Voyage au poulailler - Du grand tout au moi profond

Catégorie : Trip Report
Hier à 21:51

Sujet : Femme, la cinquantaine, totalement naïve aux psychédéliques.

Pourquoi : Sous LSD, mon mari se trouve être malgré lui une vraie publicité ambulante, tant il renvoie une image de bonheur, de plénitude, d’épanouissement. Je l'accompagne en tant que trip sitteuse depuis quelque temps déjà (on ne peut pas dire que j’ai beaucoup de travail !)
Naturellement, dans ces conditions, l’idée a fini par germer dans mon esprit qu’il me faudrait vivre cette expérience au moins une fois en la vie. Je ne suis pas partie tête baissée dans l’aventure, évidemment. Je commence à vieillir (ou mûrir thinking), je ne suis plus prête à sauter d’un pont accrochée à un élastique comme j’aurais tant aimé le faire à mes 17 ans.
Je me suis donc documentée avant et j’ai bien pesé le pour et le contre pendant les deux mois qui ont précédé ma grande première.

Set and sitting : Je vais très bien dans ma vie actuellement, je n’ai jamais eu de gros traumas, seulement de petites névroses (comme une grande majorité de gens sur cette planète), donnée à prendre en considération tout de même.

Le trip a lieu chez moi, dans un cadre assez magnifique au milieu de la nature, accompagnée par mon mari, mon trip sitter chéri, prêt à mettre tout en œuvre pour que ce moment soit une réussite.
(J’en profite au passage pour dire à ceux qui envisageraient de plonger seuls que cela me paraît une mauvaise idée.)


Dose : L’idée est d’y aller tranquillement.
Je suis assez sensible aux substances en général et je ne connais pas la quantité de LSD que contiennent nos buvards. Mes bêta-testeurs ne sont pas des plus fiables : l'un ayant probablement des effets atténués en raison d’une prise prolongée de mirtazapine (même si totalement arrêtée depuis quelque temps) et l'autre se considérant comme « une poubelle à prods » (sic), disposé à gober tout ce qui lui passe sous le nez (tolérance ?).
Leur estimation d’un buvard légèrement à moyennement dosé (entre 60 et 80 microns) ne peut donc en aucun cas constituer un repère fiable pour moi.


14h30 : je drop un quart. L'attente risque d'être longue. Mon mari me propose une partie de ping-pong pour me détendre. Le temps passe. Les effets se font attendre. Il m’arrive à certains moments d’être un peu euphorique, je ris plus facilement, pour un rien.
Je sens que quelque chose se passe dans mon cerveau, mais ce n’est que très légèrement perceptible. Je suis plus sensible à ce qui m'entoure, aux couleurs, aux sons, aux déplacements des animaux et insectes qui passent près de moi. (Mais, si ça se trouve, c’est juste un effet placebo !) Je ne sais quoi penser à ce moment-là.

15h45 : la question se pose : une heure et quart s’étant déjà écoulée, ce quart de buvard ne m’aurait pas permis d'atteindre le seuil ? Si je suis les conseils qui m’ont été donnés par les psychonautes de la communauté, j’ai intérêt à attendre encore environ une heure. Si je suis l’instinct de mon mari, je peux redroper tout de suite.
Oh, bordel, que faire !?!

Je retourne sur Psychoactif, pour m’en remettre à d’autres avis et poser à nouveau la question (le côté un peu chiant de la néo-PUD, qui a besoin qu’on lui répète dix fois la même chose !) Finalement, je décide d'attendre sagement, en profitant des doux rayons du soleil de cette fin d'été.

16h45 : bon, à cette heure-là, les choses paraissent claires : il est temps de redropper. En plus, me v’la bien... Moi qui pensais passer l'après-midi sous substance, toute cette histoire va commencer à m'emmener plus loin que prévu dans la nuit.
La logique et la raison voudraient que je gobe le deuxième quart sans réfléchir. C’est ce qui était prévu, mais mon mari me propose un autre morceau, d’un buvard qu’il avait mal coupé en deux la fois précédente.

J'hésite un instant et me décide pour ce gros quart… ce tiers, ce petit demi ? Merde, c’est si minuscule, ces trucs, qu’on a du mal à les comparer.
Légère angoisse juste après l’avoir avalé. Je me dis : « J’ai fait une connerie, j’ai l’impression que les effets du premier arrivent ! » Mais non, « Respire et déstresse, ma grande ! ». Et rebelote, un ping-pong en attendant.

À un moment, mon mari m’invite à m'asseoir sur un ballon sauteur, face à un mur bigarré dans la contemplation duquel il aime à s’absorber lorsqu’il est sous L. La situation, me semble-t-il alors, confine au ridicule...

17h30 : ça y est, c’est parti. Un peu comme on m’avait décrit. Les tiges des branches de lierre commencent à se tortiller. Les feuilles d’un jeune plant d’arums s’irisent de couleurs vives, mouvantes...
Les murs de la maison ondulent comme une respiration. Les pierres du muret en contrebas entament une danse avec les marguerites fanées. Tout le jardin s'anime. Des ondulations de couleurs glissent sur les feuilles qui se dandinent.

