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Une goutte de sueur dévala également du front de la captive. Son corps muré par les sangles, une larme brûlante dévalant de son œil droit écarquillé, elle s’écria suffisamment fort pour que ses bourreaux soient poursuivis par le timbre de sa voix jusqu’aux abimes qui s’ouvraient dans toute la geôle, devenue aussi blême que l’entière addition des iris effacés. Hecko devina ce qu’allait opérer l’ennemi. L’Anticorps dégoulinait, bredouillait des mots inaudibles, sa bouche laissait échapper un filet de bave, son vieillissement accéléré ne s’achevait plus. Même sur l’alerte lancée à des milliers d’années-lumière par sa collègue, il ne put stopper sa manœuvre et ouvrit le dossier, pour s’assurer de l’authenticité du fichier désigné.
Par l’écran puis le cérébral de l’Immergé, un défilement surpuissant de représentations abstraites irrigua la geôle entière d’une lumière sombre assourdissante, heurtant l’équipe de plein fouet par sa brutalité, tandis qu’hurlait d’effroi l’Anticorps pris au piège. Le spectroplasme déversa un flot continu d’allusions visuelles se suivant les unes aux autres dans un fracas effrayant : un mouvement de sons et de formes sublimissimes, un anéantissement des sens. L’Anticorps hurlait encore. Des images entremêlées à ces animations s’associèrent en holographie : un groupe de corps fait de biɵcyb se manifesta. Leurs physionomies, émaciées, étaient marquées frontalement de symboles en reliefs, arqués. D’ignobles stigmates striaient les coins de leurs yeux, changés en microscopes. Ces corps mutilés et électroniques, ces hommes-machines armurés de maillechorts-actif et modulables, flottaient par le biais d’hélices, incrustées dans leurs chairs, leurs muscles, leurs os. L’être au centre du groupe, au visage plus féminin, délivrait un message. Et ce fut ce message, qui la seconde d’après, fit littéralement imploser la tête de l’Anticorps hurlant, connecté au psychisme de l’hacktiviste. Tel un pot de bolognaise lancé en l’air que l’on shooterait d’une balle. Il avait sauté de sa chaise et demeurait-là, accroupi, entre le matériel informatique et les appareils lévitant. Seul son cou tronqué s’exposait tandis que les débris de sa cervelle et de sa boite crânienne s’arboraient au plafond, s’étalaient aux murs et sur les uniformes de ses sbires. Fresque baroque d’un nouveau genre. L’équipe Anticorps et ses miliciens Volts restèrent immobilisés par la terreur. Hecko quant à elle, demeurait tranquille. Son sourire exprimait son identité propre. Une onde paisible et tranquille, un ondoiement qui la contenait hors du fracas.
– Loi du boomerang, encore, murmura-t-elle, à l’intention d’elle-même, à l’intention de personne.
Ses yeux désormais grands ouverts étaient rivés sur le louvoiement d’une nouvelle ombre tridimensionnelle écorchée vive, qui détenait un grand bâton rouillé de pèlerin. Sa face propulsait une source flamboyante de lumière fiévreuse. Cette apparition s’entrelaçait aux cris stridents des victimes de l’extraction, glissait à travers les sons des alarmes et des bips d’holosphères. L’atmosphère prégnante de lueur-sombre, déchainée des abimes du dossier nommé CLÉ, faiblissait à vue d’œil, autant que l’apparition faiblissait. L’apparition disparaissait, renaissait, se ré-évanouissant, Hecko détourna son regard du climat gore alentours. Plus rien d’autre ne comptait à présent pour elle, que son désir d’y retourner…
– Ombre-gardienne… souffla-t-elle malgré elle.
– Foutez moi cette ordure au trou ! hurla le Volt Gabaa, couvert de matières cérébrales.
La présence rouge-sang se trouvait juste à ses côtés, semblant lui transmettre quelques pensées. Cinq brigadiers déboulèrent dans la pièce. L’un ne put s’empêcher de vomir lorsqu’il vit le corps éclaté de l’Anticorps, venant d’ouvrir la boite-noire. L’infirmière était devenue folle, accroupie sur le bas-côté de la porte, se balançant d’avant en arrière en se comprimant les tempes. Elle semblait prononcer elle aussi du bout des lèvres… "monde"… "antimonde"…
La racaille Volt sur les lieux, se mit synchroniquement au garde à vous, quand entra suavement dans la salle ovale maculée de matière cérébrale un Exécutant. Haut-Fonctionnaire du MémoSénat de toute évidence en connivence avec l’A.R.T, en costume cravate blanc impeccable, tel un amiral. Ses manières étaient impassibles au possible, savamment calculées. Il ressemblait à s’y méprendre à un chef d’état d’Exeurope, en fonction dès 2034. Autant dire, un temps n’existant que dans les imaginaires. Il n’existait pas de monde avant la Relève Salve. Tout ce qui c’était produit avant relevait… oui, de l’Antiquité. Hecko suivit du regard l’apparition écorchée encore quelques secondes, avant que celle-ci disparaisse telle une aura migraineuse évaporée. Les yeux du Volt Gabaa avaient changé de teintes et d’expression.
