25 décembre 1999 Un air de fin de millénaireC’était l’époque des
francs, et de mes 20 ans (et pas toutes ses dents, plus quelques ans).
Il y avait une soirée pour ce samedi de Noël, le dernier des
1900. Pour moi le véritable début du millénaire, ou plutôt la vraie fin, de l’ancien.
Ceux qui avaient festoyé en famille, et ceux qui avaient passé les fêtes en travaillant, ou s’en fichant bien, rejoignaient, de leur banlieue chic de Meudon, à leur quartier du 13 ou de Bobigny, les artistes qui squattaient un immeuble haussmannien.
Le plus chic que j’ai vu, rue de la Boétie, et je les connais ces sièges de multinationales, vidées ou louées à elle-même. Paris est plein de vides.
En sous sol comme en IGH.
Et puis, on avait l’habitude, d’aller en free-party, dans ces années là, elles avaient lieu, à Ivry, ou tout près de Paris, et en plein 8ème, triangle d’or, non, mais la Madeleine, Miromesnil….
On arrive, moi et ma bande, constituée, de jeunes de ma rue, qui connaissent comme moi certains organisateurs. Y en a un, c’est mon cousin, et pis l’autre c’est sa sœur, enfin, nos voisins du tiékar, et notre mélange de Yougos et de Kabyles débarquent, dans le quartier où, d’habitude je ne vais que pour travailler.
Et là je dois dire, je suis impressionné, sur 5 étages plus de 5 ambiances, du Jungle ragga, à ce qu’on a appelé Art Tech, avec des performances et des peintures, expositions, jeux de lumière…
Chaque étage a son son et lumière, son ambiance propre, et l’on croise, dans les escaliers, les plus belles poupées, du 16ème, ou gazelles de cité, et Trans, DJ revenus de Goa, dealers de ‘tuveukoi?’, types sortis de soul train, ou incroyablement lookés, on se croirait ...au Palace avec entrée libre!
Je suis en blouson cuir sur un gros pull à col roulé blanc, mes cheveux blonds tombant sur le col en cuir marron. Donnant un bel effet, d’angelot déchu, que je fut, vous verrez, après.
Incroyable! Bravo aux organisateurs, il y a du Ivan et Alexis là dedans, et d’autres, on aurait dit, entre une boite de nuit dans un squatt officiel de Berlin, et une Planète magique pour les adultes.
En entrant au 2ème étage, comme dans tout immeuble de ce type, l’étage noble, on tombe sur la pièce principale de réception. Haut plafond, moulures et marbrures. Parquet épais. On imagine les tapis persans qui ont du être posés.
Encore vide, car celle-ci n’a pas de son, les gens, souriant, sont assis sur le parquet, se font des traits de
coke sur les cheminées en marbre, de chaque côté des 150 m² de la salle.
Derrière d’autres, très jeunes, habillés chez Gédla-Tune, se font des rails d’héro.
Je suis interloqué, d’habitude c’est caché, et moi j’évite à la fois ceux qui en prennent et le produit, à l’époque.
Nous, notre programme c’est un peu de
coke, puis des extas. Le quartier où je vis est blindé d’extazis, les motorola, un nom qui fait high tech, à l’époque…
Et fureur dans les raves, réalisant les rêves...caresses, basses et baisers langoureux, de soirées tactiles, de jeunes corps graciles, dociles...
Si aujourd’hui, depuis que je suis sous
TSO, les
tazs ne me font plus rien ce n’était pas le cas ce soir là. Pas besoin de trois…
Ca tombe bien il n’y a pas d’argent et on ne vend pas, nous. Enfin moi, car je perd vite mes amis, après avoir sympathisé autour des traits de C avec de charmantes fans de ‘plans visu’ et de boom-boom électro.
Le décors et le lieu tranchent, plus Bourgeois, c’est le palais présidentiel, ou l’hôtel particulier aux champs Elysées.
On a l’alchimie parfaite, pas d’entre soi, tout le monde vient de chez soi, et une fois là, tu discutes avec qui tu veux, tu voooiiis…
Et finis la soirée avec tes meilleurs amis, les vrais sont perdus depuis un refill, ou partis avec des filles, non, les meilleurs amis dont on oublie le nom, mais qui font chaud au coeur, car le
taz ça donne de l’empathie…
C’est surtout après avoir dansé, sniffé, tazé, et vu de toutes les couleurs, admirer les installations ou les perf. De Juliette Dragon, les disques des Mas I Mas, et le ragga de Sammy, les graffitis techniques d’Urm et d’autres fous de la bombe. Atomique la soirée.