Ma perception de l'espace s’altère. Tandis que je marche, j’ai l’impression que mon cerveau flotte à côté de mon corps.
Je ne me sens plus dans mon corps. Je me mélange au jardin. Je suis proche des choses qui sont éloignées, j’ai l’impression qu’on se rassemble en un tout unique.
Je suis en pleine montée, c’est assez déstabilisant. Fantastique et flippant à la fois.

C’est alors que j’entends mes voisins depuis leur jardin, ouvert par endroit sur le nôtre. Légère panique, je me sens incapable ne serait-ce que de leur dire bonjour d’un simple signe de la main. Je retourne vite vers la maison. Il ne faut pas qu’ils me voient ! À ce moment, je me bloque, les hallucinations s’arrêtent net et je sens une pression monter en moi. J'essaie de respirer calmement, tout ça me paraît ingérable, je manque d’air…

Je demande à mon mari de rentrer, il faut que je m’allonge. Tout ce truc est en train de bouillir en moi, c’est désagréable, je ne sais pas comment m’en sortir. J’ai l’impression que je vais rester bloquée comme ça jusqu'à la fin du trip.

Dans notre chambre, sur notre lit, mon mari essaie d’abord de me rasséréner au moyen de paroles apaisantes. En vain. Il use ensuite de sa bouche, de ses mains, pour me réconforter par des caresses. Mais malgré ses efforts, je demeure anxieuse et figée. 

Un tissu en lin beige habille la pente du toit au-dessus de notre lit : mon mari m’enjoint d’y fixer le regard, et demande ce que j’y vois. Les franges de fils suspendus dans le vide se transforment immédiatement en danseuses fluettes, vaporeuses. Les nœuds à leur base forment des têtes et les fils, autant de membres graciles. Chaque danseuse affiche une posture différente et, ensemble, elles créent sous mes yeux une chorégraphie magnifique. C’est doux, apaisant. ça y est, je me sens bien.

Je les contemple depuis un moment déjà lorsque, soudain, elles se raidissent et entament une marche macabre, mues en petits êtres squelettiques. Je pense aux expériences que j’ai pu lire, aux conseils donnés, et je me dis : stop ! À voix haute, je leur demande d'arrêter : « Stop, vous devenez moches ! On arrête tout là, ça ne me plaît pas ! » Je vois alors les fils à nouveau sans vie qui pendouillent, puis je leur demande de reprendre au début, lorsque c'était beaucoup mieux. Sans tarder, le balai des danseuses graciles recommence. Merci ! big_smile

(Je les vois dorénavant chaque soir quand je me couche. Même figées, elles sont là, et je sais qu’un jour, leur danse reprendra.)

Je reste une demi-heure encore allongée sur le lit à écouter de la musique, le casque collé aux oreilles. J'oublie les visuels et me concentre sur le son, qui s’engouffre et résonne en moi.

18h30 : J’ai repris du poil de la bête et peux enfin me lever. Mais je n’ai plus de notion du temps. Le casque toujours vissé sur la tête, je vais alterner entre vagabondage au jardin et station fixe, les yeux fermés, dans mon salon où, envahie par la lumière et la chaleur intérieure que me procure la musique, je me laisse simplement aller.
Je délègue à mon mari la gestion de la playlist, incapable que je suis de faire fonctionner mon pc, comme si mon cerveau avait tout oublié des choses pratiques de la vie courante…
Mes repères dans l’espace ont été vaporisés. Je suis plongée dans un monde disloqué, où tous mes déplacements se révèlent hasardeux.
[Deux heures passent probablement.]

Je me souviens d’un moment où je pensais sincèrement être en redescente (il devait être à peine 19 h 30). Je faisais le bilan de cette expérience comme si elle touchait à sa fin : tout ça m’apparaissait vraiment trop complexe... Un équilibre périlleux où le plaisir ne tient qu’à un fil. Peut-être valait-il mieux que je laisse ça à mon mari, que moi, je me contente de la MDMA, si simple, si limpide, si efficace.

En réalité, j’accédais à peine au plateau, j’étais en quelque sorte dans l'œil du cyclone. Un moment de calme pour préparer le voyage à venir et toutes les questions qui en découleraient.

20h30/21h00 : "Au fond du jardin dans l’obscurité "
Il commence à faire sombre, il faut fermer le poulailler. Est-ce une bonne idée que j’y aille moi ? C’est tout au bout, tout en haut du jardin, en bordure d’un bois. De nuit, la forêt peut revêtir un côté super flippant. Qu’importe, je me lance dans la nuit. Les poules sont couchées, tout va bien, je ferme la porte.

Je tourne les talons et contemple le paysage. De la où je suis, je surplombe la maison. Au-delà, une route serpente pour se perdre dans les collines couvertes de champs, parmi lesquels je distingue encore une ferme voisine. Je sens au fond de moi la nécessité de me poser là. Mon regard s’arrête sur un poteau de bois.
Commencent à s'en échapper de petites particules, de fines fontaines d'énergie. En arrière-plan, une vague intense s’élance et tourbillonne. Elle caresse un à un tous les éléments qui m'entourent, comme pour les réveiller et les convier à rejoindre le bal. Un échange d'énergie, un grand transvasement, pour que tout ce qui constitue ce monde ne fasse plus qu’un.

