Ce qui rend dépendant, c'est le rêve 





Ma mère adore jouer aux machines à  sous. Lorsqu'elle se rend dans un casino, elle peut y laisser les 3/4 de sa paie (alors qu'elle bosse à  temps partiel au SMIC) pour gagner 100 € (qu'elle rejoue la plupart du temps). Elle s'accroche à  sa machine avec l'énergie du désespoir, la chérissant, la maudissant, la cajolant, l'insultant. Mais elle persiste et joue encore. Parce qu'elle y croit. Elle est sûre qu'elle va gagner, elle en rêve de cette victoire, de toutes ces pièces qui tombent, de la musique d'ambiance aussitôt diffusée et des visages cherchant où se trouve le vainqueur et combien il a gagné. Des visages appartenant à  des personnes qui vont rêver à  leur tour. Et donc continuer à  jouer, offrant des gains inespérés au casino.

Moi, je n'ai pas ce truc du jeu. Je le comprends, mais ne l'ai pas. Je ne rêve pas de gagner, je sais que je vais perdre, dans une atmosphère faussement art-déco aux lumières trop artificielles. Non, mon truc, c'est fumer.

La cigarette, ça a commencé bêtement: J'était plutôt faiblard et peu sûr de moi, et je voulais ressembler à  Olivier. Qui avait l'air tellement sûr de lui. Et beau. Et qui fumait. Evidemment. Je me rêvais lui. Je me voulais lui plus fort que tout ce que j'avais pu souhaiter par le passer. Il fumait, portait des boxers et les cheveux longs. J'ai donc laissé pousser les miens, jetés mes slips taille basse (ceux qui me faisaient ressembler à  Christian Clavier citant Saint John Perse dans "Les Bronzés") et commencé à  fumer. Bon, je crapotait. Et trouvait ça naze. Vraiment. Je me demandais comment un mec comme Olivier pouvait aimer ça. Puis j'ai compris. Toussé quelquefois, puis suis resté accroc. Etudiant, je préférais manger n'importe quoi plutôt que de me passer de clopes. Je n'évoque même pas le jour où j'ai pu fièrement tendre du feu à  Olivier, qui n'avait jamais besoin de briquet, ayant toujours un pote ou moi à  qui taxer du feu (ou une clope). Je rêvais de ressembler à  Olivier mais je n'étais pas lui, ai coupé mes cheveux et racheté des slips taille basse le jour où j'ai tendu mon briquet allumé pour qu'il allume sa cigarette et qu'il m'a arraché le briquet des mains en lâchant: "je l'allume moi-même, je suis pas pédé".

Le cannabis a commencé beaucoup plus intelligemment. Je ne sais plus comment, j'ai décidé d'essayer. J'avais par le passé tiré 2 fois sur un joint, et 2 fois j'avais été vomir après avoir entendu tout le monde parler comme dans une cathédrale. Mais j'avais trop bu. Là , c'était beaucoup plus réfléchi: je traÎnais depuis des mois cette anxiété permanente, ce que Jean-Jacques Goldman appelle "cette inquiétude sourde qui coule en nos veines, qui nous saisit même après les plus grandes joies"



Et quand ce n'était pas de l'anxiété, c'étaient des attaques de panique et des crises d'angoisse. Et je ne vous parle pas des nuits toutes peuplées de cauchemars et de souvenirs déplaisants. Pour les nuits, c'est depuis toujours. Pour les jours, quelques années maintenant.
Tout ce que je savais des drogues tenait dans la phrase suivante: "l'héroïne relaxe tellement qu'on finit par vendre sa dignité pour se procurer une dose et se l'injecter dans une plaie pullulante". Oui, j'ai vu "Requiem for a dream"



Et franchement, je rêvais de détente absolue. J'aurais tout donné pour un seul instant de repos. Et si possible, atteindre la même relaxation que celle qui précède immédiatement le moment où l'on s'endort lors d'une anesthésie générale. Un moment d'abandon absolu, où plus rien n'existe qu'un vague brouillard et des voix lointaines évoquant des choses qui n'ont aucune espèce d'importance pour toi dans les sphères dans lesquelles tu évolues. Quand j'en ai parlé à  ma psy, elle m'a prescrit de l'Atarax (médicament pour lequel la dose moyenne journalière selon doctissimo varie de 3 à  12 cachets de 10 mg). Qui me laisse assommé le lendemain matin.