– Le dossier clé a-t-il néanmoins été copié sur interface annexe ? demanda l’Exécutant en tenant un linge sous son nez, baissant le regard face à la captive.
– Oui, nous l’avons, beugla Gabaa, au côté de l’infirmière démente.
– Bien, vous faites sortir du Circuit cette… chose, dit-il avec calme en désignant Hecko sans la regarder. Et vous informez l’équipe Uz. La Coupole vous félicite messieurs. Et bonne chance pour karcheriser tout ça, lança-t-il enfin, en quittant les lieux.
Quand l’Exécutant partit, Gabaa vint délier les bras d’Hecko, d’une façon tout aussi précautionneuse, voir même apprêtée. Lui non plus, jamais, ne la regarda dans les yeux. La captive fut redressée soigneusement. Pour être menée dans les sous-sols de la caserne. Gabaa laissait de ses mouvements calculés fuir une ‘‘aura’’ plus qu’étrange, flirtant avec celle rouge-sang de l’apparition, désormais évanouie. Trop étrange pour laisser Hecko indifférente. Elle se dit que lui aussi, surement, allait dans les heures ou jours prochains, voir du pays.
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Hecko attendait l’heure de son exécution, détenue dans un box de cinq mètres carrés. Accablée, elle puisait à chaque seconde en son esprit de quoi alimenter son être en force, en courage, en foi. Elle ne se départait plus cependant d’une quiétude trouvée lors de sa traversée ; celle de tout à l’heure, d’hier, d’avant-hier, du passé lointain. Déjà lointain. Celle effectuée dans le Surréel. Un monde cybernétique barge, un monde de tous les possibles, un monde ravagé par tous ces possibles. Le MirAge l’avait rendue folle. C’était en outre le danger d’appartenir à la phratrie T’R-Ink et l’une de ses tribus qu’était Ombrillégal ; d’en être une plongeuse experte. Évidemment, ses quatre graines avaient été extirpées, de la manière la plus sauvage qui soit. Front, nuque et tempes en fin d’usage. Et pas de garantie, il allait sans dire. Dans sa cage, adossée contre des barreaux suintant la rouille, elle désirait une inhale, ou une cigarette. Un dernier cigarillo. Une dernière volute. En plus d’avoir échoué sa mission, elle avait fait accélérer le préambule de l’anéantissement. L’A.R.T et quelques complices Exécutants en possession de cette… comment décrire, ça ? Cette vision du « continent des Morts » ? Ou « planète cachée » ? Et cette présence d’un certain Dinraw… ou bien ces êtres mi-hommes mi-machines surgis des fragments de ce fichier ouvert et ce message lancé par l’un d’eux… était-ce lui, Dinraw ? Ce message était-il un condensé de sa part ? Comment mettre fin à toutes ces questions qui jamais ne trouveront de réponses, du moins… de son vivant ?
– J’aurais aimé te connaitre Iraïs. On se serait entendu je pense. On aurait peut-être… prononça Hecko sans réellement capter ses propres mots.
Elle savait qu’elle allait être mise hors de cause, une fois morte, car l’embuscade tendue par les ordidroïdes était une terrible faute. Une erreur impardonnable des préparateurs, des opérateurs censés gérer la passation de la clé. Si elle avait un souhait à formuler là, tout de suite, ça serait d’avertir le KCP de l’infiltration dans la contrebande d’individus du genre crapoteux. Ou bien… et c’était bien là le pire du pire, le KCP lui-même pouvait être… non… non, tout mais pas ça, non.
