéficierait d'une carte blanche pour faire valoir ces idées sans jamais être contredite ? Sans compter le risque que l'opposition s'empare de cette faille pour bénéficier d'une tribune libre sur PA...
Si ça n'était "pas le bon moment" pour Chancelotus, il ne serait certainement pas venu nous raconter un sevrage brutal sur PA. Il dit lui-même qu'il a bien remarqué qu'il y avait "très peu d'avis positifs", et qu'on allait lui dire que c'était du "suicide" (Ref 1). Il poste sur ce forum en toute connaissance de cause.
Hélas, cette demande de reconnaissance de sa souffrance qu'il adresse à la médecine est restée lettre morte depuis des années, et c'est comme ça qu'il en arrive là. Raison de plus pour critiquer le discours médical ! Ici, je fais de la politique. Je n'essaye pas de nouer un lien avec lui qui le mette au travail, comme si je répondais à une urgence subjective.
Et si c'était le cas, je me garderais bien de le conforter dans sa logique d'autodestruction en l'encourageant et en le félicitant, car pour moi, c'est ça qui est le plus dangereux. Il y a un fossé entre soutenir les idées de quelqu'un, et soutenir les paradoxes de la jouissance qui le conduisent à en parler. L'important dans une urgence subjective, c'est que la personne puisse dire quelque chose de la division qui la travaille, et se laisser surprendre par ce qu'elle en dit sans même s'en apercevoir. Pour moi, c'est ça qui est émancipateur cliniquement, et c'est ça qui permet que quelque chose de nouveau puisse advenir ! Ca n'est pas de prendre parti pour un côté ou l'autre de cette division. Si on soutien seulement les idées de quelqu'un sans interroger leur dimension symbolique, on se transforme en coach de vie, et on nourrit son fantasme. Pour moi, c'est le meilleur moyen d'enfermer une personne dans ce qui la fait souffrir... Quoi qu'il en soit, on est d'accord qu'une personne aussi déterminée à se faire violence n'y renoncera pas en quelques échanges : une logique du "supplice" aussi profondément ancrée et rationalisée (Ref 13), ça ne se dénoue pas par écrit sur un forum, et surtout pas en délivrant une explication. Je considère ça comme impossible, et ça n'est pas du tout ce que j'essaye de faire.
Mais je comprends tout à fait ton objection, refuser de rentrer dans la logique d'une personne, parler de ses propres idées au lieu de stimuler l'autre pour qu'il exprime les siennes, ça peut la faire "vriller" si la personne est dans un état de fragilité extrême, et si elle attend beaucoup de toi. Mais là, Chancelotus, je le sens plutôt galvanisé par son sevrage. On ne sait pas vraiment hein, nous on est confortablement assis derrière nos écrans, on est bien obligés d'interpréter. Penses-tu que son moral d'acier n'est qu'une façade, et qu'il va s'effondrer à la moindre contradiction ?
Moi je ne pense pas que ça soit du chiqué : le sujet est ouvert depuis deux mois, il y a un certain recul, on n'est pas complètement dans le feu de l'action ni dans l'élan d'un pétage de plomb de quelques jours. Peut-être n'est-il pas dans le genre d'état de vulnérabilité que tu imagines... Tu sembles penser que la douleur de l'arrêt brutal le fragilise, moi je crois au contraire qu'elle le renforce, et que c'est comme ça qu'il tient, là où l'écrasante majorité des autres échouent. Dans le doute, ce que je propose, c'est de le prendre au mot : il est "content", son "moral est au beau fixe", il a un "mental d'acier" et la contradiction lui "donne encore plus de force" pour nous "faire mentir" (Ref 11, 13). Je ne pense pas qu'il dise tout ça juste pour faire bonne figure et se la péter, je crois au contraire qu'il exprime une vérité profonde et paradoxale.
Myozotis a écrit : Oui mais step by step
Ben justement non, et c'est bien là le drame, et pas seulement celui de Chancelotus, mais aussi celui de nombreux autres : il n'y aura pas de travail step by step, ça n'est pas du tout prévu au programme !
Ce qui attend Chancelotus, c'est un suivi psy post sevrage, version addicto psy institutionnel, où on va lui expliquer qu'il a une maladie du cerveau, et lui prescrire des AD/Benzos à vie pour soigner sa "jeunesse très difficile" et lui éviter de "tomber dans d'autres travers" (Ref 3).