Jusqu’à ce qu’on sorte.
Comme sortis d’un rêve, d’une rave, en plein Paris, Paris qui subit l’une des plus grosses tempêtes de sa vie…
Et oui, à peine dehors, tout s’envole, je suis dans le vent, défoncé me dis-je, non, regarde !
Les objets non arrimés deviennent des projectiles dans les pointes à 130 km/h du vent.
Une impression de
fin du monde. Un réveil brutal, mais qui reste onirique, on a jamais vu ça.
C’est le moment où le monde ne parle que du bug de l’an 2000, prévu pour dans une semaine, après l’anniversaire de Jésus, fêté au champ’ plutôt qu’à la coche, cette année, il y avait au programme : l’Apocalypse. Après l’ascension la
descente, et la révélation.
Du son, du son du canon. Assourdissant, on entend plus rien, mais si attends, c’est quoi ces sifflements..
-C’est rien, le vent
-Le vent!!!
Il faut lutter contre lui, pour avancer, surtout si tu es léger, un enfant de 4 ans volerait facilement avec sa cape de superman!
Et c’est cette impression là, que nous avons moi et mes nouveaux potes, en sortant du 36 rue de la Boétie, qui ressemble au siège d’Air France. Ou de BNP Paribas.
Le vent est si fort…
On avait entendu parler vaguement d’une tempête au large de la Bretagne.
Ce jour là, Bell-Ile en mer était réveillé,
caillou mazouté, joyeux noël, de la part de Tata Total!
Loin du fioul de l’Erika, fendu en deux, s’échappant entre deux eaux, et qui allait nous occuper, les prochains mois à nettoyer...les plages de mon pays natal.
Un des quatre gars et filles avec qui j’ai sympathisé à une voiture...j’y crois pas, une Renault 9!
Ces voitures, sortie dix ans plus tôt, on les ouvrait comme les Renault 11, d’un coup de fesses sur la portière, le loquet se relevait, et à nous l’auto-radio…
Une voiture de bourge, tu parles, on ne trouvais que des ‘cassettes d’arabes’ et des mains de fatma, dans l’est parisien…
On est con à 15 ans, voyons, voyou, pour rien, pour la galerie,on rien vu, mais on golri, se construit une image salie, punkifie, la vie, sans futur pour nous, à part l’an 2000.
Quand on aura vingt ans en l’an 2001, chantait-on à l’école.
On imaginait les télés portables mais pas la fin du monde avant même le gong (pour le reste on avait eu Watoo Watoo pour nous alerter (les bébés, Grand Jacques!) sur les dangers de notre comportement de ‘beauzois’ sur l’environnement.
Mais si Watoo Watoo, en animation, se clonait pour nous venir en aide, et veillait sur nous, juste après, c’était Goldorak!
Et, après une adolescence à lire les nombreux livres en BD d’Akira, l’esthétique fin du monde nous était parfaitement entrée dans la tête, on l’avait dans la cul, comme dirait Anna, dans la culture comme je dirais moi.
‘En l’an 2000’, ça voulait dire ‘jamais’.
-Il est lège ton 20 000 (200 francs, 30e, de
bédo)
-Je te passerai le reste plus tard, t’inquiète…
-ouais c’est ça, en l’an 2000!
Les temps présents étaient incertains, l’avenir allait vers la fin, pas le progrès, et tintin... on tatouait des codes barres et des signes japonais, inconnus, qui sont le mainstream des ‘faux’ marginaux, dans la peau des bobos, pour le reste fallait se servir, maintenant.
Je venais de réussir à me faire réformer aux trois jours (et oui c’est dans le passé rance, d’une France qui avait encore un contingent).
Comment j’ai fait ? Semblant, ou justement non, je suis resté mutique. Et n’ai coché qu’une case : suicidaire. Quel psy dirait OK allez-y à un mec qui dit rien, mais inquiète...en cochant une case qui tue…
Pour ne pas perdre mon boulot et mon appart, j’avais envie de faire l’armée, je voulais être paré, savoir démonter et tirer au FAMAS, oui, et la camaraderie, ça m’aurait plu.
A la cantine, il y a avait un tas de jolies filles engagées qui passaient les même tests. Sauf que nous on était obligés pas elle.
Mais même si la bière était à volonté et le pinard idem à la cantine, le rab de frites en sus…
J’allais passé de 15 000 franc (2000 euros de maintenant) de salaire à une solde de 500 francs, moins que 100e, qui ne me paierait pas même mes clopes…
Vite vu, surtout qu’on ne sait pas dans quel corps on va atterrir, Martine, non la marine ou autre.