Hecko s’endormait. Elle s’endormait tout en captant parfaitement la présence dans ce nouvel enclos, d’une forme ordidroïde faite de centaines de micro-syntellites, qui se liaient les uns aux autres par des filaments biɵcyb. Cette présence passible, soft, suffisait à la laisser déposer ses armes, à ce qu’elle se laisse aller, à se délier de tout ce qu’il fallait pour se protéger de ce monde brutal, au design publicitaire d’ile paradisiaque couvrant l’arrière-cuisine qui n’était rien d’autre qu’une décharge. Les centaines de syntellites zirconiens éclairaient la geôle comme une nuit épurée d’artifices lumineux et de néons. Délivrant des effets apaisants, des vagues apaisantes, les microsphères tournoyaient lentement, s’associaient en figures et formes complexes. En l’esprit d’Hecko, l’espace présent se changeait presque en champ libre. Mais son enclos, sa geôle de terminus, s’élargissait réellement. L’ordidroïde amplifiait l’effet des ombres de sa propre constitution. Les micro-syntellites délivrèrent en une chorégraphie de mouvements fluides et agiles un message, qui s’associa aux impressions de la captive :
– Le psychisme a ses traumas. Le cosmos a ses trous-noirs, murmura Hecko, sans comprendre le sens troublant de ces mots délivrés par son A.M.I, qu’elle espérait voir réapparaitre aux côtés de la fascinante créature ordidroïde.
Elle se sentit rire, comme une personne préconsciente engouffrée dans un rêve jouissif. Les micro-syntellites accentuèrent leurs mouvements expressifs, leur danse « dans le noir ». Hecko ferma les yeux. Un visuel s’empara de son esprit ; un tirage de cartes, comme l’un de ces antiques tarots ésotériques d’une cité engloutie d’Hexagon. Pas vraiment son truc, en ce qui la concernait, mais l’invraisemblance de cette situation - tout comme sa condition première, sa condition dernière et l’ambiance générale de ce Globe abject - était comme celle d’un taureau voué à être trucidé dans une arène. Alors… cette fois-ci, toute distraction était la bienvenue. Le tirage s’élabora en croix :
La 1ère image exposa un schéma ; la surface plane d'un univers foré par des trous-noirs, fléchissant en d'autres dimensions.
La 2ème présenta l'architecture complexe du cœur d'un multivers, avec ses boucles perpétuelles, ses vortex infinis et ses trous de vers.
La 3ème image délivra des objets du cosmos subtilement entremêlés puis fondus à des neurones ; soit un système nerveux en pleine action.
Puis la 4ème, qui exposa des yeux béants extasiés, résolument captés par l’inconditionné.
En son propre être, Hecko perçut la somme sensitive des impressions illimitées de cette synthèse. L’esprit intrinsèquement lié au cosmos, inconditionnellement lié à lui ? Le présent comme mirage du passé, mirage de l’avenir ? Des pas lourds mécaniques de plusieurs personnes tonnèrent, résonnèrent en échos, présageant son expulsion du Circuit. L’ordidroïde intima à Hecko de se relever, par la danse fluviale de ses multitudes de syntellites en mouvements. L’hacktiviste se tint debout, douleurs multiples en apartés. Son dos courbé frôlait la pesanteur des barreaux. Ses tempes et sa nuque étaient imbibées de sang coagulé. Ses yeux se rouvraient par à-coups. L’engourdissement ressenti la maintenait loin de la faille mortelle. Les 459 micro-syntellites animés et pupillaires, tournoyaient tels des électrons autour d’un noyau atomique. La vitesse des mouvements s’intensifia chaque microseconde, les images délivrées s’amplifièrent jusqu’au message final délivré par le dit-Slalom :
Après tout ce que tu as affronté, après toutes ces traversés, rien n'a été finalisé.
Serais-tu capable d'imaginer, d'inventer – une nouvelle couleur ?
Les dés-appareillages de sa cage et dé-crochetages des serrures parvinrent jusqu’à la captive, qui sentit la désintégration matérielle de son corps. Les derniers effluves perceptifs du mouvement giratoire jaillirent dans ce lieu sous forme d’ohtavan fantomatique, magistrale. Un feu polychrome indescriptible et musicale. Slalom l’avait emmené. Hecko n’était plus. Ni ici, ni ailleurs. Endormie dans une profonde quiétude anesthésiante, elle se laissait porter. Elle ressentait son corps transporté, comme celui d’un soldat éloigné du front, allongé sur un brancard puis mis sous narcotique. Évacué en lieu sûr. Apaisement soudain, assoupissement rêvé. Ni ici, ni ailleurs. Peut-être entre.
[...]
Catégorie : Expérimental - Aujourd'hui à 01:11