On ne lui offrira pas la possibilité de s'approprier ces produits et leurs effets, qui lui seront présentés comme la solution à un déséquilibre chimique dans son cerveau. A partir du moment où on réduit ce qui est réellement vécu par les personnes à cette seule représentation, le discours scientifique devient naturellement la seule approche sérieuse de la question, et la parole des personnes se trouve disqualifiée d'un point de vue épistémologique : ça n'est pas là que se trouve la source du savoir déterminant pour la médecine.
Si il "ne fait que pleurer", ça ne veut rien dire, ça n'est pas grave, on l'a prévenu par avance : "mon cerveau manquera de dopamine" (Ref 9). Voilà la conception du psychisme que se donnent ses soignants ! Le sens que Chancelotus donne à ce qui lui arrive, la dimension symbolique de ses actions et ressentis, comment ça le conduit à se faire violence, on s'en tape, c'est des biais subjectifs, c'est du blabla, rien de ce que peut raconter Chancelotus n'est vraiment déterminant pour son mieux-être : tout est l'effet de la chimie de son cerveau. Et cette maladie chimique, la médecine va s'en occuper sous le seul angle pharmacologique : à quoi bon perdre son temps à creuser la symbolique et la stigmatisation ? Ce ne sont que des mots... Pour moi, cette biologisation de l'être, toute sincère qu'elle soit, n'a qu'un seul effet pratique : enrober la pilule qu'on lui demande d'avaler d'un joli verni scientifique. Ce qui attend Chancelotus, c'est une psychothérapie pour le reconformer.
Rien de son rapport à la douleur, de son rapport aux autres, et de son rapport au produit ne sera interrogé, hormis sous le prisme de "l'addiction", c'est-à-dire de la pathologisation de la conso par opposition à la normalisation de l'abstinence et du sevrage brutal. Et si jamais, par le plus grand des malheurs, il continue d'avoir des angoisses qui le constipent et des douleurs au ventre, on continuera de lui sortir le "syndrome du colon irritable" et de l'envoyer chez le nutritionniste, ou alors on mettra ça sur le compte de son passé avec les Opiacés. Les paradoxes de son discours ne seront jamais explorés, et le réel qui lui est propre restera lettre morte adressée à la médecine, sans que lui soit offerte la moindre occasion de se le réapproprier. Le seul discours qu'on l'encouragera à élaborer, c'est un discours du repenti ou du rescapé, écrit d'avance par les addictos...
Et c'est ça qui me semble important de dénoncer : ce système qui propose le produit en coupable idéal de toutes les misères d'une personne, en n'interrogeant jamais rien d'autre, pour moi, c'est un système de pensée qui conduit au pire. Et c'est du côté des conceptions psychologiques que ça se joue.
Myozotis a écrit : les pros n'encouragent absolument pas le sevrage methadone tout court ce qui pousse des personnes à le faire sans aide médicale donc parfois dans une souffrance absolue. Ça c'est ce qui pose question pour moi... à quel point les sevrages sont mal accompagnés. À quel point nous ne sommes pas entendus dans notre souffrance et à quel point on nous fait souffrir encore plus.
A partir du moment où toute la société leur fait comprendre que "l'addiction est une maladie", ça parait logique que les personnes veuillent arrêter la Métha pour ne plus se sentir "malades", même si l'addicto n'y encourage absolument pas directement. Symboliquement, c'est complètement paradoxal, pour ne pas dire faux-cul, que les addictos considèrent les personnes comme des malades parce qu'elles sont sous TSO, mais qu'ils les dissuadent de tenter un sevrage ! Faut pas s'étonner du résultat...
Pour moi, même si ça compte beaucoup, le problème numéro 1 n'est pas la question de savoir comment les sevrages sont accompagnés sur le plan médical. Pour moi, le problème c'est que le désir de sevrage n'est pratiquement jamais exploré plus profondément. Au mieux, le médecin demandera l'avis du patient, et prendra le temps de lui expliquer pourquoi il y est favorable ou non, mais on restera dans une logique de prescription et de conseil. C'est inévitable, parce que le discours médical est une culture de l'évaluation, il s'agit de se représenter le sevrage et la conso uniquement sur le plan de ses résultats objectifs et quantitatifs. Les enjeux symboliques et subjectifs sont rarement considérés comme des questions déterminantes à travailler.
