
Mon pote Aldo c'est un artiste. On s'est rencontré en manif, il chantait des chants révolutionnaires avec son accordéon pour motiver la foule, on a tout de suite sympathisé. C'est un gars tout sec, presque nerveux, avec des lunettes et une tête de canaille qui provoque instantanément le sourire. Aldo on a envie d'être son pote.
Et donc il a monté un spectacle de cabaret en solo, et je suis allé le voir hier soir dans un bar de la zone de ma ville qu'on appelle le Triangle des Bermudes, rapport au fait que c'est très facile d'y être happé par un vortex éthylique et de disparaître dans un tunnel de bringues dont on ne sait pas trop quand et dans quel état on va sortir....Si on en sort. Le bar est au diapason avec le quartier. C'est clairement un repaire de pirates, ça sent la free-party à plein nez, que des marlous, des weirdos, des drogués et des lascars...mais gentils, hyper gentils ! Un endroit qui pue la bienveillance et l'attention portée à autrui que c'en est un scandale. Tu rentres tu te sens à la maison en 5 minutes.
Il se trouve que j'avais au frigo quelques pilules de
4-HO-MET, que pour des raisons pratiques on appellera "psilocybine synthétique", c'est moins chiant à écrire même si c'est plus long, et ça fait moins bataille navale. Bref cette
psilocybine synthé c'est un de mes produits fétiches en ce moment, ça ressemble à un petit trip au
LSD, mais plus doux, plus court, plus amical, très visuel, des couleurs qui partent dans tous les sens, des serpentins fluos, des visions cosmiques les yeux fermés et même parfois ouverts. Et beaucoup plus compatible avec la bière que les champignons, ce qui me convient parfaitement pour la soirée que je prévois de passer. Je retrouve un pote au bar, mais il ne reste pas, trop fatigué après les orgies de fin d'année. Moi j'ai eu la crève toute la semaine, c'est le premier jour où je me sens bien alors que j'étais en vacances, du coup j'ai la patate et envie de rattraper le temps perdu. Let's go, je me gobe 10mg de psilo synthé et j'en file autant à un autre pote qui lui est bien d'humeur à s'ambiancer.
Le show démarre et c'est juste excellent. Aldo déploie sur scène tout un univers poétique, avec un accordéon explosif, des numéros d'équilibre, du drag, des chansons françaises et du Britney Spears, deux loupiottes et trois bout de ficelles, une scéno minimaliste mais hyper bien pensée, de beaux costumes, une ambiance à la Tim Burton hyper décalée qui en plus matche super bien avec le lieu. C'est vraiment un beau spectacle. Assez vite je commence à me sentir un peu dizzy, je ne sais plus trop où j'en suis, j'ai déjà deux, trois bières dans la gueule et je sens que la psilo commence à mettre la patate. J'ai oublié de préciser qu'en amont je m'étais bouffé une gummy au
THC qui tape pas mal aussi, bref très rapidement je commence à être bien dans l'espace.
Le parquet ondule, les yeux dans le bois commencent à se tortiller, à gonfler comme des hologrammes, les couleurs me semblent hyper vives et profondes. Le sol se gondole et zig-zague de plus en plus intensément, je fais remarquer à mon pote qui est à peu près dans le même état que moi que les hallus par terre ressemblent vachement à celles de la scène de l'hôtel dans Las Vegas Parano. Il acquiesce. J'essaye de me concentrer sur le spectacle, sous les deux projos vert et rouge Aldo ressemble incroyablement à un arlequin fou évadé d'un film de Burton. Il commence un numéro d'équilibre avec des bâtons dont il essaye de faire une structure stable en recherchant leur centre de gravité pour les disposer en suspension. C'est magique. Je m'assois en demi-lotus devant la scène. je commence à méditer pouce et index
joints pour l'aider à trouver le calme et la sérénité nécessaires au succès de son numéro. C'est drôle et ça fait d'ailleurs rire les gens du bar, mais ça marche, il y a comme une connexion entre Aldo et moi, et le silence s'impose pendant qu'il effectue son tour. Je reprends 10mg de psilo.
Toujours assis, j'observe le parquet. les strates du bois m'apparaissent soudain comme en 3D, comme s'il y avait une dimension derrière, un tunnel doré et chaleureux...et les lignes deviennent comme les rayonnages d'une bibiothèque vivante, sur lesquels reposent, sous une forme énergétique, tout le savoir et l'histoire de l'Univers, presque à portée de main. Je suis en train de réfléchir à la manière de pouvoir y accéder, lorsque l'installation de bois d'Aldo s'écroule devant moi comme un château de sable, me sortant de ma contemplation psychédélique. On l'applaudit. On l'encourage, on crie Aldoooo. Lorsque je regarde à nouveau le plancher, la vision a cessé. Encore quelques chansons, une magnifique séquence de drag d'une fragile poésie, et le show est fini.
À partir de là mon trip devient plus social, convivial, et moins psychédélique au sens apparitions transdimensionnelles. Je commence à discuter avec un peu tout le monde, je rencontre un groupe d'anarchistes avec des gueules à avoir été déportés au bagne en 1871, des vrais de vrais, et on sympathise immédiatement en chantant à tue-tête avec Aldo son répertoire de chants engagés. Je fais aussi la connaissance d'une sorcière, une petite femme d'1,50m maximum, toute ronde et couverte de dreadlocks, avec qui on commence à causer magie, un concept qui m'interpelle énormément ces temps-ci, particulièrement depuis de récentes expériences psychédéliques assez bouleversantes. C'est vraiment la sorcière la plus cool que j'aie jamais croisé. Et je me rends compte qu'il s'agit de la maman d'Aldo, là je commence à penser que les étoiles sont drôlement connectées et que c'est pas étonnant qu'Aldo aime autant aller cueillir des champignons comme on le fait ensemble chaque automne.
En même temps je bois pas mal de bière, ça tasse un peu le trip mais c'est pas plus mal, ça le contient dans un espace où l'échange humain est possible et agréable. je m'autorise 10 derniers mg de psilo et j'en offre à mon pote déjà bien perché, le gars brille quasiment dans le noir, refait. Je complimente le patron du rade, un jeune rasta, pour son lieu qui a une vraie allure de zone autonome temporaire, et j'en profite pour y caler avec lui un prochain DJ set techno. Le bar est supposé être fermé depuis longtemps, on a baissé le rideau de fer et la fête continue, c'est vraiment la famille. Le trip se pose tranquillement, la bière prend le dessus et je réalise que je suis quand-même bien fatigué, je décide donc de rentrer chez moi après avoir chaudement salué la compagnie.
En route je trouve un tacos ouvert où j'achète une sorte d'immonde galette de viande bas de gamme à la sauce industrielle d'au moins un demi kilo, je la dévore, ce que je regretterai amèrement quelques heures plus tard en me forçant à vomir pour soulager mon estomac incapable de digérer cet attentat diététique. Hormis ce petit inconvénient, une très belle soirée, pleine de rires, de joie, de visions et de mystère. J'en redemande et j'ai hâte de retourner explorer cette étrange dimension d'énergie mémorielle inscrite dans le bois du parquet.
À vous les studios.