Ceux qui essayent de se faire réformer, mais demandent les pompiers, sont pris...pour être largué dans un placard.
Ceux qui sont les futurs policiers, sont recrutés ici. C’est le moment du grand turn over dans la police et la gendarmerie, ils nous recrutent, avant même le début des tests, pour nous motiver.
Vu le niveau scolaire des personnes (je suis plus vieux car j’ai étudié), bacheliers, au chômage sans perspectives, mais mieux formés que les anciens, BEPC, certif, ou les qui savent ni lire…
Bon, mission ratée réussie, P3.
Je travaille dans l’administratif, tant mieux.
Mais en rentrant je suis viré, de mon taf, de mon appart (foyer de jeunes travailleurs, plus de CDI = dehors) et largué par ma meuf…
Complètement libre en fait.
L’année qui suit j’allais constater les dégats de la guerre en Europe, en Bosnie, et de la tempête et marée noire.
Pour l’instant, à 5 dans la R9, on bougeait sévère, sur le pont de Vitry, et les abris bus explosaient, sous nos yeux médusés, extasiés...Les petits
caillous s’envolant, faisaient déscendre les vitres des voitures, aussi sur qu’un voleur à la roulotte.
En zig zag, on voit en passant la grue qui est tombé sur une tour HLM.
Puis on arrive dans mon 12m2.
Je bois une bouteille de wisky. Tout seul. On discute.
Le vent souffle, siffle, hurle, la colère de la nature, s’abat sur la vile métropole, peur sur la ville. Qui n’est plus qu’un jeu de quilles. Si on a appris quelque chose entre ça et le 11 septembre, c’est l’humilité devant les forces destructrices, de l’humanité, qui, elle même n’est rien dans la violence des phénomènes présents sur terre et dans l’univers, et qui nous échappent.
Sauf que plus on le sait, plus on essaie d’agir, pourquoi pas...mais c’est ce que l’on fera des désastres qui comptera, plus que le feu des astres, et les prophètes, la foi sera là, mais déjà la solidarité aura fraternisé en toute liberté avec la sécurité, et seront parti se planquer…
Content d’avoir fait nuit blanche pour découvrir ce spectacle en direct quand la majorité ne verra le ‘mess’, les dégâts, qu’au réveil, à l’heure de la messe (on est dimanche 26, les Bretons de Belle-Ile, sont des ‘pieds noirs’ depuis hier soir…).
Impressionnant!
C’est plus fort que soi.
Cela annonce bien la suite, préoccupante. Mais on le savait. Entre savoir et voir, il y a un pas que l’on ne franchit pas comme ça, et qui peut empêcher de comprendre. On crie au loup, mais il y a un loup, il y a même une meute.
C’est ma dernière surprise partie, des années 1900, les enfants, il y aura des superbes free en petite ceinture après, et des tekos, mémorables, mais la rue de la Boétie, ses moulures et son marbre, resteront dans les mémoires. Comme le coup de vent qui nettoya nos têtes d’une oreille à une autre le matin venu.
Après les
tazs, l’alcool réchauffe…
Il est bon de fumer un bon
joint de marocain. On se pose en douceur…
C’est ce qu’on fit, avant que, la bouteille finie, ils furent tous partis, y compris la fille que je convoitais en vain.
‘En vain’, ce sera le leitmotiv des années 80, jusqu’en 2020!
En une nuit on est passé d’une mentalité fataliste ‘on y peut rien’ à l’urgence tardive, du ‘il faut faire quelque chose!!!’.
Fume, gobe, bois, shoote, t’as du pot, c’est du belge.
Depuis que tout semble nous échapper la société est devenue «control-freak» après avoir été contre la loi du fric...
J’aimerais bien l’avis de jeunes nés dans les 2000 ou 90, sur cette époque, enfin l’image qu’ils en ont.
L’insouciance n’était pas là, mais on réagissait encore comme autrefois, comme des punks à rat. On ne se terrait pas, et on avait moins peur.
No future...
Non je ne veux pas y aller au service militaire,
non je ne veux pas faire la guerre,
Pour un morceau de Terre…MC Solaar et son guest-star
Erika, Erika, je n’irai plus je n’irai pas, chez ton affréteur par hasard…Gilles Servat, devant les pêcheurs Belle-Ilois et les bénévoles ramasseurs de fioul.
Sauzon, mars 2000
Le futur c’était mieux avant…Mekah 2000, Album disponible (rap) sur Youtube
Et vous avez vécu 20 ans?ATK, 20 ans