Bien sûr, il vaut mieux faire un sevrage brutal à l'hosto sous surveillance médicale, plutôt que tout seul chez soi sans le moindre accompagnement, c'est une évidence ! Mais ça n'implique pas de se précipiter pour donner aux personnes la brutalité qu'elles réclament, sans se poser la moindre question sur les déterminants psychiques d'une telle demande.
Alors oui, j'ai très peu d'espoir d'être entendu par Chancelotus, mes posts ont plus de chances de le fâcher qu'autre chose, et je sais bien que je ne vais pas l'aider en quoi que ce soit en proposant une interprétation qu'il n'a pas élaborée lui-même. Mais peut-être que ça n'est pas le plus important dans ce contexte. D'ailleurs, il ne nous demande pas d'aide, ses questions du départ font vite place au désir assumé de laisser "des traces pour les gens qui veulent aussi faire cette aventure dans l'avenir" et de "prouver" que "c'est possible", ce qui "motivera quelques personnes à passer le pas" (Ref 1, 8, 9, 11, 13). Comment faire pour ne pas le réduire à cette intension ? Je ne voulais pas laisser faire ça sans rien lui répondre, mais je ne voulais pas non plus me contenter d'un simple champi jaune et d'une phrase cinglante pour exprimer ma désapprobation... J'essaye de faire un pas de plus...
Je crois que son histoire fournit une bonne illustration
- des mécanismes de l'emprise du discours médical sur les personnes,
- de la façon dont on transforme l'inexpliqué et l'inexplicable en auto-stigmatisation,
- et des actes d'auto-violence auxquels cela peut conduire.
Tenter de le montrer par l'exemple sur ce fil me semble bien plus parlant que d'écrire un texte abstrait qui décrirait ça en toute généralité.
2/ Psychologisation, pouvoir médical et contestation politique.
Réponse à Anton_Zimmer. Environ 14 000 caractères. Spoiler
Anton_Zimmer a écrit : Concernant la question du stigmate et du préjugés (mais également de la psychologisation de l’OP), de mon point de vue on le retrouve dans les explications hypothétiques que tu proposes concernant son choix du sevrage CT : souffrir pour se démarquer et montrer qu’il serait exceptionnel.
Je pense que c’est une simplification du fonctionnement psychique de l’OP et une mise en position de dominant qui constitue une forme de « retour du stigmate » ou stigmate secondaire (je suppose que ça a déjà été théorisé mais c’est la stigmatisation par des personnes d’un groupe elle même stigmatise : ex - les PUD qui considèrent que les personnes faisant usage de la ROA IV sont méprisables (ou que les usagers de crack sont des déchets, etc…)
J’ai l’impression (mais peut être à tort) qu’il y a un positionnement dominant, de sachant, assez courant dans le monde medical dans ta réponse à l’OP.
Oulala, c'est dense, ça fait beaucoup de charges en un seul paragraphe
Je le cite en entier pour ne pas qu'on perde la cohérence de ton propos, mais si tu permets, je vais le décortiquer pour récuser certaines choses, et en assumer d'autres.
Anton_Zimmer a écrit : Concernant la question du stigmate et du préjugés
(...)
une forme de « retour du stigmate » ou stigmate secondaire
(...)
c’est la stigmatisation par des personnes d’un groupe elle même stigmatise
Tu ne m'as toujours pas dit que quel stigmate ni de quel préjugé tu parlais.
Il y a effectivement une sorte de retour de flamme, un genre de retournement dans ce que j'écris, mais je ne pense pas du tout que ça ait quoi que ce soit à voir avec le "retour du stigmate" comme tu décris.
Pour moi, il ne s'agit pas de retourner la stigmatisation contre Chancelotus, il s'agit de montrer comment elle agit sur lui, à travers le discours médical.
Ce que j'essaye de faire, ce n'est pas de lui renvoyer le stigmate à la figure, c'est de montrer le noeud que forment la stigmatisation et son histoire personnelle, afin de dénoncer la façon dont le discours médical vient renforcer ce noeud.