Et je suis là debout, dans le froid, et c’est à présent mon corps qui semble s’évaporer, tel un nuage, pour les rejoindre.
J’ai envie de courir raconter ce qui m'arrive à mon mari. Mais je sens qu’il me faut rester là, profiter de ce moment complètement fou. Une lumière s'allume à la périphérie de mon champ de vision, comme un feu, non : une lampe chauffante qui rougeoie. Sa chaleur m'envahit et m'apaise. Elle est là pour que je plonge dans ce moment hors du temps, sans plus avoir à me soucier de mon enveloppe charnelle.
Le ciel est illuminé de tons roses et mauves, comme si une grande fête se préparait au loin.
Je vis un moment de plénitude.

...
Ça fait très longtemps que je suis là.
Je retourne vers la maison. Toute l'étendue de l’herbe se recompose en une mosaïque de losanges. Comme les touches d’un gigantesque clavier d'ordinateur dont jailliraient des touffes végétales. Ça me fait sourire. Oui, c’est vraiment n’importe quoi ! Je me demande pour quelle raison mon cerveau façonne une telle bizarrerie.

Mon mari me rejoint, suivi de l’un de nos enfants, qui s'inquiète pour moi.
" Tout va bien, mon amour, je profite juste du jardin, c’est tellement beau." (Objectivement, il fait noir et le vent souffle roll)
Je le rassure, je vais bientôt rentrer.
Mais je veux me laisser aller encore un petit peu. Il me reste des choses à découvrir.

La scène est théâtrale, environnée de spots d'éclairage chaleureux, et moi au milieu, immobile, m’abandonnant à une danse imaginaire avec les herbes hautes qui m'entourent.

......
À ce moment, je comprends que je suis connectée à une partie de moi enfouie dans mon inconscient. Pourtant, je ne vous décrirai pas ce que je vis au cours de la demi-heure qui s’ensuit. Les sensations, les émotions s’avèrent juste trop complexes pour je puisse les exprimer à travers de simples mots. Je suis là, en moi-même, avec moi-même : car il s’agit bien, je le sens, d’une rencontre ou, à tout le moins, de ses prémices prometteuses.

Retour dans la maison. Je suis frigorifiée. J’avais complètement oublié mon corps, lequel - je le constate à présent - a subi les éléments extérieurs d’une manière tout autre.

Je regarde à présent ma main, qui se transforme de manière spectaculaire. Vision assez horrible de chairs en putréfaction. Mais, étrangement, cela ne m’affecte pas. Je me sens totalement détachée, comme si cette main n’était pas la mienne. Simplement fascinée par le spectacle, sans ressentir les affects auxquels son caractère macabre devrait renvoyer.

1h30 : Je vais me coucher tranquillement avec les derniers visuels qui m'accompagnent.
Mon mari pose sur mes lèvres un doux baiser et me regarde tendrement. Son visage prend les traits d’un vieillard.... Je ne lui ai rien dit sur le moment, je n’ai pas voulu le perturber. (Qu’il soit rassuré, même dans trente ans, il sera toujours beau à mes yeux lol) Je l'aime.


... 48 heures plus tard... à réfléchir et à analyser ce que j’ai vécu et ressenti dans la dernière phase de cette expérience.

Je repense à cette connexion à une part de moi-même, une part tapie dans les tréfonds de mon inconscient.

Voilà des temps immémoriaux, une petite fille est allée s'enfermer à double tour derrière une lourde porte, quelque part. Parce qu’elle se sentait trop nulle, pas assez intelligente, pas assez intéressante, pas assez jolie, pas aimable pour ce monde. Elle était devant moi. Elle m’a fait sentir toute la joie et la beauté qu’elle avait en elle, elle m’a montré qu’elle était capable de tout. Elle m’a rassurée et fait comprendre que je pouvais en faire autant, qu’il fallait simplement que j'arrête d’avoir peur.

Et si tout mon mal-être, tout ce que je me suis infligé pendant tant d'années trouvait son origine dans cette séparation d’avec ce moi profond ? Peut-être que si j’ai eu, par moment, envie de mourir, c’est parce que cette petite fille lumineuse me manquait tant, que la vie se révélait trop difficile sans elle.

Si seulement un jour, je pouvais réaliser ce rêve de la retrouver entièrement, et qu’enfin, elle et moi ne formions plus qu’une.

Je sais qu’un jour, je repartirai sur les chemins de traverse, mais je ne suis pas pressée. Je savoure déjà les petits changements qui se sont opérés en moi depuis ce beau voyage. Je n’ai plus besoin de boire, comme je le faisais trop souvent, toute seule, plus besoin de mon shoot de bière triple tous les soirs.

Bon, je continue quand même à faire la fête le week-end, faut pas déconner, non plus !

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