Je rêvais de cette sensation, et ai fumé, pour la première fois, un joint, seul pour en ressentir les effets. J'en aurais pleuré de bonheur: cette sensation dont je rêvais depuis mon opération des fosses nasales, ce bien-être total, ce relâchement absolu existait: il suffisait de fumer pour le ressentir. Plus besoin de mon litre de bière en rentrant du travail pour savourer.



Être défoncé est la meilleure sensation que je connaisse. Toujours le même rituel: je branche de la musique de relaxation à  volume très faible (il faut tendre l'oreille pour l'entendre), une bouteille d'eau et une thermos de thé. En ce moment, le feu dans la cheminée. Et moi, posé sur le canapé qui écrit depuis maintenant une heure parce que je viens de comprendre quelque chose que tout le monde avait peut-être compris avant moi, mais il est des choses que je ne comprends pas toujours !


Catégorie : Témoignages - 03 décembre 2015 à  15:24



Commentaires
#1 Posté par : Mascarpone 03 décembre 2015 à  22:22

Robert Paulson a écrit

[Et quand ce n'était pas de l'anxiété, c'étaient des attaques de panique et des crises d'angoisse. Et je ne vous parle pas des nuits toutes peuplées de cauchemars et de souvenirs déplaisants. Pour les nuits, c'est depuis toujours. Pour les jours, quelques années maintenant.
Tout ce que je savais des drogues tenait dans la phrase suivante: "l'héroïne relaxe tellement qu'on finit par vendre sa dignité pour se procurer une dose et se l'injecter dans une plaie pullulante". Oui, j'ai vu "Requiem for a dream"

Et franchement, je rêvais de détente absolue. J'aurais tout donné pour un seul instant de repos. Et si possible, atteindre la même relaxation que celle qui précède immédiatement le moment où l'on s'endort lors d'une anesthésie générale. Un moment d'abandon absolu, où plus rien n'existe qu'un vague brouillard et des voix lointaines évoquant des choses qui n'ont aucune espèce d'importance pour toi dans les sphères dans lesquelles tu évolues.
Je rêvais de cette sensation, et ai fumé, pour la première fois, un joint, seul pour en ressentir les effets. J'en aurais pleuré de bonheur: cette sensation dont je rêvais depuis mon opération des fosses nasales, ce bien-être total, ce relâchement absolu existait: il suffisait de fumer pour le ressentir. Plus besoin de mon litre de bière en rentrant du travail pour savourer.

Salut,

Juste un conseil d'ami (qui reconnait un peu l'adolescent qu'il était il y a plus de 35 piges), ne goûte JAMAIS à  l'héroine mec, si tu es bien avec la weed, restes y!
Parce que vu ton état d'esprit, tu risquerais de trop kiffer et de te retrouver dans la merde....


 
#2 Posté par : Robert Paulson 03 décembre 2015 à  23:11
Salut !

Je ne suis plus vraiment adolescent (j'ai bien passé la trentaine) mais je compte ne jamais essayer l'héroïne. Et j'espère pareil pour les autres opiacés. Trop peur de rester accroché.

 
#3 Posté par : Mascarpone 04 décembre 2015 à  11:28
L'adolescent, c'était moi.
Pour risquer de tomber dans le piège, l'âge ne fait rien à  l'affaire, j'ai connu des mecs qui sont tombés dedans à  la quarantaine passée....
Et tu as raison de te méfier des opiacés, autant j'adore ça, autant je conseillerai toujours à  un néophyte de ne jamais y goûter, c'est encore la manière la plus sûre de ne jamais être tenté....

 
#4 Posté par : Robert Paulson 04 décembre 2015 à  19:38
Non, je ne pensais pas que mon âge pourrait me préserver d'une nouvelle addiction. Non, comme je te disais, je m'en tiens le plus loin possible.
Et merci pour tes conseils.

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