Ce qui est complexe dans ce sujet, c'est que Chancelotus nous livre spontanément de larges pans de son histoire personnelle, pour argumenter qu'il y a d'autres raisons que la stigmatisation qui le poussent à agir ainsi. Il veut montrer que ce sont de bonnes raisons bien médicales et bien rationnelles qui le conduisent à ce comportement violent envers lui-même qu'est le sevrage brutal. Doit-on le laisser dire sans rien y répondre, juste parce qu'il s'agit de son histoire personnelle ?
C'est forcément délicat, et désagréable à lire pour lui, puisqu'il s'agit de son intimité commentée par quelqu'un d'autre. Mais ça n'est pas le retournement du stigmate contre une personne, c'est l'illustration des effets du stigmate à partir du témoignage d'une personne.
Quant au préjugé, je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler, sauf si tu veux dire que le simple fait de considérer que le sevrage brutal est un acte de violence envers soi-même, c'est un préjugé. Dans ce cas, j'assume totalement mon parti pris.
Oui, les sevrages brutaux sont une réalité incontestable qui fait partie du parcours de nombreuses PUD, mais ça n'est pas parce que certaines personnes peuvent dire "il aura fallu en passer par là pour parvenir à un mieux-être" que ça n'est pas un acte de violence envers soi-même !!!
Moi aussi je peux dire qu'il m'aura fallu en passer par des tentatives de suicide et de l'automutilation pour aller mieux ensuite. Est-ce que l'issue favorable à laquelle ça a abouti change quoi que ce soit au fait que c'était bel et bien des actes de violence envers moi-même ?
D'ailleurs, Chancelotus lui-même présente ça comme l'ultime tentative avant le suicide : "si j'arrivais pas je me foutais en l'air c'était soit l'un soit l'autre" (Ref 10).
Anton_Zimmer a écrit : Je pense que c’est une simplification du fonctionnement psychique de l’OP
Il ne s'agit pas de simplifier la situation, il s'agit au contraire de la complexifier, en introduisant la dimension psychique ignorée par le discours médical, qui réduit tout ce que nous vivons aux effets de la conso de drogues sur nos organismes.
Il ne s'agit pas de délivrer une explication du fonctionnement psychique de Chancelotus, mais seulement de proposer une explication de texte. Comme dans tout échange, on est entièrement dépendant de ce que l'autre nous raconte, qui est déjà une simplification, et on est bien obligé de jouer le jeu et de faire avec. J'ai parfaitement assumé que c'était "un forçage" et une "approximation à la hache et au doigt mouillé". Perso, je tiens le fonctionnement psychique pour quelque chose d'impossible à écrire, et je disais que "je n'ai pas le moindre espoir de comprendre le rapport au monde d'une personne juste en lisant quelques pages de texte". Ca n'est pas de ça dont il s'agit, mais de répondre à ce qui est véhiculé dans le discours de Chancelotus à son insu.
Il ne s'agit pas de montrer qu'il a eu tort de faire un arrêt brutal, mais d'analyser son texte pour mettre en relief le drame qui l'a conduit à en arriver là.
Il ne s'agit pas non plus de réduire le propos de Chancelotus à une simple promotion du sevrage brutal, mais de l'enrichir en faisant entrer en ligne de compte l'ensemble de son discours sur les deux fils de discussion qu'il a initiés.
Ce que j'essaye de faire, c'est de démonter la logique du discours médical qui s'exprime à travers le discours de Chancelotus malgré lui, et dont la réception sans contestation ouvre un boulevard à la reproduction de la stigmatisation sur le forum.
Mais oui, j'aborde les choses en parlant de psyché, car je pense que quand on parle de rapport à un produit, c'est avant tout de ça dont il est question. J'essaye de montrer qu'il y a du psychique, et que le discours médical le nie totalement, ce qui conduit à encourager le pire pour les PUD, même quand les soignants sont les mieux intentionnés du monde ! Et j'ose l'illustrer en me servant du témoignage de Chancelotus à contre-emploi. Pour moi, c'est un enjeu purement politique, il ne s'agit pas de faire de la clinique.
Car de toute façon, une interprétation explicative ne peut être que trompeuse. A partir du moment où on explique quoi que ce soit à une personne sur elle-même, le réel qui lui est propre est perdu. C'est la même perte de subjectivité que celle qui différencie une personne de sa photo sur papier glacé. Une explication de texte, c'est à la fois une "mise en perspective" et une "mise à plat". C'est-à-dire que ça montre certains reliefs du discours d'une personne, tout en perdant le réel qui la constitue. Le principe de l'image quoi ! Ca n'est qu'une représentation du réel, ça n'est pas le réel lui-même. Et ça vaut tout autant pour l'imagerie médicale... Pour moi, l'image, quelle qu'elle soit, c'est toujours un écran d'où le réel de la personne est exclu. Je tente simplement de proposer une autre représentation que le cliché scientifique habituel, érigé en fétiche par le discours médical.
Anton_Zimmer a écrit : J’ai l’impression (mais peut être à tort) qu’il y a un positionnement dominant, de sachant, assez courant dans le monde medical dans ta réponse à l’OP.
A aucun moment je ne fais référence à une réalité objective qui serait de mon côté et pas du sien. Je n'exhibe pas de titre ni de connaissances expertes. Ca tombe bien d'ailleurs, car je n'ai ni l'un ni l'autre. L'explication de texte que je donne, n'importe qui peut la donner, ou en donner une autre, il n'y a qu'à lire ce qu'a écrit Chancelotus. Je parle en "je", et je ne me cache pas de faire des rapprochements avec mes propres expériences. Des rapprochements qui sont dérangeants, oui, j'en ai bien conscience, et ça n'engage que moi. Mais je ne lui dis pas que "c'est comme ça et pis c'est tout", en me référant à la science, à la médecine, ou à la psychologie.
Le psychisme, personne ne sait vraiment ce que c'est, pas plus moi qu'un autre. Si jamais je donne cette impression, c'est juste parce que j'ai pris l'habitude d'en parler, et d'y porter attention dans ma vie. Tout le monde peut parler du psychisme à partir de son expérience, non ?
J'ai dit que c'était une "une lecture possible parmi d'autres", un "point de vue un peu décalé", bref, une simple opinion comme chacun peut donner "en fonction de là où il se trouve dans sa trajectoire". Où est ma position de "sachant" ? Tout ce que je dis est entièrement réfutable d'un simple "je ne suis pas d'accord avec toi" : il peut balayer tout ça d'un revers de main sans qu'il y ait un savoir vertical qui lui tombe dessus pour lui prouver par a+b que c'est comme ça et pas autrement, que c'est la réalité vraie, que c'est objectif, et que c'est la science qui le dit. C'est seulement moi qui le dis, et c'est déjà pas mal
La seule force de ce que je dis, si jamais il y en a une, c'est de se fonder entièrement sur ce qu'il raconte. La seule violence de ce que j'ai écrit, c'est de lui mettre le nez dans ses paradoxes et ses contradictions. Je reconnais que ça n'est pas agréable, et je sais que c'est plutôt difficile à recevoir, voire impossible. Remarque bien que je n'ai pas fait son procès, ce qui n'aurait pourtant pas été bien difficile. Ce qui est sans doute pénible à lire, c'est que je remets en cause la pertinence de sa propre analyse de la situation, à partir de ce qu'il dit lui-même.
Anton_Zimmer a écrit : (...) la psychologisation de l’OP (...)
Pourquoi dénoncer avec tant d'insistance la "psychologisation" dans mes propos, et jamais celle de Chancelotus ou de ses soignants ?
Tu parles de mon positionnement de "dominant", mais j’ai l’impression (peut-être à tort) que ce qui te dérange, c'est surtout que je marche sur les plates-bandes des psychologues...
Je croyais t'avoir déjà répondu dans mon précédent message sur cette "psychologisation". C'est lui-même qui y procède (Ref 3, 4, 6, 9, 11, 14, 18, 19). Je ne fais que contester sa façon de psychologiser, qui est directement issue du discours de son "psychologue addictologue", et qui justifie et valorise la brutalité de son sevrage.
Pour moi, les propos de Chancelotus respirent l'autostigmatisation, le mal-être identitaire, la souffrance psychique, et les paradoxes discursifs. Mais la psychologisation qu'il opère ne se fait pas sur son mode à lui, il ne s'agit pas de ses propres élaborations, elle ne reflète pas son propre discours, elle est seulement la reproduction du discours "psy addicto" avec lequel il est en contact, et qui infuse dans toute notre société.
Cette psychologisation là n'a pas l'air de beaucoup te déranger.
Pourtant, elle a pour effet de conduire Chancelotus à des actes de violence contre lui-même, et de réduire au silence tout discours critique envers cet encouragement à des gestes d'autodestruction.
Pour développer les réserves que j'affichais envers le terme "psychologie" : je ne crois pas un seul instant que les théories et les explications psychologiques aient le moindre effet clinique direct, quelle que soit leur école de pensée (de la neuropsychologie comportementaliste à la psychologie d'inspiration psychanalytique en passant par la neurolinguistique). Pour moi, on ne change pas la trajectoire de sa vie parce qu'on a compris une explication psychologique donnée par quelqu'un ! Mais je pense par contre que les théories psychologiques ont une portée politique qui ne s'avoue pas, et qui agit sur le monde social à travers les conceptions qu'elles donnent de la psyché et de la conso de drogues. Je ne crois pas un seul instant que mes propos puissent avoir un effet qui aiderait directement Chancelotus en quoi que ce soit. Même si je parle de psychisme, nous ne sommes pas chez le psy pour autant. Mais je propose une autre "psychologisation", et pour ma part, je ne cache pas mes intentions politiques. Faut-il parler de "légitime défense" ou de "contre-psychologisation" ?
Anton_Zimmer a écrit : (...) les explications hypothétiques que tu proposes concernant son choix du sevrage CT (...)
Pour l'essentiel, je ne fais que reprendre ce qu'il a écrit. Tu insistes sur le caractère "hypothétique" de mes explications, mais je ne vois pas en quoi elles seraient plus "hypothétiques" que n'importe quelles autres. Tous les messages sur ce fil reposent sur des suppositions, explicites ou implicites. Ce que certains défendent sur ce genre de fil, c'est-à-dire le soutien sans faille pour la démarche des personnes, y compris lorsqu'elles font des sevrages brutaux proches du supplice expiatoire, c'est une approche dont le bien-fondé repose sur des suppositions tout aussi hypothétiques que les miennes. Et d'ailleurs, les explications que Chancelotus donne à ce qui lui arrive sont, elles aussi, tout à fait hypothétiques.
A mon avis, le truc le plus choquant dans ce que j'ai écrit, c'est d'avoir souligné qu'il racontait avoir arrêté "beaucoup de choses" dans sa vie, et ressentir une "excitation" à l'approche de cette "épreuve" du sevrage, duquel il tire cette impression de "renaissance" qu'il a l'air de rechercher. Mais je ne le suppose pas, c'est lui même qui le dit (Ref 7). Ma seule audace est de l'avoir fait remarquer, et d'avoir osé faire un rapprochement entre cette jouissance ruineuse et mes gestes d'automutilation étant jeune.
Anton_Zimmer a écrit : (...) montrer qu’il serait exceptionnel (...)
C'est lui même qui en parle tout au long du sujet, je n'invente rien : "J'ai une espèce de sentiment d'être assez fier de moi d'avoir réussi là où beaucoup ont échoué et je garde cette mentalité de winners" (Ref 11). C'est d'ailleurs pour ce petit côté arrogant qu'il s'est pris plusieurs champis jaunes, en réponse à son désir de prouver qu'il fait partie des exceptions qui réussissent un sevrage brutal, et qui peuvent s'offrir le luxe de raconter leur étonnement d'avoir trouvé ça plutôt facile : "ça se passe pas si mal que ça même le médecin est vachement étonné (...) il n'aurait jamais pensé que ça marcherait aussi facilement" (Ref 8). Et il revendique encore son statut d'exception à travers sa désolidarisation totale des autres PUD, supposées avoir toutes voulu ce qui leur arrive : "des cas comme moi sont rares car c'est les médecins qui mon rendu dépendant je n'ai jamais voulu ce dans quoi je me suis retrouvé" (Ref 3).
Anton_Zimmer a écrit : (...) souffrir pour se démarquer (...)
Ah non ! Je n'ai jamais dit ça !!! Difficile de ne voir aucune malice dans ta façon de résumer mon propos. Ca serait vraiment vache de ma part de résumer les choses comme cela. D'ailleurs, je fais des rapprochements avec mon comportement autodestructeur étant jeune, crois-tu sincèrement que je pense que je faisais ça pour me "démarquer" ? Si c'est ce que tu comprends, c'est que je me suis vraiment très mal exprimé. Je reformule tout ça dans la partie suivante.
Dernière modification par Pesteux (09 septembre 2025 à 19:23)